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L’anxiété chez les enfants et les adolescents – partie 1 : le diagnostic

Affichage : le 20 octobre 2022


La Société canadienne de pédiatrie vous autorise à imprimer une copie unique de ce document tiré de notre site Web. Pour obtenir l'autorisation d'en réimprimer ou d'en reproduire des copies multiples, lisez notre politique sur les droits d'auteur, à l'adresse www.cps.ca/fr/policies-politiques/droits-auteur.

Auteur(s) principal(aux)

Benjamin Klein MD, Rageen Rajendram MD, Sophia Hrycko MD FRCPC, Aven Poynter MD FRCPC, Oliva Ortiz-Alvarez MD, Natasha Saunders MD, Debra Andrews MD Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé mentale et des troubles du développement

Paediatr Child Health 2023 28(1):37–44.

Résumé

Les troubles anxieux sont les problèmes de santé mentale les plus courants chez les enfants et les adolescents canadiens. La Société canadienne de pédiatrie a préparé deux documents de principes qui résument les données probantes à jour sur leur diagnostic et leur prise en charge. Ces documents contiennent des conseils fondés sur des données probantes afin d’aider les professionnels de la santé à prendre des décisions à l’égard des soins aux enfants et aux adolescents atteints de ces troubles. La première partie, qui porte sur l’évaluation et le diagnostic, vise à :

1. passer en revue l’épidémiologie et les caractéristiques cliniques des troubles anxieux;

2. décrire un processus d’évaluation des troubles anxieux.

Des thèmes précis sont abordés, y compris la prévalence, le diagnostic différentiel, les affections concomitantes et le processus d’évaluation. Des démarches sont proposées pour standardiser le dépistage, recueillir l’anamnèse et observer le patient. Des caractéristiques et indicateurs connexes, qui distinguent les troubles anxieux des peurs, inquiétudes et sentiments d’anxiété adaptés au développement, sont examinés. Il est à souligner que, dans le présent document, le terme « parent » (au singulier ou au pluriel) inclut les personnes qui s’occupent principalement de l’enfant et toutes les configurations familiales.

L’anxiété chez les enfants et les adolescents – partie 2 : la prise en charge des troubles anxieux

Mots-clés : adolescents; enfants; santé mentale; troubles anxieux

Le contexte et la prévalence

L’anxiété peut être une réponse émotionnelle et physiologique normale à des menaces potentielles. En effet, les peurs font souvent partie du développement normal de l’enfance et de l’adolescence. Les troubles anxieux diffèrent toutefois de l’anxiété normale par des réponses persistantes, démesurées ou faussées qui finissent par perturber le fonctionnement [1][2] au quotidien. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition (DSM-5) [3] définit sept troubles anxieux : l’anxiété de séparation, le mutisme sélectif, la phobie spécifique, l’anxiété sociale (phobie sociale), le trouble panique, l’agoraphobie et l’anxiété généralisée. Pour être posés, ces diagnostics doivent être associés à un degré de gravité, à la persistance des symptômes et à des atteintes [3][4] à la maison, à l’école ou lors d’autres activités adaptées au développement. Les divers troubles anxieux se conjuguent fréquemment. Par exemple, un enfant ou un adolescent peut présenter à la fois de l’anxiété généralisée et une anxiété sociale. L’âge d’apparition des divers troubles anxieux est associé aux étapes du développement. Les troubles anxieux peuvent fluctuer. Ils peuvent se calmer et récidiver, et divers troubles anxieux peuvent se résorber ou émerger chez le même enfant au fil du temps. Par exemple, l’anxiété de séparation à l’âge préscolaire peut être suivie d’une anxiété généralisée ou d’une anxiété sociale à l’âge scolaire ou à l’adolescence [5].

