Document de principes
Affichage : le 11 août 2017
Brigitte Lemyre, Gregory Moore; Société canadienne de pédiatrie, Comité d’étude du fœtus et du nouveau-né
Paediatr Child Health 2017;22(6):342–50. Annexe
Il est complexe et délicat de donner des conseils aux couples qui font face à la naissance d’un extrême prématuré. C’est un processus qui comporte à la fois des difficultés et des possibilités. Le présent document de principes révisé fait appel à une démarche fondée sur le pronostic, qui tient compte de la meilleure évaluation de l’âge gestationnel et d’autres facteurs, tels que le poids estimatif du fœtus, l’administration d’une corticothérapie prénatale, une grossesse monofœtale ou multiple, l’état et les anomalies du fœtus à l’échographie et le lieu de l’accouchement. Le présent document de principes, qui met à jour des données sur la survie au Canada, sur les incapacités neurodéveloppementales à long terme qui se manifestent à l’âge scolaire et sur la qualité de vie, est axé sur les stratégies visant une communication efficace avec les parents. Il contient également un cadre pour déterminer les options de prise en charge en fonction du pronostic à proposer aux parents au début du processus décisionnel. Il remplace celui de 2012.
Mots-clés : ANCS, Decision making, Extremely preterm infant, NDD, QOL, SDM
L’extrême prématurité s’associe à des difficultés et à des possibilités sur le plan médical, social et éthique. Même si les extrêmes prématurés présentent un taux de mortalité et de morbidité élevé par rapport aux nouveau-nés à terme, chaque cas est lié à une incertitude pronostique [1]. Cette incertitude explique en partie les difficultés éthiques liées à la formulation d’un plan d’action dans l’intérêt supérieur de chaque nouveau-né.
Certains estiment que les extrêmes prématurés devraient recevoir des soins intensifs aussi énergiques que ceux qui sont offerts aux enfants plus âgés ayant des risques de morbidité et de mortalité comparables. Chaque enfant, chaque situation et chaque famille sont uniques. Ainsi, les décisions de prise en charge peuvent varier considérablement d’une famille à l’autre [1]-[3].
Il n’y a pas d’unanimité quant à la démarche et à la prise en charge [4]. Les parents et les professionnels de la santé (PdS) ont chacun vécu leurs expé riences personnelles et professionnelles, possèdent leurs propres systèmes de valeurs et interprètent les données médicales à leur façon. Ces facteurs façonnent leurs jugements moraux sur la notion d’intérêt supérieur. Les PdS attribuent une moins bonne qualité de vie (QdV) aux adolescents nés avec une extrême prématurité que les parents et les adolescents présentant des incapa cités connexes [5]. Des recherches récentes ont fait ressortir le rôle de la famille dans les prises de décisions, la manière de communiquer privilégiée et l’importance d’informer les parents de la QdV anticipée. De plus, depuis quelques années, on signale de plus en plus de prématurés qui survivent à une naissance à 22 semaines d’âge gestationnel (AG) [6][7]. Les PdS doivent se rappeler que la plupart des accouchements représentent une source d’espoir pour les familles, malgré une extrême prématurité.
Le présent document de principes contient une mise à jour des recommandations visant à aider les PdS et les familles à prendre en charge la naissance anticipée d’un extrême prématuré. Il vise à analyser les facteurs de risque à envisager dans le processus décisionnel, à fournir un cadre de participation des parents au processus décisionnel et à suggérer des niveaux de soins en fonction des risques estimatifs de mortalité et d’incapacité neurodéveloppementale (IND). Il ne s’attarde pas sur les soins obstétricaux de la mère. Aux présentes, les termes « parents » et « famille » peuvent désigner une personne ou un couple qui attendent un bébé ou dont l’enfant est déjà né.
Les recommandations portent sur les enfants qui naissent entre 220 et 256 semaines d’AG. À; tout AG, on peut observer des lésions congénitales dévastatrices, une situation clinique ou une conjoncture familiale qui incitent à envisager des soins palliatifs. Au pays, les soins palliatifs sont la norme chez les enfants nés à 21 semaines d’AG ou moins.
