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Les troubles à symptomatologie somatique et apparentés : directives d’évaluation et de prise en charge pour les professionnels de la santé des enfants

Affichage : le 14 novembre 2024


La Société canadienne de pédiatrie vous autorise à imprimer une copie unique de ce document tiré de notre site Web. Pour obtenir l'autorisation d'en réimprimer ou d'en reproduire des copies multiples, lisez notre politique sur les droits d'auteur, à l'adresse www.cps.ca/fr/policies-politiques/droits-auteur.

Auteur(s) principal(aux)

Natasha Ruth Saunders MD M. Sc. FRCPC, Anne Kawamura MD FRCPC, Olivia MacLeod MD FRCPC, Alexandra Nieuwesteeg MD, Claire De Souza MD FRCPC; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé mentale et des troubles du développement

Résumé

Les troubles à symptomatologie somatique et apparentés (TSSA) représentent un défi important en pédiatrie en raison de leurs répercussions sur le bien-être et le fonctionnement de l’enfant et de l’adolescent ainsi que sur les systèmes familiaux. Le présent document de principes contient des directives détaillées pour les professionnels de la santé au sujet de l’évaluation et de la prise en charge de ces troubles et des stratégies de communication lors des rencontres cliniques. Les auteurs présentent divers diagnostics, de même que les tableaux cliniques fréquents et les approches recommandées pour procéder aux évaluations médicales des patients et des familles et entretenir des communications avec eux au début du parcours diagnostique. Ils décrivent les traitements fondés sur des données probantes à adopter après la confirmation du diagnostic. Ils passent également en revue des approches psychoéducatives qui contribuent à éviter le fardeau des soins découlant des interventions et des examens médicaux inutiles et ainsi à raccourcir le parcours diagnostique et à promouvoir des traitements de réadaptation plus fonctionnels. Ils exposent enfin des stratégies particulières pour soutenir les patients et leur famille et pour valider leurs points de vue.

Mots-clés : esprit-corps; pédiatrie; somatisation; trouble de conversion; trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle

Contexte

Les troubles à symptomatologie somatique et apparentés (TSSA) désignent une catégorie de troubles de santé mentale fréquente chez les enfants et les adolescents. Les personnes qui en sont atteintes font une grande utilisation du système de santé. On les voit dans tout le continuum des soins, que ce soit en première ligne, en consultation pédiatrique, aux urgences ou dans les unités d’hospitalisation[1][3]. Le présent document de principes vise à aider les cliniciens qui soignent des enfants et des adolescents dans divers secteurs de la filière de soins, et ce, de trois façons : 1) en les aidant à détecter et à mobiliser les patients (et les familles) ainsi qu’à les préparer à une évaluation et un traitement en santé mentale (tout en délaissant les examens et interventions diagnostiques inutiles sur le plan médical); 2) en favorisant une approche fonctionnelle et de réadaptation, y compris un retour rapide à l’école et aux activités et 3) en proposant des stratégies pour surveiller et prendre en charge l’évolution des symptômes de santé physique et mentale.

Les cliniciens peuvent trouver difficile de poser un diagnostic de TSSA et d’en informer les familles. Le présent document de principes vise à aborder les problèmes tôt au cours du parcours diagnostique, lorsque les jeunes patients n’ont pas encore compris – ou commencent tout juste à comprendre – l’apport des émotions et du stress à leurs symptômes physiques. Les stratégies de prise en charge psychothérapeutique à long terme dépassent la portée du présent document, mais devraient faire partie de la planification du traitement.

Définition des termes somatisation et troubles à symptomatologie somatique et apparentés

La somatisation décrit l’expression d’émotions positives (p. ex., l’enthousiasme) ou négatives (p. ex., l’inquiétude) et de pensées par des signes ou symptômes physiques. C’est une réponse physique normale et involontaire à un stimulus affectif ou à un facteur de stress que tout le monde éprouve[4]. Par exemple, la transpiration des aisselles causée par la nervosité, la dilatation des pupilles en cas de peur et la syncope devant une surprise sont des signes de somatisation. Les symptômes peuvent inclure des douleurs abdominales lorsqu’une personne se sent anxieuse ou de la fatigue lorsqu’elle est dépassée. La somatisation est considérée comme un trouble lorsque ces signes ou symptômes corporels entraînent une détresse ou une incapacité marquée au quotidien. Ces signes et symptômes de TSSA peuvent se manifester sous forme de trouble isolé, mais peuvent également survenir conjointement avec une autre affection[4].