Collectivement, les troubles anxieux sont les problèmes de santé mentale les plus courants chez les enfants et les adolescents du Canada. Les taux de troubles anxieux déclarés sont demeurés comparativement stables pendant des décennies. Par exemple, environ 4,0 % des jeunes de 12 à 19 ans déclaraient éprouver un trouble anxieux en 2009 [6]. Dix ans plus tard, les données de sondages en population ont commencé à laisser croire à des taux d’anxiété plus élevés, puisque de 11 % à 19 % des adolescents et près de 9 % des enfants indiquaient en souffrir [7]. Cette augmentation peut être le reflet d’une véritable hausse de la prévalence ou découler d’autres facteurs sociétaux comme une plus grande conscience communautaire de l’anxiété, une diminution de l’opprobre entourant les problèmes de santé mentale, l’accroissement de la demande de traitement ou la déclaration de symptômes situés sous le seuil diagnostique [8]-[10]. Une étude réalisée en 2018 a établi une hausse de l’anxiété au Canada : les troubles anxieux diagnostiqués par des professionnels ont doublé chez les jeunes de 12 à 24 ans, passant de 6,0 % en 2011 à 12,9 % en 2018 [8]. Selon une étude ontarienne réalisée dans la province, entre 2006 et 2017, les consultations à l’urgence liées à la santé mentale sont passées de 11,5 à 21,7 cas sur 1 000 enfants et adolescents de moins de 25 ans, les troubles anxieux étant les problèmes de santé mentale les plus courants [11].

Les troubles anxieux ont une étiologie multifactorielle qui inclut des facteurs biologiques (p. ex., tempérament, génétique et épigénétique) souvent combinés à une exposition psychologique et sociale (p. ex., les expériences négatives de l’enfance). D’autres facteurs contribuent à favoriser la résilience (ou la vulnérabilité) aux troubles anxieux, soit le style de pratiques parentales, la modélisation parentale des réponses au stress et l’adaptation familiale au stress de l’enfant [1][3][9][12].

L’évaluation de l’anxiété

En plus de viser à déterminer la présence de symptômes anxieux, l’évaluation de la santé mentale doit inclure d’autres éléments importants : les niveaux de fonctionnement par rapport au développement, les signes ou symptômes de problèmes de santé mentale, l’observation des interactions des parents avec l’enfant et l’anamnèse (encadré 1). L’interrogatoire psychosocial doit inclure la composition et l’histoire familiale, les facteurs de stress d’ordre social, les mesures de soutien et les facteurs de risque (p. ex., troubles anxieux des parents, séparation récente des parents, changement récent de milieu d’enseignement), de même que les facteurs personnels, tels que les intérêts et les préférences. La formulation du diagnostic peut ouvrir la voie à la prestation de services de psychoéducation individualisés, à des stratégies comportementales ou liées au milieu de vie (p. ex., conseiller des habitudes plus saines et l’établissement de limites, donner l’exemple de discours intérieurs positifs par les proches, défendre les besoins de l’enfant à l’école), à des services de psychothérapie et à diverses prises en charge pharmacologiques.

Encadré 1. Cinq éléments essentiels pour évaluer l’anxiété

  1. Histoire du patient et symptômes et fonctionnement relatés par les parents
  2. Antécédents médicaux, développementaux et mentaux ciblés
  3. Résultats d’échelles de classification standardisées [13]qui peuvent être téléchargées sans frais à partir du site Web de la Société canadienne de pédiatrie 
  4. Analyse des évaluations antérieures (p. ex., rapports d’autres professionnels de la santé, du milieu de garde ou du milieu scolaire)
  5. Observation directe de l’enfant et des interactions des parents avec l’enfant

L’interrogatoire ciblé et le dépistage

Les signes ou symptômes fondamentaux qui font de l’anxiété un trouble sont l’hypervigilance (p. ex., nervosité, frayeur, irritabilité ou agitation), l’évitement (p. ex., s’accrocher pour éviter la séparation, éviter les endroits où l’objet de la peur risque de se manifester) et le contenu de la pensée reflétant des distorsions cognitives (p. ex., toujours poser des questions inquiètes, demander à se faire rassurer ou formuler des phrases « et si »). L’anamnèse peut révéler des événements déclencheurs tels qu’un facteur de stress dans le milieu de vie (p. ex., la maladie d’un parent) ou une exposition inquiétante (p. ex., nouvelles, vidéo, blessure). Les symptômes peuvent avoir une évolution progressive, persistante ou récurrente [5]. Les troubles anxieux peuvent également s’accompagner de symptômes physiques (p. ex., somatiques), tels que des tensions musculaires et des maux de ventre, qui peuvent nuire à la fréquentation scolaire ou susciter des consultations à l’urgence [14]. Les enfants ou les adolescents qui font des crises de panique (p. ex., sudation, essoufflement, impression d’étouffer, douleurs à la poitrine, nausées, étourdissements) peuvent craindre de futures crises et se mettre à éviter les situations qu’ils associent à cet état [15].

