Point de pratique
Affichage : le 26 août 2020
Catherine A. Farrell; Société canadienne de pédiatrie, Comité des soins aigus
Paediatr Child Health 2020 25(7):476. (Résumé).
Le sepsis est une réponse inflammatoire systémique à une infection présumée ou démontrée. Puisque c’est une cause importante de morbidité et de mortalité, plusieurs sociétés professionnelles ont lancé des initiatives ces dernières années, lesquelles ont débouché sur la rédaction de directives pour déceler le sepsis et le traiter rapidement. Les principaux aspects des directives les plus récentes sont résumés dans le présent point de pratique. Ils incluent la détection de changements à l’état clinique et aux signes vitaux qui doivent évoquer la possibilité de sepsis, tels que la fièvre, la tachycardie et des modifications de la perfusion périphérique, et la stabilisation initiale des voies respiratoires, de la respiration et de la circulation. Ils englobent également l’administration opportune d’une thérapie antimicrobienne, l’utilisation de bolus liquidiens et de médicaments vasoactifs et des considérations particulières chez les patients atteints de troubles médicaux sous-jacents, comme l’emploi de corticoïdes pour traiter une possible insuffisance surrénalienne découlant d’une suppression de l’axe hypothalamo-surrénalien. Deux modifications sont apportées aux directives précédentes, soit une réévaluation clinique après chaque bolus liquidien en raison de la crainte d’une surcharge hydrique et le remplacement de la dopamine comme agent vasoactif initial chez les patients pédiatriques hypotendus par de l’adrénaline ou de la noradrénaline en fonction du contexte clinique. Le présent point de pratique porte principalement sur la prise en charge du sepsis chez les nourrissons plus âgés, les enfants et les adolescents.
Mots-clés : Guidelines; Paediatrics; Sepsis; Vasoactive medications; Volume resuscitation
Le sepsis est une cause importante d’hospitalisation, de morbidité et de mortalité chez les enfants [1][3][4]. Le présent point de pratique décrit le tableau clinique qui devrait inciter le clinicien à utiliser les directives établies dans le cadre de l’initiative mondiale sur le sepsis lancée par la World Federation of Pediatric Intensive and Critical Care Societies [4], mises à jour par le sous-groupe pédiatrique de la campagne « Survivre au sepsis » (Surviving Sepsis) en 2013 [6] et en 2020 [4] et par l’American College of Critical Care Medicine [7] en 2017.
Ces directives reposent sur la nécessité d’une approche rapide et systématique pour optimiser la stabilisation. Cette approche inclut la détection précoce du sepsis et du choc septique, l’obtention rapide d’un accès vasculaire, l’administration de bolus liquidiens sériels et l’amorce d’une antibiothérapie et de médicaments vasoactifs, conformément aux indications, dans l’heure suivant l’évaluation initiale du patient [8]. Puisque la détermination des stades du sepsis et que l’évaluation de la réponse au traitement doivent respecter des paramètres cliniques, il est essentiel de connaître les valeurs normales en fonction de l’âge (tableau 1) [9].
Un nourrisson de sept semaines de vie arrive en consultation parce que la fréquence de ses boires a diminué et qu’il est léthargique. À l’examen physique, il est irritable, et ses signes vitaux s’établissent comme suit : fréquence cardiaque de 185 battements/min, fréquence respiratoire de 55 respirations/min, température rectale de 35,8 °C, tension artérielle de 100/62 mmHg lorsqu’il pleure. Il semble légèrement déshydraté et a les extrémités légèrement marbrées.
Le sepsis est une réponse inflammatoire systémique à la présence d’une infection présumée ou démontrée. La tachycardie, la tachypnée et l'hyperthermie en sont des manifestations classiques [7][10]. L’absence de fièvre chez un nourrisson de moins de 60 jours de vie n’élimine pas la possibilité de sepsis. Le nourrisson du cas 1 doit subir des cultures de sang, d’urine et de liquide céphalorachidien en plus d’un hémogramme avec numération leucocytaire différentielle. Les étiologies bactérienne et virale sont toutes deux à envisager, car elles peuvent se ressembler chez le nourrisson peu âgé. Si la ponction lombaire est reportée à cause de signes cliniques d’instabilité respiratoire, d’instabilité hémodynamique ou d’autres contre-indications (p. ex., coagulopathie, lésions cutanées au siège anticipé de la ponction ou signes d’herniation cérébrale imminente [11]), il faut prescrire des antibiotiques sur une base empirique, aux doses appropriées pour le traitement de la méningite. L’antibiothérapie empirique comprend alors de la ceftriaxone ou de la céfotaxime et de la vancomycine.