Selon le DSM-5-TR[4], les TSSA sont composés d’un groupe de cinq troubles précis : 1) le trouble à symptomatologie somatique, 2) le trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle (ou trouble de conversion), 3) la crainte excessive d’avoir une maladie, 4) les facteurs psychologiques influençant d’autres affections médicales et 5) le trouble factice. Voir le tableau 1 pour obtenir les critères d’inclusion et une brève description de chacun de ces troubles. Le présent document de principes s’attarde au trouble à symptomatologie somatique et au trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle, car ce sont les deux types de TSSA que les pédiatres généraux voient le plus.

Tableau 1. Types de troubles à symptomatologie somatique et apparentés

Nom du trouble

Autres termes courants ou antérieurs

Principales caractéristiques

Comportements, symptômes ou diagnostics pour lesquels les jeunes patients peuvent consulter

Trouble à symptomatologie somatique (DSM-5-TR)

« Fonctionnel »

« Symptômes physiques médicalement inexpliqués » (ce terme n’a plus la cote)

« Non organique »

Trouble de détresse corporelle (CIM-11)

Troubles somatoformes (CIM-10)

Un ou plusieurs symptômes somatiques causes de détresse ou entraînant une altération significative de la vie quotidienne.

Pensées, sentiments ou comportements excessifs liés aux symptômes somatiques, se manifestant par au moins un des éléments suivants :

  • Pensées persistantes et excessives concernant la gravité des symptômes
  • Persistance d’un niveau élevé d’anxiété concernant la santé ou les symptômes
  • Temps et énergie excessifs dévolus à ces symptômes
  • Symptômes persistants (généralement six mois)

Céphalées chroniques

Étourdissements

Brouillard cérébral

Nausées chroniques

Douleur chronique

Fatigue

Trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle (DSM-5-TR)

Trouble de conversion

Trouble neurologique fonctionnel

Trouble dissociatif à symptômes neurologiques (CIM-11)

Troubles dissociatifs (CIM-10)

Un ou plusieurs symptômes d’altération de la motricité volontaire ou des fonctions sensorielles incompatibles avec un diagnostic neurologique (p. ex., EEG normal pendant des pseudo-convulsions)[5][6].

Les symptômes entraînent une détresse ou une altération clinique significative du fonctionnement social, des activités professionnelles ou d’autres domaines fonctionnels importants.

Crises psychogènes non épileptiques (autrefois appelées pseudo-convulsions)

Paralysie ou faiblesse

Crainte excessive d’avoir une maladie

Hypochondrie

Préoccupation concernant le fait d’avoir ou de contracter une maladie grave.

Degré important d’anxiété concernant la santé, entraînant des comportements excessifs par rapport à la santé ou d’évitement inadapté

Demandes de soins de santé excessives au sujet d’une maladie réelle ou imaginaire

Facteurs psychologiques influençant d’autres affections médicales

 

Facteurs psychologiques ou comportementaux cliniquement significatifs qui influencent de façon négative une affection médicale et augmentent le risque de souffrance, de décès ou d’invalidité

Mauvaise adhésion ou absence d’adhésion aux médicaments ou aux traitements prescrits

Abstraction des symptômes

Anxiété ou stress qui exacerbe les symptômes d’asthme ou de migraine

Trouble factice

Trouble factice imposé à autrui

Syndrome de Münchausen

Syndrome de Münchausen par procuration

Trouble fabriqué par le soignant

Falsification de symptômes ou induction de blessures dans une intention de tromperie. Contrairement aux quatre troubles précédents, le trouble factice est considéré comme sous le contrôle du patient

Diagnostic s’appliquant au soignant

 

CIM Classification internationale des maladies; DSM-5-TR Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition, texte révisé

 

 

 