Diverses approches permettent de dresser le tableau de l’anxiété : se concentrer sur les problèmes ayant justifié la consultation (p. ex., évitement de l’école, problèmes de sommeil), extrapoler à partir des données obtenues par des mesures standardisées et passer en revue les activités quotidiennes. Des questions sur les habitudes quotidiennes, comme l’hygiène, l’habillement, les repas, les interactions avec la famille et les camarades, les loisirs, l’école et l’heure du coucher, permettent non seulement de dépister les signes d’anxiété, mais devraient faire partie de toutes les évaluations pédiatriques. Les parents ne savent peut-être pas que des comportements comme faire la fine bouche, avoir des problèmes de sommeil et consommer des substances psychoactives peuvent être motivés par l’anxiété. Le fait de demander des exemples précis lorsque les parents s’inquiètent de l’anxiété de leur enfant peut contribuer à reconnaître les épisodes de dysrégulation comportementale liés à des facteurs de stress émotionnel non spécifiques (comme les crises de colère). De même, un parent qui s’inquiète d’une dysrégulation comportementale ou de « crises » chez son enfant doit lui-même être soumis à un dépistage de l’anxiété.

Une entrevue confidentielle et impartiale avec les adolescents représente un aspect essentiel de la prise de l’anamnèse. L’enfant ou l’adolescent verbal doit être invité à décrire les situations qu’il évite ou qu’il n’aime pas, de même que les pensées et les sentiments qui s’y associent. Les manifestations de la capacité de réfléchir à ses pensées et à ses sentiments (qu’on appelle métacognition) contribuent à déterminer le potentiel du jeune à profiter d’une thérapie cognitivo-comportementale. Chez les adolescents, la possibilité d’interagir seuls avec le médecin peut faciliter le dépistage de symptômes d’anxiété, de facteurs de stress psychosociaux, d’événements traumatiques passés comme la violence ou la maltraitance et de maladies mentales cooccurrentes comme la consommation de substances psychoactives, la dépression ou les tendances suicidaires. Le recours à un outil pour recueillir l’anamnèse, comme le questionnaire SSHADESS (Strengths, School, Home, Activities, Drugs, Emotion, Eating, Depression, Sexuality, Safety, c’est-à-dire forces, école, maison, activités, drogues, émotions, alimentation, dépression, sexualité, sécurité), peut renforcer la relation et favoriser la collecte de toute l’information [16].

Il est possible d’utiliser les questionnaires sur l’anxiété (p. ex., SCARED) remplis par les parents, les enfants ou les jeunes pour dépister la gravité des symptômes (c’est-à-dire si le jeune fait partie d’une catégorie à haut risque d’anxiété) avant de procéder à une entrevue ou dans le cadre des processus diagnostiques et thérapeutiques [17]-[19]. Les questionnaires sont accessibles dans le site Web de la Société canadienne de pédiatrie [13]. Les professionnels de la santé doivent se rappeler que les questionnaires peuvent être subjectifs et que la validité des échelles de classement peut varier selon l’âge et les caractéristiques démographiques du patient, selon la population générale ou les populations cliniques, selon l’anxiété globale ou les troubles anxieux particuliers et selon l’objectif (dépistage, diagnostic ou effets du traitement). Ils doivent interpréter l’information tirée des questionnaires en fonction de l’intégralité du tableau clinique de l’enfant ou de l’adolescent.

L’historique des interactions des parents avec l’enfant et les styles d’interactions

L’observation et l’exploration de l’historique des interactions des parents avec l’enfant et des styles d’interactions qu’ils entretiennent peuvent éclairer à la fois le diagnostic et la prise en charge d’un trouble anxieux, notamment en ce qui a trait à la façon dont les parents réagissent aux émotions de leur enfant. Les interactions des parents avec l’enfant incluent les habitudes et les règles du quotidien, les expressions d’un regard positif et négatif et les réponses apaisantes ou réconfortantes en cas de dysrégulation ou de détresse de l’enfant ou de l’adolescent. Par exemple, un jeune enfant qui souffre d’anxiété de séparation peut être systématiquement autorisé à suivre un parent dans la toilette. Un adolescent qui souffre du même type d’anxiété peut envoyer des textos répétés à un parent tout au long de la journée pour être rassuré, et voir ses symptômes s’accroître s’il ne reçoit pas une réponse immédiate. Un comportement accaparant (p. ex., suivre un parent ou lui envoyer des textos à répétition) peut entraîner une dysrégulation de l’affect parental (p. ex., irritabilité ou rejet) qui accroît la détresse de l’enfant et qui risque d’exacerber les symptômes d’anxiété. La surprotection peut renforcer les comportements d’évitement de l’enfant, ou les expressions d’anxiété des parents peuvent enraciner des distorsions cognitives (p. ex., « Tu vas te faire mal! ») [20]. Les parents peuvent eux-mêmes éprouver de l’anxiété, souffrir d’autres troubles de santé mentale ou ressentir des facteurs de stress émotionnels (p. ex., financiers, personnels ou professionnels), qui peuvent perturber les habitudes familiales et exacerber l’anxiété et d’autres problèmes chez les enfants.

