Point de pratique
Affichage : le 7 mars 2016
Ann L Jefferies; Société canadienne de pédiatrie, Comité d’étude du fœtus et du nouveau-né
Paediatr Child Health 2016;21(2):105-08.
La rétinopathie du prématuré est un trouble prolifératif qui touche les vaisseaux sanguins de la rétine en développement des nourrissons prématurés. Le présent point de pratique traite de nouvelles données sur le dépistage et la prise en charge de la rétinopathie du prématuré, y compris le rôle des facteurs de risque dans le dépistage, le moment optimal pour effectuer les examens de dépistage, la prise en charge de la douleur, la rétinographie numérique et le traitement par anti-facteur de croissance de l’endothélium vasculaire.
La rétinopathie du prématuré (RDP), un trouble prolifératif qui touche les vaisseaux sanguins de la rétine en développement des nourrissons prématurés, peut être responsable d’une mauvaise acuité visuelle ou de cécité. Selon les données du Réseau néonatal canadien, de 40 % à 50 % des nouveau-nés qui viennent au monde avant 31 semaines d’âge gestationnel (AG) présentent l’un des stades de la RDP, de 7 % à 8 % acquièrent une grave RDP et de 5 % à 6 % doivent être traités.[1] Les professionnels de la santé qui s’occupent de nourrissons prématurés à l’unité de soins intensifs néonatals et en milieu communautaire doivent savoir auprès de quels nourrissons effectuer le dépistage de la RDP et à quel moment l’effectuer. En 2010, la Société canadienne de pédiatrie a publié un point de pratique résumant les recommandations à jour relatives au dépistage de la RDP.[2] Depuis, le traitement de la RDP a progressé, de nouvelles études ont porté sur les facteurs de risque et les critères de dépistage sélectifs et l’American Academy of Pediatrics (AAP) a révisé ses recommandations.[3] Le présent point de pratique traite donc des nouvelles données sur le dépistage et la prise en charge de la RDP.
Figure 1) Rétines de l’œil droit et de l’œil gauche révélant les bordures des trois zones et les indices horaires utilisés pour décrire l’emplacement et l’étendue de la rétinopathie du prématuré. Traduction autorisée de la référence 3
La Classification internationale de la rétinopathie du prématuré, révisée en 2005, qui décrit la RDP selon l’emplacement (zones) et la gravité (stades) de la vascularisation anormale, permet de catégoriser et de consigner les observations de l’ophtalmologiste après l’examen de la rétine.[4] Les zones de la rétine paraissent à la figure 1, tandis que les stades de RDP et la terminologie à jour sont résumés au tableau 1. Les termes RDP « de type 1 » et « de type 2 » sont désormais utilisés pour distinguer les yeux qui ont subi des changements importants causés par la RDP et qui doivent être traités (type 1) de ceux qui ont subi des changements importants et qui n’ont pas besoin de l’être, mais qui doivent faire l’objet d’une surveillance plus attentive (type 2). Les indications thérapeutiques actuelles (RDP de type 1) reposent sur les résultats de l’essai sur le traitement rapide de la rétinopathie du prématuré (ETROP)[5] et s’établissent comme suit :
Parfois, les termes « seuil » et « préseuil » sont également utilisés. La RDP seuil désigne au moins cinq indices horaires contigus ou huit indices horaires cumulatifs de RDP de stade 3 dans les zones I et II, en présence d’une maladie plus, tandis que la RDP préseuil désigne une RDP ayant une forte probabilité de se transformer en RDP seuil. La RDP seuil, de même que les formes plus graves de RDP préseuil, doivent être traitées. Elles font donc partie de la catégorie des RDP de type 1.
En 2010, la Société canadienne de pédiatrie a postulé que si on faisait subir le dépistage à chaque nourrisson de 306/7 semaines d’AG ou moins, quel que soit son poids à la naissance, et à chaque nourrisson de 1 250 g ou moins à la naissance, conformément aux recommandations du Royal College of Paediatrics and Child Health et du Royal College of Ophthalmologists du Royaume-Uni,[6] la probabilité qu’un enfant n’ayant pas fait l’objet du dépistage soit atteint d’une RDP avancée devant être traitée serait minime.[2] Le document de principes de l’AAP publié en 2013 différait quelque peu, car il recommandait le dépistage des nourrissons pesant 1 500 g ou moins à la naissance ou ayant 30 semaines ou moins d’AG, de même que celui de certains nourrissons pesant de 1 500 g à 2 000 g à la naissance ou ayant plus de 30 semaines d’AG dont l’évolution clinique était instable et qui étaient considérés comme à haut risque de RDP.[3]
En 2014, des chercheurs ont procédé à une mise à jour de l’analyse bibliographique (entre 2009 et 2014) et ont déterminé que le risque de grave RDP était plus élevé chez les nourrissons de 28 semaines d’AG ou moins ou de moins de 1 000 g à la naissance. Parmi les 2 593 nourrissons dépistés dans les trois cohortes récentes provenant de pays industrialisés, les critères thérapeutiques de l’ETROP n’ont été observés chez aucun nourrisson qui avait 31 semaines d’AG ou plus et qui pesait plus de 1 250 g à la naissance.[7]-[9] Les données du Réseau néonatal canadien colligées entre 2009 et 2014 ont révélé que 1 340 nourrissons de 31 semaines d’AG ou plus ont subi le dépistage de la RDP et que quatre (0,30 %) ont été traités, tandis que 2 171 nourrissons qui pesaient plus de 1 250 g à la naissance ont subi le dépistage et que trois (0,14 %) ont été traités.[1] On ne possède pas de données pour déterminer si certains des nourrissons traités pesaient à la fois plus de 1 250 g à la naissance et avaient au moins 31 semaines d’AG. Trois études ont porté expressément sur l’incidence de RDP chez les nourrissons qui avaient 30 semaines d’AG ou plus, qui pesaient 1 250 g ou plus ou qui présentaient ces deux caractéristiques.[10]-[12] Sur les 1 749 nourrissons dépistés, seulement quatre (0,2 %), tous venus au monde avant l’an 2000, ont contracté une grave RDP. Cependant, aucun des quatre ne respectait les paramètres établis relativement à l’AG et au poids à la naissance.
