Point de pratique
Affichage : le 1 octobre 2012 | Reconduit : le 1 janvier 2020
Valérie Marchand; Société canadienne de pédiatrie, Comité de nutrition et de gastroentérologie
Paediatr Child Health 2012;17(8) : 451
La surveillance de la croissance est une partie essentielle des soins de santé pédiatriques, de la naissance jusqu’à l’adolescence. Les problèmes de croissance et d’alimentation se manifestent souvent entre 18 mois et trois ans. Les professionnels de la santé qui participent aux soins des enfants doivent surveiller la croissance de près pendant cette période, être en mesure d’évaluer un tout-petit dont la croissance semble péricliter et savoir quand et comment intervenir.
Mots-clés : Appetite; Growth; Nutritional intervention; Toddler
Les courbes de croissance sont le meilleur outil pour évaluer la croissance et l’état de santé général d’un enfant. En général, mais pas toujours, la taille et le poids de l’enfant épousent un certain percentile entre la naissance et l’âge adulte. Pendant les deux à trois premières années de vie, il n’est pas rare de voir la croissance d’un enfant dévier du percentile antérieur, soit vers le haut, soit vers le bas. Ce phénomène peut être normal, mais il peut également indiquer un problème de santé sous-jacent. Les médecins qui participent aux soins des enfants doivent surveiller de près le poids, la taille en position horizontale et verticale et la circonférence crânienne de l’enfant pour déceler les modifications à son schéma de croissance. Ils doivent également décider s’ils doivent intervenir lorsque la croissance semble péricliter, ainsi que la manière et le moment de le faire.
La surveillance de la croissance est une partie essentielle des soins pédiatriques. Les problèmes de santé ou les problèmes nutritionnels nuisent presque toujours à la croissance. Obtenues correctement, les mesures sérielles du poids et de la taille sont le meilleur indice pour évaluer la santé globale et l’état nutritionnel de l’enfant.
Les courbes de croissance de l’OMS adoptées récemment (pour les enfants de la naissance à cinq ans) ont été préparées à partir d’un vaste échantillon d’enfants de partout dans le monde, élevés dans des conditions optimales. Elles représentent la répartition réelle du poids et de la taille selon l’âge et le sexe et permettent au médecin de comparer la croissance de l’enfant à une population de référence. Elles sont désormais considérées comme la norme pour surveiller la croissance et ont remplacé les courbes de croissance des Centers for Disease Control (CDC) des États-Unis qui étaient utilisées auparavant [1]-[3].
En général, les enfants épousent le même percentile de poids et de taille (en position horizontale ou verticale) pendant la majeure partie de leur enfance, mais même s’ils ont une croissance normale, ils peuvent également changer de percentile pendant leurs deux à trois premières années de vie pour rétablir leur potentiel génétique [4]. Au moyen des courbes de croissance du National Center for Health Statistics (CDC) (qui indiquent le 3e, 10e, 25e, 50e, 75e, 90e et 97e percentiles), DW Smith a démontré que jusqu’à 30 % des enfants normaux traversent une grande ligne de percentile et que 23 % en traversent deux pendant leurs deux premières années de vie [5]. On ne peut appliquer les évaluations de Smith aux courbes de croissance de l’OMS, car les grands percentiles consignés sont différents (0,1 percentile, 3e, 15e, 50e, 85e, 97e, 99,9e percentiles). Le fait de traverser deux grandes lignes de percentile sur les courbes de croissance de l’OMS serait indicateur d’un plus grand changement, qu’on ne pourrait considérer comme normal.
Le poids et la taille à la naissance sont de solides prédicteurs de la croissance subséquente [6], mais ils ne reflètent pas toujours le potentiel génétique de l’enfant. La croissance intra-utérine peut être retardée par des facteurs externes (p. ex., malnutrition ou tabagisme de la mère, diabète gestationnel, insuffisance placentaire). Après la naissance, on peut observer un certain « rattrapage » si le nourrisson est né en deçà de son potentiel génétique, ou une « décélération » s’il est né au-delà de ce potentiel.
