Document de principes
Affichage : le 4 décembre 2015 | Reconduit : le 1 janvier 2021
Brigitte Lemyre, Megan Sample, Thierry Lacaze-Masmonteil; Société canadienne de pédiatrie, Comité d’étude du fœtus et du nouveau-né
Paediatr Child Health 2015;20(8):457-62.
Dans le cadre des soins efficaces aux très grands prématurés, il est important de limiter les pertes de sang et les transfusions. Le report du clampage du cordon, bien soutenu par les données probantes, est recommandé pour les nouveau-nés qui n’ont pas besoin d’une réanimation immédiate. La traite du cordon peut le remplacer, mais plus de recherches s’imposent pour en confirmer l’intérêt. Lorsqu’ils transfusent, les cliniciens doivent éviter de recourir à des seuils d’hémoglobine inférieurs à ceux qui sont utilisés lors des essais cliniques, en raison des craintes quant à l’augmentation du risque de retard cognitif. De plus gros volumes de transfusion (15 mL/kg à 20 mL/kg) peuvent réduire l’exposition à de multiples donneurs. L’utilisation systématique d’érythropoïétine n’est pas recommandée à cause du risque connexe de rétinopathie des prématurés. Les suppléments de fer élémentaire (de 2 mg/kg/jour à 3 mg/kg/jour une fois l’alimentation orale établie) sont recommandés pour prévenir une anémie ferriprive plus tard. Le monitorage non invasif (p. ex., dioxyde de carbone, bilirubine) et les tests au point de service réduisent les prélèvements de sang. Les cliniciens devraient demander le moins de prélèvements nécessaires pour prodiguer des soins sécuritaires aux patients et les regrouper pour éviter de transpercer la peau inutilement.
L’anémie iatrogène, secondaire aux prélèvements de sang, accroît le recours aux transfusions chez les nourrissons prématurés.[1] Des risques s’associent aux prises de sang, tels que la douleur, ses complications et le sepsis causé par les ruptures répétées de la peau. Les transfusions de culot globulaire peuvent provoquer une atteinte pulmonaire aiguë, une réaction du greffon contre l’hôte[2] et une mortalité intra-hospitalière accrue chez les nourrissons de très petit poids à la naissance (TPPN).[3] L’association entre les transfusions de culot globulaire et l’entérocolite nécrosante demeure controversée.[4]-[6]
Il y a des variations entre les pratiques de transfusion dans les unités de soins intensifs néonatals (USIN), ce qui laisse supposer des différences quant aux méthodes de prélèvement de sang, à la fréquence des tests réguliers, au monitorage non invasif des nourrissons et aux indications ou aux seuils de transfusion.[7]-[9] Des rapports décrivent une réduction des taux et des quantités de transfusion après la mise en œuvre d’initiatives d’amélioration de la qualité, ce qui laisse croire à l’efficacité des stratégies pour réduire les pertes de sang au minimum et les transfusions.[10][11] Le présent document de principes vise à résumer les stratégies démontrées pour réduire les prélèvements et les transfusions chez les grands prématurés.
Un bibliothécaire formé a effectué une analyse bibliographique approfondie dans MEDLINE, y compris les citations en cours de traitement et d’autres citations non indexées (de 1946 au 31 août 2014), dans Embase (de 1947 au 31 août 2014) et dans le Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL, numéro 2, juin 2014). La population d’intérêt incluait les nourrissons de TPPN (moins de 1 500 g à la naissance) pendant leur hospitalisation. Il a extrait un total de 1 491 références, dont 43 articles intégraux et six analyses Cochrane. Il a également fait une recherche dans la documentation parallèle.
Il a appliqué la hiérarchie de données probantes du Centre for Evidence-Based Medicine[12] aux publications retenues (tableau 1). Les recommandations se fondent sur la structure de Shekelle et coll.[13] (tableau 2).