Une enfant de deux ans arrive en consultation à cause d’une toux, d’une fièvre de 39 °C et de difficultés respiratoires. À l’examen, elle semble malade. Ses signes vitaux s’établissent comme suit : fréquence cardiaque de 160 battements/min, fréquence respiratoire de 35 respirations/min, tension artérielle de 100/60 mmHg et temps de remplissage capillaire de 3 secondes. De plus, elle a les extrémités froides. La saturation en oxygène par saturométrie à l’air ambiant est de 89 %. L’entrée d’air est réduite du côté droit, et la radiographie pulmonaire révèle un infiltrat du lobe inférieur droit et un épanchement pleural. La fillette semble affaiblie, mais répond convenablement pendant l’examen physique.
La fièvre, la tachycardie et la tachypnée de cette patiente, conjointement avec la radiographie pulmonaire anormale évocatrice d’une pneumonie et d’un éventuel empyème, répondent à la définition de sepsis. Selon de nouvelles définitions pour les adultes, le sepsis est une dysfonction des organes au potentiel mortel causée par une dysrégulation de la réponse de l’hôte à l’infection, le choc septique sous-tendant à la fois une hypotension exigeant la prise de vasopresseurs pour maintenir la tension artérielle moyenne et un taux de lactate sérique élevé malgré la réanimation volémique appropriée [12][13]. Dans les directrices cliniques pédiatriques que Weiss et coll. viennent de publier, le choc septique désigne une grave infection entraînant une dysfonction cardiovasculaire (y compris l’hypotension, la nécessité d’un traitement par un médicament vasoactif ou une perturbation de la perfusion), et la dysfonction des organes liée au sepsis chez les enfants est décrite comme une grave infection entraînant une dysfonction des organes vasculaires ou non vasculaires. Certains cliniciens préconisent des critères plus objectifs fondés sur les scores de dysfonction des organes [14]. L’enfant du cas 2 respecte les critères cliniques de sepsis et présente des signes évocateurs d’un risque de dysfonction des organes.
De nombreux centres ont créé des « outils déclencheurs » afin de détecter rapidement la possibilité de sepsis et d’accélérer l’accès à l’évaluation médicale et au traitement. La plupart de ces outils comprennent les anomalies des signes vitaux (fréquence cardiaque ou respiratoire, tension artérielle, indicateurs de perfusion comme le temps de remplissage capillaire, la tension différentielle, la coloration et la température de la peau) et les facultés mentales, en tenant toujours compte d’états ou d’affections sous-jacents liés à un risque plus élevé de sepsis, tels que l’âge, les tumeurs malignes, l’asplénie, l’immunodéficience ou l’immunosuppression. Parmi ces outils, soulignons l’affiche PedsPacs TREKK de dépistage du choc septique au triage [15] et un outil mis au point par le groupe coopératif sur le choc septique de l’American Academy of Pediatrics [16].
Il faut administrer de l’oxygène au masque à la patiente ou envisager une ventilation non invasive si son travail respiratoire augmente trop. L’accès veineux périphérique est à privilégier, mais s’il est trop long à obtenir, il est bon d’évaluer la possibilité d’insérer une aiguille intraosseuse. La réanimation doit commencer par l’administration d’un bolus de 10 mL/kg à 20 mL/kg de soluté cristalloïde équilibré ou tamponné (tel que le lactate Ringer, le Plasma-Lyte ou le Normosol ou le soluté isotonique), sur une période de cinq à 20 minutes. Les signes vitaux et la perfusion périphérique sont à surveiller de près pour évaluer la réponse au traitement, y compris une éventuelle surcharge hydrique, qu’on peut soupçonner en présence d’une hépatomégalie ou de râles crépitants à l’auscultation. On peut répéter le bolus en fonction de la réponse de la patiente, tout en procédant à de fréquentes réévaluations [17]. Une détérioration clinique après l’administration d’un bolus liquidien, particulièrement en présence de signes de surcharge volémique, est indicatrice d’un choc cardiogénique [17]. D’autres paramètres sont utiles, tels que la diurèse, les gaz sanguins pour évaluer la présence d’acidose métabolique, le taux de lactate sérique, la glycémie au chevet du patient, les électrolytes sériques, l’urée et la créatinine.