Des recherches ont été réalisées dans les bases de données MEDLINE, EMBASE, Cochrane Database of Systematic Reviews et CENTRAL entre 2013 et 2015. Les termes de recherche étaient outcomes (IND entre l’âge de quatre et huit ans et QdV) for infants born extremely preterm, antenatal corticosteroid use and risks of maternal morbidity related to delivering preterm et shared decision making and communication with parents. Pour ce qui est des études liées à l’IND, la tranche d’âge de quatre à huit ans est plus indicatrice d’une incapacité à long terme qu’un suivi effectué à un âge moins avancé [8]. Pour garantir un plus grand éventail de compétences, des intervenants nationaux ont participé à un processus de consultation pour donner leur point de vue, lequel incluait l’utilisation d’outils validés. Les définitions (AG, IND, soins intensifs précoces et soins palliatifs) figurent à l’annexe.
L’échographie est la méthode la plus précise pour déterminer l’AG (sauf en cas de fertilisation in vitro) [9], et la distance vertex-coccyx au premier trimestre, la méthode de datation la plus précise à trois à huit jours près [9][10]. Le degré d’imprécision augmente avec l’AG (à plus ou moins dix jours près entre 16 et 22 semaines de grossesse et à plus ou moins deux semaines près à 24 semaines de grossesse) [11]-[13]. Malgré ces limites, il est essentiel d’établir un AG précis pour orienter les conseils, la prise en charge et le soutien de la famille.
Le taux de mortalité et de morbidité néonatales est plus faible chez les extrêmes prématurés qui naissent dans un centre périnatal de soins tertiaires que chez ceux qui naissent dans un centre de soins non tertiaires [14]. Le transfert des femmes à risque d’accoucher d’un extrême prématuré vers un centre périnatal de soins tertiaires assure de meilleurs soins à la mère et permet à des spécialistes de la santé fœtomaternelle et à des néonatologistes de conseiller les futurs parents. Lorsque le transfert est impossible et que l’accouchement dans un centre de soins non tertiaires est anticipé, les décisions de prise en charge de la mère et du nouveau-né doivent tenir compte des ressources, des limites éventuelles du milieu et des compétences locales pour déterminer le pronostic de l’enfant.
Le débat sur les bienfaits d’administrer une corticothérapie prénatale (CTP) aux mères avant 24 semaines d’AG se poursuit, car celles-ci étaient exclues des études colligées dans la déclaration consensuelle des National Institutes of Health [15]. Depuis, des données obtenues sur des animaux [16] et plusieurs grandes études rétrospectives de cohorte ont démontré que l’utilisation d’une CTP améliore le taux de survie des nouveau-nés de moins de 24 semaines d’AG [17]-[20]. Il faut offrir une CTP aux femmes à risque d’accoucher d’un extrême prématuré à compter de 22 semaines d’AG lorsque les soins intensifs précoces font partie des options de prise en charge. Il n’est pas toujours évident d’établir le moment de l’administrer, car le risque d’accoucher d’un extrême prématuré est difficile à évaluer et la CTP atteint son efficacité maximale seulement sept jours après la dernière dose [21]. Même si certains essais sur les doses répétées de CTP semblent indiquer la possibilité d’une atteinte du fœtus et de la mère, une récente analyse systématique a démontré une diminution du risque de syndrome de détresse respiratoire et d’autres morbidités néonatales chez les enfants nés après que la mère eût reçu au moins une série de CTP, sans effets nocifs plus tard pendant l’enfance [22][23].
Selon trois récents rapports scientifiques, les données actuelles n’appuient pas systématiquement la césarienne pour améliorer le pronostic néonatal des extrêmes prématurés [1][24][25]. Les césariennes pratiquées très tôt pendant la grossesse comportent des risques importants pour la mère, surtout après une incision classique [26]-[31]. Les parents et les PdS obstétricaux devraient s’entendre sur le mode d’accouchement optimal, et ce, en soupesant attentivement les risques potentiels à court et à long terme (y compris le décès fœtal in utero) par rapport aux avantages.
De nombreux facteurs médicaux et non médicaux contribuent aux décisions de prise en charge des extrêmes prématurés. Il ne faut donc pas se fier seulement à l’AG pour prédire les résultats cliniques et formuler des recommandations. Parmi les considérations médicales, soulignons l’évaluation du risque de mortalité en bas âge, du risque d’IND et de la QdV à plus long terme [32]. Une explication claire et franche des limites des données actuelles s’impose auprès des futurs parents.
