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La sécurisation culturelle dans la pratique : la prestation de soins de qualité aux enfants et adolescents des Premières Nations, des Inuits et des Métis

Affichage : le 18 septembre 2025


La Société canadienne de pédiatrie vous autorise à imprimer une copie unique de ce document tiré de notre site Web. Pour obtenir l'autorisation d'en réimprimer ou d'en reproduire des copies multiples, lisez notre politique sur les droits d'auteur, à l'adresse www.cps.ca/fr/policies-politiques/droits-auteur.

Auteur(s) principal(aux)

Emilie Beaulieu MD, Sara Citron MD, Ryan Giroux MD, Cheyenne Laforme MD, Amber Miners MD, Brett Schrewe MDCM MA Ph. D., Elizabeth Sellers MD; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis

Résumé

Au Canada, la sécurisation culturelle a émergé dans le milieu de la santé en réponse au racisme et à la discrimination systémique avec lesquels les peuples autochtones doivent souvent composer lorsqu’ils accèdent aux soins. Ancrée dans l’humilité culturelle, l’antiracisme et les soins tenant compte des traumatismes, la sécurisation culturelle vise à garantir des soins équitables et de qualité aux enfants et aux adolescents autochtones. Bien qu’il soit important de comprendre les principes de la sécurisation culturelle, le présent document de principes s’attarde à l’application de ces concepts dans la pratique au quotidien. Pour privilégier une pratique orientée vers la sécurisation culturelle, les professionnels de la santé qui travaillent auprès d’enfants peuvent utiliser le cadre « apprentissage, introspection et action ». Ils devraient également tenir compte du lieu d’habitation, de la langue et de l’héritage culturel de chaque enfant, de chaque adolescent et de chaque famille qu’ils voient dans leur pratique, conjointement avec les obstacles et les incitations à des habitudes de vie saine que vivent les enfants et les adolescents autochtones du Canada. La connaissance des politiques et pratiques du système de santé ainsi que de leurs effets sur les soins aux patients, au quotidien et dans l’histoire, représente une étape importante vers des soins orientés vers la sécurisation culturelle au sein des milieux de pratique.

Mots-clés : antiracisme; humilité culturelle; santé des Autochtones; sécurisation culturelle; soins tenant compte des traumatismes

La culture, la langue et l’autodétermination sont les piliers de la santé et du bien-être[1], en particulier chez les peuples autochtones dont la vie a été démesurément bouleversée par des politiques discriminatoires et la colonisation. Les effets historiques négatifs continuent de façonner les déterminants sociaux de la santé et les systèmes de santé dans ce que l’on appelle désormais le Canada, ce qui a comme principale conséquence de faire persister les iniquités en santé[2]-[4]. Les Premières Nations, les Inuits et les Métis, désignés collectivement par le terme « peuples autochtones » dans le présent document, ont des cultures très différentes, mais partagent l’héritage historique et politique de l’oppression. C’est pourquoi les services de santé et les régimes d’assurance maladie de certains peuples autochtones diffèrent de ceux d’autres groupes du Canada[4][5].

Les peuples autochtones ont tendance à avoir certaines visions du monde en commun. Toutefois, parce qu’elles sont rarement reflétées dans les systèmes de santé européens ou occidentalocentriques et qu’elles ne font pas partie du cursus habituel des facultés de médecine canadiennes, elles ne sont ni largement ni bien comprises des professionnels de la santé[6][7]. De nombreux peuples autochtones conceptualisent la santé comme un équilibre entre les bien-êtres physique, affectif, mental et spirituel qui, ensemble, influent sur leur perception de la maladie et des traitements. Le concept de vérité multiple, façonné par les expériences et les récits individuels plutôt que par une seule vérité reposant sur la science, peut créer des frictions entre la médecine traditionnelle et la médecine occidentale. Le concept de temps, de nature cyclique et saisonnière plutôt qu’orienté vers l’avenir, peut également provoquer des frictions lors de l’accès à des services qui ne sont pas dirigés par des Autochtones (p. ex., des rendez-vous planifiés)[6][7]. Pour prodiguer des soins de qualité et adaptés à la culture, il est important de réfléchir aux visions du monde autochtones relatives à la vérité et au temps et de les intégrer délibérément à la pratique clinique.