Les inquiétudes des parents sur les antécédents à propos des « pires » scénarios improbables pour leur enfant (p. ex., échecs scolaires, délinquance) peuvent laisser croire à des manifestations d’anxiété de la part du parent. Il est capital de créer un espace sécuritaire pour que les parents puissent divulguer leurs propres antécédents de trouble anxieux, car ils peuvent se sentir embarrassés ou se blâmer de l’anxiété de leur enfant. Le fait de demander à l’enfant quel est son état émotionnel et quelles sont ses réactions en situation de stress et de préciser comment se déroulent généralement les situations ou les interactions familiales stressantes (y compris la réponse des parents) peut faire ressortir certains facteurs d’interaction. Les questions peuvent être posées aux parents, aux enfants ou aux deux, selon l’âge et l’étape de développement de l’enfant en cause (tableau 1).

Tableau 1. Exemples de questions à poser lors de l’exploration des symptômes d’anxiété

Questions de dépistage

« Est-ce que (nom) s’inquiète beaucoup ou semble nerveux(se)? »

« Que disent les autres adultes au sujet de son tempérament ou de son comportement? »

« Est-ce que (nom) évite les activités ou les situations ou s’en abstient à cause de son inquiétude, de sa nervosité ou de la conviction que les choses vont mal tourner? »

« Qu’est-ce qui inquiète ou effraie (nom)? »

Déclencheurs précis

« (Nom) s’inquiète-t-(il/elle) de certaines activités ou situations ou les évitent-(il/elle)? Pose-t-(il/elle) beaucoup de questions au sujet des catastrophes, de la solitude, du risque de se faire blesser par des animaux ou dans des accidents de voiture, de la possibilité que ses camarades ne l’aiment pas ou de ne pas obtenir de bons résultats scolaires? »

« Est-ce que (nom) éprouve de la difficulté à s’éloigner d’un parent? »

« Est-ce qu’il arrive à (nom) de se sentir paniqué(e) ou effrayé(e) sans raison apparente? »

« Est-ce que (nom) trouve souvent difficile de se détendre ou de s’endormir? »

« Est-ce que (nom) éprouve parfois de la difficulté à respirer, une accélération cardiaque, une transpiration excessive, un malaise ou la crainte de s’évanouir dans une pièce bondée, un endroit vaste ou certaines situations sociales? »

« Comment votre corps vous exprime-t-il que vous êtes inquiet(ète) ou anxieux(se)? Quels signaux vous transmet-il? »

Caractéristiques du discours et du comportement

« (Nom) pose-t-(il/elle) souvent des questions “et si”? »

« (Nom) parle-t-(il/elle) à répétition de choses qui vont mal? »

« (Nom) semble-t-(il/elle) nerveux(se) dans des situations nouvelles ou imprévisibles ou semble-t-(il/elle) surpréparé(e) à certaines situations sociales? »

« (Nom) affirme-t-(il/elle) que ses camarades ne l’aiment pas ou se sent-(il/elle) rejeté(e) par eux? »
Caractéristiques interactionnelles (pour les parents)

« À titre de parent, qu’avez-vous tendance à dire ou à faire lorsque votre enfant ressent de l’anxiété? En général, comment votre enfant réagit-(il/elle) à votre réponse? »

Les antécédents développementaux et médicaux

Les éléments relatifs au tempérament de l’enfant, à ses préférences et à ses aversions peuvent ouvrir la voie à des enjeux plus vastes. Un parent ou un proche peut qualifier l’enfant qui éprouve de l’anxiété de « trop sérieux », de « quelqu’un qui se fait du souci », de « vieille âme », de « tendu », de « perfectionniste », de « calme » ou de « soucieux de plaire », et l’adolescent d’« hyperémotionnel », de « dépendant », de « gêné », d’« introverti » ou de « trop sensible ». L’inhibition comportementale qui désigne un trait de caractère se manifestant par la tendance à se replier sur soi dès le plus jeune âge lors de nouvelles situations ou de transitions, est associée aux troubles anxieux [5]. Les problèmes comportementaux dans des situations inhabituelles, qui peuvent être décrits comme des troubles oppositionnels, de la rigidité, de l’agressivité ou des « crises de colère », sont tous des indicateurs possibles d’anxiété. Par exemple, un enfant ou un adolescent peut se fâcher ou devenir agressif en réponse à un stimulus déclencheur d’anxiété (réponse de combat ou de fuite) sans pouvoir en déterminer ou en exprimer la cause.