Une analyse systématique de la survie a porté sur les enfants qui pesaient moins de 1000 g ou qui avaient moins de 28 semaines d’AG à la naissance [33]. Les chercheurs ont constaté une importante variation du taux de survie dans les 51 études recensées, surtout attribuable aux dénominateurs utilisés. Cette variation peut également s’expliquer par des différences du risque de base, par les thérapies prénatales et postnatales ou par l’abstention ou l’arrêt des interventions essentielles au maintien de la vie. Les deux dernières variables dépendent du PdS ou de la variation des pratiques approuvées dans une société donnée [7]. Ce risque de biais de sélection démontre à quel point il est important que les PdS comprennent les limites des données sur la survie et qu’ils les divulguent aux parents.
L’information la plus pertinente pour les parents du Canada est axée sur la population (canadienne) et, idéalement, dépend des données des établissements locaux. Entre 2010 et 2015, les unités qui ont fourni des données au Réseau néonatal canadien (RNC) ont enregistré 3830 naissances vivantes à moins de 26 semaines d’AG. Au tableau 1 figurent les données sur la survie jusqu’au congé de l’unité de soins intensifs néonatals (USIN, en excluant les mortinaissances). Le RNC recense des données globales sur la population d’enfants nés à moins de 22 semaines d’AG. La survie est très rare en deçà de 22 semaines. En effet, seulement quatre cas ont été signalés pendant la période indiquée (P. Chan, communication personnelle). Le site Web du RNC (www.canadianneonatalnetwork.org) fournit des données à jour, en anglais.
Taux de survie au Canada, de 2010 à 2015 |
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AG (semaines + jours) | Nombre de naissances vivantes (n) | Nouveau-nés qui ont reçu des soins palliatifs à la naissance (n, % de naissances vivantes) | Nouveau-nés qui ont reçu des soins intensifs précoces à la naissance (n, % de naissances vivantes) | Nouveau-nés qui ont reçu des soins intensifs précoces et qui sont décédés en salle d’accouchement (n, %) | Nouveau-nés qui ont reçu des soins intensifs précoces, puis obtenu leur congé de l’USIN (n, %; IC à 95 %) |
≤226 | 332 | 226 (68 %) | 106 (32 %) | 56 (53 %) | 19 (18 %; 11, 25 %) |
230 à 236 | 723 | 196 (27 %) | 527 (73 %) | 82 (16 %) | 218 (41 %; 37, 45 %) |
240 à 246 | 1200 | 68 (6 %) | 1132 (94 %) | 26 (2 %) | 753 (67 %; 64, 70 %) |
250 à 256 | 1575 | 24 (1,5 %) | 24 (1,5 %) | 66 (4 %) | 1225 (79 %; 78, 80 %) |
AG âge gestationnel; IC indice de confiance; USIN unité de soins intensifs néonatals |
Les résultats d’une récente analyse systématique et méta-analyse sur neuf cohortes de qualité [34] sont résumés au tableau 2. Il n’y avait pas de différences statistiquement significatives quant au risque de grave IND par semaine d’AG, mais le risque d’IND modérée à grave diminuait d’un taux statistiquement significatif de 6 % à chaque nouvelle semaine d’AG. Le déficit cognitif, suivi de la paralysie cérébrale, était l’affection la plus fréquente. Les déficits visuels et auditifs étaient moins courants.
Taux d’IND grave ou modérée à grave chez des enfants de quatre à huit ans ayant survécu à une extrême prématurité |
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Âge gestationnel | Taux de grave IND (%, IC à 95 %) | Taux d’IND modérée à grave (%, IC à 95 %) |
22 semaines (n=12 à la fois pour le taux d’IND modérée et le taux d’IND modérée à grave) | 31 % (12,61) | 43 % (21,69) |
23 semaines (n=73 pour le taux de grave IND et n=75 pour le taux d’IND modérée à grave) | 17 % (9,28) | 40 % (27,54) |
24 semaines (n=175 pour le taux de grave IND et n=210 pour le taux d’IND modérée à grave) | 21 % (14,30) | 28 % (18,41) |
25 semaines (n=337 pour le taux de grave IND et n=441 pour le taux d’IND modérée à grave) | 14 % (10,20) | 24 % (17,32) |
*La plupart des enfants n’ont pas d’IND ou ont seulement une IND légère. On estime qu’ils forment 57 % de la population à 22 semaines, 60 % à 23 semaines, 72 % à 24 semaines et 76 % à 25 semaines d’AG. Une IND légère inclut des troubles neurocomportementaux (p. ex., autisme, déficit d’attention) auxquels l’enfant et sa famille risquent d’éprouver de la difficulté à s’adapter. |
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IC indice de confiance; IND incapacité neurodéveloppementale |
Les PdS et les parents doivent comprendre les limites de ces données : petit échantillonnage et vastes intervalles de confiance à 22 et 23 semaines d’AG, nombre inconnu d’enfants ayant une seule atteinte plutôt que plusieurs, variations de la définition et de l’appellation d’IND en fonction des PdS (particulièrement les cas « graves » par rapport aux cas « modérés ») qui ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la réalité des parents, absence d’information sur les atteintes légères ou les autres types d’atteinte (p. ex., comportementales) et absence de corrélation entre le degré d’IND et la QdV [5]. Un exemple démontre clairement ces limites : un enfant ayant une grave atteinte cognitive et une paralysie cérébrale importante et un enfant ayant une surdité isolée non corrigible seraient tous deux considérés comme ayant une grave IND.
