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Les handicaps chez les enfants au XXle siècle : un tout nouveau paradigme

Affiché le 10 février 2023 par la Société canadienne de pédiatrie | Permalink

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par Peter Rosenbaum MD, FRCP(C), D. Sc. (HC), FRCPI Hon (Paed) RCPI

Quel chemin avons-nous parcouru?
Le XXe siècle se caractérise par des avancées sans précédent de la biomédecine dans pratiquement tous les secteurs des services cliniques. La foi du public envers les sciences a été récompensée au-delà de toute espérance, grâce à des percées dans notre compréhension des mécanismes biologiques de nombreuses maladies et à l’application de cette compréhension pour prévenir, traiter et, de plus en plus, guérir des maladies par des moyens considérés autrefois comme inatteignables.

Le domaine des handicaps neurologiques, c’est-à-dire l’intérêt clinique pour les atteintes neurologiques qui compromettent les trajectoires de développement des enfants et la recherche s’y rapportant, n’a pas connu de découvertes et de répercussions aussi profondes que, par exemple, les cancers infantiles ou les soins des nouveau-nés très prématurés. Dans ces secteurs, une compréhension poussée de la physiopathologie des atteintes sous-jacentes a permis de créer des interventions ciblées. Cependant, les paradigmes biomédicaux traditionnels, c’est-à-dire poser le bon diagnostic et prodiguer le traitement qui s’ensuit, demeurent insatisfaisants dans notre domaine. Le « diagnostic » de handicap pendant l’enfance est une véritable soupe alphabet - PC (paralysie cérébrale), TSA (trouble du spectre de l’autisme), DI (déficience intellectuelle) TDAH (trouble de déficit de l’attention/hyperactivité) en sont des exemples -. Ce sont des étiquettes descriptives d’« atteintes fonctionnelles » attribuables à une série de problèmes biomédicaux sous-jacents souvent mal définis. Certains désignent même cette manie pour le diagnostic des handicaps de série d’« adjectifs déguisés en noms »! On a longtemps cru en une approche « non catégorielle » de la pensée et de l’action, c’est-à-dire constater les points communs entre les diagnostics (« catégories ») et assembler les pensées propres à chaque affection pour créer des concepts transversaux élargis, comme il est exposé ci-dessous.

La possibilité de prévenir les handicaps développementaux a donné lieu à de nombreuses réalisations remarquables au XXe siècle. Ainsi, nous avons découvert de nombreux mécanismes responsables d’une atteinte de la fonction cérébrale et d’un « handicap ». L’incompatibilité Rh qui entraîne un kernictère, la carence en iode de la mère qui provoque le crétinisme, les voies biochimiques qui sont à l’origine d’une phénylcétonurie et les vaccins qui préviennent la polio en sont des exemples flagrants. Dans tous ces cas, la prévention provient de la compréhension des voies biomédicales. Il est facile aujourd’hui de tenir ces découvertes pour acquises et d’y songer seulement lorsqu’un enfant présente inopinément ces affections parce qu’il n’a pas été soumis au dépistage ou à la vaccination, par exemple.

On n’a toutefois pas (encore?) observé d’améliorations biomédicales marquées dans la capacité de traiter les enfants ayant des handicaps neurologiques du même ordre que la capacité de traiter les enfants atteints du diabète de type 1 ou de leucémies, entre autres. Dans le secteur des handicaps développementaux, nous nous fions encore à un vaste éventail d’interventions développementales. Les thérapies incluent les services prodigués par des ergothérapeutes, des physiothérapeutes et des orthophonistes, les chirurgies orthopédiques et neurologiques, une foule de médicaments pour soulager les symptômes (p. ex., de spasticité, de dysrégulation comportementale ou de convulsions) et un flux continu d’approches comportementales comme l’analyse comportementale appliquée, particulièrement pour ce qui est de l’autisme. Bon nombre de ces interventions, sinon toutes, sont utilisées dans la prise en charge actuelle, mais aucune ne tient compte des atteintes biologiques sous-jacentes, et les données probantes sur leur efficacité sont souvent très limitées.

