Document de principes
Affichage : le 19 octobre 2023
Lauren E. Kelly Ph. D., Michael J. Rieder MD, Yaron Finkelstein MD, Société canadienne de pédiatrie,, Comité de la pharmacologie
Paediatr Child Health 29(2):113–121
L’intérêt envers l’utilisation des produits du cannabis à des fins médicales chez les enfants de moins de 18 ans augmente. De nombreux produits du cannabis à des fins médicales contiennent du cannabidiol, du delta-9-tétrahydrocannabinol ou ces deux cannabinoïdes. Malgré les nombreuses prétentions thérapeutiques, peu d’études rigoureuses guident la posologie, l’innocuité et l’efficacité du cannabis à des fins médicales en pédiatrie clinique. Le présent document de principes passe en revue les données probantes à jour et expose les recommandations sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales chez les enfants. Les rapports à plus long terme (deux ans) souscrivent à la tolérabilité et à l’efficacité soutenues d’un traitement au cannabidiol chez les patients ayant le syndrome de Lennox-Gastaut ou le syndrome de Dravet. Les extraits de cannabis enrichis de cannabidiol qui renferment de petites quantités de delta-9-tétrahydrocannabinol ont été évalués auprès d’un petit nombre de patients d’âge pédiatrique, et d’autres recherches devront être réalisées pour éclairer les guides de pratique clinique. Étant donné l’utilisation répandue du cannabis à des fins médicales au Canada, les pédiatres devraient être prêts à participer à des échanges ouverts et continus avec les familles au sujet de ses avantages potentiels et de ses risques, ainsi qu’à préparer des plans individuels en vue d’en surveiller l’efficacité, de réduire les méfaits et de limiter les interactions médicamenteuses.
Mots-clés : cannabinoïdes; cannabis à des fins médicales; CBD; delta-9-tétrahydrocannabinol; enfants; pharmacothérapie
Le cannabis contient des centaines de composés bioactifs, qui forment un mélange complexe[1]. Parmi les plus de 140 cannabinoïdes qu’il renferme, le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD) sont les deux produits les plus abondants et les plus étudiés, même si d’autres cannabinoïdes peuvent avoir un potentiel thérapeutique[2]. Le THC et quelques autres cannabinoïdes mineurs ont des effets euphorisants associés à l’utilisation du cannabis, tandis que le CBD possède de vastes effets antioxydants, anti-inflammatoires et neuroprotecteurs[3][4]. Le système endocannabinoïde inclut les récepteurs CB1 et CB2. Tous deux sont couplés aux protéines G, c’est-à-dire qu’ils fonctionnent comme des protéines transmembranaires à la surface des cellules et convertissent les signaux extracellulaires, provenant entre autres des médicaments, des hormones et des neurotransmetteurs, en réponses intracellulaires. Les récepteurs CB1 se trouvent majoritairement dans les systèmes nerveux central et périphérique, même si on les a récemment observés hors du système nerveux, tandis que les récepteurs CB2 se trouvent dans tout le système immunitaire humain[4]. Les principaux effets du THC sont ceux d’agoniste partiel des récepteurs CB1, tandis que le CBD est un modulateur allostérique négatif des récepteurs CB1 qui agit par l’intermédiaire de plusieurs autres récepteurs, tels que les récepteurs sérotoninergiques et vanilloïdes[3][4]. Selon les publications scientifiques, les cannabinoïdes mineurs et les terpénoïdes peuvent avoir des effets synergistiques, peut-être en raison de la compétition pour les enzymes qui métabolisent les médicaments[5][6] ou de l’activation directe des récepteurs[7][8]. La pharmacodynamique des cannabinoïdes dépend de leur formulation, de leur voie d’administration et du contenu gastrique[9]. Quant aux mécanismes d’action du CBD, ils sont toujours en cours d’étude.