La sécurisation culturelle, qu’on appelle parfois sécurité culturelle, diffère de concepts connexes comme la conscience culturelle, la compétence culturelle et la sensibilité culturelle, car elle intègre l’antiracisme et l’humilité culturelle (voir la figure 1)[8]. Le module de la Société canadienne de pédiatrie (SCP) offert en ligne explore en profondeur les concepts clés des soins orientés vers la sécurisation culturelle.

Comme première étape vers l’exercice de la sécurisation culturelle, le professionnel de la santé doit prendre conscience de ses préjugés personnels et des biais systématiques ambiants, reconnaître ses privilèges et chercher à corriger les déséquilibres de pouvoir avec ses patients autochtones par un apprentissage empreint d’humilité. S’il fait preuve d’humilité culturelle, il reconnaît les savoirs et la médecine traditionnelle autochtones et les place au cœur de plans de soins personnalisés et axés sur le patient. La sécurisation culturelle, qui repose sur une approche tenant compte des traumatismes, convient que les interactions interpersonnelles et environnementales peuvent provoquer des réponses de stress (combattre, fuir, figer ou se soumettre) profondément ancrées dans l’histoire des traumatismes collectifs, intergénérationnels et personnels[9]. Elle repose sur les points de vue des patients et de leurs proches, qui sont les seuls à pouvoir évaluer si les interactions respectent ou non la sécurisation culturelle dans le cadre des soins[8].

Figure 1. Le continuum de la sécurisation et de l’humilité culturelle

Source : © Tous droits réservés. Définitions communes en matière de sécurité culturelle : Forum des professionnels de la santé de l’administratrice en chef de la santé publique. Agence de la santé publique du Canada, 2023. Reproduit avec l’autorisation du ministère de la Santé, 2025. Repéré à definitions-fr2.pdf.

Il est important de comprendre les principes de la sécurisation culturelle, mais encore plus d’en assurer une mise en œuvre efficace dans la pratique clinique au quotidien. Le présent document de principes propose une approche clinique de la sécurisation culturelle à l’intention des professionnels de la santé qui travaillent auprès d’enfants, d’adolescents et de familles autochtones. Les conseils comprennent des cadres de réflexion, des outils et des recommandations visant à favoriser des relations cliniques de confiance et à éviter de raviver des traumatismes. Il est essentiel de prodiguer des soins orientés vers la sécurisation culturelle pour optimiser les pronostics des enfants, des adolescents et des familles autochtones.

APPRENTISSAGE, INTROSPECTION, ACTION

Ce cadre régit un processus d’apprentissage, d’introspection et d’action qui se décline en trois étapes pour favoriser des changements de comportements[10]. Les intervenants et les établissements peuvent se trouver à diverses phases de ce parcours, mais sont invités à réévaluer constamment leur place au sein de ce cadre au fur et à mesure que leurs connaissances et leurs expériences émergent.

Encadré : Apprentissage, introspection, action : Parcours du professionnel de la santé vers des soins orientés vers la sécurisation culturelle

1. Apprentissage : M’informer des contextes historiques, sociaux et politiques vécus par les patients autochtones de ma pratique ainsi que des conséquences de ces contextes sur leur accès aux soins, leurs expériences des soins et leur bien-être global.

2. Introspection : Examiner ma propre culture et mes expériences passées, parallèlement avec mes présomptions et mes préjugés, et en évaluer l’influence sur mes interactions avec les patients.

3. Action : Transposer ces nouvelles connaissances et ces nouveaux points de vue dans mon travail et mes relations cliniques pour apporter des changements qui amélioreront les soins aux patients.

Comme dans toute rencontre clinique, le professionnel de la santé doit s’informer des réalités propres à chaque famille et éviter de présumer que chacune partage les réalités de la majorité. La plupart des établissements de santé du Canada ne pratiquent pas l’auto-identification autochtone, c’est-à-dire qu’ils ne demandent pas à chaque patient s’il s’identifie comme Autochtone, dans l’objectif de lui donner accès à des ressources adaptées à sa culture. En l’absence d’une telle pratique, le professionnel de la santé devrait s’informer respectueusement du contexte socioculturel de l’enfant, de l’adolescent ou de sa famille.

