Samina Ali, MDCM, FRCPC(PEM)
Dans mon rôle d’urgentologue pédiatre au Stollery Children’s Hospital, je me souviens du moment exact où je me suis rendu compte que nous, les dispensateurs de soins pédiatriques, n’en faisions pas assez pour prévenir et traiter la douleur chez les enfants du Canada. C’était en 2008, pendant un quart à l’urgence, alors que je discutais d’un cas avec une résidente. Je devais constamment lui demander de répéter. Sa voix était enterrée par les cris perçants d’un bébé qui, à plusieurs salles de là, subissait un bilan sanguin et se faisait installer une intraveineuse. On connaît tous ce cri-là, à l’intensité et au timbre bien particuliers. Il a aussi la capacité de me briser le cœur, par la douleur et l’innocence qu’il évoque. En 2008, nous connaissions les avantages des crèmes anesthésiques topiques à appliquer avant une intraveineuse, des positions de confort et des gouttes de saccharose (ou sucrose). Leur utilisation était toutefois limitée au Canada, et mon établissement ne faisait pas exception. C’est ainsi qu’a commencé ma quête en vue d’améliorer les soins de la douleur chez les enfants canadiens. En collaboration avec des personnes incroyables de partout au Canada, dont de nombreux membres et dirigeants de la SCP, nous sommes passés de petits essais cliniques à des collaborations pour l’amélioration de la qualité, deux documents de principes de la SCP et, maintenant, la première norme nationale de gestion de la douleur pédiatrique au monde.
Le Canada est un chef de file de la recherche sur la douleur pédiatrique, mais ces connaissances ne sont pas mises en œuvre systématiquement dans la pratique. Depuis deux ans, Solutions pour la douleur chez les enfants (SKIP), un réseau national de mobilisation des connaissances voué à améliorer les soins de la douleur chez les enfants, s’est associé à l’Organisation de normes en santé (HSO) pour élaborer conjointement la norme de gestion de la douleur pédiatrique (CAN/HSO 13200:2022). Cette norme s’inspire des conclusions d’analyses bibliographiques, de compétences cliniques, de pratiques fondées sur des données probantes et d’expériences vécues. Elle a été créée par un groupe de travail du Canada et d’ailleurs, dont les 15 membres possèdent des compétences en matière de partenariats avec les patients et les familles, de politiques sanitaires et de qualité de la santé, d’administration hospitalière, de médecine (anesthésiologie et urgence pédiatriques), de psychologie, de soins infirmiers, de physiothérapie, de services éducatifs en milieu pédiatrique et d’équité.
D’abord, elle est omniprésente. Un enfant sur cinq éprouve des douleurs chroniques. Les enfants hospitalisés sont soumis à une moyenne de six interventions douloureuses toutes les 24 heures. Ce nombre peut atteindre 14 par jour à l’unité de soins intensifs néonatals. Non traitée, la douleur a des conséquences à court et à long terme. Une mauvaise gestion de la douleur entraîne une augmentation de la sensibilité à la douleur, des problèmes neurodéveloppementaux et socioéconomiques, l’évitement des soins de santé, la réticence envers la vaccination, des troubles de santé mentale, l’utilisation d’opioïdes et des écarts socioéconomiques. Par-dessus tout, la gestion de la douleur est un droit fondamental.
La norme de gestion de la douleur pédiatrique est la première du genre dans le monde; elle établit une série de directives pour les enfants entre la naissance et 19 ans. La norme tient compte des facteurs systémiques qui contribuent aux iniquités en matière de santé et exacerbent l’expérience de la douleur chez les enfants, y compris le racisme et les traumatismes. Elle reconnaît que les enfants et leur famille sont des partenaires à part entière de l’équipe soignante, qui devraient participer activement aux échanges et aux décisions sur les soins de la douleur. Elle s’attarde sur les soins que devraient prévoir et prodiguer les dirigeants organisationnels et les équipes soignantes et considère la douleur non traitée et non gérée comme un incident de sécurité. La norme porte sur la manière dont les dirigeants organisationnels et les équipes soignantes spécialisées devraient prodiguer des soins contre la douleur en fonction des besoins, des objectifs, des capacités et des préférences des enfants et de leur famille. Elle fait ressortir l’importance de divers outils d’évaluation de la douleur facilement accessibles pour refléter les besoins et les capacité des enfants et des familles, l’importance de la formation fondée sur des données probantes dont les équipes ont besoin pour assurer une gestion de la douleur équitable et de qualité et l’importance que les établissements de soins tertiaires fournissent un accès rapide aux services de consultation afin que de plus petits établissements puissent offrir de meilleurs soins de la douleur plus près de la maison. Enfin, la norme recommande de déclarer et prendre en charge la douleur évitable, non traitée ou non gérée comme d’incidents liés à la sécurité des patients, ce qui renforce le changement.
À quoi les familles peuvent-elles s’attendre lorsqu’elles sont soignées dans un établissement respectueux de la norme de gestion de la douleur de l’HSO? Elles peuvent escompter l’utilisation de stratégies de soins de la douleur axées sur la famille, fondées sur des données probantes et multimodales. Ces stratégies incluent des options physiques, psychologiques et pharmacologiques pour optimiser immédiatement l’expérience de l’enfant et de sa famille et avoir une influence positive sur leurs futures interactions avec le milieu de la santé. Les enfants et les familles peuvent s’attendre à participer à tous les échanges et à toutes les décisions sur les soins de la douleur et à collaborer avec l’équipe soignante à la création d’un plan de soins de la douleur individualisé, qui reflète leurs objectifs, leurs besoins, leurs capacités et leurs préférences. Par-dessus tout, les familles devraient se sentir assez en sécurité pour parler de leur expérience de la douleur et demander de l’aide, au besoin.
Par le passé, les pratiques de gestion de la douleur n’étaient pas appropriées chez les nourrissons et les enfants. Aussi récemment que dans les années 1980, le milieu médical croyait que les nourrissons ne percevaient pas la douleur à cause de l’immaturité de leur cerveau, et les médicaments contre la douleur ne faisaient pas partie de la norme des soins lors des chirurgies cardiaques pédiatriques. Heureusement, notre compréhension de la douleur a évolué, et nous convenons désormais que tous les enfants, quel que soit leur âge, éprouvent de la douleur. Les cliniciens peuvent obtenir des conseils à jour et fondés sur des données probantes pour soulager la douleur aiguë, transitionnelle, chronique ou associée à une intervention dans les documents de principes nationaux récemment publiés par la Société canadienne de pédiatrie. En y ajoutant l’engagement de la direction administrative des établissements à respecter les nouvelles normes de gestion de la douleur de l’HSO, nous pouvons tous œuvrer pour offrir des soins de la douleur équitables à tous les enfants du Canada.
Remerciements : Merci à Laura Gibson (Solutions pour la douleur chez les enfants) pour son aimable assistance dans la préparation de ce blogue.
La Société canadienne de pédiatrie est propriétaire des droits d'auteur sur toute l'information publiée dans le présent blogue. Pour obtenir toute l'information à ce sujet, lisez la Politique sur les droits d'auteur.
L’information contenue dans le présent blogue ne devrait pas remplacer les soins et les conseils d’un médecin. Les points de vue des blogueurs ne représentent pas nécessairement ceux de la Société canadienne de pédiatrie.
Mise à jour : le 27 février 2024