Une analyse systématique réalisée en 2013 a évalué la QdV autodéclarée des adolescents et des adultes qui étaient d’extrême petit poids à la naissance (EPPN) ou de très petit poids à la naissance (TPNN) [5][35]-[40]. Presque toutes les études ne révélaient aucune différence significative des scores de QdV autoévalués au sein de ces populations par rapport à celle de leurs homologues à terme. Les deux groupes trouvaient qu’ils avaient une bonne QdV. Cependant, puisqu’il s’agissait de données autodéclarées, les personnes ayant de graves incapacités n’étaient pas en mesure de participer à certaines études. L’analyse comportait également deux autres limites : aucune étude ne portait uniquement sur des enfants nés entre 22 et 25 semaines d’AG, et les données sur les enfants de TPPN ou d’EPPN nés entre 1970 et 1995 ne s’appliquent probablement plus aux enfants d’aujourd’hui [41]. Une étude présentant une répartition en fonction de l’AG n’a établi aucune différence significative des scores de QdV chez les adolescents nés entre 23 et 27 semaines d’AG [40]. Ainsi, d’après les résultats globaux, la plupart des adolescents ou des jeunes adultes de TPPN ou d’EPPN classent leur QdV comme « bonne », mais les mesures de QdV in dividuelles varient considérablement.
Une analyse systématique effectuée en 2013 a fait appel à diverses périodes de déclaration et à divers outils pour évaluer la QdV chez les personnes qui s’occupent d’enfants de TPPN ou d’EPPN [42]-[53]. La période variait entre un et 25 ans après l’accouchement, et les mères ont effectué la majorité des évaluations. La plupart des études relevaient une augmentation du stress pare ntal et des effets négatifs sur le fonctionnement familial et les finances des pa rents d’enfants de TPPN ou d’EPPN par rapport à ceux d’enfants nés à terme. Toutefois, certains effets s’amélioraient au fil du temps. Dans une étude [47] qui assurait le suivi de ces enfants jusqu’au début de l’âge adulte, les parents trouvaient que leur expérience avait resserré les liens familiaux et amélioré leur perception d’eux-mêmes et leurs compétences parentales. Les effets de la naissance d’un enfant de TPPN ou d’EPPN sur le taux de divorce sont ambigus. Malgré des conséquences négatives globales par rapport aux sujets témoins ayant eu des enfants à terme, de nombreux parents de ces enfants n’ont pas déclaré de détresse ou de fardeau de soins supplémentaires. Dans l’ensemble, la QdV des parents semble extrêmement individualisée et tributaire des conjonctures et caractéristiques familiales.
Les taux de survie s’améliorent et les chances de survie sans IND modérée à grave augmentent à chaque nouvelle semaine d’AG, mais ces avantages peuvent être neutralisés par d’autres facteurs pronostiques. Ainsi, il faut tenir compte du poids à la naissance (par incréments de 100 g), des naissances monofoetales (plutôt que multiples), de la prestation d’une CTP et du sexe (les nourrissons de sexe masculin étant désavantagés) [54]-[55]. Chacun de ces facteurs peut modifier les résultats cliniques autant qu’une nouvelle semaine d’AG.
