par la docteure Sarah Gander
On m’a dit que je faisais un travail essentiel.
La définition du terme essentiel est « indispensable, d’une grande importance, principal, capital ». Les médecins travaillent en respectant les contraintes de la distanciation sociale et du confinement de la population depuis maintenant quelques semaines, et on nous dit que nous sommes des travailleurs essentiels, de continuer, de trouver des solutions. Nous pouvons tenter de voir nos patients ambulatoires dans le cadre de visites virtuelles, de rendez-vous téléphoniques ou de rencontres personnelles après avoir procédé au dépistage approprié et revêtu l’équipement de protection individuelle. Il y a aussi le travail auprès des patients hospitalisés.
Aujourd’hui, j’ai tenu une clinique complète comportant un mélange de tout ce qui précède. J’ai obtenu un certain succès, mais de nombreux patients n’ont pas répondu au téléphone, ont oublié de se brancher malgré des rappels et, en fin de journée, j’ai fait une visite à domicile. Pourquoi? Parce que cette famille n’a pas le téléphone. Nous communiquons par l’application Messenger de Facebook quand la mère peut obtenir un signal gratuit. Sa principale préoccupation aujourd’hui : ses armoires sont vides et la pensée que ses deux enfants (dont l’un a des besoins particuliers) aient faim l’inquiète au point où elle a envie de consommer de la drogue, même si elle suit un traitement à la méthadone avec succès depuis plusieurs années. Cette mère ne possède pas de carte de crédit pour commander son épicerie en ligne et s’est fait pointer du doigt plus d’une fois pour avoir amené ses deux enfants au magasin. Les services communautaires auxquels participent les enfants (et l’école, bien sûr) sont suspendus. Je me suis donc rendue chez elle. Je me suis assise à six pieds de la fenêtre du rez-de-chaussée, et nous avons parlé. J’ai porté un masque. Je lui ai apporté quelques sacs d’épicerie. J’ai ri avec les enfants pendant un certain temps et lui ai apporté des activités qu’elle pourra faire avec eux et qu’ils pourront faire seuls afin de lui donner le temps de respirer.
Au-delà des médecins et des autres travailleurs de la santé, je dirais que la communauté est essentielle. Nous ne travaillons pas seuls. Des droits fondamentaux, tels que l’accès à des aliments nutritifs et à des soins médicaux appropriés, ne sont pas respectés. Nous avons tous fait preuve d’une certaine patience lorsque nous pensions que la situation durerait seulement quelques semaines, mais nous savons maintenant que nous devrons tenir le coup à long terme.
C’est là que la communauté brille, et dans mon monde de la pédiatrie, c’est là que brille la pédiatrie sociale communautaire. Les pédiatres ne pensent pas seulement au « ici et maintenant ». Nous sommes également très inquiets de ce qui s’en vient et des répercussions de l’isolement sur la santé mentale, la dynamique familiale et les affections chroniques.
Oui, nous devons être prudents et assurer la sécurité des familles. Nous ne sommes toutefois pas plus importants que les changements que nous apportons, et pour bon nombre de nos patients et de nos familles qui vivent dans des situations précaires, il est absolument essentiel de livrer l’épicerie ou de les rejoindre pour leur offrir un certain espoir.
La docteure Sarah Gander est pédiatre générale à Saint John, au Nouveau-Brunswick, et présidente de la section de la pédiatrie sociale de la Société canadienne de pédiatrie.
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Mise à jour : le 22 avril 2020