L’épidémiologie des troubles à symptomatologie somatique et apparentés

On ne connaît pas les estimations de prévalence exacte des TSSA en raison de la nature non spécifique des symptômes et de l’expérience universelle de somatisation qui n’atteint pas le seuil de « trouble ». Les estimations publiées d’études européennes se situent entre 4,1 % et 12,6 % chez les enfants et les adolescents qui, à un moment donné, répondent aux critères diagnostiques[7]-[9]. En Ontario, les dossiers de santé ont démontré que, sur une période de sept ans, plus de 33 000 enfants, adolescents et jeunes adultes (jusqu’à 24 ans) avaient un TSSA[10]. Les données en population des autres provinces canadiennes ne sont pas publiées. Les personnes qui ont un TSSA présentent un taux élevé d’utilisation du système de santé (y compris les coûts qui s’y associent), d’absentéisme scolaire et d’incapacités, de même qu’un pronostic variable[10]-[13]. Chez les enfants et les adolescents hospitalisés à cause d’un TSSA, les coûts moyens pour le système de santé s’élevaient à une somme combinée de 52 621 $ CAN dans l’année précédant et suivant le diagnostic, sur un pied d’égalité avec certains des enfants ayant les besoins médicaux les plus complexes[14]. Fait important, après avoir obtenu un diagnostic de TSSA, seulement 40 % des patients consultent un médecin en raison d’un problème de santé mentale au cours de l’année suivante[10].

Les manifestations cliniques courantes

Les enfants et les adolescents ayant un TSSA ont des signes et symptômes non spécifiques dans le spectre de la pédiatrie générale (p. ex., brouillard cérébral, fatigue, étourdissements, douleurs articulaires, hypermobilité) et surspécialisée (p. ex., convulsions et changements sensoriels (neurologie), nausées et dysphagie (gastroentérologie), intolérance orthostatique (cardiologie), douleurs articulaires (rhumatologie) et anorexie ou douleurs pelviennes (médecine de l’adolescence)). Les patients peuvent aussi s’autodiagnostiquer des troubles aux symptômes fréquents et similaires et aux manifestations multisystémiques ou poser des questions sur ces problèmes[15][17], y compris 1) la tachycardie orthostatique posturale, 2) l’affection post-COVID-19, 3) la maladie de Lyme chronique et 4) le syndrome d’Ehlers-Danlos. Puisque ces quatre affections sont souvent évoquées, il est bon que les cliniciens en comprennent les critères diagnostiques et les trajectoires de prise en charge[18]-[21]. Ces connaissances favorisent une évaluation et une approche plus personnalisée des inquiétudes des patients à l’égard de ces maladies et peuvent justifier la tenue de nouveaux examens et de demandes de consultation, lorsque la situation l’indique.

Les considérations pour effectuer des examens

Les cliniciens sont souvent les « gardiens de l’accès » aux examens et évaluations diagnostiques. Devant des symptômes multiples et non spécifiques, les cliniciens et les patients peuvent craindre de passer à côté de problèmes de santé physique importants ou évidents. Les cliniciens doivent évaluer quelle est la façon judicieuse d’effectuer les examens et l’urgence à laquelle explorer les symptômes. La décision d’effectuer des examens plus approfondis repose sur un grand jugement clinique et peut dépendre de la détection des profils cliniques. L’étendue des examens doit également reposer sur les avantages potentiels (la probabilité de parvenir à un diagnostic de trouble physique, la nécessité de rassurer les familles) par rapport aux risques des interventions invasives (p. ex., la sédation en vue d’une imagerie à résonance magnétique (IRM) ou d’une endoscopie), au coût pour les familles ou le système de santé ou à la découverte d’observations fortuites. Lors des explorations diagnostiques, quelle que soit l’étendue des examens, il est important que le clinicien recoure à une approche biopsychosociale globale pour formuler son impression clinique et en expliquer le processus aux patients[22][23] plutôt que de se fier à un simple cadre biomédical. Une approche globale tient compte du double rôle des affections physiques et mentales qui peuvent contribuer aux diagnostics définitifs[22][24]. Le tableau 2[21][25]-[33] contient la liste des examens courants à envisager en présence de symptômes non spécifiques évocateurs d’un TSSA et de situations où ces symptômes se superposent à d’autres indications diagnostiques importantes.