Les schémas de croissance dépendent également de l’alimentation. Les nourrissons allaités grandissent souvent plus vite que ceux à qui on donne une préparation lactée pendant les six premiers mois de vie, et les bébés qui prennent une préparation lactée grandissent plus vite après six mois.
Les enfants qui présentent un retard de croissance constitutionnel commenceront à manifester un retard de croissance linéaire pendant leurs trois premières années de vie. Après cette période, la croissance reprend à un rythme normal, mais parallèle ou inférieur à la courbe de croissance, ou le long du seuil inférieur des percentiles de croissance pendant les années prépubertaires. Après l’âge de trois ans, on ne devrait observer aucun changement du percentile de croissance jusqu’à la puberté.
Des facteurs postnatals, comme des problèmes nutritionnels ou environnementaux, une endocrinopathie ou une maladie chronique, peuvent nuire à la croissance. Chez les tout-petits, le retard de croissance résulte souvent d’un apport calorifique insuffisant, mais il peut également représenter le premier signe d’une maladie chez un enfant autrement asymptomatique. La courbe de croissance seule fournit beaucoup d’information. Règle générale, le rajustement du potentiel génétique touche tout autant le poids que la taille, tandis que l’endocrinopathie touche davantage la taille que le poids. Des troubles nutritionnels ou une maladie systémique peuvent nuire d’abord au poids, puis toucher la croissance linéaire plus tard.
Si les médecins découvrent et traitent une maladie sous-jacente rapidement, et si l’enfant profite d’une bonne alimentation, le retard de croissance peut être réversible. Dans la négative, la taille finale de l’enfant peut en souffrir. Le potentiel de rattraper la croissance dépend de la gravité, de la durée et du moment de l’atteinte. Peu d’études portent sur les conséquences à long terme du retard staturopondéral sur la taille, le développement et l’intelligence à l’âge adulte [7]-[9].
Il est important de vérifier l’exactitude des mesures anthropométriques. Dans l’idéal, il faut peser l’enfant dans les mêmes conditions (p. ex., nu, sans couche), sur le même pèse-personne, et le mesurer correctement au moyen d’une toise.
On peut utiliser la moyenne des tailles des parents pour évaluer le potentiel génétique de l’enfant :
Garçons : (taille du père + taille de la mère) / 2 + 6,5 cm ± 8,5 cm
Fillettes : (taille du père + taille de la mère) / 2 – 6,5 cm ± 8,5 cm
Que l’enfant respecte ou non son potentiel de croissance, il faudrait l’évaluer afin de déterminer les principales causes d’un retard de croissance lorsque le schéma de croissance est anormal.
Il faut obtenir les antécédents nutritionnels complets de l’enfant. On peut calculer son apport calorifique d’après un journal alimentaire de 72 heures et le comparer aux besoins de l’enfant selon son âge, avec l’aide d’un nutritionniste. L’apport calorifique considéré comme « correct » selon le poids réel de l’enfant ne suffit pas pour rattraper la croissance.
La plupart du temps, on constate un apport insuffisant chez un enfant tout à fait normal, mais les enfants atteints d’une maladie chronique sont souvent de mauvais mangeurs. Les enfants ayant une infection chronique ou récurrente, une immunodéficience, une maladie inflammatoire de l’intestin [10] ou une maladie cœliaque ont souvent un apport calorifique insuffisant, même s’ils présentent peu de symptômes gastro-intestinaux, sinon aucuns. On peut observer une faible croissance malgré un apport suffisant chez des enfants ayant une maladie endocrinienne, une insuffisance rénale, une acidose tubulaire rénale [11] ou un syndrome génétique. Il faut présumer une malabsorption lorsqu’un enfant ne grandit pas malgré un apport calorifique supérieur à ce qu’il devrait être normalement.