TABLEAU 1 | |
Qualité des preuves des traitements | |
Qualité des preuves | Nature de la preuve |
1a | Analyse systématique d’EAC (homogènes) |
1b | EAC individuel (à l’indice de confiance étroit) |
2a | Analyse systématique d’études de cohortes (homogènes) |
2b | Étude de cohortes individuelle (ou EAC de piètre qualité, p. ex., moins de 80 % de suivi) |
3a | Analyse systématique d’études cas-témoins (homogènes) |
3b | Étude cas-témoins individuelle |
4 | Série de cas (études de cohortes et cas-témoins de piètre qualité) |
5 | Avis d’expert sans évaluation critique explicite ou fondée sur la physiologie, des recherches en laboratoire ou des principes de base |
EAC Essai aléatoire et contrôlé |
TABLEAU 2 | |
Catégories de recommandation | |
A | Études de niveau 1 dont les résultats sont cohérents |
B | Études de niveau 2 ou 3 dont les résultats sont cohérents |
C | Études de niveau 4 |
D | Études de niveau 5 ou études, de quelque niveau que ce soit, étonnamment contradictoires ou peu concluantes |
Dans une analyse systématique, Rabe et coll.[14] (15 essais auprès de 738 nourrissons de moins de 36 semaines d’âge gestationnel [AG]) ont déclaré que le report du clampage du cordon (30 s à 180 s) s’associe à une diminution du nombre de nourrissons qui ont besoin d’une transfusion de culot globulaire pendant leur séjour hospitalier (n=7 essais; RR 0,61 [95 % IC 0,46 à 0,81]; nombre de sujets à traiter [NST]=8), ainsi que du nombre de transfusions par nourrisson (différence moyenne [DM] −1,26 [95 % IC −1,87 à −0,64]). Il faut reporter le clampage du cordon chez tous les nouveau-nés prématurés qui n’ont pas besoin d’une réanimation immédiate (qualité des preuves 1a).
Dans une deuxième analyse systématique, Ghavam et coll.[15] ont déclaré que, par rapport au clampage rapide du cordon, le report du clampage ou la traite (qui consiste à pousser le sang contenu dans le cordon vers le nouveau-né avec les doigts immédiatement après l’accouchement pour accélérer le transfert du sang placentaire) limitait considérablement le nombre de transfusions sanguines chez les nourrissons de moins de 30 semaines d’AG ou de moins de 1 000 g (différence moyenne pondérée [DMP] −2,22 [95 % IC −2,52 à −1,92]). Dans cette analyse, une seule petite étude évaluait la traite du cordon, qui réduisait le recours aux transfusions de culot globulaire pendant l’hospitalisation (65 % par rapport à 30 %).[16] March et coll.[17] ont observé un taux plus faible de transfusions sanguines chez 75 nourrissons de moins de 29 semaines d’AG pris en charge par la traite du cordon plutôt que par un clampage rapide du cordon : RR 0,86 (95 % IC 0,7 à 1,0). Selon Patel et coll.,[18] la traite du cordon s’associait à une diminution des transfusions sanguines chez les nourrissons nés à moins de 30 semaines d’AG (57 % par rapport à 79 %), par rapport aux sujets témoins historiques. Une étude réalisée par Alan et coll.[19] auprès de 44 nourrissons n’a relevé aucun avantage à la traite du cordon, tout comme une deuxième étude menée par Rabe et coll.[20] auprès de 58 nourrissons. Aucune de ces études n’a signalé de lésions ni de taux plus élevés d’hémorragies intra-ventriculaires dans le groupe de traite du cordon. Pour l’instant, les données sont insuffisantes pour recommander systématiquement la traite du cordon (qualité des preuves 2b).
Whyte et coll.[21] ont procédé à une analyse systématique dans laquelle ils définissaient un faible seuil d’hémoglobine (Hb) pour transfuser d’après le soutien respiratoire et l’âge postnatal, comme suit : une concentration d’Hb de 115 g/L (soutien respiratoire) ou de 100 g/L (aucun soutien) pendant la première semaine, une concentration d’Hb de 100 g/L (soutien respiratoire) ou de 85 g/L (aucun soutien) pendant la deuxième semaine, et une concentration d’Hb de 85 g/L (soutien respiratoire) ou de 75 g/L (aucun soutien) pendant la troisième semaine. Ces seuils ressemblaient beaucoup à ceux utilisés dans l’essai le plus vaste (Kirpalani et coll.[22]). L’analyse incluait quatre essais (n=614 nourrissons de moins de 32 semaines d’AG et de moins de 1 500 g), et d’après les auteurs, des seuils de concentration d’Hb plus faibles s’associaient à une modeste réduction du recours à au moins une transfusion sanguine (RR 0,95 [95 % IC 0,91 à 1,0]), du nombre de transfusions par nourrisson (DMP −1,12 [95 % IC −1,75 à −0,49]) et de l’exposition aux donneurs (DMP −0,54 [95% IC −0,93 à −0,15]). Ces observations n’avaient aucun effet significatif sur le risque de décès ou de grave morbidité au congé. Une analyse menée en 2014 corrobore ces résultats (qualité des preuves 1a).[23]
Kirpalani et coll.[22] (n=451) ont fait part des résultats chez les nourrissons de 18 à 21 mois d’AG corrigé et n’ont découvert aucune augmentation du risque de décès ou d’atteinte neurodéveloppementale (RR 1,45 [95 % IC 0,94 à 2,21]). Une analyse secondaire post hoc, qui reposait sur une définition moins stricte du retard cognitif (indice de développement mental inférieur à 85), révélait des taux de 45 % par rapport à 34 % en faveur du groupe de seuil élevé : rapport de cotes 1,81 (95 % IC 1,12 à 2,93) (P=0,016).[24] Ces résultats devraient susciter des hypothèses plutôt qu’un changement de pratique (qualité des preuves 1b).
