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Ce que le plomb nous a appris : la défense précoce de la santé environnementale

Pour souligner le 100e anniversaire de la Société canadienne de pédiatrie, le projet 24/7 – avant et maintenant jette un regard historique (et prospectif) sur des documents de principes et des thèmes formateurs de la SCP. Ce blogue est le cinquième d’une série qui sera rédigée par des membres chevronnés ayant un don pour les perspectives à long terme.

Affiché le 12 septembre 2022 par la Société canadienne de pédiatrie | Permalink

Catégorie(s) : 24/7 - avant et maintenant

par le docteur Robin Walker

« ...le plomb n’a pas d’effets bénéfiques connus sur la santé et il semble non seulement raisonnable mais fortement souhaitable de réduire le plus possible les risques d’exposition au plomb ». Cette citation fait partie des conclusions d’un exposé de la SCP rédigé en 1986 par le docteur Peter Rosenbaum, intitulé L’intoxication par le plomb – Mythe ou réalité? Mise à jour des données. Selon ce document, l’intoxication par le plomb est une affection grave reconnue depuis très longtemps, mais l’incertitude demeure quant à l’effet de la charge de plomb « infraclinique » chez les enfants, particulièrement sur le fonctionnement du cerveau et le développement [1]. Après une analyse approfondie des données probantes alors disponibles, Rosenbaum a conclu que des mesures de précaution comme la manipulation environnementale et la surveillance à long terme étaient appropriées, notamment chez les enfants plus vulnérables à l’intoxication par le plomb, même si on ne comprenait pas encore pleinement les effets d’une plombémie élevée sur la santé et le développement des enfants.

Depuis la fondation de la Société il y a 100 ans, les documents de principes sont un pilier des conseils cliniques aux pédiatres canadiens et aux autres intervenants qui cherchent à améliorer la santé des enfants. Néanmoins, certains seront peut-être surpris d’apprendre qu’il y a 35 ans, la SCP produisait déjà des documents de principes fortement inspirés des données probantes pour prôner des changements dans des secteurs cliniques et environnementaux controversés. La production des documents de principes était peut-être moins rigoureuse que maintenant (voir « À propos des documents de principes de la SCP »), mais l’utilisation des données probantes pour parvenir à des conclusions était bien établie, et la mise en œuvre de ces données probantes pour répondre à un besoin de changement visant à protéger la santé et le bien-être des enfants était clairement définie.

En 1999, Woolf et coll. [2] ont signalé que les directives cliniques comportaient de nombreux avantages, mais pouvaient aussi être à la source de préjudices lorsque les recommandations ne reposaient pas sur des données probantes ou que ces données n’étaient pas appropriées ou étaient mal interprétées. Kredo [3] a remarqué en 2016 que les directives cliniques ne s’appuyaient plus sur une opinion, mais bien sur des données probantes. Le document de principes de 1986 démontre que la SCP avait amorcé ce virage bien plus tôt.

Les données probantes sur les effets d’une faible plombémie sur la santé des enfants, notamment sur leur développement, se sont graduellement accumulées. Nonobstant la recommandation d’assurer une surveillance, formulée en 1986 dans le document de principes de la SCP, Tsekrekos et Buka ont observé dans Paediatrics & Child Health en 2005 que la surveillance de la plombémie demeurait limitée chez les enfants canadiens [4]. Ils ont toutefois souligné que les Centers for Disease Control des États-Unis reconnaissaient désormais les effets néfastes d’une faible exposition au plomb sur la santé, perceptibles sous les normes établies. À leur avis, la réglementation canadienne était insuffisante pour protéger les enfants et avait besoin d’être révisée. En 2018, le conseil de la santé environnementale de l’American Academy of Pediatrics a fourni une mise à jour des directives sur la prévention de l’intoxication par le plomb [5]. Les auteurs ont observé que la plombémie avait diminué de manière considérable chez les enfants américains au cours des 40 années précédentes, mais que de nombreux enfants vivaient encore dans des conditions les rendant vulnérables à l’exposition au plomb. Ils ont analysé les données probantes selon lesquelles une faible plombémie compromettait la cognition, même aux taux inférieurs à 5 µg/dL souvent observés, et ont conclu qu’aucune plombémie n’est sécuritaire.

