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L’allaitement : retour sur le bon, le mieux et le meilleur

Pour souligner le 100e anniversaire de la Société canadienne de pédiatrie, le projet 24/7 – avant et maintenant jette un regard historique (et prospectif) sur des documents de principes et des thèmes formateurs de la SCP. Ce blogue est le deuxième d’une série qui sera rédigée par des membres chevronnés ayant un don pour les perspectives à long terme.

Affiché le 7 juin 2022 par la Société canadienne de pédiatrie | Permalink

Catégorie(s) : 24/7 - avant et maintenant

Par la docteure Margaret Boland

Le document de principes sur l’allaitement publié en 1978 pour souligner l’Année internationale de l’enfant en 1979, était un effort conjoint des comités de nutrition de la Société canadienne de pédiatrie et de l’American Academy of Pediatrics. L’une des caractéristiques de l’article m’a immédiatement frappée : tous les auteurs étaient des hommes. Et même si je ne peux pas en être certaine, je suppose que ces hommes étaient tous blancs. Le document expose ce que l’on savait sur le contenu nutritionnel et immunologique du lait maternel à l’époque, puis traite de la baisse de l’allaitement et des moyens de l’accroître. Les auteurs donnaient un conseil important.

« L’expérience personnelle de l’allaitement naturel chez l’infirmière est hautement souhaitable », écrivent-ils. À l’époque, la majorité des médecins, même en pédiatrie, étaient des hommes, et la majorité des infirmières, des femmes. Il était manifestement reconnu que « l’allaitement était meilleur », mais les fondements scientifiques de cette recommandation étaient encore limités.

Il est intéressant de rappeler le contexte historique de ce document. L’allaitement s’était mis à diminuer au milieu du XXe siècle. Incidemment, dans les années 1950, je me souviens d’avoir observé ma propre mère mélanger du lait évaporé en conserve avec de l’eau bouillie et un peu de sirop de maïs pour diluer la protéine. Elle le versait dans des biberons de verre stérilisés pour mon frère nourrisson – il en fallait environ six par jour. Bien sûr, les préparations pour nourrissons étaient plus coûteuses, mais pas chez nous. Ma mère, une infirmière qui possédait une certaine formation de sage-femme, décrivait qu’elle bandait la poitrine des femmes après l’accouchement en enroulant des linges autour de leur torse, puis les fixait en place pour inhiber la production de lait maternel.

L’industrie des préparations pour nourrissons et du lait artificiel était perçue comme le mode d’alimentation moderne et progressif. Ce phénomène a entraîné le déclin de l’allaitement et la perte du savoir générationnel sur les compétences en matière d’allaitement, souvent transmises de mère en fille. De plus, comme les entreprises de préparations pour nourrissons font partie d’une industrie génératrice de profits, elles finançaient une grande partie de la recherche en nutrition. Il était évident que les recherches utilisées par l’industrie pour promouvoir son produit rendaient ces préparations plus comparables au lait maternel!

Un paragraphe démontre tout particulièrement que la réflexion vient d’une autre époque : « … les transformations sociales profondes qui ont eu lieu dans le monde occidental ont fait de l’allaitement maternel une pratique démodée, un acte incompatible avec la vie moderne ou avec le travail en dehors de la maison… »

Au début des années 1970, avec la montée du mouvement féministe, l’intérêt personnel pour l’allaitement s’est accru, mais surtout chez les femmes plus instruites. L’Organisation mondiale de la Santé et les professions de la santé ont également reconnu les dangers des préparations pour nourrissons dans les pays en développement. Les femmes elles-mêmes ont pris en main la pratique de l’allaitement grâce à la création de La Leche League International (qui a formé une antenne francophone par la suite, La Ligue La Leche International) et d’autres organismes non professionnels. Lorsque j’ai eu mes propres enfants au début des années 1980, il ne faisait aucun doute que j’allais allaiter, mais très peu de ressources enseignaient cette compétence. Ma mère ne nous avait pas allaités et ma formation médicale ne faisait aucune mention « des voies et des moyens ». Fait intéressant, l’article m’a rappelé qu’avec les préparations pour nourrissons, l’introduction des « solides » se faisait plus rapidement, et je me souviens avoir appris à l’école de médecine qu’il était possible de commencer à introduire les solides vers trois semaines de vie. Ma propre expérience de l’allaitement en a été une d’essais et d’erreurs, de lecture et de relecture d’un exemplaire écorné de The Womanly Art of Breastfeeding (L’art de l’allaitement maternel) publié pour la première fois par La Leche League International en 1956 et qui en est maintenant à sa 8e édition. J’ai allaité mes deux nourrissons pendant mon stage de perfectionnement (fellowship), et j’ai survécu à des crevasses qui saignaient aux mamelons, à des mastites bénignes, à des fuites et à des engorgements douloureux.