Ainsi, d’après les résultats de l’étude PINT sur les nourrissons prématurés ayant besoin d’une transfusion[22] et l’analyse Cochrane, qui ne décelait aucune différence dans les principaux résultats primaires (décès ou invalidité), il est recommandé d’utiliser le seuil de concentration d’Hb le plus bas lors de la transfusion et de toujours adapter les cibles à l’état de santé du patient.
Selon un essai aléatoire et contrôlé (EAC) auprès de 20 nourrissons de moins de 1 500 g réalisé par Wong et coll.,[25] l’administration de 20 mL/kg de culot globulaire plutôt que 15 mL/kg n’avait pas d’effets sur le recours à d’autres transfusions. Cependant, en raison de limites méthodologiques, il est impossible de tirer des conclusions définitives au sujet de leur efficacité. D’après Paul et coll.[26] qui ont mené un EAC auprès de 13 nourrissons de moins de 1 500 g, l’administration de 20 mL/kg de culot globulaire plutôt que 10 mL/kg s’accompagnait d’un taux plus élevé d’hématocrite, sans vraiment compromettre l’état physiologique des patients. Les différents volumes de transfusion n’avaient toutefois pas été évalués.
La transfusion d’un plus fort volume de sang peut réduire le risque d’exposition à plus d’un donneur (qualité des preuves 2b).
Dans une analyse systématique (27 essais auprès de 2 209 nourrissons), Ohlsson et coll.[27] ont signalé que l’érythropoïétine administrée avant l’âge d’une semaine (par voie intraveineuse [IV] ou sous-cutanée [SC], 70 UI à 2 100 UI par semaine, trois fois par semaine) et maintenue pendant deux à neuf semaines ou jusqu’au congé, réduisait le recours à au moins une transfusion après randomisation (RR 0,79 [95 % IC 0,73 à 0,85]; NST=7). Le risque de rétinopathie des prématurés (RdP) n’augmentait pas (à tous les stades), mais l’administration précoce d’érythropoïétine s’associait à un plus grand risque de grave RdP (stade trois ou plus) : RR 1,4, (95 % IC 1,02 à 2,13); nombre nécessaire pour obtenir un effet nocif (NNEN)=33. Les mêmes auteurs (30 essais auprès de 1 591 nourrissons)[28] ont découvert que l’utilisation plus tardive d’érythropoïétine (entre l’âge de huit et 28 jours), administrée par voie SC, IV ou orale (PO) (de 150 UI/kg/semaine à 2 100 UI/kg/semaine par voie SC, de 200 UI/kg/semaine à 300 UI/kg/semaine par voie IV ou 7 000 UI/kg/semaine par voie PO), réduisait le recours à au moins une transfusion (RR 0,71 [95 % IC 0,64 à 0,79]; NNT=6). Même si on remarque une tendance, le risque de RdP n’est pas significativement plus élevé. On observe une diminution marquée du nombre de transfusions par nourrisson (DM −0,22 [95 % IC −0,38 à −0,06]), mais les nourrissons ne sont probablement pas exposés à moins de donneurs, car la plupart, qu’ils aient été traités rapidement ou tardivement, ont reçu une transfusion avant la randomisation. L’utilisation systématique d’érythropoïétine n’est donc pas recommandée (qualité des preuves 1a).
Dans une autre analyse systématique (deux essais, n=286), Aher et coll.[29] n’ont constaté aucune diminution significative du recours à au moins une transfusion (RR 0,91 [95 % IC 0,78 à 1,06]) ou du nombre de transfusions par nourrisson (DM typique −0,32 [95 % IC −0,92 à 0,29]) lorsque de l’érythropoïétine était administrée rapidement (jusqu’à l’âge de huit jours) ou plus tard (âge d’au moins huit jours). Le groupe d’administration précoce présentait un plus grand risque de grave RdP (RR 1,40 [95 % IC 1,05 à 1,86]; NNEN=6 [95 % IC 3 à 33]) (qualité des preuves 1a).