Depuis quelques années, les chercheurs évaluent si l’ajout de critères de dépistage favoriserait le diagnostic précoce de la RDP devant être traitée, tout en réduisant le nombre d’examens chez les nourrissons qui n’auront pas besoin de l’être. Une lente prise de poids postnatale s’associe à un risque plus élevé de grave RDP,[13][14] et il existe plusieurs algorithmes de dépistage qui comparent la véritable prise de poids aux courbes de croissance prévues, en plus d’intégrer des éléments comme le facteur de croissance analogue à l’insuline.[15] La validité et la généralisabilité de ces modèles sont actuellement à l’étude.
D’autres études sont en cours au sein du Réseau néonatal canadien pour analyser les données en vue d’élaborer des recommandations fondées sur des données probantes pour le dépistage de la RDP chez les nourrissons prématurés canadiens. Entre-temps, étant donné la pratique qui consiste à effectuer le dépistage de tous les nourrissons nés à 306/7 semaines d’AG ou moins (quel que soit leur poids à la naissance), de ceux qui pèsent 1 250 g ou moins à la naissance et de ceux qui sont plus matures et qu’on croie à haut risque de RDP, il est très peu probable qu’un nourrisson n’ayant pas subi de dépistage soit atteint d’une RDP qu’il faut traiter.
Pour déterminer le moment d’effectuer les examens de dépistage de la RDP, il faut s’assurer que les yeux les plus susceptibles de devoir être traités soient identifiés rapidement, tout en réduisant au minimum le nombre d’examens chez les nourrissons à faible risque. Puisque la RDP se développe plus lentement chez les nourrissons très immatures, on devrait établir le moment du premier examen en fonction de l’âge postmenstruel (AG plus l’âge chronologique) plutôt que de l’âge postnatal. Selon les données de deux grands essais cliniques, soit l’essai multicentrique sur la cryothérapie en cas de RDP et l’essai sur les effets de la réduction de la lumière sur la RDP, les chercheurs ont établi un calendrier fondé sur des données probantes pour effectuer le premier examen des yeux, présenté au tableau 2.[16] Une étude d’observation contemporaine appuie ce calendrier lorsque la RDP de type 1 constitue le critère thérapeutique.[17] Puisqu’il y a moins de données probantes sur le calendrier à utiliser pour effectuer le dépistage des nourrissons de moins de 25 semaines d’AG, l’AAP propose d’envisager un dépistage plus rapide (à six semaines d’âge chronologique) auprès de cette population, en présence de comorbidités comme l’entérocolite nécrosante, le sepsis ou l’administration d’une ventilation assistée ou d’inotropes. Néanmoins, selon des études prospectives qui incluaient des nourrissons de 22 à 25 semaines d’AG, la RDP de stade 3 ne se déclarait pas avant 31 semaines d’âge postmenstruel.[18][19]
L’ophtalmologiste examinateur devrait recommander les examens de suivi. L’AAP a modifié ses suggestions à l’égard des examens de suivi et de l’arrêt des examens. Ces modifications sont exposées au tableau 3.
Les examens oculaires provoquent de la détresse et de la douleur et peuvent s’associer à des effets physiologiques négatifs, y compris l’apnée, qui peuvent inquiéter les parents et exiger des modifications aux soins quotidiens du nourrisson.[20] Les anesthésiques topiques, les sucettes, l’emmaillotage et le sucrose contribuent à réduire l’inconfort. D’après des analyses systématiques, aucun agent n’est hautement efficace pour réduire les scores de douleur, et les données sur l’agent le plus efficace dans ce contexte sont contradictoires.[21]-[23]
Il peut être difficile de trouver des ophtalmologistes bien formés pour les programmes de dépistage de la RDP, particulièrement en milieu communautaire où les nourrissons prématurés sont suivis après leur transfert d’une unité de soins tertiaires ou après leur congé. La rétinographie numérique (RetCam) spécialisée, qui saisit des images transmises par voie électronique, accroît le dépistage dans la collectivité,[24] sans compter qu’il s’agit d’une pratique à la fois économique et centrée sur la famille. Selon un récent rapport, la rétinographie numérique permet de dépister la RDP significative sur le plan clinique avec une grande précision.[25] Sa sensibilité pour dépister la RDP légère est moins sûre. Les nourrissons qui subissent un dépistage par photographie numérique devraient faire l’objet d’au moins un examen ophtalmologique indirect effectué par un ophtalmologiste avant le traitement ou l’arrêt du dépistage.