Les Premières Nations, les Inuits et les Métis vivent dans des contextes particuliers, dont ils partagent certains éléments, mais qui sont différents sous de nombreux autres aspects en raison de leur situation géographique, linguistique et culturelle. Les particularités de chaque communauté et de chaque nation influent sur la variabilité de l’accès aux services et programmes gouvernementaux. Il faut tenir compte de tous ces facteurs pour offrir des soins de qualité orientés vers la sécurisation culturelle. Il est important de maintenir un équilibre réfléchi entre le fait de poser trop peu et trop de questions. Trop de questions peuvent représenter un fardeau important, à la fois pour les patients et pour les proches. Dans bien des cas, un membre de l’équipe soignante peut obtenir de l’information sur le contexte et les services de la communauté avant la rencontre. Dans la mesure du possible, les questions qui risquent de raviver des traumatismes doivent être reportées jusqu’à ce qu’une relation thérapeutique de confiance se soit formée. Le professionnel de la santé qui travaille en soins aigus ou dans des milieux au fort roulement, comme les salles d’urgence ou les soins épisodiques avec des externes, devrait prioriser l’établissement rapide d’une relation de confiance, de préférence dès le début d’une rencontre. Il doit expliquer la raison pour laquelle il pose des questions délicates et adopter un mode sécuritaire et confidentiel d’inscription au dossier pour éviter le plus possible de demander aux patients ou à leur famille de répéter leur histoire. Il doit avoir l’humilité d’éviter les présomptions et se rappeler que ce n’est pas parce qu’il écoute une partie de l’histoire d’un enfant qu’il en saisit le « portrait global ».

Le professionnel de la santé doit savoir que les signes suivants peuvent lui indiquer qu’un patient ou sa famille a vécu ou vit des expériences qui font fi de la sécurisation culturelle[11] :

  • Une faible utilisation des services de santé et des services sociaux disponibles
  • La non-adhésion aux plans de soins
  • L’objection à des suggestions de problèmes ou d’enjeux
  • La réticence pendant les interactions avec les praticiens et l’hésitation à accéder aux soins ou à rencontrer un praticien
  • Des expressions de colère ou de faible estime de soi

Les trois « H » : l’habitation, l’héritage culturel et les habitudes de vie saine

La présente rubrique propose une évaluation pédiatrique orientée vers la sécurisation culturelle, qui inclut des questions et des réflexions réparties en catégories. L’ajout de l’« habitation », de l’« héritage culturel » et des « habitudes de vie saine » enrichit l’évaluation SSHADESSS bien connue (auparavant appelée HEADSSS pour l’obtention de l’histoire des adolescents)[12]. N’importe quel membre de l’équipe soignante en pédiatrie, y compris en soins infirmiers et en travail social, peut recueillir et consigner l’information relative aux trois « H » avant ou pendant la rencontre clinique, même lorsque le temps est compté.

L’HABITATION

Les questions sur l’habitation, la communauté et les services disponibles constituent une première étape précieuse pour comprendre les enfants, les adolescents et les familles (voir tableau 1).