Dans un EAC réalisé par Gumy-Pause et coll.,[30] une augmentation progressive de la dose d’érythropoïétine d’après la numération absolue de réticulocytes n’était pas plus efficace qu’une dose fixe. De plus, dans un petit EAC[31] qui comportait des limites méthodologiques, des chercheurs ont comparé la prise d’érythropoïétine par voie orale à celle par voie SC et n’ont pas relevé de différence dans la proportion de nourrissons ayant besoin d’une transfusion. Dans le cadre d’un essai de non-infériorité, l’érythropoïétine par voie IV n’était pas inférieure à l’érythropoïétine par voie SC[32] (qualité des preuves 2b).
Ohls et coll.[33] ont réparti au hasard 102 nourrissons de moins de 29 semaines d’AG entre l’administration de darbépoïétine par voie SC (10 mg/kg par semaine), d’érythropoïétine par voie SC (400 U trois fois par semaine) ou d’un placebo jusqu’à l’âge d’une semaine. Les nourrissons ont également reçu des suppléments de fer, de folate et de vitamine E. Cette étude n’était pas un essai d’équivalence, mais la darbépoïétine et l’érythropoïétine réduisaient toutes deux le recours à une transfusion par rapport au placebo (qualité des preuves 2b).
Dans l’ensemble, même si l’érythropoïétine s’associe à une diminution du nombre de transfusions, les nourrissons ne sont peut-être pas exposés à moins de donneurs, et les craintes d’un plus grand risque de RdP persistent. Ainsi, il faut réserver l’utilisation de l’érythropoïétine aux patients dont les parents ont refusé les autres produits sanguins.
Dans une analyse systématique Cochrane (26 essais auprès de 2 726 nourrissons) menée en 2012, Mills et coll.[34] n’ont relevé aucun avantage hématologique à l’administration de suppléments de fer jusqu’à l’âge de 8,5 semaines. Ils n’ont pas évalué les besoins de transfusion. Selon une autre analyse systématique (15 études) réalisée la même année par Long et coll.,[35] les résultats étaient similaires : seulement trois études portaient sur les transfusions, et dans deux études sur trois, le traitement par le fer n’avait aucun effet. Dans une étude,[36] les chercheurs avaient sélectionné au hasard 133 nourrissons de moins de 1 301 g afin qu’ils reçoivent des suppléments de fer (2 mg/kg/jour) lorsque leurs boires attei-gnaient 100 mL/kg/jour ou qu’ils avaient l’âge de 61 jours. Moins de nourrissons du groupe ayant reçu du fer tôt recevaient des transfusions après l’âge de 14 jours, mais bon nombre en avaient reçu avant l’âge de sept jours.
Taylor et coll.[37] ont sélectionné au hasard 153 nourrissons de moins de 1 500 g qui ont reçu des suppléments de fer (2 mg/kg/jour) en plus de leur préparation enrichie de fer ou du lait maternel exprimé après que leurs boires eurent atteint 120 mL/kg/jour, et ce, jusqu’à 36 semaines d’AG corrigé ou jusqu’à leur congé de l’hôpital. Joy et coll.[38] ont sélectionné au hasard 93 nourrissons de moins de 1 500 g qui devaient recevoir 2 mg/kg/jour de fer élémentaire à l’âge de deux ou six semaines. Dans ces études, on ne constatait pas de différence significative quant au recours aux transfusions ou au nombre de transfusions par nourrisson. Dans un autre petit EAC réalisé par Fujiu et coll.,[39] les nourrissons qui recevaient 4 mg/kg/jour de fer à compter de l’âge de 20 jours, en moyenne, n’étaient pas plus avantagés que ceux qui prenaient un placebo. Les deux groupes recevaient de l’érythropoïétine (400 U/kg/semaine).
