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Un port d’attache pour les pédiatres. Une voix pour les enfants.

Nous ployons et nous nous courbons, mais nous ne brisons jamais

Affiché le 12 mars 2025 par la Société canadienne de pédiatrie | Permalink

Catégorie(s) : AntiracismeDéfense d’intérêtsExercice de la pédiatrie


La docteure Natasha Johnson est la première pédiatre noire élue à la vice-présidence de la Société canadienne de pédiatrie au cours de ses 100 ans d’histoire. Nous lui sommes reconnaissants de nous révéler les points de vue de ses collègues du pays, recueillis pendant la pandémie de COVID-19, et sommes redevables à chacune de ces femmes pour leur honnêteté, leur sagesse, leur force et leur persévérance.


Nous sommes filles, mères, épouses, fiancées, ex, beautés célibataires, sœurs, pédiatres, et Noires. Nous aspirons à l’excellence dans notre vie professionnelle et notre vie personnelle. Cinq personnes des diverses régions du pays confient une expérience commune sans jamais s’être rencontrées avant la pandémie. Au moment où l’écran Zoom s’est ouvert, une familiarité instantanée s’est installée entre ces cinq corps noirs — aux teints joliment différents, aux coiffures singulières et aux visages distincts. Incapables de se réunir en personne à cause de la COVID, leurs échanges ont porté sur des mises à jour des soins cliniques, des histoires personnelles, des expériences communes. C’était un espace de confiance pour être Noires et parler d’être Noires. C’était une communauté. De ces échanges ont germé ce groupe d’écrits collectifs intitulés Nous ployons et nous nous courbons, mais nous ne brisons jamais, sur des sujets tout aussi variés que la couleur de leur peau, mais aussi profonds que leurs identités.


Docteure Sharon Smile, pédiatre du développement

Le voie vers une promotion

Docteure Sharon Smile, pédiatre du développement

La représentation et la diversité sont des aspects importants pour la création d’une main-d’œuvre concurrentielle et novatrice. Au Canada, 4,5 % de la population s’identifient comme Noirs, mais seulement 1,5 % des médecins en sont issus, et nous sommes encore moins représentés parmi les dirigeants et dans l’écosystème de recherche. Les obstacles aux promotions qu’affrontent les médecins noirs en médecine universitaire, conjugués aux disparités de genre, créent un double défi pour les femmes noires en médecine. Je suis profondément consciente que ma présence dans ce milieu constitue un phare pour d’autres. Sans le mentorat essentiel à la progression de carrière, les médecins noires composent avec l’isolement, l’invisibilité et l’exclusion inconsciente ou consciente des possibilités d’avancement universitaire. Les professeurs racisés sont souvent surchargés de responsabilités supplémentaires « inférieures » et non valorisées, qui leur laissent peu de temps pour tenir des rôles susceptibles de favoriser leur croissance et leur promotion, ce qui représente une version de la « taxe des minorités ». Le fardeau de la taxe des minorités doit être corrigé pour éliminer les disparités en matière de promotion. Parmi les autres changements à apporter, soulignons l’accès au mentorat, l’accès équitable aux possibilités de progression universitaire et un système de promotion qui favorise vraiment l’ÉDI ou l’antiracisme, la lutte anti-oppression (par exemple, des initiatives cliniques, le perfectionnement des professeurs, l’amélioration de la qualité, les revendications et les activités de formation). Je tiens à souligner que notre mérite est souvent ignoré, renié ou minimisé. Le statu quo limite tout apport constructif à l’écosystème médical universitaire, y compris la perte des idées créatives et novatrices des personnes qui ne sont pas entendues. Le silence alimente ce statu quo. C’est pourquoi il faut nous faire entendre, nous engager à démanteler les structures bien enracinées qui stimulent les inégalités en matière de promotions. Ça commence par moi.