Tableau 1. Apprentissage et introspection : les considérations relatives à l’habitation
  Apprentissage Introspection
Communauté
  • 44 % des populations autochtones du Canada habitent dans un grand centre urbain (la tendance est à la hausse)[13].
  • 60 % des membres des Premières Nations habitent hors réserve[14].
  • Les communautés autochtones ont tendance à habiter en région éloignée[15].
  • Est-ce que je présume du lieu de vie de l’enfant (urbain ou rural, dans une réserve ou hors réserve, « dans le Nord ») à la première rencontre?
  • Est-ce que je tiens compte des obstacles à l’accompagnement d’un enfant aux rendez-vous (p. ex., coûts, déplacements, soins des frères et sœurs)?
Habitation et connectivité
  • 17 % des peuples autochtones (52 % des Inuits de l’Inuit Nunangat) vivent dans des lieux d’habitation surpeuplés, et 16,4 %, dans des lieux d’habitation qui ont besoin de réparations majeures[16][17].
  • Certaines communautés autochtones doivent composer avec des pénuries d’eau régulières ou des avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable[18].
  • Certaines communautés autochtones rurales ne disposent pas de services Internet à haute vitesse et de connectivité mobile[19][20].
  • Est-ce que je présume que cet enfant a accès à de l’eau potable et à la connectivité numérique?
  • Est-ce que je tiens compte des possibilités limitées de la famille à améliorer ses conditions d’habitation malgré des facteurs de stress apparents et des symptômes de maladie inquiétants (p. ex., asthme)?
Services de santé
  • Certains services de santé autochtones et médicaments sont remboursés par les services de santé non assurés du gouvernement fédéral, qui diffèrent de l’assurance maladie provinciale et territoriale[5].
  • Les enfants des Premières Nations et les enfants inuits qui n’ont pas accès aux services par l’entremise des services de santé non assurés ou d’un autre régime d’assurance maladie peuvent se prévaloir du principe de Jordan et de l’Initiative : Les enfants inuits d’abord, respectivement, afin d’obtenir des services de santé, des services sociaux et des services scolaires plus rapidement. Il faudra peut-être alors remplir un plus grand nombre de formulaires.
  • Les enfants qui ont besoin de soins hors de leur communauté peuvent recevoir un soutien financier pour leurs déplacements et leur logement par l’entremise des programmes de Services aux Autochtones Canada ou des conseils de bande.
  • Est-ce que j’adapte mes prescriptions au régime d’assurance de l’enfant? Par exemple, les services de santé non assurés couvrent les antipyrétiques et les pansements, mais certains médicaments (p. ex., pour le traitement du trouble de déficit de l’attention/hyperactivité et de l’asthme et pour les préparations commerciales pour nourrisson) peuvent nécessiter le dépôt de formulaires supplémentaires, ce qui peut retarder le traitement.
  • Est-ce que j’évalue si les médicaments doivent être expédiés à un centre de santé local lorsqu’il n’y a pas de pharmacie spécialisée dans la communauté?
  • Est-ce que j’envisage de parler du régime dentaire en vertu des services de santé non assurés aux familles admissibles?

ACTION

Pour se préparer à la rencontre clinique, le professionnel de la santé doit situer l’adresse ou la communauté de la famille sur une carte, évaluer le temps, les déplacements et les coûts nécessaires pour qu’elle vienne à la clinique et tenir compte de ces obstacles dans la planification des suivis, le calendrier des examens et l’orientation vers d’autres soins. S’il prodigue des soins à l’extérieur de la communauté de l’enfant, il doit s’informer auprès des centres de santé locaux des services qui pourraient être offerts plus près du lieu de résidence. Il doit s’assurer que les consultations médicales, les plans de soins et les prescriptions sont transférés aux centres de santé locaux, pourvu que la famille y consente. Il est particulièrement utile qu’il prenne contact avec le personnel du centre de santé local pour l’informer des soins spécialisés prodigués et des suivis nécessaires lorsque les patients ont des besoins complexes. Il doit également s’assurer que les enfants qui ont besoin de soins hors de leur communauté ont accès à un soutien financier en vue de leurs déplacements et de leur logement, que ce soit par l’entremise de Services aux Autochtones Canada, des conseils de bande, du principe de Jordan et de l’Initiative : Les enfants inuits d’abord. Il doit vérifier le régime d’assurance maladie de l’enfant et consulter la page Web d’Express Scripts sur les services de santé non assurés pour voir si les produits et médicaments nécessaires sont remboursables[21].

Lorsqu’il découvre le lieu d’habitation de l’enfant, le professionnel de la santé doit s’informer du nombre d’occupants et de chambres à coucher ainsi que des effets possibles de ce lieu sur la santé et le bien-être (p. ex., asthme, infections chroniques, violence entre partenaires intimes). Pour corriger des préoccupations particulières, il doit orienter les familles vers des ressources comme les sociétés et programmes de logement provinciaux et territoriaux pour les Autochtones, le principe de Jordan ou l’Initiative : Les enfants inuits d’abord.