Le professionnel de la santé doit comprendre le fonctionnement de l’enfant dans divers aspects de son développement (p. ex., cognitif, langagier, social, moteur) pour parvenir à une évaluation exacte. Un secteur de retard ou d’incapacité peut contribuer aux symptômes en compromettant la participation à diverses activités (p. ex., un trouble de l’apprentissage et la peur de l’école). À cause de son degré de cognition et de langage, l’enfant peut être incapable d’exprimer ses inquiétudes ou ses peurs, auquel cas le professionnel de la santé doit procéder à une anamnèse plus approfondie auprès d’un parent pour connaître les tendances comportementales de l’enfant dans diverses situations. D’autres affections peuvent imiter ou recouper des symptômes d’anxiété, comme la difficulté à prendre part aux situations sociales ou l’hypervigilance découlant de caractéristiques de l’intégration sensorielle en cas de trouble du spectre de l’autisme. Lorsque le fonctionnement développemental de l’enfant est remis en question, il est important de procéder à une évaluation plus approfondie de son développement.

Les adolescents doivent aussi franchir des phases clés de leur développement, et il est important qu’ils comprennent les tâches à effectuer pour contextualiser des inquiétudes normales (p. ex., au sujet de l’acceptation par les camarades, des entrevues d’embauche et des fréquentations). Il est utile de recourir à un outil confidentiel pour interroger l’adolescent, tel que les questionnaires SSHADESS ou HEEADSSS (acronyme anglais de Home, Education/Employment, Eating, Activities, Drugs, Sexuality, Suicide/Mental Health, Safety, ou maison, éducation ou emploi, alimentation, activités, drogues, sexualité, suicide ou santé mentale, sécurité) [21] pour évaluer le développement et déterminer si les inquiétudes sont devenues plus problématiques au fil du temps et justifient une intervention.

Le professionnel de la santé doit obtenir un relevé des médicaments et des aliments pour vérifier si l’enfant ou l’adolescent est exposé à des sympathomimétiques. Par exemple, les médicaments stimulants pour traiter le trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDA/H), la caféine, les décongestionnants et les bronchodilatateurs peuvent avoir des effets semblables aux symptômes d’anxiété. Chez les enfants plus âgés et les adolescents, le professionnel de la santé doit envisager la possibilité d’une consommation de nicotine, d’amphétamines, d’alcool ou de cannabis pour « s’automédicamenter » afin de réduire les symptômes de trouble anxieux [1]. Les peurs ou les inquiétudes entourant l’alimentation ou les aliments peuvent être indicatrices d’un trouble des conduites alimentaires connexes.

Le professionnel de la santé doit procéder à une anamnèse détaillée et à un examen physique pour déterminer des symptômes pathologiques qui simulent l’anxiété, et entreprendre des examens plus approfondis si la situation l’indique. La peur de s’alimenter ou le fait d’éviter d’ingérer des aliments peut découler en partie de problèmes de déglutition causés par (ou découlant de) un dysfonctionnement moteur oral ou une inflammation de la muqueuse œsophagienne, une dysmotilité œsophagienne ou une anomalie anatomique. D’autres affections sont associées à une symptomatologie qui recoupe celle de l’anxiété, telles que les troubles cardiaques (liés à une tachycardie et à des malaises thoraciques), une maladie respiratoire (p. ex., dyspnée causée par l’asthme), une insuffisance surrénalienne ou une anémie (en cas de fatigue et de tachycardie) et une hyperthyroïdie (accompagnée de tremblements et de tachycardie). De plus, toute affection responsable de douleurs, d’inconfort ou d’atteinte fonctionnelle peut aviver l’anxiété. Des événements médicaux stressants, tels qu’une hospitalisation prolongée, une intervention médicale ou une anaphylaxie, peuvent provoquer ou amplifier l’anxiété.