Le présent document de principes porte sur le cannabis à des fins médicales (CFM) chez les patients d’âge pédiatrique (moins de 18 ans). Au Canada, par la filière du CFM, les médecins et les infirmières praticiennes peuvent autoriser l’utilisation du cannabis chez les jeunes (figure 1)[10][11]. Lorsqu’ils détiennent une autorisation de consommer du CFM, les patients d’âge pédiatrique peuvent être légalement en possession de produits du cannabis dans des indications thérapeutiques. Les produits du cannabis comprennent de nombreuses combinaisons de cannabinoïdes (ou d’isolats) dans diverses formulations, telles que les fleurs séchées, les extraits (huiles), les produits comestibles, les produits topiques, les suppositoires, les cires ou les résines et les boissons. De nombreux produits du cannabis accessibles par la filière du CFM sont également offerts sur le marché du cannabis à des fins récréatives et sur le marché illégal.
Figure 1. Aperçu des divers types de produits du cannabis offerts au Canada
Produits pharmaceutiques |
Cannabis à des fins médicales* |
Cannabis à des fins récréatives* |
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*Régis en vertu de la Loi sur le cannabis, 2018
BPF bonnes pratiques de fabrication; BPP bonnes pratiques de production; CBD cannabidiol; DIN numéro d’identification du médicament
Références 10, 11
À l’heure actuelle, seulement deux produits pharmaceutiques à base de cannabis dotés d’un numéro d’identification du médicament (DIN), le Sativex et le Nabilone, sont homologués au Canada. Tous deux sont prescrits aux enfants dans une indication non autorisée. Le Sativex (nabiximols) est un vaporisateur oromuqueux à base de cannabis qui contient 27 mg/mL de THC et 25 mg/mL de CBD et qui est commercialisé pour le traitement de la spasticité chez les adultes ayant la sclérose en plaques. Le nabilone est un analogue synthétique du THC, administré par voie orale et offert en capsules de 1 mg, 0,5 mg et 0,25 mg. Il est indiqué pour soulager les nausées et les vomissements induits par la chimiothérapie chez les adultes. En 2018, la Food and Drug Administration des États-Unis a approuvé l’Epidiolex, une préparation de CBD purifiée dérivée du cannabis pour le traitement de deux syndromes associés à une épilepsie pharmacorésistante (ÉPR) chez les adultes et les enfants de deux ans et plus. L’Epidiolex a également été approuvé par l’Agence européenne des médicaments en 2019, et par la Therapeutic Goods Administration (administration des biens thérapeutiques) de l’Australie en 2020. Malgré les autorisations mondiales sur la gestion de l’ÉPR, l’Epidiolex (et tout autre médicament de CBD purifié) n’est pas encore commercialisé au Canada. Il a toutefois été soumis à Santé Canada à la fin de 2022 en vue de l’examen du DIN et de son homologation.
Le CFM est utilisé dans diverses indications thérapeutiques, chacune devant faire l’objet d’une évaluation des risques et avantages potentiels. Les données probantes et les avis contenus dans le présent document de principes sont adaptés expressément pour l’utilisation des produits à base de CFM, toujours en tenant compte des répercussions du cannabis à des fins récréatives sur le développement du cerveau et sur les taux croissants d’intoxication accidentelle au cannabis chez les enfants[12], qui sont des préoccupations en matière de santé publique. Le présent document remplace le document de principes de la Société canadienne de pédiatrie sur le CFM publié en 2016[13], en fonction de l’évolution des publications scientifiques, des nouveaux produits pharmaceutiques à base de cannabis et des modifications à l’accès au CFM en vertu de la Loi sur le cannabis de 2018.
Les données probantes sur l’efficacité chez les patients d’âge pédiatrique
Malgré les prétentions répandues relatives à l’efficacité potentielle du CFM chez les enfants, peu d’études cliniques contrôlées contre placebo ont porté sur des enfants à part celles axées sur l’ÉPR (14) ou ont donné des résultats en appui à ces prétentions. Les indications, les posologies et les événements indésirables des produits du cannabis qui ont fait l’objet d’études prospectives chez les enfants sont résumés au tableau 1 en ligne (limité au CBD) et au tableau 2 en ligne (sur le CBD et le THC).