Un outil graphique canadien associe le poids à la naissance et l’AG pour prédire la survie sans morbidité à court terme jusqu’au congé de l’hôpital [56]. Parmi les autres facteurs pronostiques, soulignons le nombre de nouvelles journées pendant la semaine de grossesse (p. ex., 231 plutôt que 236) [57] et l’accouchement à l’extérieur d’un centre périnatal de soins tertiaires. Enfin, l’évolution de l’extrême prématuré à l’USIN influe également sur son pronostic à long terme. Les saignements intracrâniens, la leucomalacie périventriculaire, la rétinopathie des prématurés, la dysplasie bronchopulmonaire, le sepsis, le nombre de jours sous ventilation mécanique et la nutrition (lait maternel) semblent avoir une incidence sur les résultats cliniques [58]-[62]. D’autres diagnostics cliniques, la situation socioéconomique des parents et les interventions après le congé peuvent également entrer en jeu, mais l’analyse détaillée de ces facteurs dépasse la portée du présent document de principes.
Il serait préférable que les PdS rencontrent plusieurs fois les parents qui anticipent la naissance d’un extrême prématuré afin de leur transmettre de l’information et qu’ils envisagent un plan de soins avec eux, notamment à mesure que la grossesse progresse ou que de nouveaux renseignements émergent. De nombreux parents déclarent se sentir en détresse, vulnérables et éplorés à la perspective de donner naissance à un extrême prématuré [63]. Des études qualitatives font foi d’un certain « écart » entre l’information transmise par les PdS et les souvenirs des parents [64]-[65].
L’information écrite favorise la compréhension et le rappel des faits [66]. Pour les futurs parents, il est important de recevoir de l’information homogène et précise. La communication entre les équipes obstétricale et néonatale au sujet des consultations, de même que la consignation d’information claire dans le dossier de la mère sur le plan de soins conjoint, favorise la constance et l’adhérence à ce plan [24]. Il faut une formation spécialisée pour informer les parents de la périviabilité, des résultats cliniques possibles et des décisions difficiles à prendre [67]-[69]. Ainsi, les stagiaires doivent avoir acquis des compétences spécialisées avant d’effectuer des consultations sans supervision. La participation de pairs formés qui agissent comme conseillers peut apporter un soutien supplémentaire aux parents.
La prise de décision partagée (PDP) est l’approche à privilégier pour prendre des décisions qui tiennent compte des préférences, ce qui inclut les décisions prises en l’absence de données probantes pour appuyer un traitement plutôt qu’un autre, parmi diverses options aux avantages et risques intrinsèques différents ou en tenant compte des valeurs des parents. La PDP peut atténuer la tristesse des parents à l’égard des décisions de fin de vie, accroître leurs connaissances et leur satisfaction envers les soins, contribuer à des décisions respectueuses de leurs valeurs et favoriser la collaboration avec l’équipe soignante [70]-[73].
Les principales étapes du processus de PDP consistent à convenir qu’il y a une décision à prendre (conversation sur les choix), à passer les diverses options en revue (conversation sur les diverses options) et à offrir du soutien pour que les parents déterminent ce qui compte le plus pour eux (conversation sur la décision) [74]. Les compétences des PdS reposent sur leur capacité à déceler les principaux facteurs biologiques et médicaux qui influent sur la survie et le pronostic à long terme, alors que la famille connaît plutôt les caractéristiques socioenvironnementales et familiales qui auront une incidence sur le pronostic de leur enfant (p. ex., finances, ressources disponibles, soutien de la famille élargie). Ces caractéristiques sont difficiles à mesurer, mais doivent toutes être examinées pendant le processus de PDP.
La plupart des parents souhaitent pouvoir compter sur un « modèle » de PDP pendant les consultations prénatales, une pratique fortement recommandée en milieu périnatal [63][75][76]. Certains parents préfèrent toutefois une approche ou des recommandations plus directives. Il faut personnaliser l’approche auprès de chaque famille en fonction des besoins et des désirs qu’elle exprime. Une formation officielle en PDP aide les PdS à optimiser la participation des parents au processus vers une décision éclairée [65]. Il ne faut jamais présumer du rôle que les parents s’attendent à jouer dans la prise de décision. Certains parents répugnent à porter le fardeau des décisions, tandis que d’autres veulent y participer, mais ne savent pas comment [77].
Il existe des aides à la décision pour les parents qui sont sur le point d’avoir un enfant prématuré [78][79]. L’« accompagnement » à la décision, au cours duquel un PdS formé donne des conseils personnalisés et non directifs aux parents, est souvent utilisé conjointement avec d’autres aides à la décision pour faciliter la PDP [80][81]. Au tableau 3 sont énumérées des stratégies pour communiquer avec les parents en toute efficacité, les faire participer aux décisions, établir clairement leurs valeurs et leurs préférences et orienter la consultation prénatale [64][82]-[86]. L’objectif est la PDP, mais elle n’est pas toujours envisa geable, en raison de la situation clinique (un travail qui progresse rapidement ou la diminution du niveau de conscience de la mère à cause de la prise de narcotiques ou d’un médicament prescrit).