Les antécédents familiaux et sociaux

Un inventaire des facteurs de stress psychosociaux et des mesures de soutien passés et présents, de même que les antécédents de santé physique et mentale de la famille, peuvent contribuer à établir le degré de risque d’anxiété et d’autres troubles de santé mentale chez les enfants et les adolescents [22]. Des facteurs de stress continus liés au milieu de vie peuvent nuire à la qualité des services (p. ex., pour répondre à l’insécurité alimentaire ou à l’insécurité en matière de logement) ou aux interventions immédiates (p. ex., en cas de maltraitance ou d’exposition à la violence familiale). Les troubles de santé physique ou mentale des parents, ou l’expérience familiale de racisme, de violence, de pauvreté, de deuil ou d’autres épreuves confèrent tous des risques de nombreux troubles du développement ou troubles de santé mentale chez les enfants. Les troubles anxieux des parents constituent un facteur de risque d’anxiété particulier chez l’enfant [5].

Les observations en cabinet

Lorsqu’un enfant ou un adolescent semble replié sur lui-même, évite les contacts oculaires ou refuse de parler, ou lorsqu’un enfant plus jeune est accaparant ou hypervigilant, qu’il pose des questions animées par la peur ou adopte des comportements craintifs, le professionnel de la santé doit évaluer ces signes possibles d’anxiété. Il doit alors s’informer au parent de la fréquence, du contexte et des répercussions de ces comportements sur le fonctionnement à la maison, à l’école ou lors des activités sociales dans la communauté. Il doit également observer l’affect, le langage et le comportement de l’enfant lors des échanges sur l’anxiété afin d’évaluer sa réponse. Les comportements compatibles avec l’anxiété, même s’ils ne sont pas pleinement sensibles ou spécifiques [1], peuvent contribuer à corréler les caractéristiques cliniques obtenues lors de l’anamnèse, de l’analyse des évaluations antérieures ou de l’établissement de listes de vérification et être consignés au dossier dans le cadre de l’évaluation. Les comportements d’anxiété parentale, y compris l’affect nerveux, une tendance à catastrophiser et les questions inquiètes, peuvent également être consignés.

Le diagnostic différentiel et les affections connexes

Le diagnostic différentiel et l’éventail de facteurs qui contribuent à l’anxiété sont tous très vastes, et il n’est pas rare que l’anxiété coexiste avec d’autres affections. Le lien entre l’anxiété, d’autres troubles de santé mentale et des facteurs développementaux et psychosociaux est complexe et mal compris [23]. Le tableau 2 démontre la fréquence à laquelle l’anxiété coexiste avec des troubles du développement ou des troubles de santé mentale ou y contribue (et vice-versa).

Tableau 2. Le diagnostic différentiel de l’anxiété et les affections connexes courantes

Tempérament de l’enfant ou développement de la régulation émotionnelle L’inhibition comportementale et la faible adaptabilité dès un jeune âge sont à la fois des variations « normales » du tempérament et des facteurs de risque d’anxiété [24][25]. L’adolescence est une période cruciale du développement pour réguler les émotions, mais est également associée à une plus grande instabilité affective [26].
Adversité environnementale (liée au milieu de vie) Les expériences négatives de l’enfance ont une association cumulative avec les problèmes de santé mentale, y compris l’anxiété [22][27]-[30].
Problèmes scolaires Les problèmes scolaires, notamment les troubles de l’apprentissage, sont fortement liés à des problèmes de santé mentale plus tard dans la vie, à des relations difficiles avec les camarades et la famille et à une moins bonne qualité de vie à long terme [31]-[33].
Trouble de déficit de l’attention/hyperactivité On estime que 25 % des enfants ayant un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité ont également des troubles anxieux [34], peut-être liés aux effets de ce trouble sur le développement précoce [23].
Trouble obsessionnel-compulsif et tics ou syndrome de la Tourette Les troubles anxieux se conjuguent souvent aux troubles obsessionnels-compulsifs (dans 26 % à 75 % des cas [35]) ou aux tics (dans 30 % des cas [36]). Ces affections se recoupent sur le plan phénoménologique, mais elles semblent emprunter des mécanismes distincts [36][37].
Trouble du spectre de l’autisme Le trouble du spectre de l’autisme est associé à un taux d’anxiété plus élevé [38]. Ses caractéristiques, telles que la surréactivité sensorielle, les comportements répétitifs [39] et les déficits sur le plan des habiletés sociales [40], recoupent les symptômes d’anxiété [41]
Troubles des conduites alimentaires On observe de forts taux de chevauchement des troubles des conduites alimentaires et des troubles anxieux. L’anorexie mentale est liée à des manifestations d’anxiété vis-à-vis du poids ou de perfectionnisme de la morphologie, et la boulimie est liée à une faible estime de soi (des symptômes d’anxiété sociale) et d’impuissance (des symptômes d’anxiété généralisée) [42].
Troubles à symptomatologie somatique Les symptômes somatiques varient largement, mais incluent l’anxiété de devenir malade ou des symptômes fonctionnels et des comportements anxieux ou excessifs vis-à-vis de la santé (pour promouvoir la santé ou éviter la maladie) [43][44]