Le professionnel de la santé doit confirmer le moyen privilégié (et disponible) pour communiquer avec les familles (p. ex., par l’entremise des membres de la famille élargie ou du centre de santé local, au besoin) pour prévoir des rendez-vous ou transmettre des résultats, surtout lorsque les possibilités sont limitées dans la communauté. Il doit envisager la télésanté ou les soins virtuels pour compléter les soins médicaux en personne et éviter de pénaliser les familles qui ratent des rendez-vous à cause de problèmes de communication ou de déplacements.

L’HÉRITAGE CULTUREL

L’héritage culturel englobe les visions du monde, les langues, les savoirs traditionnels et les structures familiales (voir le tableau 2).

Tableau 2. Apprentissage et introspection : les considérations relatives à l’héritage culturel
  Apprentissage Introspection
Langue
  • L’intégration des langues autochtones au milieu de soins tient compte des identités culturelles et peut contribuer à favoriser un sentiment d’appartenance et de sécurisation culturelle[1].
  • De nombreux peuples autochtones adoptent des styles de communication non verbale différents de ceux des peuples occidentaux[1].
  • Est-ce que je commence toujours les rencontres à la clinique dans ma propre langue?
  • Est-ce que je présume de la langue parlée par les enfants, les adolescents et les familles de ma pratique?
  • Lorsque les proches sont silencieux, est-ce que je présume qu’ils sont trop sensibles ou qu’ils ne connaissent pas l’information que je leur demande?
  • Lorsqu’un membre de la famille raconte une histoire pour répondre à une question, est-ce que je présume qu’il détourne la conversation ou qu’il a mal compris ma question?
Structure familiale
  • La structure et l’idéologie familiales des Autochtones reposent souvent sur la communauté, tout le monde participant jusqu’à un certain point à l’éducation et à l’attachement de l’enfant[22].
  • L’adoption coutumière est une pratique autochtone qui consiste à transférer la filiation des parents biologiques aux parents adoptifs par un processus consensuel, collectif et familial qui permet aux enfants de demeurer attachés à leur culture, à leur langue et à leur identité sans intervention juridique[22]-[24].
  • Dans la culture inuite, les nourrissons prennent souvent le nom de membres respectés de la parenté ou de la communauté. Puisque les Inuits croient que l’esprit de la personne défunte est transféré à l’enfant, celui-ci incarne les qualités de son homonyme, ce qui influe sur les approches parentales et son éducation[25].
  • Est-ce que je tiens compte de l’influence des structures familiales autochtones sur les rôles parentaux et les décisions en matière de santé?
  • Est-ce que je présume que les enfants accompagnés par un autre membre de la famille que la « mère » ou le « père » ont des parents absents?
  • Est-ce que je présume que si un parent ne se sent pas en mesure de prendre des décisions pour l’enfant, c’est parce qu’il a des capacités parentales sous-optimales? Est-ce que j’ai pensé que les parents peuvent honorer des pratiques culturelles lorsqu’ils permettent à la famille élargie de participer aux décisions?

ACTION

Même lorsque le professionnel de la santé ne parle pas la langue autochtone, il peut apprendre quelques mots-clés pour montrer qu’il est attentif aux différences linguistiques et ainsi promouvoir la sécurisation culturelle. Il peut faire appel à des interprètes pour s’assurer que les enfants, les adolescents et les familles peuvent communiquer dans la langue de leur choix. Pour leur proposer cette possibilité, il peut demander : « Est-ce que j’ai besoin d’un interprète? » plutôt que « Est-ce que vous avez besoin d’un interprète? ». Il doit être conscient de l’ampleur des indices non verbaux pour comprendre les émotions « ambiantes » ou les intentions relatives aux plans de soins. Par exemple, chez les peuples inuits, la croyance en la non-interférence et en la valeur de l’autonomie personnelle peut influer sur le style de communication. Des questions directes peuvent être perçues comme impolies et agressives. Une personne inuite peut utiliser une expression faciale pour transmettre de l’information (p. ex., un soulèvement de sourcils peut vouloir dire « oui »)[28]. Il faut accepter les silences et s’y sentir à l’aise.