Tableau 2. Considérations courantes à l’égard des examens pour diagnostiquer des troubles à symptomatologie somatique et apparentés

Symptôme

Examens

Intolérance orthostatique

Signes vitaux orthostatiques, envisager le test du lever de chaise de 10 minutes lorsque c’est possible[25], score de Beighton[26][27], hémogramme[21], cortisol[21], électrolytes

Crises psychogènes non épileptiques

EEG

Bouffées vasomotrices ou urticaire

Essai diagnostique ou thérapeutique d’antihistaminique, envisager la tryptase sérique pour le traitement du syndrome d’activation mastocytaire[28][29]

Fatigue chronique et brouillard cérébral

Hémogramme, cortisol, électrolytes, ALT, sérologie du VEB, Cr, thyréostimuline, CRP/VS, ferritine, B12, HbA1C

Dysphagie

Si elle est évolutive, envisager une étude de contraste ± endoscopie des voies gastro-intestinales supérieures

Céphalées

Aucun, à moins de signes évocateurs ou d’un examen neurologique anormal[30]-[32]

Douleurs abdominales récurrentes

ALT, albumine, hémogramme, CRP/VS, dépistage de la maladie cœliaque, ferritine, analyse des urines, échographie abdominale[33]

ALT alanine aminotransférase; CRP/VS, protéine C réactive/vitesse de sédimentation; Cr créatine; EEG électroencéphalographie; VEB virus d’Epstein-Barr

 

Les stratégies des rencontres cliniques

De nombreuses publications ont porté sur la manière de parler aux familles de santé mentale après un diagnostic de TSSA, y compris des scénarios cliniques[34][35]. Il y a beaucoup moins de conseils cliniques sur l’approche à privilégier aux premières phases de la maladie, avant que le concept de relation esprit-corps ait été présenté ou pleinement compris, ou lorsque les examens diagnostiques sont en phase précoce[36].

L’approche de l’enfant ou de l’adolescent ayant un TSSA et de sa famille dépend des variables suivantes : 1) où en sont-ils dans leur parcours diagnostique; 2) leurs symptômes physiques ont-ils été abordés comme il se doit; 3) à quel point sont-ils à l’écoute de leur relation esprit-corps et sont-ils ouverts à parler du rôle des facteurs de stress et 4) à quel point sont-ils prêts à parler de santé mentale. Les principes fondamentaux à respecter lors des premières rencontres figurent ci-dessous :

