Affiché le 16 octobre 2015 par la Société canadienne de pédiatrie | Permalink
Catégorie(s) : Défense d’intérêts
Docteure Laura Stymiest, membre de la SCP et résidente en pédiatrie à l’université Dalhousie
Docteure Elizabeth Lee-Ford Jones, membre de la SCP et professeure de pédiatrie au Hospital for Sick Children et à l’université de Toronto. Docteure Sarah Gander, membre de la SCP, comité de la pédiatrie communautaire, et pédiatre à Saint John, au Nouveau-Brunswick.
Pourquoi les enfants canadiens ont besoin d’un porte-parole
Une jeune fille est dirigée vers le bureau d’un pédiatre parce qu’elle est n’est pas attentive en classe. Son enseignante croit qu’elle a un trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et peut-être un trouble d’apprentissage.
Je suis étudiante en deuxième année de médecine et je travaille à la clinique au moment de son rendez-vous. Je commence à établir mon approche envers les problèmes des patients et les maladies complexes.
Tandis que je passe en revue les antécédents médicaux de l’enfant, ses parents me disent qu’ils ont de la difficulté à joindre les deux bouts. Malgré tous leurs efforts et l’aide d’une banque alimentaire avoisinante, la petite part souvent à l’école le ventre vide.
Le problème semble clair : comment un enfant peut-il se concentrer lorsqu’il a faim? Lorsque l’épicerie se compose des aliments non périssables qu’on vous offre, comment pouvez-vous nourrir un cerveau en développement?
Comment un médecin peut-il évaluer convenablement un problème d’apprentissage lorsque les besoins élémentaires de l’enfant ne sont pas respectés?
Je suis maintenant résidente en pédiatrie et je poursuis une formation surspécialisée en diagnostic et traitement des maladies infantiles. Les années ont passé, et je ne peux m’empêcher de penser que certains des besoins les plus complexes de bon nombre de mes patients tirent leur origine des contraintes de la pauvreté et non de simples maladies.
Malheureusement, en qualité de médecins, mes collègues et moi ne possédons pas les outils thérapeutiques nécessaires pour « guérir » les problèmes sociaux qui nuisent si souvent à la santé de nos patients.
En plus des confirmations isolées, des données solides lient la pauvreté à de mauvais résultats cliniques chez les enfants : taux plus élevés de troubles de santé mentale, de blessures accidentelles, d’obésité, d’asthme et de développement cérébral insuffisant, entre autres. Ces problèmes ont un coût que nous devons tous assumer. Lorsque des enfants sont exposés aux effets toxiques de la pauvreté, les conséquences préjudiciables se répercutent sur des générations et des communautés entières.
En 1989, l’année de ma naissance, la Chambre des communes du Canada s’est engagée à éradiquer la pauvreté des enfants avant l’an 2000. Vingt-six ans plus tard, les enfants du Canada souffrent encore. En effet, d’après les données actuelles, plus d’un demi-million d’enfants canadiens habitent dans un ménage à faible revenu.
Dans les provinces et les territoires, les mesures pour freiner la pauvreté infantile ont eu un succès inégal. Des provinces comme le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador ont fait considérablement chuter les taux de pauvreté des enfants après avoir adopté des stratégies de réduction de la pauvreté qui incluent l’amélioration des programmes d’éducation et des services de garde à l’enfance. En revanche, au Manitoba, où la stratégie de réduction de la pauvreté est en vigueur depuis 2009, les taux de pauvreté infantile continuent d’être parmi les plus élevés au pays. Le même constat s’applique à la Colombie-Britannique, la seule province qui ne possède pas d’engagement stratégique à réduire la pauvreté.
Sans des efforts coordonnés et un leadership national fort, nous risquons de laisser tomber beaucoup trop d’enfants.
Il est grand temps que le Canada adopte une stratégie de réduction de la pauvreté et nomme un Commissaire à l’enfance et à l’adolescence pour en garantir la mise en œuvre. Si nous réussissons à convaincre le gouvernement fédéral de s’engager auprès des enfants, nous pourrons apporter de véritables changements.
Pendant la campagne électorale, examinons ce que les partis politiques ont à dire sur une stratégie nationale cohérente de réduction de la pauvreté. Plusieurs politiques et programmes fondés sur des données probantes, qui incluent, sans s’y limiter, le revenu minimum garanti et la prestation universelle pour la garde d’enfants, sont à notre disposition et peuvent corroborer cette stratégie.
Toutefois, une stratégie sans reddition de comptes ne nous fera pas avancer. Les enfants canadiens ont besoin d’un « défenseur » ou d’un « porte-parole » indépendant et non partisan pour représenter leurs intérêts.
Un Commissaire à l’enfance et à l’adolescence pourrait rendre compte de la situation des enfants. Il s’assurerait que, dans tous les domaines, les enfants soient pris en compte dans la prise de décision. Il pourrait également fournir un cadre de reddition de compte à l’égard de l’engagement du gouvernement fédéral à éradiquer la pauvreté des enfants.
Ce concept de Commissaire n’est pas nouveau dans des pays industrialisés comme le Canada. Des pays comme l’Australie, la Suède et la France ont tous nommé une personne de référence ou créé un bureau pour représenter les intérêts de l’enfant. Ce concept est également bien connu du gouvernement canadien. En effet, lorsque le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies en 1991, des efforts ont été déployés pendant plus d’une décennie pour obtenir la nomination d’un Commissaire à l’enfance et à l’adolescence au Canada. Des rapports gouvernementaux contiennent également des recommandations sur la nomination d’un tel représentant.
Deux fois déjà, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a exhorté le Canada à créer un bureau de l’ombudsman. En 2009, puis de nouveau en 2012, des députés ont présenté des projets de loi pour proposer la nomination d’un Commissaire. Pourtant, nous ne sommes toujours pas parvenus à concrétiser la volonté politique nécessaire pour nommer un représentant officiel des enfants canadiens.
Il est évident que nous avons besoin d’un porte-parole national. Nos futurs dirigeants entendront-ils notre appel?
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Mise à jour : le 16 octobre 2015