Le professionnel de la santé doit également être conscient des termes qu’il utilise, car ils peuvent avoir de fortes connotations culturelles et même raviver des traumatismes[29]. Par exemple, pour certaines familles qui ont connu les pensionnats, les échanges sur les exigences scolaires ou l’importance de fréquenter l’école peuvent suffire pour raviver un traumatisme. Le professionnel de la santé doit être sensible à l’histoire des traumatismes intergénérationnels qui peuvent contribuer aux réactions de stress de l’enfant ou du proche pendant la rencontre clinique. Si des paroles semblent déclencher une réaction de stress ou de traumatisme, il doit permettre à l’enfant ou au proche de décider de la suite du rendez-vous. Il doit soutenir la décision de mettre un terme à la rencontre, si la sécurité le permet. Dans de telles situations, des excuses peuvent être très bénéfiques à l’établissement d’une relation de confiance.

Le professionnel de la santé ne doit pas présumer que l’adulte qui accompagne l’enfant ou l’adolescent au rendez-vous médical est son parent biologique ou la principale figure parentale à la maison. Il doit toujours confirmer la relation avec l’enfant par des questions accueillantes et chaleureuses. Lorsqu’un autre proche accompagne l’enfant et ne peut pas fournir l’information demandée, il doit explorer la possibilité d’appels téléphoniques ou de services virtuels pour discuter avec la principale figure parentale. Le report du plan de prise en charge à un futur rendez-vous en présence de la principale figure parentale risque de retarder les soins et de compromettre la relation de confiance. Si les échanges sont reportés, les membres de la famille sont encore moins susceptibles de se présenter au rendez-vous suivant, particulièrement si les déplacements sont longs. Le professionnel de la santé doit transmettre sa compréhension de la structure familiale à ses collègues pour éviter une mésinterprétation des comportements et des situations susceptibles d’entraîner une intervention de la part des services de protection de l’enfance. Par exemple, un proche qui est seul pour accompagner l’enfant à l’hôpital et ne peut pas s’appuyer sur sa famille élargie et sur le soutien communautaire habituel peut croire que l’infirmière est là pour contribuer à s’occuper de l’enfant et se sentir à l’aise de s’absenter pendant de longues périodes. Selon les valeurs occidentales, un tel hiatus peut être considéré comme une situation de négligence et de parentalité inappropriée.

Le professionnel de la santé doit être prêt à s’ouvrir aux modes traditionnels de savoir et de guérison et maintenir des soins axés sur la famille au cœur des plans de soins. Il doit absolument s’informer des moyens d’intégrer les pratiques traditionnelles aux plans de soins et connaître les ressources et les services adaptés à la culture de l’enfant dans sa communauté. Il doit aussi savoir si les hôpitaux ou cliniques des communautés où il travaille acceptent le soutien des aînés, des guérisseurs traditionnels ou des navigateurs ou conseillers en santé autochtones, sans oublier de vérifier si des lieux sont aménagés pour accueillir des pratiques culturelles comme les cérémonies de purification et les visites familiales.

LES HABITUDES DE VIE SAINE

Le contexte dans lequel évolue l’enfant influe sur son alimentation et ses activités (voir le tableau 3).