Dans l’ensemble, aucune donnée ne démontre les bienfaits d’une thérapie par suppléments de fer pour prévenir ou réduire le recours aux transfusions de sang pendant la période néonatale. Cependant, il est établi que l’administration de doses physiologiques de suppléments de fer (de 2 mg/kg/jour à 3 mg/kg/jour, ou de 4 mg/kg/jour à 6 mg/kg/jour si on pense que le nourrisson souffre d’une carence en fer), une fois l’alimentation orale complète établie, améliore les taux d’hémoglobine et de ferritine au bout de deux mois de traitement et réduit le risque d’anémie ferriprive (de même que le risque conjoint de fonction cognitive inférieure) jusqu’à l’âge d’un an.[34][40] Les suppléments de lait maternel et les préparations lactées enrichies pour les nourrissons prématurés contiennent au moins 2 mg/kg/jour de fer pour les nourrissons qui n’ont pas à réduire leur consommation de liquides (qualité des preuves 2b).
Les auteurs ont relevé six études (auprès de 200 nourrissons de moins de 1 500 g et de 145 nourrissons de moins de 1 000 g) sur l’analyse simultanée de la mesure du dioxyde de carbone (CO2) dans le sang et de la mesure non invasive du CO2. Quatre (n=723) portaient sur le CO2 en fin d’expiration, une sur le CO2 transcutané (n=46) et une sur ces deux types de CO2 (n=37).[41]-[46] La corrélation entre le CO2 dans le sang et le monitorage non invasif était acceptable (coefficient de corrélation de 0,55 à 0,82). Chez les nourrissons ayant une maladie pulmonaire importante, le CO2 en fin d’expiration peut différer considérablement de la pression partielle du CO2 dans le sang en raison des volumes élevés d’espace mort. Aucune donnée n’indique que les dispositifs de monitorage seraient moins précis chez les nourrissons de TPPN (qualité des preuves 3b).
Dans une analyse systématique (22 essais, 1 628 nourrissons),[47] on constatait une excellente corrélation entre la bilirubine transcutanée et la bilirubine sérique dans l’ensemble de la population, y compris les nourrissons âgés de moins de 32 semaines et de moins de 29 semaines (deux études). Les évaluations de biais et la précision des deux dispositifs à l’essai étaient comparables à celles déclarées pour la population à terme. Selon ces observations, les dispositifs de bilirubine transcutanée peuvent être utilisés comme outil de dépistage et ainsi contribuer à réduire les prélèvements de sang (qualité des preuves 2a). Aucune étude n’a porté sur les effets de la mesure de la bilirubine transcutanée sur le recours aux transfusions sanguines chez les nouveau-nés prématurés.
Deux études comparaient les valeurs d’Hb obtenues par co-oxymétrie de pouls (Masimo Corporation, États-Unis) aux valeurs de laboratoire (total de 83 nourrissons; 213 échantillons appariés). La corrélation déclarée était modérée (0,75 et 0,758), avec un biais de 0,1±1,56 g/dL et 0,86±3,4 g/dL.[48][49] Une troisième étude a porté sur la corrélation entre les mesures streptoscopiques de l’Hb (au moyen d’un dispositif transcutané : Mediscan 2000 [Mediscan Systems, Inde]) chez 80 nouveau-nés (d’un âge moyen de 29,5 semaines). Le coefficient de corrélation était élevé (0,96 à 0,99) dans 313 observations[50] (qualité des preuves 4).
Bien qu’il n’y ait pas de données probantes directes pour démontrer que le monitorage non invasif réduit le recours aux transfusions, l’utilisation opportune de ces dispositifs peut diminuer le recours aux tests sanguins et, indirectement, aux transfusions.
En général, les tests au point de service comprennent des évaluations des nourrissons à risque à leur chevet au moyen de très petites quantités de sang et donnent des résultats immédiats. Mahieu et coll.[8] (n=1397) ont remarqué des diminutions importantes du nombre de transfusions par nourrisson (2,53 par rapport à 1,57) au sein de la proportion de nourrissons qui avaient besoin d’une transfusion, de même que des pertes par phlébotomie après la mise en service d’un analyseur au point de service (électrolytes, gaz, hémoglobine, bilirubine) à l’USIN, même si le nombre de tests effectués demeurait similaire. Madan et coll.[11] (n=80) ont également constaté une diminution du nombre de transfusions et de perte par phlébotomie par nourrisson. Il faudrait envisager d’effectuer des tests au point de service chez les nourrissons prématurés. Cette stratégie exige l’appui du laboratoire de biochimie de l’établissement et le respect des normes d’agrément (qualité des preuves 4).