  1. Emprunter un parcours parallèle. Pendant qu’il rassemble de l’information sur la santé du patient et qu’il fournit un diagnostic à la famille, le clinicien doit réfléchir à l’apport des affections physiques et mentales au diagnostic différentiel et l’en informer[37]. De nombreuses manifestations de TSSA reposent sur un élément déclencheur physique à composante biologique qui explique l’expérience des symptômes. Par exemple, un adolescent atteint d’une maladie fébrile virale entraînant de la fatigue et des douleurs abdominales peut ressentir une incapacité et des symptômes persistants en raison de facteurs prédisposants, précipitants ou continus. De même, un enfant atteint d’une maladie inflammatoire de l’intestin peut souffrir de douleurs abdominales fonctionnelles qui s’exacerbent en fonction de l’inquiétude relative à l’inflammation attribuable à la maladie de Crohn. Les mécanisme sérotoninergiques qui président à la régulation des réponses de stress dans le cerveau sont également présents dans l’estomac, ce qui contribue à expliquer l’interaction entre le stress et les symptômes gastro-intestinaux[38]. Le clinicien doit expliquer que la recherche et le traitement d’un diagnostic de trouble de santé mentale n’écartent pas nécessairement la poursuite d’examens pour trouver d’autres causes physiques, surtout devant l’évolution des symptômes. Les examens peuvent plutôt être effectués en parallèle. Par exemple, le clinicien peut expliquer à la famille d’un enfant qui souffre de douleurs abdominales et qui a des selles dures et peu fréquentes que la constipation est un diagnostic clinique qui ne dépend pas d’une radiographie. La famille peut également avoir besoin d’entendre que la probabilité de dépister une pathologie à la colonoscopie est faible lorsque l’examen physique, les examens de laboratoire et les examens d’imagerie ne corroborent pas un diagnostic de maladie inflammatoire de l’intestin. Le clinicien doit s’assurer de parler des dangers des examens invasifs (p. ex., sédation, saignements) et indiquer quels signes ou symptômes (p. ex., perte de poids inexpliquée ou anémie) à surveiller, susceptibles d’indiquer la nécessité de procéder à d’autres examens. Il doit prendre le temps d’expliquer les fondements cliniques en appui et à l’encontre des examens précis exigés par la famille (« Pourquoi ne pas effectuer une IRM? ». « Vous ne pourriez pas effectuer des examens de laboratoire? »). Il faut du temps pour expliquer l’approche à l’égard des examens, mais cette démarche contribue à éviter des interventions et des examens invasifs et inutiles chez l’enfant et, par-dessus tout, la famille se sentira plus « entendue » lorsqu’elle participera aux décisions communes. 
  2. Fixer des limites aux examens et en expliquer la raison. Puisque les patients et les familles ont souvent l'impression de ne pas être pris au sérieux et se sentent mal compris et inquiets quant à leur propre bien-être (ou à celui de leur enfant), ils craignent peut-être trop que les médecins passent à côté de quelque chose[39]. Le manque de confiance ou la peur peuvent ainsi entraîner la poursuite résolue d’examens et de deuxième avis. Les soins deviennent alors mal coordonnés, redondants et non systématiques, et les familles reçoivent des messages contradictoires. Pour l’enfant, le cycle peut être associé à des examens inappropriés, une anxiété plus marquée, un risque de complications et des retards de traitement en santé mentale.
  3. Organiser les soins et les communications. Les familles d’enfants ou d’adolescents qui ont un TSSA utilisent souvent le système de santé[10], demandent souvent de multiples opinions et peuvent ensuite obtenir une « étiquette » défavorable. Ces comportements de recherche de soins peuvent être à la fois le résultat et la raison du sentiment chronique d’invalidation, d’abandon et de délégitimation[39]. Les proches ont souvent le fardeau de devoir s’y retrouver dans le système de santé et d’interpréter les avis qu’ils reçoivent. L’isolement peut ajouter à la confusion et à la méfiance. Cependant, il peut être d’une extrême utilité qu’un clinicien prenne l’initiative de la coordination des soins lorsque de multiples professionnels de la santé font partie de l’équipe soignante. Le partage des notes cliniques avec le « cercle de soins » de l’enfant et la tenue de réunions multidisciplinaires qui incluent les services de première ligne peuvent contribuer à unifier les messages et la coordination des soins. Il peut être difficile de conjuguer les considérations pratiques nécessaires pour réunir de nombreux cliniciens, mais il peut être utile de remettre une communication écrite à la famille au sujet de l’impression globale et du plan de soins, y compris la façon dont cette communication a été transmise à la famille[35]. De plus, il peut être bénéfique de remettre une synthèse écrite des observations et des avis à la famille pour soutenir et éclairer l’interprétation de la situation.
  4. Faire part des impressions diagnostiques aux familles. Dans le cadre de leur parcours diagnostique, les familles d’enfants ou d’adolescents ayant un TSSA se font souvent dire ce que leur enfant n’a pas (p. ex., « ce n’est pas un cancer, une maladie cœliaque ou un syndrome d’Ehlers-Danlos »). La plupart des patients entendent beaucoup moins parler de ce que le clinicien pense qu’ils ont. Puisqu’il peut être difficile de parler d’un diagnostic de TSSA, les cliniciens évitent parfois d’utiliser les termes « somatisation » ou « trouble de santé mentale ». Toutefois, en ne parlant pas de ce diagnostic lorsqu’il est posé ou présumé, on contribue à alimenter la confusion de la famille à l’égard du problème[40]. De plus, lorsque le diagnostic de TSSA n’est pas transmis à la famille, celle-ci ne peut pas recevoir de psychoéducation, de réadaptation et de psychothérapie fondée sur des données probantes.

Les approches thérapeutiques

La psychoéducation

Le clinicien doit expliquer la relation esprit-corps et normaliser la somatisation. Il doit décrire la physiologie du stress, le rôle des neurotransmetteurs (p. ex., récepteurs de la sérotonine à la fois dans le cerveau et l’estomac) et le trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle et décrire les diverses régions du cerveau qui sont touchées (amygdale, cortex préfrontal, cortex moteur). Il doit souligner que les symptômes peuvent être perçus comme un problème « de logiciel » plutôt que « de disque dur »[41]. Il existe des scénarios cliniques que les cliniciens peuvent utiliser dans un cadre psychoéducatif[34][39]. Il faut du temps pour faire du counseling, mais c’est une étape essentielle pour réduire la confusion diagnostique, comprendre les symptômes et faciliter le diagnostic et un traitement rapide[39].