L’évaluation de troubles anxieux particuliers

Un critère diagnostique clé des troubles anxieux est l’observation que les symptômes dépassent largement les peurs et les inhibitions « normales » par rapport à l’âge et à l’étape de développement de l’enfant, ce qui provoque une détresse ou une atteinte importante sur le plan clinique dans sa vie sociale ou scolaire, et peut-être dans d’autres aspects importants de son fonctionnement [3][8]. Le tableau 3 décrit les comportements physiologiques liés à l’anxiété et les caractéristiques compatibles avec les troubles anxieux, de même que l’âge courant d’apparition de troubles anxieux particuliers.

Tableau 3. La distinction entre des manifestations d’anxiété adaptées au développement et les symptômes de troubles anxieux

Trouble anxieux (âge habituel d’apparition) Peurs et inquiétudes adaptées au développement Symptômes évocateurs d’un trouble anxieux
Anxiété de séparation (âge préscolaire) Détresse autorésolutive lors de nouvelles séparations d’un parent (p. ex., au milieu de garde)
  • S’accrocher à un parent ou le suivre de près
  • Détresse inconsolable, somatisation lors des transitions
  • Inquiétudes infondées au sujet des blessures, de la maladie ou du décès d’un parent
Mutisme sélectif (âge préscolaire) Temps nécessaire pour « se réchauffer » dans des situations sociales
  • Incapacité de parler dans certaines situations (p. ex., à l’école)
Phobie spécifique (âge préscolaire à scolaire) Peur limitée dans le temps face à de nouveaux objets ou de nouvelles situations (p. ex., chiens, bruits, lieux en hauteur)
  • Persistance des peurs qui semblent démesurées par rapport au risque réel, ce qui suscite de l’évitement et une diminution de la qualité de vie ou du fonctionnement
Anxiété sociale (phobie sociale) (fin du primaire, début de l’adolescence) Malaise ou hésitation lors d’activités sociales ou de demandes de « performer »
  • Peur excessive et persistante d’être sous le regard des autres
  • Évitement (p. ex., de l’école, des activités sociales) ou difficulté à participer aux activités familiales ou communautaires
  • Somatisation lors des interactions sociales ou des performances
Trouble panique (adolescence, début de l’âge adulte) Inquiétudes transitoires au sujet de symptômes physiologiques (p. ex., crainte de récurrence après un épisode de vertige)
  • Crises de panique récurrentes (se sentir en perte de contrôle et éprouver des symptômes somatiques)
  • Peur des crises de panique et évitement des situations qui s’y associent
  • Inquiétudes vis-à-vis des risques pour la santé qui s’y associent (p. ex., crise cardiaque)
Agoraphobie (fin de l’adolescence, début de l’âge adulte) Réticence transitoire à utiliser les transports publics, à être dans des lieux achalandés ou fermés, des foules ou hors de la maison seul
  • Évitement persistant d’au moins deux lieux en raison de la peur de ne pas pouvoir s’échapper ou appeler à l’aide
Anxiété généralisée (fin du primaire jusqu’au début de l’âge adulte) Inquiétudes transitoires au sujet des notes à l’école, de la santé ou des événements mondiaux qui ne nuisent pas à la vie scolaire, familiale ou communautaire
  • Inquiétude constante ou excessive au sujet du risque qui entrave la participation à de multiples événements ou activités
  • Difficulté à dormir, agitation, irritabilité, difficulté à se concentrer, tension musculaire

Recommandations

Les professionnels de la santé qui travaillent dans le milieu pédiatrique doivent procéder à des évaluations approfondies de l’anxiété chez les enfants et les adolescents en raison du vaste éventail de tableaux cliniques, d’affections connexes et de diagnostics différentiels. À cet égard, ils reçoivent les recommandations suivantes :

