Point de pratique
Affichage : le 13 mars 2020
Linda M. Casey; Société canadienne de pédiatrie, Comité de nutrition et de gastroentérologie
Paediatr Child Health 2020 25(2):126. (Résumé)
La nutrition est capitale pour optimiser l’activité fonctionnelle et la santé des enfants présentant une déficience neurologique. Les difficultés éprouvées pour quantifier les besoins individuels et évaluer l’état nutritionnel de ces enfants représentent des obstacles à l’établissement de prescriptions nutritionnelles. Le présent point de pratique répond à des questions fréquentes avec lesquelles les cliniciens qui soignent cette population sont aux prises et puise dans les données probantes afin de proposer des stratégies pour venir à bout de ces difficultés.
Mots-clés : Assessment; Neurological impairment; Nutrition; Screening
Les tâches nécessaires pour assurer la surveillance nutritionnelle sont les mêmes pour tous les enfants, qu’ils présentent ou non une déficience neurologique (DN) : le dépistage et l’évaluation de l’état nutritionnel. Les questions fréquentes des cliniciens qui soignent des enfants présentant une DN sont exposées au tableau 1.
La mesure du poids est un élément fondamental des soins pédiatriques standards. On peut généralement la prendre en cabinet au moyen de techniques éprouvées ou en soustrayant le poids de l’adulte seul du poids de l’adulte qui s’occupe de l’enfant conjugué à celui de l’enfant. En revanche, il peut être impossible de mesurer la taille de l’enfant en position debout ou couchée en raison de sa spasticité, de ses contractures ou de sa collaboration limitée à cause d’une déficience cognitive. Les mesures de segments corporels (p. ex., hauteur du genou, longueur du tibia et du cubitus) sont fortement corrélées avec la taille en position debout ou couchée et sont utilisées pour dériver des équations visant à prédire la taille [1] ou pour remplacer carrément la mesure de la taille [2]-[5]. Cependant, pour effectuer ces mesures segmentaires, il faut posséder du matériel spécialisé, des habiletés et des valeurs de référence qui, souvent, ne sont pas accessibles au cabinet du médecin. De plus, malgré de fortes corrélations à l’égard des données collectives, une analyse plus récente témoigne de l’écart inacceptable entre les valeurs individuelles réelles et prédites [4]. Ainsi, dans la mesure du possible, il est préférable de mesurer la taille en position debout ou couchée au moyen d’une technique standard. Quant aux mesures segmentaires, elles ne sont pas indiquées.
Les courbes de croissance permettent de déceler des profils de croissance inhabituels et de cibler les enfants qui ont besoin d’une évaluation plus approfondie de leur état de santé ou de leur état nutritionnel. De nombreuses affections congénitales ou génétiques sont liées à un ralentissement de la croissance ou à une petite taille. En général, lorsqu’on utilise des courbes de croissance adaptées à l’affection, moins d’enfants sont orientés vers une évaluation plus approfondie. Selon ces courbes, il s’agit d’une altération de la croissance constitutionnelle, mais en réalité, cette altération peut être causée par une forte prévalence de carence nutritionnelle, et les deux situations peuvent se combiner. Chez les enfants plus âgés ayant un syndrome de Down, par exemple, certaines données probantes indiquent que les courbes de croissance des Centres for Disease Control and Prevention (CDC) destinées à la population générale ciblent les enfants ayant une adiposité élevée avec plus de précision que les courbes adaptées au syndrome de Down [6]. Même si les courbes de croissance standards utilisées chez les enfants ayant une affection génétique ou congénitale risquent de favoriser un surdépistage d’enfants ayant besoin d’une évaluation plus approfondie, cette approche réduit le risque de négliger des enfants chez qui on pourrait atténuer le retard de croissance.
Pour ce qui est des affections sans fondement génétique, comme la paralysie cérébrale, la présentation clinique et l’état nutritionnel peuvent avoir une incidence importante sur les profils de croissance. De récentes courbes de croissance adaptées aux enfants ayant une paralysie cérébrale décrivent davantage le risque de morbidité et tiennent compte à la fois du poids et de la catégorie où se situe l’enfant dans le système de classification de la fonction motrice globale [7]. Chez les enfants des catégories I à IV ou de la catégorie V sans sonde d’alimentation, ceux dont le poids était inférieur au 20e percentile présentaient plus de maladies associées que les enfants plus lourds. Les enfants des catégories I et II présentaient un rapport de risques de maladies associées de 2,2 lorsque leur poids se situait sous le 5e percentile, mais chez ceux des catégories III à V, le rapport de risques de mortalité était de 1,5 lorsque leur poids était plus bas que le 20e percentile. Les cliniciens peuvent obtenir ces courbes en ligne (www.lifeexpectancy.org/articles/newgrowthcharts.shtml) et s’en servir pour déterminer quels enfants ont besoin d’une évaluation et d’un soutien plus approfondis.
Contrairement aux enfants neurotypiques, les enfants présentant une DN ont souvent des problèmes d’alimentation [8][9]-[13] qui peuvent finir par entraîner des complications (p. ex., pneumopathie chronique d’inhalation) ou une malnutrition. En présence d’un handicap moteur lourd [14] et d’inquiétudes des parents quant à la difficulté de manger et de boire, les cliniciens doivent être conscients d’un risque important de déficit oromoteur ou de carence nutritionnelle. L’obtention d’information précise sur la durée des périodes d’alimentation, les aversions alimentaires, la toux ou les étouffements pendant les périodes d’alimentation, les pneumonies récurrentes ou les symptômes pulmonaires chroniques devrait contribuer à cibler les enfants qui ont besoin d’une évaluation nutritionnelle ou d’une évaluation de leur déglutition plus approfondie.