Le traitement des affections psychiatriques cooccurrentes

De nombreux enfants ou adolescents qui ont un TSSA ont des troubles psychiatriques cooccurrents dont les symptômes se superposent ou non, tels que l’anxiété, la dépression ou un trouble des conduites alimentaires[42]. Ces affections doivent être traitées simultanément, conformément aux directives habituelles[43], le trouble psychiatrique le plus perturbant étant priorisé.

La participation à la réadaptation

Certaines familles affirment que leur enfant ne reprendra ses activités qu’après la disparition des symptômes. Il est toutefois préférable d’aider les familles à adopter un modèle de réadaptation, dans le cadre duquel l’enfant participe à des activités même en présence de symptômes. La réadaptation peut inclure l’ergothérapie, la physiothérapie ou l’orthophonie. Le rôle de la réadaptation pour le traitement des TSSA n’est pas appuyé par des études fondées sur des données probantes de qualité[44][45], mais les publications sur la douleur chronique[46][47] établissent clairement qu’une approche multimodale, incluant des services de réadaptation, contribue au rétablissement. L’ergothérapie peut contribuer à la mobilisation et aux aménagements à l’école. La physiothérapie peut améliorer la mobilité et éviter – ou à tout le moins réduire – l’utilisation d’aides à la marche comme le déambulateur ou le fauteuil roulant, qui peuvent être difficiles à délaisser une fois en place. Elle peut aussi contribuer à la sélection d’activités tolérables et à la prévention du déconditionnement.

Lorsque le clinicien rencontre une famille qui n’est pas prête à envisager que la relation esprit-corps fait partie de l’état de leur enfant malgré d’importantes limites fonctionnelles, les deux parties peuvent se sentir « coincées ». La physiothérapie et l’ergothérapie procurent une conjoncture favorable à l’adoption d’un parcours fonctionnel de réadaptation. Le clinicien peut rassurer les familles s’il leur précise que la priorité accordée à la réadaptation n’exclut pas la tenue d’autres examens ou d’un autre diagnostic, mais que cette démarche vise plutôt à soutenir leur enfant et à éviter une dégradation.

Le soutien d’aménagements à l’école et lors des activités

Il faut préconiser le maintien des activités fonctionnelles ou la reprise de ces activités tout en poursuivant les examens, la psychoéducation, la médication ou les autres traitements. Il est fréquent que les personnes qui ont un TSSA évitent l’école, et il peut être bénéfique de proposer des aménagements pour favoriser la fréquentation[7][13]. La sollicitation d’une rencontre avec l’école, l’envoi d’une lettre (ou les deux) ou une consultation en ergothérapie pour planifier des aménagements particuliers, peut faciliter le retour plus rapide aux activités scolaires normales. Les plans d’enseignement individualisés sont définis par les besoins du patient et les ressources scolaires, mais il existe des aménagements courants, tels que l’offre d’une pièce silencieuse, l’autorisation de porter des écouteurs antibruits pour réduire la stimulation, l’allégement de la charge de travail par un retour graduel aux attentes scolaires et sociales et la permission de donner les présentations en position assise en cas d’intolérance orthostatique. Lorsque les symptômes du patient sont visiblement inquiétants pour l’entourage (p. ex., les crises psychogènes non épileptiques), le clinicien doit remettre une lettre qui décrit un événement type, la manière de soutenir l’élève lorsque cet événement se produit et les situations dans lesquelles le personnel scolaire peut envisager d’appeler les services médicaux d’urgence.

L’envoi en psychothérapie

La thérapie cognitivo-comportementale est le type de psychothérapie le plus offert aux enfants ayant un TSSA[48][49]. Des données probantes émergentes appuient également la thérapie d’acceptation et d’engagement, la thérapie psychodynamique et la thérapie familiale axée sur les émotions pour le traitement des TSSA[48][50]. L’encadrement des proches inclut des techniques de validation de l’enseignement, l’appui des stratégies d’adaptation et de prise en charge des symptômes et l’accent sur les forces et capacités individuelles malgré les symptômes.