Stratégies pour faciliter les communications avec les futurs parents pendant une consultation prénatale (modifier l’ordre ou adapter le contenu, au besoin) |
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Phases de consultation | Principaux points |
Préparation à la consultation | |
Se préparer et tenir compte du milieu. |
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Créer un environnement agréable. |
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Évaluer les connaissances des parents sur les questions de prématurité, en tenant compte des points de vue, des inquiétudes, des besoins et des préférences. |
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Pendant la consultation | |
S’assurer de discuter des facteurs que les parents jugent importants (p. ex., leur demander ce qui est important pour eux). |
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Discuter des diverses options. |
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Transmettre de l’information pondérée et équilibrée. |
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Adopter d’autres stratégies pour stimuler la confiance. |
Remarque : Pour obtenir un consentement éclairé en vue d’un plan de prise en charge, il faut à tout le moins transmettre de l’information précise adaptée aux besoins des parents sur le risque de décès et d’IND et la possibilité que l’enfant survive, avec ou sans IND. |
Faire preuve de compassion et admettre la détresse des parents. |
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Conclusion de la consultation | |
Offrir du soutien aux parents et leur donner des espoirs réalistes. |
Convenez que leur situation est très difficile et que leurs réactions sont compréhensibles. |
Traduction et adaptation autorisées de la référence [89] IND incapacité neurodéveloppementale; PdS professionnels de la santé; USIN unité de soins intensifs néonatals |
Compte tenu du pronostic de l’enfant, les PdS présentent généralement une ou deux grandes options de prise en charge pendant la consultation prénatale : les soins intensifs précoces (avec réévaluation continue) ou les soins palliatifs. Le pronostic repose sur toute l’information disponible au moment de la consultation et contribue à déterminer les possibilités de prise en charge à proposer.
Lorsque le PdS détermine que les soins intensifs précoces et les soins pal liatifs sont tous les deux envisageables, les parents devraient participer à une PDP, et il faudrait respecter leurs décisions au sujet des soins qu’ils jugent appropriés pour leur enfant. S’il existe une approche habituelle des soins, le PdS doit l’expliquer aux parents et préciser les raisons pour lesquelles d’autres options pourraient (ou non) être retenues. Tout au long du processus, le PdS doit encourager les parents à exprimer leurs pensées et leurs opinions. Il doit les écouter, s’assurer qu’ils comprennent l’information qui leur est transmise et obtenir leur consentement pour agir. Idéalement, le processus décisionnel est étalé dans le temps, et tant le PdS que les parents sont en mesure de constater, d’énoncer et de gérer les divers degrés d’incertitude pronostique.
Il n’y a pas de réponses universelles à certaines questions cliniques difficiles, et c’est pourquoi la participation des parents, les discussions éthiques et la réflexion personnelle sont des aspects si importants des soins. Quels facteurs déterminent s’il faut d’abord demander aux parents de choisir entre les soins intensifs précoces et les soins palliatifs ou leur recommander l’une des possibilités plutôt que l’autre? Quels résultats cliniques correspondent à cette décision? Quelle probabilité de décès anticipé justifie l’absence de soins intensifs? Quelle gravité ou probabilité d’IND peut justifier l’absence de soins intensifs? Quelle probabilité de survie anticipée justifie d’ignorer la demande de soins palliatifs des parents? De toute évidence, dans bien des cas, ces questions et d’autres questions difficiles sont soulevées. Le portrait clinique, l’expérience des PdS et la participation des parents sont tous des facteurs qui éclairent le processus décisionnel. Le tableau 4 présente un cadre pour appuyer les principales délibérations.