Tableau 3. Apprentissage et introspection : les considérations relatives à des habitudes de vie saine
  Apprentissage Introspection
Activité
  • Les activités traditionnelles (aller sur le territoire ancestral, pêcher et chasser) sont des occasions pour les enfants et les adolescents d’être actifs et de passer du temps avec leur famille et les membres de leur communauté[30].
  • L’accès sécuritaire et facile à des activités récréatives et sportives (p. ex., centres communautaires, piscines publiques) varie considérablement selon les contextes et les communautés (p. ex., milieu urbain ou rural).
  • Est-ce que je réfléchis à l’accès à des lieux sécuritaires pour faire de l’exercice (p. ex., trottoirs, rues bien éclairées, présence de chiens errants)?
  • Est-ce que j’inclus des activités extérieures comme la chasse à ma liste d’exercices ou d’activités?
  • Est-ce que je tiens compte de l’effet éventuel de la température et de la noirceur sur la capacité de l’enfant à jouer dehors?
Alimentation
  • La chasse, la pêche et la cueillette des petits fruits sont des activités culturelles importantes et des sources d’alimentation traditionnelle[30].
  • L’insécurité alimentaire chez les peuples autochtones demeure démesurément élevée : elle touche de 31 % à 73 % des familles[31].
  • Les boissons sucrées sont utilisées dans les régions où il n’y a pas d’eau potable et servent parfois à masquer le goût d’une eau de mauvaise qualité.
  • Est-ce que je tiens compte de l’accessibilité des aliments traditionnels (p. ex., est-ce qu’il y a un chasseur dans la famille qui peut fournir de la nourriture traditionnelle) et d’autres sources locales propices à la sécurité alimentaire, y compris leur accès et leur coût?
  • Est-ce que je tiens compte du fait que les aliments servis à l’hôpital n’ont rien à voir avec ce que l’enfant a l’habitude de manger à la maison, ce qui peut influer sur ses choix alimentaires à l’hôpital?

ACTION

Le professionnel de la santé doit échanger avec les familles sur ce qu’il y a dans leur environnement pour soutenir des habitudes de vie saine et active (p. ex., centres de loisirs et activités parascolaires)[32]. Il doit utiliser des outils adaptés à la culture (p. ex., le Guide alimentaire du Nunavut[33] les déplaints sur développement pour les jeunes et les families[34] et le guide de développement du Qaujigiartit Health Research Centre[35]) et en découvrir davantage sur les enjeux locaux, comme l’absence d’eau potable et le prix élevé des aliments, afin de planifier conjointement avec les familles des objectifs qui répondent à leurs besoins. Il doit adapter ses conseils à des habitudes de vie saine et active. Certaines cultures autochtones préfèrent les enfants en surpoids et peuvent craindre davantage que leur enfant soit en insuffisance pondérale. Il doit tenir compte des préférences alimentaires et des traditions et préconiser l’intégration d’aliments traditionnels à l’alimentation des enfants hospitalisés hors de leur communauté.

RECOMMANDATIONS

La mise en application du cadre « apprentissage, introspection et action » appuie des pratiques pédiatriques orientées vers la sécurisation culturelle et garantit des soins équitables et de qualité aux enfants et adolescents autochtones.

Apprentissage : Le professionnel de la santé doit reconnaître qu’il est tout aussi essentiel de comprendre les contextes sociaux, culturels et politiques des peuples autochtones, y compris les effets des politiques coloniales et du racisme systémique, pour prodiguer des soins que de connaître les divers problèmes de santé. Cette sensibilité est capitale pour aborder les déterminants de la santé plus vastes chez les enfants et les adolescents autochtones. Le professionnel de la santé devrait connaître des ressources comme le module sur la sécurisation culturelle de la Société canadienne de pédiatrie, puis chercher des occasions d’apprentissage axées sur les communautés autochtones locales et les enjeux contextuels continus, surtout s’il soigne des enfants et des adolescents autochtones régulièrement.

Introspection : Le professionnel de la santé devrait réfléchir régulièrement aux effets de ses propres croyances, de ses présomptions et de ses préjugés sur les soins qu’il prodigue et sur ses interactions avec les patients et familles autochtones. Il doit aborder les soins avec humilité et curiosité, admettre ses mauvais pas et s’en excuser, tout en demeurant ouvert aux commentaires. Les organisations de santé doivent réfléchir aux moyens d’intégrer les visions du monde autochtones, de créer des espaces sûrs pour les patients autochtones et de s’assurer que les points de vue autochtones sont respectés, reflétés et valorisés.

Action : Le professionnel de la santé doit tenir compte du contexte propre à chaque famille autochtone, y compris son lieu d’habitation et les facteurs culturels qui influent sur des habitudes de vie saine. Des systèmes de communications et de rendez-vous flexibles, la création de lieux de guérison traditionnels et le travail avec des navigateurs autochtones en santé et des guérisseurs traditionnels peuvent rehausser considérablement les soins. Pour assurer une sécurisation culturelle durable, des changements systémiques et institutionnels s’imposent, notamment le recrutement et le soutien de professionnels de la santé autochtones, de guérisseurs traditionnels et de gardiens du savoir autochtones. L’adoption de processus d’auto-identification autochtones, l’accès équitable à des mesures de soutien, comme le principe de Jordan et les services de santé non assurés, ainsi que l’intégration d’œuvres artistiques, de la langue et des traditions autochtones pour célébrer la culture et favoriser la guérison constituent des étapes importantes vers des pratiques de soins orientées vers la sécurisation culturelle.