Les études cliniques axées sur l’utilisation du CBD purifié chez les enfants ayant une ÉPR en ont toujours démontré l’efficacité, la fréquence des convulsions diminuant en moyenne de 36 % à 49 %, ce qui entraîne une amélioration de la qualité de vie[15]-[22]. Les événements indésirables (10 % ou plus et plus qu’un placebo) liés au CBD purifié incluent la somnolence, la diminution de l’appétit, la diarrhée, la fatigue, les malaises et l’asthénie, les éruptions, les troubles du sommeil, les infections et l’élévation des transaminases. Les données sur les programmes d’accès élargi ouvert indiquent une tolérabilité soutenue et des avantages à long terme de doses de CBD pouvant atteindreJ 25 mg/kg par jour[23]-[26]. Chez 48 enfants qui prenaient des anticonvulsivants par voie orale, les convulsions et le fardeau de la maladie ont diminué après l’ajout de CBD par voie transdermique deux fois par jour pendant 6,5 mois[27]. Des expériences et des effets positifs de l’utilisation du CBD chez les enfants ayant une ÉPR ont été observés en Argentine[28], en Australie[29][30], en Israël[31], en Slovénie[32], en Suisse[33], au Royaume-Uni[34] et aux États-Unis (24).
Des études randomisées et contrôlées (ÉRC) ont porté sur les huiles de CBD purifié, mais il se peut que de plus faibles doses de CBD soient requises dans les extraits enrichis de CBD (qui renferment de petites quantités de THC et d’autres cannabinoïdes) pour produire des résultats comparables ou supérieurs sur le plan de l’innocuité et de l’efficacité[35][36]. Deux études ouvertes à doses progressives réalisées au Canada, faisant appel à des extraits enrichis de CBD selon des ratios de CBD par rapport au THC de 50:1 et de 20:1, ont rendu compte d’une diminution des convulsions[37]-[40]. Les extraits enrichis de CBD (ratio de CBD:THC de 25:1) comportaient également des avantages dans une petite étude observationnelle auprès d’enfants atteints d’un syndrome de West pharmacorésistant[41], tandis que plusieurs études observationnelles ont fait ressortir les avantages des extraits de cannabis enrichis de CBD en cas d’ÉPR[31][34][42]. De plus, l’utilisation d’un extrait de cannabis enrichi de CBD (ratio de CBD:THC de 20:1, jusqu’à concurrence de 12 mg de CBD) est associée à de faibles taux de THC dans le plasma[42][43]. Cependant, des données observationnelles longitudinales obtenues auprès d’enfants atteints d’épilepsie qui prenaient un extrait enrichi de CBD dans un ratio de 20:1 ont démontré une diminution des convulsions; mais les événements indésirables étaient également fréquents (46 %)[44][45].
Une récente analyse exploratoire sur le CFM chez les enfants autistes[46] a permis d’extraire huit études rétrospectives (pour un total de 346 enfants). Les rapports observationnels laissent croire à une atténuation des problèmes comportementaux, de l’anxiété et de la communication, de même qu’à de légers événements indésirables, y compris la somnolence, les changements d’appétit, les symptômes gastro-intestinaux, l’agitation et les troubles du sommeil[46][47]. Le CBD est associé à une réduction des blessures auto-infligées, des crises de rage et de l’hyperactivité, ainsi qu’à l’amélioration du sommeil[48]. Dans le cadre d’une étude croisée et randomisée en trois volets réalisée en Israël auprès de 150 patients autistes âgés de cinq à 21 ans, des chercheurs ont comparé un extrait enrichi de CBD et des cannabinoïdes purifiés (tous deux à un ratio de CBD:THC de 20:1) à un placebo. Ils ont constaté une tolérabilité ainsi qu’une atténuation des comportements perturbateurs et des symptômes de base de l’autisme[48]. Les avantages étaient plus prononcés à l’aide de l’extrait enrichi de CBD que d’une combinaison d’isolats au même ratio, ce qui appuie l’effet d’entourage et incite les organismes de réglementation à créer des trajectoires qui favorisent la recherche sur les extraits du cannabis. Des études de référence contrôlées contre placebo devront être réalisées pour déterminer les avantages thérapeutiques et les méfaits potentiels du CFM chez les enfants autistes[48][49].