Recommandations aux cliniciens

Les obstacles courants à l’acceptation d’un diagnostic et d’un traitement des TSSA par les familles comprennent la dévaluation des symptômes ressentis, l’incertitude diagnostique et les explications inappropriées des manifestations des symptômes. Les stratégies en appui au diagnostic, à la prise en charge des symptômes et au patient et à la famille s’établissent comme suit :

  1. Valider les symptômes de l’enfant ou de l’adolescent (« la douleur est réelle ») et ses conséquences sur la vie et sur la famille, telles que les retards scolaires et la perte d’amitiés, les douleurs chroniques, les nuits d’insomnie, les difficultés à travailler et la charge mentale.
  2. Reconnaître les efforts de la famille à défendre leur enfant et les obstacles avec lesquels elle a dû composer, tels que s’y retrouver dans le système, recevoir des messages contradictoires et contrer la notion selon laquelle « tout ça, c’est dans votre tête ».
  3. Fixer des attentes. Établir clairement qu’il ne sera peut-être pas possible de poser un diagnostic immédiatement, mais qu’en attendant, il est possible de prendre les symptômes en charge et de suivre l’évolution de l’affection. Informer la famille de l’intention d’entendre le point de vue des proches tout autant que du patient, ensemble et séparément.
  4. Offrir aux familles des occasions de raconter leur histoire et de confier leurs objectifs. Que se passe-t-il à leur avis? À quels examens espèrent-ils que l’enfant soit soumis et pourquoi? La mobilisation permet aux familles de se sentir entendues et aux cliniciens de réagir aux idées fausses. Proposer d’envisager les examens en fonction des profils cliniques et des données probantes exemplaires, après en avoir évalué les avantages et les risques.
  5. Expliquer la relation esprit-corps. Donner des exemples pour démontrer que les émotions, désirées ou non, peuvent se manifester par des signes physiques, comme la transpiration des aisselles en période d’excitation, la dilatation des pupilles en cas de peur, la chair de poule en réaction à une frousse, les « papillons dans l’estomac » dans des situations de nervosité et la fatigue chez une personne qui se sent dépassée.
  6. Plutôt que de se concentrer sur les diagnostics que l’enfant ou l’adolescent n’a pas, transmettre l’impression diagnostique de trouble à symptomatologie somatique ou de trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle au patient et à la famille. Utiliser le terme « somatisation » et normaliser le diagnostic en parlant ouvertement de l’histoire et des expériences du patient.
  7. Souligner que la participation à un traitement psychologique ou un traitement de réadaptation peut se conjuguer avec les examens et les traitements physiques. Si la famille hésite, la prise en charge rapide de symptômes perturbants peut renforcer la relation thérapeutique à long terme.
  8. Soutenir la famille par un suivi étroit, qui tient compte de ses incertitudes, est à l’écoute de son parcours et démontre un engagement.
  9. Communiquer avec les autres praticiens du « cercle de soins » de la famille pour s’assurer de transmettre un message unifié. Un appel téléphonique ou une note peut se révéler très utile.
  10. Préconiser des modifications au système de santé qui amélioreront la prestation des soins et les modèles de rémunération et refléteront la complexité de répondre aux besoins des enfants et des adolescents ayant un TSSA et le temps nécessaire pour le faire.

Remerciements

Le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la santé des adolescents et le comité des soins aigus de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes, qui a également été révisé et approuvé par l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.


COMITÉ DE LA SANTÉ MENTALE ET DES TROUBLES DU DÉVELOPPEMENT DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (2023-2024)

Membres : Anne Kawamura MD (présidente), Johanne Harvey MD (représentante du conseil), Natasha Saunders MD, Megan Thomas MBCHB, Scott McLeod MD, Ripudaman Minhas MD, Alexandra Nieuwesteeg MD (membre résident)

Représentants : Olivia MacLeod MD (Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent), Angela Orsino MD (section de la pédiatrie du développement de la SCP), Leigh Wincott MD (section de la santé mentale de la SCP)

Auteures : Natasha Ruth Saunders MD M. Sc. FRCPC, Anne Kawamura MD FRCPC, Olivia MacLeod MD, FRCPC, Alexandra Nieuwesteeg MD, Claire De Souza MD FRCPC

Financement

Le présent document de principes n’a reçu aucun financement direct, mais a été soutenu par la Société canadienne de pédiatrie.

Conflits d’intérêts potentiels

La docteure Saunders déclare avoir reçu des honoraires personnels du Groupe BMJ, Archives of Disease in Childhood et des honoraires de l’équipe des Lignes directrices canadiennes concernant le syndrome post-COVID-19 qui n’ont rien à voir avec le manuscrit. Aucun autre conflit n’a été déclaré.


Références

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Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.

Mise à jour : le 20 novembre 2024