Niveaux de soins pour l’extrême prématuré en fonction des risques de mortalité ou d’IND anticipés |
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Évaluation du risque de mortalité anticipé ou d’IND à long terme | Niveau de soins suggéré | Exemples cliniques qui respectent souvent l’évaluation du risque |
Probabilité extrêmement élevée de mortalité ou de grave IND* | Des soins palliatifs sont recommandés.** |
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Probabilité de mortalité modérée à élevée ou d’IND modérée à grave | Des soins intensifs ou des soins palliatifs sont tous deux des options habituelles. |
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Faible probabilité de mortalité ou d’IND modérée à grave | Des soins intensifs sont recommandés.** |
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*Dans une majorité évidente des cas, l’évaluation du risque d’incapacité neurodéveloppementale (IND) n’atteint pas la catégorie de « probabilité extrêmement élevée ». La plupart des cas où les soins palliatifs sont recommandés sont généralement liés à une « probabilité extrêmement élevée » de mortalité, malgré des soins intensifs. **Étant donné l’absence d’autorité morale quant au niveau de soins suggéré, les parents peuvent privilégier une option non recommandée. Les professionnels de la santé (PdS) doivent les consulter pour établir le plan de soins de l’enfant. ***Les autres facteurs de risque sont un petit poids de naissance par rapport à l’âge gestationnel (AG), l’absence de corticothérapie prénatale (CTP), une gestation multiple, un AG en début de semaine, une naissance hors d’un centre de soins tertiaires, une choroamnionite aiguë et des anomalies congénitales majeures à l’échographie. |
En général, les PdS recommandent d’entreprendre des soins palliatifs à partir d’un seuil inférieur et des soins intensifs précoces à partir d’un seuil supérieur. Un parent peut être en désaccord avec l’option recommandée. Étant donné l’absence d’autorité morale sur la norme des soins dans ce domaine complexe, une option « non recommandée » est parfois retenue après d’autres discussions éclairées, une période de réflexion et une résolution de conflit [32][87]. Dans certains cas, les parents et le PdS ne parviennent pas à s’entendre sur le traitement de l’enfant. Il incombe aux PdS d’explorer les diverses possibilités de prise en charge avec les parents, mais cette obligation ne couvre pas nécessairement des traitements qui, de toute évidence, dépassent le niveau de soins habituellement prodigués dans le milieu. Dans une telle situation, le PdS doit envisager de demander une deuxième opinion auprès d’un collègue, une consultation éthique ou une analyse du comité d’examen de l’établissement pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant et de sa famille.
Lorsqu’un extrême prématuré naît hors d’un centre de soins tertiaires, une consultation téléphonique ou vidéo avec un néonatologiste peut contribuer à circonscrire les options de prise en charge et la planification des soins en fonction des lieux, des ressources et des compétences locales.
Lorsque le plan de soins est incertain ou qu’il consiste à administrer des soins intensifs précoces, il faut prévoir la présence d’une équipe néonatale à l’accouchement, en mesure de s’occuper du nouveau-né et de faciliter les décisions de prise en charge. Après la naissance d’un extrême prématuré, il y a souvent plusieurs occasions d’en savoir plus sur le pronostic et de réévaluer le plan de soins. Pour donner des soins palliatifs (sélectionnés avant ou après l’accouchement), des PdS doivent se trouver sur place pour superviser des mesures de réconfort personnalisées, y compris tenir le nouveau-né au chaud et réduire au minimum ses malaises et la douleur. Les PdS doivent laisser les parents prendre leur nouveau-né dans leurs bras et passer autant de temps qu’ils le veulent avec lui. Ils doivent également les informer que, même si c’est extrêmement rare, leur nouveau-né pourrait survivre malgré l’absence ou l’arrêt des traitements essentiels au maintien de la vie. Des mesures de réconfort s’imposent pour tous les nouveau-nés mourants, de même qu’une assistance au deuil pour les parents et des possibilités de conserver des souvenirs (p. ex., empreinte des pieds et des mains, photos).
Les données probantes analysées dans le cadre du présent document de principes sont presque toutes de faible ou très faible qualité. Ainsi, pratiquement toutes les recommandations découlent d’opinions d’experts et de consensus [88]. À; l’exception de recherches sur la CTP, les publications fournissent des données relativement indirectes pour soutenir les recommandations, dont la qualité des preuves n’est pas précisée. Des décisions difficiles, qui tiennent compte des préférences et sont axées sur les valeurs, prévalent souvent dans ce secteur des soins.