Une meilleure compréhension du CBD pourrait donner lieu à des traitements prometteurs contre plusieurs troubles neurodéveloppementaux chez les enfants[50]. Le nabiximols est indiqué contre la spasticité chez les adultes atteints de sclérose en plaques, mais une étude contrôlée contre placebo de ce médicament (ratio de CBD:THC de 1:1) chez 72 enfants (de huit à 18 ans) atteints de spasticité à cause d’une paralysie cérébrale ou d’une lésion cérébrale traumatique non progressive n’a révélé aucune atténuation de ce symptôme sur une période de 12 semaines (lorsque la dose quotidienne est ajustée jusqu’à concurrence de 32,4 mg de THC et de 30 mg de CBD)[51]. Cette étude, qui a été réalisée en République tchèque, en Israël et au Royaume-Uni, a établi que le nabiximols était raisonnablement toléré, même si trois patients ont présenté des événements indésirables neuropsychiatriques, plus précisément sous forme d’hallucinations pendant la phase de randomisation et la phase ouverte auprès de 72 participants[51]. Une petite étude israélienne ouverte a démontré que des extraits de cannabis enrichis de CBD (ratios de CBD:THC de 6:1 et de 20:1) soulageaient la spasticité et la dystonie chez les enfants[52].
Une étude pilote randomisée et contrôlée[53]auprès de huit enfants, qui comparait l’huile de CBD purifiée (posologie maximale quotidienne de 20 mg/kg de CBD) à un placebo chez des enfants ayant un handicap intellectuel et de graves problèmes de comportement, a révélé que le CBD était bien toléré et réduisait les graves problèmes de comportement, ce qui justifie une analyse plus approfondie dans une étude randomisée et contrôlée plus vaste[54]. De plus, des rapports de cas et deux petites études laissent supposer que ces produits comportaient des avantages auprès des patients atteints du syndrome de la Tourette[55][56], tout comme une petite série de cas auprès de patients ayant le syndrome de l’X fragile[57]. Une étude randomisée et contrôlée contre placebo de phase II commanditée par l’industrie a évalué des doses de gel transdermique de CBD pouvant atteindre 250 mg chez des enfants ayant le syndrome de l’X fragile. Ces doses étaient bien tolérées, et les observations préliminaires chez 20 enfants (de six à 17 ans) sont indicatrices d’une baisse de l’anxiété, d’une amélioration des interactions sociales et d’une diminution des comportements irritables[58][59].
En 2020, 92 % des oncologues et des médecins canadiens en soins palliatifs spécialisés en pédiatrie avaient prodigué des soins à au moins un enfant qui avait utilisé du CFM dans les six mois précédents, avec ou sans l’autorisation d’un dispensateur de soins[60]. Malgré les recherches limitées sur l’utilisation du cannabis chez les enfants atteints du cancer, les raisons invoquées pour consommer des produits du cannabis étaient très variées, de la gestion du cancer et des symptômes provoqués par les traitements aux mesures pour le vaincre[61]. Les cannabinoïdes synthétiques (le nabilone au Canada), qui sont utilisés sous forme d’antiémétiques de troisième ligne chez les enfants, comportent des avantages démontrés contre les nausées et les vomissements induits par la chimiothérapie[62] par rapport aux agents habituels (70 % par rapport à 30 %, respectivement)[63][64]. D’autres considérations en matière d’innocuité peuvent toucher l’utilisation des produits du cannabis en cas de traitement par des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire. Des données observationnelles chez les adultes[65] font foi d’une progression accrue des tumeurs et d’une diminution de la survie globale, mais aucune de ces observations n’a été constatée dans des modèles murins de cancer pulmonaire non à petites cellules[65]. On constate un intérêt marqué de la part des familles envers les prétendues propriétés antitumorales du cannabis, reposant en partie sur des recherches in vitro et in vivo, des rapports de cas, des anecdotes en ligne et des études en cours chez des adultes, mais aucune étude clinique n’a encore été effectuée pour évaluer les effets antinéoplasiques du cannabis chez les enfants[63]. Deux études cliniques réalisées au Canada et en Australie sont prévues ou en cours pour examiner des combinaisons de THC et de CBD et évaluer l’utilisation des cannabinoïdes pour prendre en charge les symptômes chez les enfants atteints du cancer[66][67].