Il est également important d’évaluer les antécédents alimentaires de l’enfant et son comportement pendant les repas. Les enjeux à explorer avec les personnes qui s’occupent de l’enfant peuvent inclure :
Il faudrait également évaluer la réaction des parents aux troubles d’alimentation. Les problèmes d’alimentation et de croissance sont souvent sources de stress et d’anxiété, et ils peuvent influer sur la relation alimentaire entre le parent et l’enfant.
Un apport calorifique insuffisant chez un enfant autrement en santé constitue la principale cause de retard de croissance, mais le médecin découvre parfois une maladie sous-jacente (tableau 1). Il faut procéder à une anamnèse complète et à un examen physique. Si la situation clinique l’indique, on peut demander un bilan de base (tableau 2).
L’apport nutritionnel ou calorifique peut être insuffisant pour les raisons suivantes |
Les pertes énergétiques accrues peuvent être attribuables à : – l’émésie,
|
Des besoins d’énergie accrue peuvent être attribuables à : – une pathologie chronique sous-jacente |
Un problème endocrinien peut être induit par : – une hypothyroïdie |
D’autres (rares) causes de retard de croissance chez les tout-petits – La présence d’une tumeur diencéphalique |
Si le médecin ne décèle aucune maladie sous-jacente, il peut rassurer les parents et leur dire que leur enfant est en bonne santé. Il peut être rassurant de savoir que les enfants ne sont pas tous destinés à se situer au 50e percentile et que la croissance de l’enfant dépend de son potentiel génétique. Envisagez ensuite les étapes suivantes :
Après une évaluation attentive du régime de l’enfant, il faut optimiser son apport calorifique. L’apport total tient compte des exigences relatives à l’âge et de la nécessité de prévoir des calories supplémentaires pour s’assurer de rattraper le retard de croissance.
Besoins calorifiques (cal/kg/jour) = besoins calorifiques par rapport au poids et à l’âge (cal/kg/jour) × poids idéal par rapport à la taille (kg) / poids réel (kg)
Un nutritionniste peut analyser le régime de l’enfant et suggérer des moyens simples pour accroître la densité calorifique grâce à des produits qu’il est facile de se procurer, comme la crème, l’huile, le lait en poudre ou les polymères de glucose. On peut utiliser les préparations lactées adaptées à l’âge qui procurent 1 kcal/mL ou 1,5 kcal/mL pour remplacer le lait régulier. Les préparations lactées sont administrées après le repas, afin d’éviter de nuire à l’apport nutritionnel.
Dans des cas exceptionnels, on peut envisager la pharmacothérapie pour les enfants ayant un retard de croissance attribuable à un apport nutritionnel insuffisant. Cette intervention n’est envisageable qu’après l’évaluation attentive d’un expert dans le domaine. L’un des avantages des stimulants de l’appétit, c’est qu’on peut alors modifier l’attitude de l’enfant envers les aliments. L’enfant ressent la faim et est plus heureux de manger. L’anxiété des parents diminue, et l’heure des repas devient moins stressante.
La cyproheptadine est un antihistaminique parfois utilisé pour accroître l’appétit. Elle peut causer une somnolence transitoire. Une tolérance se manifeste au fil du temps, et il faut donc l’utiliser par cycles pour en maintenir l’efficacité [13].
D’autres stimulants de l’appétit, tels que les dérivés des cannabinoïdes et l’acétate de mégestrol, sont utilisés dans certaines situations cliniques, mais ne doivent pas être administrés aux enfants en bonne santé [15].