Le document de 1978 contenait de nombreux bons conseils pour promouvoir l’allaitement, une pratique qui avait alors une longue pente à remonter. Les limites de l’allaitement ressortent dans la phrase suivante : « … une étude de marketing conduite au Canada en 1973 par les Laboratoires Ross [a révélé que] 35 % des bébés étaient nourris au sein la première semaine et seulement… 6 % l’étaient encore à l’âge de… 6 mois… »

En 1981, consciente du rôle négatif de l’industrie des préparations pour nourrissons sur l’allaitement, l’Organisation mondiale de la Santé a publié le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel, un code volontaire pour limiter le mésusage des préparations artificielles et éviter que l’industrie sape l’allaitement, notamment dans les pays en développement, mais ailleurs aussi. L’Organisation mondiale de la Santé recommande actuellement l’allaitement exclusif jusqu’à l’âge de six mois, l’introduction d’aliments complémentaires sécuritaires et adaptés à l’âge à compter de six mois et la poursuite de l’allaitement au moins jusqu’à l’âge de deux ans. Dans le monde, la meilleure option d’alimentation consiste à amorcer l’allaitement avant une heure de vie.

L’Initiative Hôpitaux amis des bébés (IHAB) — que l’Organisation mondiale de la Santé et l’UNICEF ont lancée en 1991 — œuvre dans le monde entier par l’entremise d’organismes comme le Comité canadien pour l’allaitement pour que toutes les maternités deviennent des centres de soutien à l’allaitement et que toutes les mères reçoivent l’appui dont elles ont besoin pour allaiter avec succès. Le Canada compte largement plus de 50 hôpitaux, centres d’accouchement et services de santé agréés par l’IHAB, mais qui ne représentent pas encore la majorité d’entre eux. Selon les données de 2020, 91 % de toutes les mères commencent à allaiter au Canada, mais de 40 % à 50 % ont arrêté au bout de six mois, et seulement 34 % allaitent exclusivement pendant six mois, sans compter que les taux sont plus faibles chez les femmes vulnérables sur le plan social ou économique (1).

Plus de 40 ans ont passé depuis la publication de ce document de la SCP. Alors que nous surmontons les problèmes de santé actuels, il est bon de savoir que l’Agence de la santé publique du Canada, l’Organisation mondiale de la Santé et la Société canadienne de pédiatrie recommandent que les mères ou les parents qui ont accouché et chez qui on présume ou confirme une COVID-19 continuent d’allaiter. L’allaitement assure une plus grande sécurité alimentaire et contribue à la préparation aux urgences. Il fournit aussi une immunoprotection qui joue un rôle unique dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Le lait humain est important pour tous les bébés, particulièrement les nourrissons prématurés ou malades qui séjournent à l’unité de soins intensifs néonatale (2).

Nous en avons beaucoup appris sur l’allaitement et sur ses avantages depuis 1978, et la pratique donne de bien meilleurs résultats. Les auteurs approuveraient.

La docteure Margaret Boland, professeure agrégée de pédiatrie à l’Université d’Ottawa, a donné des soins nutritionnels aux enfants du CHEO pendant plus d’un quart de siècle. Elle a présidé le comité de nutrition de la SCP (tel qu’il était à l’époque) et a été membre du comité de rédaction de l’édition 2008 du livre de la SCP intitulé Le bien-être des enfants : un guide pour la santé en milieu de garde.

Références
  1. Statistique Canada. Caractéristiques de la santé, estimations pour une période de deux ans. Tableau 13-10-0113-01, date de diffusion 1022-04-19. https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1310011301&request_locale=fr (consulté le 26 avril 2022)
  2. Comité canadien pour l’allaitement. Messages clés : alimentation du nourrisson et COVID-19 (affiché en mai 2020, mise à jour à janvier 2021). https://breastfeedingcanada.ca/wp-content/uploads/2020/06/Messages-cl%C3%A9s-COVID-site-web-May-2020.pdf (consulté le 26 avril 2022)

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Mise à jour : le 14 juillet 2022