Nous remercions particulièrement les membres du groupe de travail de l’Ottawa Shared Decision Making for Extremely Premature Infants pour leur apport conceptuel, notamment le docteur Thierry Daboval, Sandra Dunn, Ph. D., et Michael Kekewich, MA, pour leurs commentaires écrits. Nous remercions également les pédiatres qui exercent en région rurale ou éloignée, les néonatologistes et les PdS de 11 USIN canadiennes, la Fondation pour bébés prématurés canadiens et les parents, le comité de bioéthique et le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie, Le Collège des médecins de famille du Canada et la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada pour leur analyse et leurs commentaires pendant le processus de consultation national qui a précédé la rédaction du présent document de principes.
Membres : Leonora Hendson MD, Ann Jefferies MD (présidente sortante), Thierry Lacaze-Masmonteil MD (président), Brigitte Lemyre MD, Michael Narvey MD, Leigh Anne Newhook MD (représentante du conseil), Vibhuti Shah MD
Représentants : Linda Boisvert inf., Association canadienne des infirmières et infirmiers en néonatologie; Radha Chari MD, Société des obstrétriciens et gynécologues du Canada; William Ehman MD, Le Collège des médecins de famille du Canada; Roxanne Laforge inf., Partenariat des programmes périnatals du Canada; Juan Andrés León MD, Agence de la santé publique du Canada; Chantal Nelson Ph. D., Agence de la santé publique du Canada; Eugene H Ng MD, section de la médecine néonatale et périnatale de la SCP; Marianna Ofner, Agence de la santé publique du Canada Canada; Kristi Watterberg MD, comité d’étude du fœtus et du nouveau-né, American Academy of Pediatrics
Auteurs principaux : Brigitte Lemyre MD, Gregory Moore MD
Le présent document de principes privilégie la définition de l’AG contenue dans la 10e révision de la Classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la Santé. Selon cette définition, l’AG désigne les journées ou les semaines révolues depuis le premier jour de la dernière menstruation normale. Ainsi, « 22 semaines » représente la période incluse entre 22 semaines et 0 jour (220)) et 22 semaines et six jours (226). Un extrême prématuré naît entre 22 semaines et 0 jour (220) et 25 semaines et six jours (256).
Le présent document de principes retient les définitions d’IND conformes à celles utilisées dans le prestigieux rapport de cohorte EPICure. Bien qu’elles ne soient absolument pas exhaustives, ces définitions représentent les principales incapacités qui, selon les PdS et les parents, entraîneront des problèmes permanents que les enfants et les familles risquent d’avoir de la difficulté à affronter.[8][90][91] Un enfant qui a une grave IND dépend fortement de ses proches et présente au moins l’une des affections suivantes : grave paralysie cérébrale (incapacité de marcher ou capacité de parcourir de courtes distances à l’aide d’un déambulateur), grave déficit cognitif (plus de trois écarts-types sous la moyenne selon un test d’intelligence standardisé, qui entraîne de graves problèmes d’apprentissage, de communication ou de relations interpersonnelles), cécité, déficience visuelle marquée ou perte auditive profonde impossible à corriger. En cas d’IND modérée, l’enfant est susceptible d’acquérir une certaine autonomie et présente au moins l’une des affections suivantes : paralysie cérébrale modérée (difficulté à marcher ou à effectuer un autre type de mouvement), déficit cognitif modéré (deux ou trois écarts-types sous la moyenne selon un test d’intelligence standardisé, qui entraîne certains problèmes d’apprentissage, de communication ou de relations interpersonnelles), déficience visuelle sans cécité ou perte auditive corrigible. Une IND modérée à grave inclut au moins l’une des incapacités décrites ci-dessus.
En général, les soins intensifs précoces visent à assurer la survie des nouveau-nés, mais ils peuvent aussi donner du temps (un « essai » de soins intensifs) pour évaluer le plan d’action le plus approprié, en consultation avec les parents. Les soins intensifs précoces peuvent signifier une réanimation et des interventions essentielles au maintien de la vie, telles que la ventilation en pression positive (y compris la pression positive continue), l’intubation et la ventilation, les compressions thoraciques ou l’administration de liquides intraveineux et d’adrénaline.
Les soins palliatifs ou les soins de réconfort visent à assurer un certain confort, mais non pas à guérir. Cette forme de soins consiste à assécher le nouveau-né, l’emmailloter, le câliner et lui offrir des contacts peau contre peau. Elle peut aussi inclure l’administration de sucrose par voie orale, de médicaments pour le calmer ou gérer sa douleur, de liquides par voie orale ou de lait. Les extrêmes prématurés qui reçoivent des soins de réconfort mourront dans les minutes ou les jours suivant leur naissance.
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024