On peut envisager le gavage dans des cas exceptionnels si l’enfant ne grandit pas, mais c’est une solution traumatisante à la fois pour l’enfant et pour la famille [12]. L’insertion d’une sonde nasogastrique est une expérience déplaisante qui peut susciter une aversion orale supplémentaire et réduire l’appétit d’un enfant déjà fragile. Ces effets compliquent le sevrage éventuel du gavage. Le gavage devrait être réservé aux patients dont la maladie sous-jacente s’aggrave en raison de leur état nutritionnel insatisfaisant, qui en compromet l’issue, ou si l’alimentation orale est jugée non sécuritaire. Chez un enfant autrement normal qui ne grandit pas conformément aux normes et dont l’apport calorifique est insuffisant pour assurer une croissance normale, le gavage ne doit être utilisé qu’en dernier recours.
On blâme souvent les parents pour les problèmes de croissance de leur enfant, surtout lorsque l’apport calorifique est inadéquat ou que l’enfant adopte des comportements difficiles en matière d’alimentation. Chez les tout-petits, le refus de manger peut découler de premières expériences alimentaires désagréables, peut-être attribuables à un reflux gastro-œsophagien ou à une allergie. Il arrive que le souvenir d’une expérience désagréable persiste longtemps après la résolution du problème et qu’elle continue à influer sur le comportement alimentaire. Le fait de forcer l’enfant à manger et les conflits au sujet de la nourriture rendent les repas stressants et désagréables pour toute la famille. Cependant, même si l’anxiété des parents peut exacerber un problème alimentaire, il en est rarement la seule cause. Les parents d’enfants affichant un retard de croissance peuvent être stressés, se sentir craintifs ou impuissants, être susceptibles devant les questions sur leurs pratiques parentales ou leur approche alimentaires ou être facilement offensés par des comparaisons avec d’autres [15]. Les professionnels de la santé doivent connaître les répercussions de leurs paroles et de leurs actions sur les familles. L’intervention doit viser à réduire l’anxiété des parents, à remettre le contrôle de l’alimentation à l’enfant et à faire des repas une expérience familiale plus agréable et plus positive [16]. Le fait de forcer un enfant à manger peut avoir de plus graves conséquences à long terme qu’une courte période de lente prise de poids. Il peut également être utile de compter sur l’aide d’un psychologue, d’un ergothérapeute ou d’un orthophoniste.
Il est essentiel de surveiller la croissance de l’enfant pour déceler des carences nutritionnelles ou des maladies sous-jacentes. Lorsque la croissance de l’enfant périclite, il faut procéder à un bilan de base et à une évaluation nutritionnelle. Selon ses signes et symptômes, on peut envisager des explorations supplémentaires et l’aiguillage vers un spécialiste. Cependant, on peut observer un changement de percentile chez un enfant normal au cours de ses deux à trois premières années de vie. Chez un enfant autrement en santé dont le bilan de base est normal et qui grandit conformément à son potentiel génétique, on peut généralement rassurer les parents. Il faut optimiser l’apport calorifique. Si on ne parvient pas à une croissance convenable, on peut envisager de la cyproheptadine. Le gavage n’est à envisager qu’en dernier recours chez l’enfant en santé qui périclite sous les courbes de croissance.
Devant un enfant qui ne grandit pas convenablement, le médecin ou le nutritionniste doit prendre les mesures suivantes :
COMITÉ DE NUTRITION ET DE GASTROENTÉROLOGIE DE LA SCP
Membres : Dana L Boctor MD; Jeffrey N Critch MD (président); Manjula Gowrishankar MD; Daniel Roth MD; Sharon L Unger MD; Robin C Williams MD (représentante du conseil)
Représentants : Jatinder Bhatia MD, American Academy of Pediatrics; Genevieve Courant IP, M. Sc., Comité canadien pour l’allaitement; A George F Davidson MD, Human Milk Banking Association; Tanis Fenton, Les Diététistes du Canada; Jennifer McCrea, Santé Canada; Jae Hong Kim MD (ancien membre); Lynne Underhill M. Sc., Bureau des sciences de la nutrition, Santé Canada
Auteure principale : Valérie Marchand MD (présidente sortante)
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 décembre 2023