Où en sommes-nous en 2023?
La présentation précédente des handicaps des enfants peut susciter le découragement. Les non-initiés (qui incluent, malheureusement, de nombreux collègues pédiatres) affirment souvent : « Ce doit être tellement triste. Vous devez être tellement dévoués. » Ces deux commentaires évoquent un certain fatalisme et sont souvent suivis de la question : « Que pouvez-vous faire pour eux? »

Je réponds : « Combien de temps avez-vous (pour écouter la réponse)? »

En fait, depuis vingt ans, notre pensée et nos actions à l’égard des handicaps des enfants ont énormément évolué. Ces développements sont plus conceptuels que techniques ou biomédicaux et dépassent largement les préoccupations biomédicales du XXe siècle. Nous avons adopté le cadre conceptuel promulgué par l’Organisation mondiale de la Santé en 2001, présenté dans la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, ou CIF (figure 1). Ce cadre biopsychosocial intégré, composé d’éléments interreliés, rappelle qu’en plus du diagnostic et des atteintes (les « fonctions organiques et structures anatomiques »), il faut tenir compte des effets de l’état de l’enfant sur l’« activité » (la capacité de faire des choses) et la « participation » (l’engagement personnel marqué au quotidien). Il est donc désormais nécessaire de s’attarder à la fois aux facteurs personnels, qui font de l’enfant ou de l’adolescent un être unique, et aux facteurs environnementaux, qui façonnent la vie quotidienne, et de les inclure dans les formulations.

Ce qui a d’abord pris la forme d’un effort fantaisiste pour donner vie aux concepts de la CIF dans notre domaine, Mes mots préférés sur les handicaps de l’enfant, devenus Mes mots préférés pour le développement de l’enfant (figure 2), a capté l’attention de parents, de collègues, de gestionnaires de programmes de développement de l’enfant et de décideurs sur les scènes nationale et internationale. Ce cadre conceptuel intègre le point de vue moderne de « handicaps » des enfants, tout en laissant place à l’évolution continue des dimensions biomédicales d’affections qui nuisent au développement de l’enfant, sans reposer uniquement sur la biomédecine. (Le lecteur qui veut en savoir plus peut consulter le site www.canchild.ca/f-words pour avoir accès à une foule de ressources gratuites, dont quelques-unes sont disponibles en français.)

Souligner brièvement les principaux concepts qui forment la structure philosophique du « développement appliqué de l’enfant ». Ils sont loin d’être nouveaux, mais leur importance relative l’est bel et bien. En effet, l’accent n’est plus mis sur la guérison, mais sur la fonction et le développement et sur la libération du carcan de l’approche unique « diagnostic-traitement ».

Les principaux concepts liés aux handicaps des enfants

Le caractère central de la FAMILLE

De plus en plus, le concept unificateur de la pédiatrie est l’enfant et la famille. Cette évidence n’est toutefois pas assez mise en application. Manifestement, les enfants ayant des problèmes de santé ou de développement ne viennent pratiquement jamais nous voir seuls. Leurs problèmes prennent bien souvent la forme de « doléances » de la part d’un parent ou d’un proche. L’histoire de l’enfant est racontée principalement par les parents, et les recommandations proposées le sont dans le contexte de la famille qui, on l’espère, utilisera les meilleurs éléments de ce que nous avons à offrir.

Pour composer avec les handicaps développementaux, nous devons maintenant prioriser la famille et les soins axés sur la famille. Nous voulons connaître l’avis et les valeurs des membres de la famille. Nous dépendons de leurs observations sur le fonctionnement de l’enfant, et nous leur prodiguons des conseils et formulons des recommandations que nous souhaitons ou voulons voir mis en œuvre. Des facteurs familiaux positifs sont mis à contribution pour contribuer à soulager les « morbidités » physiques, mentales, sociales et économiques auxquelles les familles sont trop souvent vulnérables. Les récentes données probantes de recherches réalisées par notre groupe canado-australien démontrent qu’il est possible d’atteindre les objectifs axés sur le patient et sur la famille!

L’accent sur le DÉVELOPPEMENT de l’enfant (et de la famille!)

Les handicaps neurologiques abordés dans notre domaine de compétences continueront sûrement d’influer sur les trajectoires du développement de l’enfant et de la famille. Toutefois, l’importance accordée au développement peut modifier la nature des objectifs et habiliter les familles (et les enfants) à réfléchir à ce qui est important pour elles sans se préoccuper de faire les choses « bien » ou « comme il faut ». Cette idée s’intègre directement au prochain concept.

L’accent sur le FONCTIONNEMENT – faire des choses!

L’objectif habituel de l’intervention développementale était un fonctionnement « normal », un concept maintenant considéré comme inatteignable et, à le dire franchement, restrictif. Aujourd’hui, nous considérons le fonctionnement comme un élément clé de tous les aspects du développement de l’enfant. Nous ne limitons plus les enfants à faire les choses différemment, mais nous admettons que les réalisations entraînent de nouveaux efforts, et que la pratique améliore le fonctionnement (même s’il n’est pas parfait)!