Pour évaluer l’apport nutritionnel, il faut comparer l’apport réel avec les besoins prévus. Comme il n’y a pas de recommandations particulières quant à l’apport nutritionnel des enfants présentant une DN, les objectifs reposent sur les besoins d’enfants neurotypiques en bonne santé. Tous les nourrissons ont les mêmes besoins énergétiques. Toutefois, la différence entre les besoins énergétiques des enfants ayant une DN et de leurs homologues neurotypiques tend à se creuser avec l’âge, principalement à cause des écarts en matière d’activité physique et de composition corporelle (p. ex., masses musculaire et osseuse) [16]. Il existe des équations pour prédire les apports nutritionnels requis, mais de plus en plus, les données indiquent que leur validité prédictive est insuffisante pour qu’on puisse en faire un usage clinique [17]. De plus, selon des données quelque peu limitées, les besoins énergétiques des enfants présentant une DN seraient de 16 % à 31 % plus faibles que ceux des enfants neurotypiques, les besoins les moins élevés s’associant aux déficiences les plus importantes [16]. À la lumière de cette information, les cliniciens doivent faire preuve de jugement clinique à l’égard de besoins énergétiques estimatifs de l’enfant, surveiller son apport nutritionnel et les difficultés s’y rapportant et apporter les correctifs nécessaires. L’information relative aux besoins en micronutriments de cette population est limitée, mais on présume généralement qu’ils sont comparables à ceux des enfants neurotypiques.
Les enfants qui ont des besoins énergétiques limités peuvent présenter un apport en micronutriments insuffisant [18]-[20]. Ceux qui doivent prendre des antiépileptiques pour traiter des troubles convulsifs peuvent être plus vulnérables à des carences particulières en micronutriments. Lorsqu’ils sont faibles, les taux de folate et de vitamine B12 chez certains enfants sous antiépileptiques peuvent s’associer à une hyperhomocystéinémie [21] et à un risque cardiovasculaire accru à long terme. De plus, de nombreuses données démontrent l’association entre une prise d’antiépileptiques prolongée et des troubles de santé osseuse, y compris un plus grand risque de fractures, de rachitisme et d’ostéomalacie [22][23]. Les mécanismes sont obscurs et les changements biochimiques, irréguliers, mais les enfants dont l’apport énergétique est bas par rapport à leur âge ou qui sont sous antiépileptiques devraient faire l’objet de tests réguliers pour déterminer leurs taux de vitamines, de minéraux et d’oligo-éléments, et recevoir des suppléments lorsqu’ils en ont besoin. Les mesures biochimiques à privilégier et les intervalles entre les tests dépendent de chaque enfant, car il n’existe pas de recommandations standards.
La croissance peut être considérée comme la somme des augmentations de la masse grasse et de la masse maigre, composée des os, des muscles et des organes. La masse maigre augmente dans le cadre de la croissance normale, mais une progression exagérée de la masse grasse contribue à une dysrégulation métabolique et à des risques accrus pour la santé. Chez les enfants présentant une DN, des facteurs non nutritionnels comme la génétique et une déficience de la mise en charge ont des conséquences marquées sur l’acquisition de la masse maigre et, par conséquent, sur la relation entre l’alimentation et les mesures de la croissance. Le poids est l’indicateur le plus mesuré et le plus surveillé, mais la croissance linéaire est plus fortement liée à l’augmentation des tissus maigres et à la croissance des organes (y compris le cerveau) [24].
Les difficultés à mesurer la croissance linéaire portent à croire que la composition corporelle devrait faire partie de l’évaluation des enfants présentant une DN [25][26]. Même si les outils technologiques pour mesurer la composition corporelle (p. ex., absorptiométrie biphotonique à rayons X ou analyse de bioimpédance) sont précis et relativement faciles à utiliser, ils ne sont pas disponibles partout. Il est démontré qu’on ne peut pas évaluer la graisse corporelle avec précision à partir de la mesure des plis cutanés chez les enfants ayant une paralysie cérébrale, probablement parce que la répartition de leur graisse corporelle est altérée [27][28]. Cependant, une étude [29] a proposé d’apporter des modifications aux équations calculées à partir de deux mesures des plis cutanés. Comme ces modifications correspondent bien aux valeurs de l’absorptiométrie biphotonique à rayons X [25][30], elles constituent une solution raisonnable en milieu clinique. Même si la mesure des plis cutanés n’est pas effectuée systématiquement au cabinet du pédiatre, la technique est facile à apprendre, peut être exécutée en toute fiabilité avec un peu d’exercice et n’exige que l’achat d’un adipomètre, relativement peu coûteux et facile à trouver. L’Organisation mondiale de la Santé a préparé une vidéo de formation, qui peut être visionnée en ligne (www.youtube.com/watch?v=UVcEZoCDV20), démontrant les techniques pour mesurer avec précision toutes les mesures anthropométriques, y compris les plis cutanés.
Le comité de direction de la section de la pédiatrie hospitalière, le comité de la pédiatrie communautaire et le comité de la santé mentale et des troubles du développement de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
Membres : Linda M. Casey MD, Eddy Lau MD (représentant du conseil), Catherine M. Pound MD (présidente), Ana M. Sant’Anna MD, Pushpa Sathya MD, Christopher Tomlinson MB, ChB, Ph. D.
Représentants : Becky Blair M. Sc. Dt.P., Les diététistes du Canada; Patricia D’Onghia MHP Dt.P., Santé Canada; Tanis R. Fenton Ph. D. Dt.P., Les diététistes du Canada; Laura Haiek, Comité canadien pour l’allaitement; Deborah Hayward, Bureau des sciences de la nutrition, Santé Canada; Sarah Lawrence MD, Groupe canadien d’endocrinologie pédiatrique
Auteure principale : Linda M. Casey MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024