Docteure Natasha Johnson, pédiatre et spécialiste de la médecine de l’adolescence

L’expérience paradoxale d’une femme noire en médecine

Docteure Natasha Johnson, pédiatre et spécialiste de la médecine de l’adolescence

« Invisible, et pourtant hypervisible ». Cette description paradoxale résume mon expérience de femme noire en médecine au Canada. Dans mon rôle de leader en médecine, je suis privilégiée à de nombreux égards. Parallèlement, je suis souvent la seule ou l’une des rares personnes noires de ma classe, de mon équipe, de mon domaine ou de ma spécialité. C’est parfois une expérience d’isolement, particulièrement après des événements racismes odieux. Bien souvent au cours de ma carrière, je suis arrivée au travail traumatisée par la nouvelle d’un autre garçon ou homme noir abattu, parfois pour avoir « commis le simple crime » d’exister. Douloureusement consciente du stéréotype de la femme noire en colère, même devant des comportements ouvertement discriminatoires et des micro-agressions, j’ai, pendant des années, évolué sur le fil de ce que le docteur Raymond Givens qualifie du « passage étroit de Charybde en Scylla », le point parfait entre être trop silencieuse et trop intimidante pour les personnes conditionnées à percevoir les gens qui me ressemblent comme des dangers. Comme le docteur Givens l’a expliqué : « Nous sommes autorisés à parler de notre angoisse, mais pas de notre colère. Nous pouvons parler de préjugés raciaux, mais seulement de ceux qui sont “inconscients” ou implicites ». À l’instar de Tyrone Edwards (The Social, le 28 mai 2020), je refuse de laisser mes blessures se transformer en haine. Je refuse de laisser ma peur me réduire au silence. Il m’arrive parfois en effet d’être une femme noire en colère. D’après les données, j’ai raison de l’être. Nous devrions tous l’être. La colère n’a pas à être vengeresse ou haineuse. Je vais transmettre ma douleur et mon indignation, bien enracinée dans l’amour. Il le faut pour reconstruire nos systèmes racistes.


Docteure Tatiana Sotindjo, pédiatre et spécialiste de la médecine de l’adolescence

Un jour, ce sera chose du passé

Docteure Tatiana Sotindjo, pédiatre et spécialiste de la médecine de l’adolescence

En ce moment, je sais qu’on peut faire mieux, qu'il y a des possibilités de croître et de reconnaître l’histoire qui a mené à la situation actuelle. Je sais également qu’avec la profondeur du courage et de la solidarité tirés de ces moments ensemble, je peux envisager l’avenir. Je sais qu’un jour, je regarderai dans les yeux des enfants, des étudiants en médecine et de mes collègues, stupéfaite à la pensée que ces difficultés aient déjà existé. L’un de ces jours… un jour… je suis persuadée que je parlerai de ces expériences et que je savourerai l’aliénation de parler de vérités qui sont devenues des reliques du passé. Elles deviendront aussi étrangères et anciennes que le sont la saignée, le scorbut endémique et les opérations sans anesthésie. En ce moment, je sais que pour perpétuer cette confiance et cette clairvoyance, je dois me connecter encore et encore avec ces femmes et collègues alliées pour qu’elles me guident, me donnent de l’espoir et me rendent responsable. Lorsqu’elles parlent, je ne veux pas seulement les entendre, mais les écouter, comme si la santé et l’humanité de chaque Canadien qui s’identifie d’ascendance africaine, caribéenne et noire en dépendaient. Vous joindrez-vous à moi?


Docteure Ewurabena Simpson, hémato-oncologue pédiatre

Réflexions

Docteure Ewurabena Simpson, hémato-oncologue pédiatre

Il n’y a pas de médecins dans ma famille, mais quand j’étais petite, j’étais profondément inspirée par les modèles qui m’entouraient. Mes parents sont des scientifiques qui m’ont encouragée à être curieuse et qui m’ont permis de croire à la possibilité de réaliser mes rêves. Mon pédiatre était un ami proche de la famille qui faisait partie de notre communauté ghanéo-canadienne dont la gentillesse et l’intelligence m’ont motivée à me tourner vers la médecine. J’étais entourée de tantes et d’oncles qui m’ont également soutenue et m’ont poussée à réaliser ces objectifs. Dans ces premiers modèles, j’ai vu des parties de moi-même reflétées par nos valeurs, nos difficultés et nos expériences communes. Je n’ai jamais vraiment pensé au fait qu’ils étaient également Noirs ni que cette constatation en apparence si simple avait eu des conséquences si importantes sur ma trajectoire professionnelle.