Une approche sur la TRAJECTOIRE DE VIE…

Depuis vingt ans, nous avons commencé à prendre conscience d’une réalité qui a toujours existé, mais qui est sous-estimée : les enfants ayant des handicaps neurologiques deviendront des adultes ayant des handicaps neurologiques. Cette perspective influe de plus en plus sur nos réflexions et sur nos échanges avec les parents dès les toutes premières interventions. Le secteur émergent des soins de transition est passionnant, et la plus longue participation à la vie des enfants permet d’éviter qu’ils ne « s’évanouissent dans la nature » et se soustraient aux services des soins. Il reste toutefois encore beaucoup à accomplir.

Et alors?

Je suis fermement convaincu que les concepts élargis décrits dans ce blogue ont révolutionné la santé des enfants et devraient être mis plus largement en application dans tous les secteurs de la pédiatrie.

  • Les services : Considérer la FAMILLE comme l’unité principale d’intérêt, et les parents comme les experts mondiaux de la vie et de l’état de leur enfant. Chercher à s’associer à eux conformément à leurs valeurs et à leurs ressources. Se laisser orienter par leurs points de vue sur le fonctionnement, les objectifs et les aptitudes de l’enfant…
  • L’enseignement : Considérer le développement de l’enfant comme une science fondamentale dans tous les secteurs de la santé de l’enfant. La bonne santé, l’intégrité neurologique et le bien-être environnemental sont des aspects capitaux (mais rarement suffisants) de « l’être, l’appartenance et le devenir ».
  • La recherche : En matière de services cliniques et de services de santé, les possibilités d’explorer les effets de concepts comme ceux-là sur le bien-être des parents, de l’enfant et de la famille sont illimitées. Nous devons colliger des données probantes sur l’efficacité de nos actions sur le développement de l’enfant et de la famille.
  • L’élaboration de politiques : Ces concepts sont attrayants pour les décideurs et sont mis en œuvre au Canada et ailleurs dans le monde. Ils ne remplacent pas nos meilleures pratiques, mais ils élargissent considérablement la portée du discours.

Merci de m’avoir donné cette occasion de présenter un portrait du milieu moderne des « handicaps des enfants ».

Le docteur Peter Rosenbaum est professeur de pédiatrie à la faculté des sciences de la santé de l’Université McMaster et cofondateur du CanChild Centre for Childhood Disability Research, à Hamilton, en Ontario. C’est un auteur et un chercheur prolifique qui a reçu le prestigieux prix Ross de la SCP en 2000.
 

Figure 1. Cadre conceptuel de la CIF de l’OMS

Figure 2. Mes mots préférés pour le développement de l’enfant

Lectures supplémentaires

  • Rosenbaum PL, Gorter JW. The ‘F-words’ in childhood disability: I swear this is how we should think! Child Care Health Dev. 2012;38(4):457-63. doi : 10.1111/j.1365-2214.2011.01338.x.

  • Miller AR, Rosenbaum PL. Perspectives on ‘disease’ and ‘disability’ in child health: The case of childhood neurodisability. Front Public Health 2016;4:226. doi : 10.3389/fpubh.2016.00226.

  • Rosenbaum P. Childhood disability and how we see the world. Dev Med Child Neurol 2018;60(12):1190. doi : 10.1111/dmcn.14008.

  • Rosenbaum P. ‘You have textbooks; we have story books’. Disability as perceived by professionals and parents. Editorial. Dev Med Child Neurol 2020;62(6):660. doi : 10.1111/dmcn.14491.

  • Rosenbaum P. Developmental disability: Families and functioning in child and adolescence. Front Rehabil Sci 2021;2:709984. doi : 10.3389/fresc.2021.709984.

  • Rosenbaum PL, Novak-Pavlic M. Parenting a child with a neurodevelopmental disorder. Curr Dev Disord Rep 2022;8(4):212-8. doi : 10.1007/s40474-021-00240-2.

  • Miller L, Nickson G, Pozniak K et coll. ENabling VISions and Growing Expectations (ENVISAGE): Parent reviewers’ perspectives of a co-designed program to support parents raising a child with an early onset neurodevelopmental disability. Res Dev Disabil 2022;121:104150. doi : 10.1016/j.ridd.2021.104150. 


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Mise à jour : le 14 février 2023