Des prises de position pour l’adoption de politiques, de financement et de ressources qui respectent les contextes autochtones sont essentielles pour créer un système de soins équitable qui garantit des soins de qualité aux enfants et adolescents autochtones.

Remerciements

Le comité de la bioéthique, le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la santé de l’adolescent et le comité des soins aigus de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes. Des représentants d’organisations nationales des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont prodigué de précieux conseils pendant la préparation du présent document de principes, mais celui-ci ne reflète pas nécessairement leurs points de vue.


COMITÉ DE LA SANTÉ DES PREMIÈRES NATIONS, DES INUITS ET DES MÉTIS DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (2024-2025)

Membres : Emilie Beaulieu MD (coprésidente), Ryan Giroux MD (coprésident), Amber Miners MD (représentante du conseil), Brett Schrewe MDCM MA Ph. D., Sara Citron MD, Elizabeth Sellers MD, Tanelle Smith MD
Représentants : Jason Deen MD (American Academy of Pediatrics, comité de la santé des enfants autochtones américains), Melanie Morningstar (Assemblée des Premières Nations), Marilee Nowgesic (Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada), Laura Mitchell (Services aux Autochtones Canada), Stephanie Thevarajah (Ralliement national des Métis), Kristina Kopp (Ralliement national des Métis), Donna Atkinson (Centre de collaboration nationale de la santé autochtone)
Auteurs principaux : Emilie Beaulieu MD, Sara Citron MD, Ryan Giroux MD, Cheyenne Laforme MD, Amber Miners MD, Brett Schrewe MDCM MA Ph. D., Elizabeth Sellers MD

Financement
Aucun financement n’a été accordé pour la préparation du présent manuscrit.

Conflits d’intérêts potentiels
Le docteur Brett Schrewe déclare être membre du conseil d’administration de RésoSanté Colombie-Britannique, un organisme à but non lucratif. Les autres auteurs n’ont pas de conflits d’intérêts à déclarer.


Références

  1. Centre de collaboration nationale de la santé autochtone. La culture et la langue, déterminants sociaux de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Juin 2016 (consulté le 17 juillet 2025).
  2. In Plain Sight: Addressing Indigenous-specific Racism and Discrimination in B.C. Health Care. Analyse de la lutte contre le racisme, rapport complet, novembre 2020 (consulté le 17 juillet 2025).
  3. Pauktuutit Inuit Women of Canada. Addressing Racism in the Healthcare System: A Policy Position and Discussion Paper. Avril 2021 (consulté le 17 juillet 2025).
  4. Allan B, Smylie J; Institut Wellesley. First Peoples, Second Class Treatment: The Role of Racism in the Health and Well-Being of Indigenous Peoples in Canada – Executive Summary. 2015 (consulté le 17 juillet 2025).
  5. L’Association des femmes autochtones du Canada. Fiche d’information : Services de santé non assurés (consulté le 17 juillet 2025).
  6. Indigenous Corporate Training Inc. Indigenous Worldviews vs Western Worldviews. Le 26 janvier 2016 (consulté le 17 juillet 2025).
  7. Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Santé des Autochtones (consulté le 17 juillet 2025).
  8. Gouvernement du Canada. Définitions communes en matière de sécurité culturelle : Forum des professionnels de la santé de l’administratrice en chef de la santé publique (consulté le 17 juillet 2025).
  9. Graham S, Kamitsis I, Kennedy M et coll. A culturally responsive trauma-informed public health emergency framework for Aboriginal and Torres Strait Islander communities in Australia, developed during COVID-19. Int J Environ Res Public Health 2022;19(23):15626. doi : 10.3390/ijerph192315626
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Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.