Les médecins canadiens qui autorisent la consommation de CFM chez un enfant doivent se rappeler que le pronostic demeure un élément essentiel à prendre en considération[68]. Selon un rapport observationnel, une équipe pédiatrique en soins palliatifs qui a suivi 21 enfants canadiens âgés de trois mois à 19 ans a découvert que les symptômes de douleur ou de nausées et de vomissements qu’ils éprouvaient tous s’étaient atténués après la consommation de cannabis. Les effets du CFM sur les convulsions étaient toutefois mitigés[69]. Des événements indésirables comme la somnolence, l’insomnie et les vomissements ont été signalés chez 33 % des enfants[69]. En Italie, selon une étude auprès de six enfants en soins palliatifs, l’administration d’huiles de cannabis favorisait une diminution de la douleur et de la fréquence des convulsions et n’entraînait que des effets secondaires légers et transitoires[70]. Le dronabinol a permis de soulager la spasticité d’enfants en soins palliatifs ayant des problèmes neurologiques complexes[71]. Ces données probantes ont éclairé les travaux de pharmacovigilance internationaux[72] sur l’innocuité et l’efficacité du CFM chez les enfants en soins palliatifs.
Le potentiel d’efficacité du CFM a été démontré pour le traitement de diverses affections chez les adultes[73], telles que l’anxiété et la douleur, mais les données à cet égard sont encore insuffisantes chez les enfants[74]-[76]. Plus de 32 études cliniques se sont penchées sur l’utilisation des cannabinoïdes pour le traitement de la douleur non cancéreuse chronique chez les adultes[77], mais aucune ne s’est attardée sur la douleur aiguë ou chronique chez les enfants[74]-[76]. La douleur chronique est courante chez les jeunes[78], et une étude clinique en cours au Canada sera la première à évaluer un produit du cannabis chez les adolescents atteints de céphalées chroniques[79]. Des recommandations consensuelles sur le lent ajustement des doses de cannabinoïdes en cas de prise d’opioïdes et de douleur chronique ont été formulées pour les adultes[80].
Le cannabis a des effets bénéfiques démontrés chez les adultes ayant un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDA/H)[81]-[83]. D’après de vastes études observationnelles, les adultes ayant un TDAH trouvaient que le cannabis avait atténué les effets secondaires liés à leur médication[82]. Une série de cas auprès de trois jeunes adultes canadiens ayant un TDA/H a rendu compte d’une atténuation de leurs symptômes dépressifs et anxieux et d’une amélioration de leur régulation émotionnelle lorsqu’ils consommaient du CFM en plus de leurs autres médicaments[84]. Ces études ne précisaient pas les doses recommandées et incluaient une série de produits et de formulations du cannabis. Des études cliniques devront être réalisées pour évaluer l’efficacité et l’innocuité potentielles des produits du cannabis pour la prise en charge du TDA/H pédiatrique.
Il est important de parler des événements indésirables liés au cannabis aux enfants et aux adolescents, d’une manière adaptée à leur âge et à leur étape de développement, de même que, dans la mesure du possible, avec la famille. Dans ces échanges, il faudrait établir une distinction claire entre ce que l’on sait sur chacun des composants des produits (THC, CBD, terpènes, autres cannabinoïdes) et sur les indications, les types de produits et les posologies qui ont déjà fait l’objet d’études (ou non) chez les enfants et les adolescents. Jusqu’à présent, les données sur l’innocuité à long terme dans cette tranche d’âge sont limitées au CBD purifié. Dans les cas d’ÉPR, l’incidence d’événements indésirables liés au CBD semble comparable à celle d’autres médicaments anticonvulsivants, et le recours au CBD ne semble pas entraîner d’autres préjudices[85]-[87]. L’endormissement, la fatigue, la perte d’appétit, la diarrhée et les vomissements étaient les principaux effets indésirables du CBD à court terme[78][88]. À plus long terme, les événements indésirables incluent les modifications à l’humeur, la prise ou la perte de poids et une augmentation de la fréquence des convulsions. Certains effets indésirables peuvent être attribuables à l’interaction entre les cannabinoïdes et d’autres médicaments, comme l’anticonvulsivant clobazam[89][90]. Cependant, les études cliniques sur le CBD n’ont révélé aucune différence à l’égard des concentrations de médicaments dans le plasma ou de la fréquence des convulsions entre les patients qui prenaient du clobazam et ceux qui n’en prenaient pas[91]. Une élévation des transaminases et une thrombopénie ont été observées chez certains patients, souvent pendant un traitement concomitant à l’acide valproïque[92]. Les événements indésirables attribuables au CBD étaient liés aux doses, et leur taux était plus élevé lorsque la dose approchait les 20 mg/kg/jour[87][88].