Dans un point de pratique de la SCP rédigé en 2019, Buka et Hervouet-Zeiber ont réitéré le lien entre une faible plombémie et les déficits neurodéveloppementaux. Ils soulignent que « La détection précoce et la prévention de l’exposition au plomb sont d’importants objectifs de santé publique, en raison des effets chroniques et du traitement complexe de la toxicité du plomb. » Il est maintenant possible de répondre sans équivoque à la question que Rosenbaum a posée en 1986 : l’intoxication par le plomb, même à de faibles taux, est bel et bien une réalité, et non un mythe.

Lorsqu’on compare les documents de principes actuels à ceux du passé, il est évident que la qualité des preuves et la force des recommandations accroissent la crédibilité des documents de principes actuels de la SCP, mais que ces pratiques n’existaient pas en 1986. Le document le moins récent affirme à juste titre que les données probantes alors disponibles ne font pas ressortir de manière concluante et irréfutable les effets néfastes d’une faible exposition au plomb. Les recommandations préconisant la surveillance, la détection, l’intervention et la prévention visaient à la fois à mieux comprendre l’étendue du problème et à mieux protéger les enfants en attendant de mieux comprendre la question. Les jeunes pédiatres d’aujourd’hui devraient être impressionnés par la puissance d’une formation fondée sur les données probantes et la défense d’intérêts, déjà à l’œuvre il y a 35 ans!

Enfin, l’évolution des connaissances sur l’exposition au plomb nous rappelle que de nombreux enjeux actuels ont des effets sur la santé des enfants qui échappent partiellement à notre compréhension. Les enfants sont exposés à de nombreuses toxines potentielles pendant leur croissance : lesquelles se révéleront les plus néfastes lorsque nous posséderons des données probantes à plus long terme? S’agira-t-il du cannabis ou des produits de vapotage? L’exposition des enfants à certains pesticides s’avérera peut-être très néfaste sur leur santé à long terme. De toute évidence, nous comprendrons beaucoup mieux l’effet des changements climatiques sur la santé des enfants d’aujourd’hui. Pourtant, face à de telles incertitudes, le document de 1986 nous rappelle que même si nous devons toujours « suivre les données probantes » qui existent, il arrive que nous puissions recommander des changements pour protéger la santé des enfants jusqu’à ce que les travaux en cours procurent des données probantes plus vigoureuses qui dégageront des conclusions plus définitives. Non seulement les documents de principes de la SCP continuent-ils d’interpréter les données probantes de manière que les cliniciens puissent en faire le meilleur usage, mais ils nous incitent à chercher des données probantes plus concrètes tout en améliorant la santé des enfants et des adolescents.

Le docteur Robin Walker est un ancien président de la SCP et un professeur de pédiatrie à l’École de médecine et de dentisterie Schulich de l’Université Western. Il a présidé la section de la santé environnementale en pédiatrie de la SCP pendant de nombreuses années et demeure un promoteur actif des droits et des besoins de santé des enfants et des adolescents.

Références

  1. Rutter M. Raised lead levels and impaired cognitive/behavioural functioning: A review of the evidence. Dev Med Child Neurol Suppl 1980;42:1-26.
  2. Woolf SH, Grol R, Hutchinson A, Eccles M, Grimshaw J. Clinical guidelines: Potential benefits, limitations, and harms of clinical guidelines. BMJ 1999;318(7182):527-30.
  3. Kredo T, Bernhardsson S, Machingaidze S et coll. Guide to clinical practice guidelines: The current state of play. Int J Qual Health Care 2016;28(1):122-8.
  4. Tsekrekos SN, Buka I. Lead levels in Canadian children: Do we have to review the standard? Paediatr Child Health 2005;10(4):215-20.
  5. American Academy of Pediatrics; conseil à la santé environnementale. Prevention of childhood lead toxicity. Pediatrics 2016;138(1):e20161493.
  6. Buka I, Hervouet-Zeiber C. La toxicité du plomb sous un nouvel angle : l’exposition à de faibles doses de plomb chez les enfants canadiens. Paediatr Child Health 2019;24(4):294. doi : 10.1093/pch/pxz081

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Mise à jour : le 6 octobre 2022