Affiché le 15 avril 2021 par la Société canadienne de pédiatrie | Permalink
Catégorie(s) : Documents de principes et points de pratique, Éducation publique
par Nicholas Chadi, MD, MPH, FRCPC, FAAP
Il est 17 h 30. J’ai pris une heure de retard sur mon horaire de clinique. Noah (nom fictif), un garçon transgenre de 16 ans présentant une dysphorie de genre, des idéations suicidaires chroniques et un trouble lié à l’usage de la nicotine sévère, est mon dernier patient de la journée. « Noah, je suis vraiment désolé de mon retard. Est-ce que tu veux qu’on parle de quelque chose en particulier aujourd’hui? »
Lors de ses quelques derniers rendez-vous, Noah m’a parlé longuement de ses trucs de vapoteurs (vape tricks) et de sa capacité à vapoter toute la journée sans que ses enseignants (ou ses parents) ne s’en aperçoivent. Il m’a également raconté que les capsules (pods) aromatisées aux fruits à forte concentration de nicotine étaient « la meilleure chose au monde » et lui donnaient un « sentiment d’euphorie, et de calme en même temps ».
D’après les statistiques nationales les plus récentes, environ la moitié des élèves ont essayé un produit de vapotage au moment de terminer leur secondaire, et près du tiers a déclaré en avoir utilisé au cours du mois précédent. On n’a jamais observé une tendance aussi rapide dans l’histoire des sondages sur l’usage de substances à l’adolescence.
En tant que pédiatre spécialisé en médecine de l’adolescence qui travaille surtout auprès de jeunes ayant des troubles de santé mentale, j’entends parler de vapotage tous les jours en clinique. Mes patients me disent à quel point il leur est facile d’acheter des produits de vapotage à l’école ou directement dans une boutique de vapotage. Ils me parlent aussi de la dépendance que ces produits peuvent causer, particulièrement s’ils contiennent de la nicotine ou du tétrahydrocannabinol (THC), la substance psychoactive principale du cannabis. La plupart du temps, mes patients sont stupéfaits quand je leur dis qu’ils consomment l’équivalent en nicotine de plusieurs paquets de cigarettes par semaine.
Les risques à long terme du vapotage sur la santé des jeunes demeurent largement inconnus, mais selon des données émergentes, le vapotage est lié à plusieurs risques à court et à moyen terme sur la santé, y compris les lésions pulmonaires aiguës causées par le vapotage, les brûlures et les troubles de santé mentale ou de l’usage de substances qui s’y rattachent. Le vapotage a d’abord été mis en marché comme une solution moins dommageable que le tabagisme chez les adultes qui fumaient régulièrement la cigarette, mais aucune donnée probante fiable n’indique qu’il s’agit d’une stratégie d’abandon du tabac efficace chez les jeunes.
Les pédiatres peuvent jouer un rôle important pour prévenir le vapotage par le dépistage de tous les jeunes dès l’âge de 12 ans, ou même avant dans certains cas. Au moyen d’une seule question validée (« Durant la dernière année, combien de fois as-tu utilisé une vape, une cigarette électronique ou tout autre produit de vapotage? »), les médecins peuvent entreprendre une brève entrevue motivationnelle avec les jeunes et transmettre un message clair sur les dangers du vapotage.
Il existe encore peu de stratégies fondées sur des données probantes axées expressément sur l’abandon du vapotage chez les jeunes. Cependant, les pédiatres peuvent utiliser des stratégies comportementales, comme le counseling individuel ou de groupe, et des stratégies pharmacologiques comme les thérapies de remplacement de la nicotine, lorsque la situation l’indique.
Plusieurs provinces ont adopté de nouveaux règlements pour limiter la vente de produits de vapotage et leur attrait chez les jeunes, y compris l’interdiction des aromatisants et les limites de concentration nicotinique, mais ils sont très variables. Entre-temps, des programmes d’abandon du vapotage novateurs commencent à émerger, et les pédiatres devraient être à l’affût de nouvelles ressources d’abandon du vapotage en ligne et de nouvelles applications pour téléphone intelligent; certains de ces programmes et ressources se sont déjà révélés très efficaces pour aider les jeunes à abandonner le vapotage aux États-Unis.
Après avoir rappelé à Noah la nature confidentielle de notre échange, je lui dis que je m’inquiète de son usage de produits de vapotage et que je pense qu’il devrait parler à ses parents de toute l’importance qu’a pris sa dépendance à la nicotine. Il me répond : « Je ne suis pas prêt à en parler à mes parents, mais je suis tanné de dépenser tout mon argent pour des pods. J’ai réussi le défi d’abstinence de 14 jours que vous m’aviez conseillé la dernière fois. Je suis pas mal certain que je pourrais arrêter si je le voulais. »
Stupéfait par cette volonté inattendue à changer, je mets Noah au défi de jeter son dispositif de vapotage dans la corbeille de mon bureau, avec toutes ses capsules, ce qu’il fait sans hésitation. Nous sourions tous les deux. Je sais pertinemment que la tentative d’abandon de Noah est très fragile (et qu’un ami lui offrira sûrement une « bouffée » de vapoteuse dans les heures qui suivront), mais ce sont des moments comme ceux-là qui me laisse croire que le jeu en vaut la chandelle.
Je vais vous laisser avec cette dernière réflexion : dans notre rôle de pédiatre, nous pouvons changer les choses, et ça peut commencer par quelque chose d’aussi simple que « Parlons de vapotage ».
Renseignements et outils : www.cps.ca/fr/vapotage.
Le docteur Nicholas Chadi est un pédiatre et clinicien-chercheur spécialisé en médecine de l’adolescence et en toxicomanie pédiatrique. Professeur adjoint de clinique au département de pédiatrie du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine à Montréal, il est l’auteur principal du nouveau document de principes de la Société canadienne de pédiatrie, intitulé La protection des enfants et des adolescents contre les risques du vapotage.
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Mise à jour : le 8 décembre 2021