On ne sait pas grand-chose de l’innocuité à court ou à long terme du THC contenu dans les formulations de CFM, en raison de la rareté des études en phase préliminaire et des expositions mal caractérisées. Les taux de THC peuvent varier en fonction des interactions avec d’autres médicaments, des cannabinoïdes et des terpènes (p. ex., le limonène). Étant donné le caractère lipophile du THC, les concentrations sanguines ne sont pas bien corrélées avec ses effets cliniques, l’intoxication qui peut s’y associer ou ses effets sur le système nerveux central[93]. Selon les recherches, le THC peut modifier la répartition des substances blanche et grise dans le cerveau en développement et altérer la mémoire[55][63][73][94]. On ne sait pas dans quelle mesure les risques en matière d’innocuité s’appliquent à des produits à haute teneur en CBD (par rapport à ceux sans THC ou à faible teneur en THC). Chez les enfants, le THC peut avoir des effets cardiovasculaires, y compris une hypotension marquée[95][96]. Parmi les effets indésirables du THC, soulignons l’euphorie, la diminution du niveau de conscience, les nausées ou le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, les étourdissements, les pertes de mémoire et la fatigue[97][98]. L’intoxication chez les jeunes enfants peut se manifester par une dépression respiratoire (qui inclut l’apnée) et le coma[99]. Il faut tenir compte du potentiel d’effets neurodéveloppementaux indésirables en fonction de l’état global et du pronostic de chaque enfant ainsi que du ratio risque-bénéfice des autres traitements[100].
Les interactions médicamenteuses sont à envisager avec le THC et le CBD[101][102]. Tous deux sont métabolisés par les enzymes CYP; on sait qu’ils interagissent avec un certain nombre d’entre elles, y compris les enzymes CYP 3A4, CYP 2C9 et CYP2C19 (103-105), et que l’inhibition du métabolisme d’autres médicaments peut donc être variable[105][106]. La pharmacocinétique du CBD et du THC n’a été étudiée que chez un petit nombre d’enfants et d’adolescents, et elle variait considérablement d’une personne à l’autre[106][107].
Les parents qui demandent du CFM pour leur enfant font état d’obstacles à l’accès et de la nécessité de disposer d’information objective[61][108]. Ils affirment souvent utiliser le cannabis en dernier recours thérapeutique. L’absence de ressources réputées peut les inciter à chercher de l’information dans les médias sociaux, dans les boutiques de cannabis ayant pignon sur rue ou auprès de leurs amis. Lorsqu’on en autorise l’utilisation chez les enfants, il faut examiner soigneusement la palatabilité des produits à base d’huile et leurs effets sur la dégradation des sondes gastriques, particulièrement si de grandes quantités peuvent être consommées. Il faut également parler avec la famille de la marche à suivre pour administrer le médicament à l’école et des mesures à prendre dans le cadre des voyages. Le coût est un autre facteur important. Le CBD purifié et les huiles enrichies de CBD sont des produits coûteux, surtout aux doses recommandées pour contrôler les convulsions. Le coût peut constituer un fardeau important pour les familles qui ont déjà du mal à composer avec les dépenses liées à la prise en charge de la maladie chronique de leur enfant. Certaines sociétés d’assurance remboursent le coût du cannabis à des fins médicales tout en en limitant les indications. D’autres l’excluent expressément pour les enfants et les adolescents. Certains producteurs autorisés accordent des rabais sur le prix du CFM lorsqu’il est utilisé par des patients d’âge pédiatrique, mais ces offres sont très hétérogènes.