Il faut obtenir des hémocultures avant d’administrer des antibiotiques, mais l’attente des résultats ne doit pas retarder la thérapie antimicrobienne, à débuter idéalement dans l’heure suivant le diagnostic de sepsis grave [6]. Une injection intramusculaire ou intraosseuse est appropriée dans l’attente de l’accès intraveineux. Les médicaments retenus doivent tenir compte de l’âge et de la présentation clinique de la patiente. Dans ce cas, une céphalosporine comme de la céfotaxime ou de la ceftriaxone (à laquelle on ajoute de la vancomycine si l’on craint un Staphyloccus aureus résistant à la méthicilline (SARM) et si l’épidémiologie locale l’indique) conviendrait en présence de pneumonie ou d’empyème [18][19]. On peut envisager le drainage de l’épanchement pleural à la fois pour des raisons diagnostiques et thérapeutiques.
Une adolescente de 15 ans est hospitalisée à cause de fièvre et de faiblesse. Ses plus récentes règles se sont déclenchées trois jours plus tôt. Elle utilise régulièrement des tampons. À l’examen physique, elle est confuse. Ses signes vitaux s’établissent comme suit : température de 39,4 °C, fréquence cardiaque de 150 battements/min, fréquence respiratoire de 24 respirations/min, tension artérielle de 80/24 mmHg. Elle présente une érythrodermie diffuse, des extrémités distales chaudes, des pouls bondissants et un remplissage capillaire rapide. Elle demeure hypotendue malgré l’administration de bolus liquidiens d’un total de 60 mL/kg et l’amorce des antibiotiques appropriés (cloxacilline et clindamycine).
Cette patiente présente des signes de choc septique s’accompagnant de vasodilatation. Malgré ses extrémités chaudes et ses pouls bondissants, elle est hypotendue et présente probablement une certaine dysfonction multiorganique, telle qu’elle est souvent observée en cas de syndrome de choc toxique staphylococcique [19]. Le sepsis provoqué par une toxine peut être attribuable à des souches de S. aureus ou de Streptococcus pyogenes, qui produisent une toxine superantigénique responsable d’une suractivation des cytokines et des cellules inflammatoires, puis un profil caractéristique d’atteinte multiorganique.
En cas de réanimation volémique importante découlant d’un choc septique ou d’une dysfonction des organes liée au sepsis, les cristalloïdes équilibrés ou tamponnés s’associent à un taux de mortalité plus faible [20] et peuvent être préférables à de forts volumes de soluté isotonique [4]. Il n’y a pas d’avantages clairs à utiliser des colloïdes comme l’albumine, et l’utilisation d’amidons et de gélatines peut être néfaste; par conséquent, ces produits ne sont pas recommandés [4]. Puisque cette patiente demeure en état de choc et ne répond pas à la réanimation liquidienne, il faut passer à un traitement vasopresseur, idéalement par cathéter veineux central, même si on peut commencer par utiliser une voie veineuse périphérique. Le choix du médicament dépend de l’état clinique de la patiente, comme le démontre le tableau 2. La dopamine a souvent été le premier agent vasoactif utilisé contre l’hypotension chez les patients pédiatriques, mais n’est plus le médicament de première intention [21]. Dans le cas 3, c’est la noradrénaline, en raison de son pur effet vasoconstricteur alpha-adrénergique, qui est le plus efficace [15][22].
Le monitorage continu et l’évaluation étroite de la fonction des organes de cette patiente s’imposent. L’accès veineux central permettrait de mesurer la tension et la saturation veineuses centrales pour orienter la réanimation liquidienne et ajuster les médicaments vasoactifs. Il est recommandé de transférer la patiente vers un centre de soins tertiaires.
Un garçon de huit ans qui est atteint d’un syndrome néphrotique et reçoit des corticoïdes au quotidien présente une sensation générale de malaise, souffre de douleurs abdominales diffuses et a eu de multiples épisodes de vomissements depuis la veille. À l’évaluation initiale, il a un aspect cushingoïde et présente les signes vitaux suivants : fréquence cardiaque de 140 battements/min, fréquence respiratoire de 30 respirations/min, température de 37,5 °C, tension artérielle de 88/32 mmHg. Le temps de remplissage capillaire est de moins de deux secondes, et les pouls périphériques sont faciles à palper. Le patient est confus et plutôt non coopératif. Il a l’abdomen distendu, une sensibilité diffuse à la palpation et une défense musculaire involontaire et légère. Vous soupçonnez que ce patient souffre de péritonite primaire, probablement causée par un Streptococcus pneumoniae et une complication infectieuse bien établie du syndrome néphrotique [23]. Il faut commencer le traitement par une céphalosporine de troisième génération, comme la ceftriaxone ou la céfotaxime, et la vancomycine.
L’administration chronique de corticoïdes a provoqué une suppression de l’axe hypothalamo-surrénalien, qui peut entraîner une insuffisance surrénalienne en cas de stress. Les signes cliniques d’insuffisance surrénalienne sont difficiles à distinguer des autres causes de choc s’accompagnant de vasodilatation. La biochimie sérique peut révéler une hyponatrémie relative, une hyperkaliémie et une hypoglycémie.