  • Envisager d’utiliser un questionnaire d’évaluation de l’anxiété (p. ex., SCARED) pour déterminer la gravité des symptômes avant de procéder à une entrevue.
  • Se concentrer sur les facteurs suivants lors de l’exploration des symptômes d’anxiété :
    • Inquiétudes qui justifient la consultation (p. ex., peurs, évitement, problèmes scolaires, problèmes de sommeil)
    • Événements déclencheurs, exposition et moment des épisodes
    • Analyse des activités quotidiennes et des interactions des parents avec l’enfant
    • Données obtenues par des outils de dépistage standardisés comportant plus de mesures lorsque la situation l’indique
    • Symptômes d’affections connexes
  • S’informer expressément du fonctionnement développemental de l’enfant ou de l’adolescent. 
  • Procéder à un interrogatoire ciblé, y compris la médication, le sommeil et le régime alimentaire.
  • Tenir des entrevues individuelles, confidentielles et impartiales avec les adolescents, au moyen d’un outil pour les interroger (p. ex., questionnaire HEEADSSS).
  • Obtenir les antécédents de la famille, y compris de l’information sociale comme :
    • la composition et l’histoire familiale,
    • les facteurs de stress sociaux, les mesures de soutien et les facteurs de risque (p. ex., insécurité en matière de logement, insécurité alimentaire, séparation des parents).
  • S’enquérir des facteurs personnels (p. ex., intérêts, forces et préférences de l’enfant ou de l’adolescent).
  • Créer un lieu sécuritaire pour que les parents puissent divulguer leurs propres antécédents d’anxiété ou de troubles de santé mentale susceptibles de nuire aux réponses relationnelles et aux stratégies d’adaptation.
  • Envisager que les comportements suivants puissent être des signes d’anxiété lorsqu’ils sont observés directement :
    • Un enfant ou un adolescent semble replié sur lui-même, évite les contacts oculaires ou refuse de parler.
    • Un enfant plus jeune s’accroche à son parent, semble hypervigilant, pose des questions démontrant ses peurs ou affiche un comportement craintif.
  • En cas de signalement de signes d’anxiété potentiels, s’informer aux parents de la fréquence, de l’intensité, du contexte et des répercussions sur la participation de leur enfant ou de leur adolescent aux activités familiales, scolaires et communautaires.

Remerciements

Le comité de la pédiatrie communautaire et le comité de la santé de l’adolescent de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes, de même que l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, qui l’a également approuvé. La SCP remercie la docteure Debra Andrews (1956-2020), ancienne présidente du comité de la santé mentale et des troubles du développement, qui a participé à la rédaction du présent document de principes.

FINANCEMENT

Aucun financement n’a été accordé pour la préparation du présent manuscrit.

CONFLITS D’INTÉRÊTS POTENTIELS

SH est une ancienne présidente de l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. NS déclare avoir reçu des subventions du Centre de toxicomanie et de santé mentale, de la Sickkids Foundation, des IRSC et d’EndCAN, reçues hors du contexte du présent manuscrit, et les paiements ont été versés à son établissement de recherche. NS est également membre du comité de rédaction de la revue Archives of Disease in Childhood. Aucun autre conflit d’intérêts n’a été déclaré. Les auteurs ont remis le formulaire de divulgation des conflits d’intérêts potentiels de l’International Committee of Medical Journal Editors. Ils ont divulgué les conflits que les rédacteurs en chef jugent pertinents en fonction du contenu du présent manuscrit.


COMITÉ DE LA SANTÉ MENTALE ET DES TROUBLES DU DÉVELOPPEMENT DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (2020-2021)

Membres : Susan Bobbitt MD, Mark Feldman MD FRCPC (représentant du conseil), Anne Kawamura MD (présidente), Benjamin Klein MD, Oliva Ortiz-Alvarez MD, Rageen Rajendram MD (membre résident), Natasha Saunders MD

Représentantes : Sophia Hrycko MD FRCPC (Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent), Melanie Penner MD (section de la pédiatrie du développement), Aven Poynter MD FRCPC (section de la santé mentale)

Auteurs principaux : Benjamin Klein MD, Rageen Rajendram MD, Sophia Hrycko MD FRCPC, Aven Poynter MD FRCPC, Oliva Ortiz-Alvarez MD, Natasha Saunders MD, Debra Andrews MD


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Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.

Mise à jour : le 8 février 2024