Comme pour toute pharmacothérapie, la première étape vers l’autorisation du CFM consiste à en déterminer les avantages et les risques pour chaque enfant ou adolescent. Les considérations médicales devraient inclure le nombre et la nature des autres tentatives thérapeutiques, le pronostic et la gravité des symptômes[68]. Chez les adultes, les fleurs de cannabis séchées sont habituellement fumées ou inhalées pour activer les cannabinoïdes par carboxylation et en faciliter l’absorption[106]. Pour plusieurs raisons, il n’est pas recommandé de laisser les patients d’âge pédiatrique fumer le cannabis, y compris l’imprévisibilité des doses et les risques d’atteinte respiratoire liés à ce type de consommation. Les huiles de cannabinoïdes sont surtout administrées par voie orale dans ce groupe d’âge, et les publications sur l’administration transdermique de CBD sont en évolution. Les huiles support de cannabis ont souvent un goût désagréable difficile à masquer. Elles peuvent également contenir des allergènes ou causer des nausées et de la diarrhée, particulièrement à fortes doses. Une grande variété de produits comestibles du cannabis, tels que les jujubes ou les chocolats, est commercialisée au Canada. Ces produits, dont la composition n’a pas tendance à être pratique sur le plan clinique (p. ex., absence ou trop petite quantité de CBD, trop grande quantité de THC ou ces deux particularités), visent plutôt la consommation à des fins récréatives. Par ailleurs, les cannabinoïdes peuvent être distribués de manière irrégulière dans un produit donné. Ainsi, il n’est pas recommandé d’utiliser des produits comestibles à des fins médicales en pédiatrie.
La quantité de cannabis séché considérée comme équivalant à un extrait de cannabis par voie orale dont un jeune patient pourrait avoir besoin ou devoir utiliser varie selon les fabricants. Au Canada, aucun produit de CBD purifié doté d’un DIN n’était commercialisé au moment de la rédaction du présent document. Même lorsque de solides données probantes en démontrent les avantages pour un enfant ou un adolescent ayant une ÉPR, la seule manière d’accéder au CBD en toute légalité consiste à obtenir une autorisation de consommer du CFM. Pourtant, peu de cliniciens possèdent la formation nécessaire pour enclencher ce processus ou sont à l’aise de l’adopter. Le peu de données fiables pour soutenir l’utilisation de CFM chez les enfants et l’omniprésence de la mésinformation rendent d’autant plus urgente l’établissement de paramètres fondés sur des données probantes pour faire un usage bénéfique du CFM en pédiatrie. Plusieurs vastes initiatives, y compris celle du Canadian Consortium for Childhood Cannabinoid Therapeutics (C4T, ou consortium canadien pour le traitement à base de cannabinoïdes chez les enfants), une équipe de chercheurs universitaires, s’affairent à faire progresser la recherche et à diffuser les connaissances dans le domaine, avec l’appui des Instituts de recherche en santé du Canada.
Dans certaines indications, les risques peuvent être supérieurs aux avantages, et dans le cadre de leur obligation de diligence, les professionnels de la santé sont tenus d’avoir des échanges individuels et ouverts avec les familles au sujet des données probantes sur les avantages et les risques du CFM[68][109]. Tout comme pour les autres médicaments, divers éléments sont essentiels à la planification du traitement : fixer des objectifs clairs, établir des schémas posologiques, préparer des calendriers (y compris le moment d’évaluer si la dose et le traitement fonctionnent) et définir des paramètres pour mettre un terme au traitement en cas d’événements indésirables. Les pharmaciens ont un rôle croissant à jouer pour limiter les interactions médicamenteuses[110]. Tout événement indésirable lié au CFM doit être signalé à MedEffect Canada.
De plus en plus de recherches, dont les données probantes sont de qualité variable, laissent croire aux avantages du CFM contre certaines affections chez certains enfants. Le CFM ne devrait être autorisé que dans les cas où ses avantages sont clairement supérieurs à ses risques. Selon les études, le degré de fiabilité des données sur l’efficacité et l’innocuité du cannabis contre l’ÉPR, l’autisme, ainsi que les nausées et les vomissements induits par le cancer, est variable. Dans les publications pédiatriques disponibles, le CBD purifié est bien toléré, mais peut être responsable d’interactions médicamenteuses. Moins de données appuient l’utilisation de produits du CFM contenant du THC chez les enfants, et des préoccupations en matière d’innocuité ont été soulevées à cet égard. De nombreuses études cliniques sont en cours sur les extraits enrichis de CBD et sur le CBD purifié dans des indications pédiatriques comme les céphalées chroniques, la spasticité, la prise en charge des symptômes en cas de cancer, les soins palliatifs et les troubles de comportement chez les enfants qui vivent avec une atteinte cognitive.