En cas de sepsis pédiatrique, le diagnostic, le rôle et le traitement de l’insuffisance surrénalienne demeurent controversés [24]. Les patients vulnérables à une insuffisance surrénalienne en cas de choc septique sont ceux qui ont un purpura fulminans ou un syndrome de Waterhouse-Friderichsen, qui ont reçu une corticothérapie pour soigner une maladie chronique (comme dans le cas 4) ou qui présentent des anomalies pituitaires ou surrénaliennes. Les enfants ayant ces affections peuvent profiter particulièrement de doses de stress d’hydrocortisone (50 mg/m2; puis 100 mg/m2 par jour divisés en trois ou quatre doses) au début de l’évolution de la maladie et avant l’apparition du choc septique [7]. Chez d’autres patients, l’hydrocortisone peut être envisagée si une réanimation liquidienne appropriée et un traitement vasopresseur ne rétablissent pas la stabilité hémodynamique. Il n’y toutefois a pas de norme de référence pour poser le diagnostic d’insuffisance surrénalienne aiguë en cas de maladie grave, et il serait également acceptable de ne pas entreprendre de traitement à l’hydrocortisone [4] avant de connaître les résultats de recherches continues sur le sujet.
Fréquence cardiaque normale
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Âge
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Fréquence en période d’éveil (en battements/min)
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Fréquence en période de sommeil
(en battements/min)
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Nouveau-né
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100 à 205
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90 à 160
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Nourrisson
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100 à 180
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90 à 160
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Tout-petit
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98 à 140
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80 à 120
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Enfant d’âge préscolaire
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80 à 120
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65 à 100
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Enfant d’âge scolaire
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75 à 118
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58 à 90
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Adolescent
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60 à 100
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50 à 90
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Fréquence respiratoire normale
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Âge
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Nombre de respirations à la minute
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Nourrisson
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30 à 53
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Tout-petit
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22 à 37
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Enfant d’âge préscolaire
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20 à 28
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Enfant d’âge scolaire
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18 à 25
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Adolescent
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12 à 20
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Définition de l’hypotension selon la tension artérielle systolique et l’âge
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Âge
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Tension artérielle systolique
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Nouveau-né à terme (0 à 28 jours)
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< 60 mmHg
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Nourrisson (de 1 à 12 mois)
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< 70 mmHg
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Enfant (de 1 à 10 ans)
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< 70 mmHg + (âge en années x 2) mmHg
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Enfant de plus de 10 ans
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< 90 mmHg
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Adapté et traduit de la référence [9]
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Évaluation après l’administration de 60 mL/kg de bolus intraveineux de cristalloïde ou de colloïde (albumine)
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Tachycardie Mauvaise perfusion périphérique → Tension artérielle basse |
Amorcer l’adrénaline à raison de 0,05 mcg/kg/min Titrer vers le haut par incréments de 0,02 mcg/kg/min, au besoin (solution acceptable pour le traitement initial : 10 mcg/kg/min de dopamine, suivis d’adrénaline si les efforts pour renverser l’état de choc ne fonctionnent pas) |
Objectif : Traiter la dysfonction myocardique et le faible débit cardiaque |
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Tachycardie Vasodilatation (remplissage capillaire « rapide », pouls → bondissants, bouffées vasomotrices) |
Amorcer la noradrénaline à raison de 0,05 mcg/kg/min Titrer vers le haut par incréments de 0,02 mcg/kg/min, au besoin |
Objectif : Accroître la résistance vasculaire systémique |
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Tachycardie Mauvaise perfusion périphérique → Tension artérielle normale |
Envisager l’adrénaline à raison de 0,03 à 0,05 mcg/kg/min Envisager l’ajout d’un vasodilatateur dans des cas particuliers (p. ex., dobutamine ou milrinone) |
Le comité de la santé de l’adolescent, le comité de la pédiatrie communautaire et le comité des maladies infectieuses et d’immunisation de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
COMITÉ DES SOINS AIGUS DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE
Membres : Carolyn Beck MD, Kevin Chan MD (président), Laurel Chavin-Kimoff MD (présidente sortante), Kimberly Dow MD (représentante du conseil), Catherine A. Farrell MD (membre sortante), Karen Gripp MD, Kristina Krmpotic MD, Kyle McKenzie MD (membre sortant), Evelyne D. Trottier MD
Représentants : Laurel Chavin-Kimoff MD, section de la pédiatrie d’urgence de la SCP; Sidd Thakore MD, section de la pédiatrie hospitalière de la SCP
Auteure principale : Catherine A. Farrell MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024