Même si j’ai toujours été la seule ou l’une des seules étudiantes noires de ma classe, de l’école primaire jusqu’au baccalauréat, je ne me suis jamais sentie aussi seule que quand j’ai commencé la médecine. Seule étudiante noire de ma cohorte de 133 personnes, je me suis toujours détachée du lot. Lorsque j’étais en classe ou que je passais des examens, je ressentais la pression tacite d’être « l’ambassadrice noire » de ma cohorte. Lorsque je socialisais avec mes camarades de classe et que je découvrais la médecine et la pathologie chez des patients très majoritairement blancs, j’avais souvent l’impression de ne pas être à ma place. Lorsque je regardais mes professeurs et mes précepteurs cliniques, je constatais une rareté évidente et déprimante de professeurs noirs en mesure d’atténuer mon sentiment d’imposture. Les leçons les plus puissantes que j’ai tirées de ces disparités sont provenues de mon travail auprès des patients. Par une acceptation discrète du stéréotypage et des préjugés racistes, mes rotations cliniques m’ont appris que les patients noirs sont trop souvent traités différemment. Le plus drôle, c’est que même si je ne me suis pas vue dans mes camarades de classe ou mes professeurs, j’ai finalement reconnu une partie de moi chez ces patients noirs. Cette réalisation m’a soutenue et m’a inspirée à faire partie du changement pour détacher les répercussions du racisme et des préjugés de la formation et des soins médicaux.


Docteure Kassia Johnson, pédiatre du développement

Écoutez

Docteure Kassia Johnson, pédiatre du développement

Écoutez.

Écoutez ma voix.

Fermez-vous les yeux et chassez vos pensées.

Je me rends compte que je suis trop Blanche pour être Noire et trop Noire pour être Blanche.

Le monde m’a dit que je ne suis pas à ma place, que je ne devrais pas être là, que je ne suis pas intégrée.

Écoutez.

Quand vous me dites que je ne peux pas le faire, je le ferai.

Quand vous me dites que je n’ai pas raison, je vous prouverai le contraire.

Mais je suis fatiguée de la lutte et du dialogue.

Comprenez qu’il y a des choses que vous ne voyez pas, mais que je ressens.

Comprenez que c’est partout, constant, toujours.

Ce n’est pas votre expérience, mais la mienne.

Écoutez.

Quand vous m’appelez « ma fille », je ne répondrai pas.

Quand vous me dites de parler, je resterai silencieuse.

Quand vous me dites qui je suis ou comment me comporter, je ne me conformerai pas.

Je suis en colère, je me fâche parce que je sais qui je suis, pas vous.

Arrêtez-vous et écoutez ce que vous ne pouvez pas entendre au lieu d’écouter ce que vous voyez.

Vous n’êtes pas mon maître et je ne suis pas votre esclave, même si l’histoire et la société perpétuent encore cette idée.

Comprenez que je n’ai pas à prouver qui je suis, mais que vous devez comprendre qui vous êtes.

Écoutez.

Je dirai la vérité, même si elle dérange.

Je le ferai pour moi, pour ma famille, pour ma communauté et pour le bien commun.

Alors levez-vous, faites partie de l’océan de changement nécessaire pour noyer la haine qui s’est accumulée dans ce monde.

Je suis forte. Je suis résiliente. Je suis Noire et Blanche. Je suis moi.


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Avertissement

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Mise à jour : le 16 septembre 2025