Lorsque la situation l’indique, et notamment lorsque la famille le demande, les cliniciens devraient être prêts et en mesure de participer à des échanges ouverts sur les risques et avantages potentiels du cannabis à des fins médicales (CFM). Le counseling devrait :
reposer sur des données probantes et être objectif;
aider les parents à prendre des décisions éclairées et conjointes sur les soins de l’enfant;
informer les parents des risques et conséquences de l’accès au cannabis par la filière du cannabis à des fins récréatives.
Les considérations thérapeutiques devraient s’attarder sur l’affection de l’enfant ou de l’adolescent et sur son pronostic, sur les avantages et les risques en fonction des meilleures données probantes disponibles, sur un plan thérapeutique clair et sur un suivi pour évaluer l’efficacité, surveiller l’innocuité et éviter les événements indésirables, y compris les interactions médicamenteuses.
Pour ce qui est des indications établies par des études randomisées et contrôlées, l’administration de produits du CFM devrait reposer sur un lent ajustement des doses, en fonction de chaque enfant et de chaque affection.
Des recherches rigoureuses s’imposent de toute urgence afin de déterminer le rôle du CFM pour le traitement d’affections pédiatriques pour lesquelles il existe une plausibilité biologique ou pour lesquelles il y a des preuves d’efficacité venant de recherches menées chez des adultes. À mesure que s’accumulent les données probantes sur le CFM, les cliniciens devraient chercher des données à jour sur ses risques en matière d’innocuité, y compris les interactions médicamenteuses.
Compte tenu de l’utilisation déjà répandue du CFM, il faudrait préparer des formations objectives à l’intention des cliniciens qui désirent en apprendre davantage sur le fonctionnement du delta-9-tétrahydrocannabinol, du cannabidiol et d’autres cannabinoïdes, de même que sur les risques et avantages potentiels du cannabis chez les enfants et les adolescents.
Un aperçu de la posologie et de l’innocuité d’après des études interventionnelles pédiatriques prospectives publiées sur le cannabidiol seul (tableau 1) ainsi que sur le cannabidiol (CBD) et le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC; tableau 2). Lorsque les établissements, les populations ou les volets des études sont dotés de doses maximales différentes, celles-ci sont toutes précisées. *Dose admissible maximale d’après le protocole de l’étude. Note : Les intervalles d’augmentation et de diminution passent de 1 mg/kg à 10 mg/kg de cannabidiol tous les deux jours ou à chaque semaine de traitement. Les événements indésirables graves et tous les événements en matière d’innocuité sont déclarés d’après les données publiées disponibles seulement.
Les auteurs tiennent à remercier les membres du Canadian Consortium for Chilhood Cannabinoid Therapeutics pour leur révision d’experts du présent document de principes et leur collaboration à sa production, soit les docteurs Lynda Balneaves (Université du Manitoba), Bruce Crooks (IWK Health Centre), Richard Huntsman (Université de la Saskatchewan), Evan Lewis (Neurology Centre of Toronto), Taylor Lougheed (Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario et École de médecine du nord de l’Ontario) et Rod Rassekh (B.C. Children’s Hospital). Ils remercient également les docteurs Richard Bélanger (Centre hospitalier de l’Université Laval) et Christina Grant (McMaster Children’s Hospital), dirigeants du groupe de travail sur le cannabis de la Société canadienne de pédiatrie pour leur apport.
COMITÉ DE LA PHARMACOLOGIE DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (JUILLET 2022)
Membres : Geert 't Jong MD, Ph. D. (président), Shinya Ito MD, Yaron Finkelstein MD, Tom McLaughlin MD, Charlotte Moore Hepburn FRCPC, MD (représentante du conseil)
Représentant : Michael Rieder MD (Société canadienne de pharmacologie et de thérapeutique)
Auteurs principaux: Lauren E. Kelly Ph.D., Michael J. Rieder MD, Yaron Finkelstein MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 23 avril 2024