Widness et coll.[51] ont fait un essai aléatoire du monitorage intravasculaire (in-line monitoring technique) des gaz sanguins et de la biochimie du sang et l’ont comparé aux résultats d’un analyseur de table auprès d’une population de grands prématurés (n=93). Ils ont observé une réduction des transfusions sanguines pendant la première semaine et une diminution des pertes par phlébotomie pendant les deux premières semaines de l’étude. Moya et coll.[52] ont examiné les lectures d’un autre analyseur des gaz sanguins intravasculaire (système Sensicath [Optical Sensors Inc., États-Unis]) auprès de 44 nourrissons prématurés. Pendant les six jours d’utilisation, le cathéter intravasculaire réduisait les pertes par phlébotomie, mais ils n’ont pas observé de diminution du recours aux transfusions. Dans les deux études, la nécessité d’avoir un cathéter artériel en place limitait l’utilisation de ces techniques. Bien que les données probantes liées au monitorage intravasculaire continu se soient révélées prometteuses, elles sont limitées. De plus, l’utilisation clinique de ce type de monitorage est restreinte par la présence d’un cathéter artériel à demeure (qualité des preuves 2b et 3b).
Beardsall et coll.[53] ont étudié l’exactitude d’un système de monitorage SC en continu de la glycémie chez les nourrissons de TPPN (n=188). Même si ce système était bien toléré, il ne respectait pas la norme de moins de 10 % d’erreur par échantillon, promulguée par l’American Diabetes Association, particulièrement lorsque la glycémie était basse. Une étude menée par Baumeister et coll.[54] (n=10) faisait appel à un cathéter SC de microdialyse et constatait une bonne corrélation entre la technique sérique et la technique de microdialyse, de même qu’une sensibilité diagnostique suffisante pour déceler une faible glycémie sérique (qualité des preuves 4).
Sur le plan technique, il est difficile de prélever du sang chez les nourrissons prématurés. Il faut être habile et expérimenté pour prélever du sang veineux ou artériel. Le prélèvement de sang capillaire est plus facile. Cependant, il n’existait aucune publication pour déterminer si une technique était supérieure à l’autre afin de réduire au minimum la perte de sang ou la nécessité de reprendre les tests en raison de problèmes de prélèvements.
Il n’y a pas de donnée probante pour déterminer ce qui constitue un prélèvement de sang de routine chez les très grands prématurés à l’USIN. Cependant, dans une analyse, Carroll et coll.[55] ont si-gnalé une importante variabilité entre les unités quant à la quantité de sang prélevé jusqu’à l’âge de deux semaines (dans une étude, la différence pouvait atteindre 100 %).[56] Lin et coll.[57] ont également souligné des pertes par phlébotomie dépassant les quantités nécessaires pour l’analyse. Le volume moyen de prélèvement excédentaire était de 19,0±1,8 % dans une étude de cohorte monocentrique. Les tubes de prélèvement sanguin non identifiés, un poids inférieur à 1 kg à la naissance, la perception de devoir prélever un seul échantillon et le phlébotomiste en cause contribuaient tous aux prélèvements excédentaires (qualité des preuves 4).
D’après les résumés des données probantes décrites ci-dessus, les conseils suivants visent à limiter la perte de sang et le recours aux transfusions chez les très grands prématurés :
Il faut envisager des doses physiologiques de suppléments (de 2 mg/kg/jour à 3 mg/kg/jour, ou de 4 mg/kg/jour à 6 mg/kg/jour chez les nouveau-nés qui ont une carence en fer) (catégorie de recommandation D).
Le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie a révisé le présent document de principes.
COMITÉ D’ÉTUDE DU FŒTUS ET DU NOUVEAU-NÉ DE LA SCP
Membres : Ann L Jefferies MD (présidente sortante), Thierry Lacaze-Masmonteil MD (président), Leigh Anne Newhook MD (représentante du conseil), Leonora Hendson MD, Brigitte Lemyre MD, Michael R Narvey MD, Vibhuti Shah MD, S Todd Sorokan (membre sortant)
Représentants : Linda Boisvert inf., Association canadienne des infirmières et infirmiers en néonatologie; Andrée Gagnon MD, Le Collège des médecins de famille du Canada Canada; Robert Gagnon MD, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada; Juan Andrés León MD, Agence de la santé publique du Canada; Patricia A O’Flaherty M. Sc. inf., M. Éd., Canadian Perinatal Programs Coalition; Eugene H Ng MD, section de la médecine néonatale et périnatale de la SCP; Kristi Watterberg MD, comité d’étude du fœtus et du nouveau-né, American Academy of Pediatrics
Auteurs principaux : Brigitte Lemyre MD, Megan Sample MD, Thierry Lacaze-Masmonteil MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 février 2024