L’ablation de la rétine, qui est le traitement habituel de la RDP, est axée vers la partie avasculaire et vise à réduire la production de facteurs de croissance angiogènes. L’efficacité de la photocoagulation au laser est bien établie.[26] Idéalement, il faut amorcer le traitement de la RDP de type 1 dans les 72 heures suivant sa détection.[5]
Le traitement par anti-facteur de croissance endothélial vasculaire (anti-VEGF) est une récente avancée dans le traitement de la RDP. Dans un essai aléatoire, l’injection intravitréenne de bévacizumab, un anticorps monoclonal humanisé recombinant, était plus efficace que la thérapie au laser classique pour réduire la récurrence de la RDP de zone I, mais pas de la RDP postérieure de zone II.[27] Une étude de suivi de la réfraction au bout de 30 mois a démontré que la prévalence de myopie était beaucoup plus élevée dans les yeux ayant subi le traitement au laser.[28] Néanmoins, le traitement anti-VEGF suscite des inquiétudes, y compris les rapports selon lesquels les résultats peuvent être transitoires et s’associer à une récurrence de RDP,[29] le peu de connaissances sur l’angiogenèse normale des organes du nourrisson prématuré en développement et les effets indésirables potentiels sur la rétine neurale. C’est pourquoi l’AAP propose de demander un consentement éclairé détaillé si on envisage un traitement anti-VEGF. Il faudra réaliser des études de suivi à long terme comportant un nombre suffisant de nourrissons pour en déterminer l’innocuité.
L’ophtalmologiste traitant doit recommander le suivi des nourrissons traités. Un suivi plus long s’impose après un traitement anti-VEGF.
Toutes les pouponnières où sont soignés des nourrissons prématurés vulnérables à la RDP doivent disposer de critères et de protocoles afin de garantir le dépistage approprié de la RDP par un ophtalmologiste qualifié. L’équipe soignante doit consigner les résultats et les transmettre aux parents. Il faut informer les parents que la vision de l’enfant risque de demeurer insatisfaisante malgré le traitement. Lorsque les nourrissons sont transférés d’une unité à l’autre, l’équipe néonatale doit prendre des dispositions pour assurer un suivi ophtalmologique approprié à l’établissement d’accueil. Il faut bien expliquer les résultats du dépistage de la RDP et le plan de dépistage en cours aux dispensateurs de soins de l’établissement d’accueil. L’équipe néonatale doit planifier les examens ophtalmologiques indiqués dans le plan de congé et s’assurer que les parents comprennent l’importance du suivi. Les nourrissons qui présentent une RDP et qui obtiennent leur congé ont souvent des problèmes ophtalmologiques persistants, tels que le strabisme, les cataractes, l’amblyopie et les erreurs de réfraction, qu’ils aient eu besoin d’un traitement ou non, et devraient être suivis par un ophtalmologiste. Même les nourrissons prématurés sans RDP sont plus susceptibles que les nourrissons à terme de présenter des problèmes visuels. Les programmes de suivi devraient inclure l’examen visuel de tous les nourrissons prématurés qui ont subi le dépistage dans le cadre du processus de suivi.
La Canadian Association of Pediatric Ophthalmology and Strabismus (CAPOS) a approuvé le présent point de pratique, tandis que le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie et des représentants de la Société canadienne de la rétine l’ont révisé.
COMITÉ D’ÉTUDE DU FŒTUS ET DU NOUVEAU-NÉ DE LA SCP
Membres : Ann L Jefferies MD (présidente sortante), Thierry Lacaze-Masmonteil MD (président), Leigh Anne Newhook MD (représentante du conseil), Leonora Hendson MD, Brigitte Lemyre MD, Michael R Narvey MD, Vibhuti Shah MD, S Todd Sorokan MD (membre sortant)
Représentants : Linda Boisvert inf., Association canadienne des infirmières et infirmiers en néonatologie; Andrée Gagnon MD, Le Collège des médecins de famille du Canada; Robert Gagnon MD, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada; Juan Andrés León MD, Agence de la santé publique du Canada; Patricia A O’Flaherty M. Sc. inf. M. Éd., Canadian Perinatal Programs Coalition; Eugene H Ng MD, section de la médecine néonatale et périnatale de la SCP; Kristi Watterberg MD, comité d’étude du fœtus et du nouveau-né, American Academy of Pediatrics
Auteure principale : Ann L Jefferies MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 février 2024