Document de principes
Affichage : le 1 septembre 2004 | Reconduit : le 28 février 2018
SM Findlay; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé de l’adolescent
Paediatr Child Health 2004;9(7):499-503
Les préoccupations à l’égard du poids et de la silhouette sont extrêmement courantes pendant l’adolescence. En plus d’être exposés aux risques bien réels de l’obésité et d’une mauvaise alimentation, les jeunes donnent prise à des idéaux de beauté d’une minceur irréaliste véhiculés par les médias [1]. Malheureusement, cette trop grande importance accordée à la minceur est interprétée par les jeunes, qui font équivaloir minceur et beauté, succès et santé. À cause des médias, les adolescents découvrent également diverses façons de perdre du poids pour parvenir à cet idéal de minceur. Les sources d’information offertes sur la santé et la nutrition sont souvent douteuses et peu fiables, moins motivées par des données scientifiques probantes que par des tendances à la mode et des intérêts financiers. Il en résulte que de nombreux adolescents ressentent la pression culturelle d’être plus minces pour être en bonne santé et tentent de réaliser cet objectif par de mauvais choix nutritionnels, parfois dangereux.
De récentes données canadiennes démontrent que près de la moitié des adolescents ontariens (de 12 à 18 ans) qui vont à l’école publique sont insatisfaits de leur poids [2]. Même les préadolescents sont nombreux à désirer être plus minces [3][4][5]. Il n’est donc pas surprenant que des stratégies visant à modifier le poids et la silhouette soient également très prévalentes. Des données transversales canadiennes indiquent que plus d’une adolescente sur cinq « est au régime » à un moment ou un autre [2]. Des données américaines [5]-[10], australiennes [11][12][13] et britanniques [14] indiquent des taux aussi élevés de tentatives de perte de poids chez les adolescents. Selon une récente analyse [15] des régimes à l’adolescence, de 41 % à 66 % des adolescentes et de 20 % à 31 % des adolescents ont déjà tenté de perdre du poids.
Les adolescents ont bien des raisons de se mettre au régime, mais une insatisfaction à l’égard du schéma corporel et un désir d’être plus mince sont les facteurs de motivation de la majorité d’entre eux [16]. Les tentatives pour perdre du poids peuvent s’associer à diverses modifications de comportement, telles que des changements d’habitudes alimentaires ou de fréquence d’exercice. Suivre un régime est un comportement mal défini aux significations diverses, à la fois pour les patients et pour les professionnels, mais pour la plupart, il désigne une modification intentionnelle et souvent temporaire des habitudes alimentaires pour perdre du poids [3][17][18]. Il est difficile de comparer les études sur le statut et la rigueur des régimes en raison de la variation des définitions. Toutefois, partout, l’autovomissement et l’usage de laxatifs et d’agents amaigrissants sont considérés comme malsains ou extrêmes [13][18][19][20]. Dans de nombreuses études [8][10][13], les régimes chroniques (plus de dix par année), les régimes miracles, le jeûne et le fait de sauter des repas sont également classés parmi les stratégies malsaines. De nombreux auteurs [8][21] appellent « alimentation désordonnée » le recours à ces comportements pour perdre du poids si ceux-ci ne sont pas assez marqués pour justifier un diagnostic de trouble de l’alimentation.
Les comportements imputables aux régimes couvrent le spectre de sains à malsains. Les choix d’un jeune à l’égard de son régime peuvent s’harmoniser avec les recommandations d’une vie active saine, comme augmenter l’apport de fruits, de légumes et de céréales de grain entier, réduire modérément l’apport de matières grasses et faire plus d’exercice [7]. Cependant, un pourcentage important d’adolescents, et surtout d’adolescentes, adoptent des comportements malsains pour contrôler leur poids. Selon de récentes données canadiennes, 8,2 % des jeunes filles ontariennes de 12 à 18 ans et 4 % des jeunes filles britannocolombiennes ont indiqué qu’elles se faisaient vomir pour contrôler leur poids [2][4]. Plusieurs vastes études transversales ont porté sur la fréquence de pratiques précises de contrôle de poids [7]-[9][13][18][20][22]. Le jeûne, le fait de sauter des repas et le recours à des régimes chocs sont monnaie courante (22 % à 46 %). L’autovomissement s’observe chez 5 % à 12 % des adolescentes. L’usage de laxatifs et de diurétiques est moins fréquent (1 % à 4 %), de même que celui d’agents amaigrissants (3 % à 10 %). En outre, de 12 % à 18 % des adolescents fument la cigarette pour contrôler leur poids.
Les déterminants des régimes chez les adolescents sont sans borne. C’est pourquoi il est difficile de repérer les adolescents les plus susceptibles de se mettre au régime et d’adopter des stratégies de perte de poids compromettantes pour la santé (tableau 1). En général, à l’adolescence, les régimes et l’alimentation désordonnée augmentent avec l’âge et sont plus prévalents chez les filles [8][10]. Même s’il existe certaines variations selon le statut socioéconomique et le groupe ethnique, il est clair qu’aucun groupe n’est protégé d’une insatisfaction à l’égard du corps et de comportements de perte de poids [8][10][23]. Comme il fallait s’y attendre, les filles qui jugent faire de l’embonpoint et qui sont insatisfaites de leur corps sont plus susceptibles de se mettre au régime [2][3][6][20][24] et d’adopter des comportements malsains de perte de poids [20][21]. Le risque de régime et d’alimentation désordonnée est d’ailleurs proportionnel à l’embonpoint [11][20][25]. Cependant, malgré cette association, il importe de constater la prévalence élevée de régimes chez les adolescents d’un poids normal ou même insuffisant [4][7][11][20]. Dans une étude transversale américaine [20], 36 % des filles de poids normal étaient au régime, par rapport à 50 % de celles qui faisaient de l’embonpoint et à 55 % des obèses. La distorsion de l’image corporelle est courante chez les adolescents, qui se sentent souvent gros même s’ils ont un poids normal [13][26]. De toute évidence, la perception d’embonpoint représente un facteur dans la décision que prend l’adolescent de tenter de perdre du poids, qu’il fasse vraiment de l’embonpoint ou non. La majorité des adolescents canadiens affichent un poids normal [27], et de nombreux adolescents au régime vus en clinique s’inscrivent, en fait, dans une fourchette de poids saine.
TABLEAU 1 Corrélats de régimes et de comportements malsains relativement au poids chez les adolescents |
Facteurs individuel
Facteurs familiaux
Facteurs environnementaux
Autres facteurs
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De nombreux facteurs individuels différencient ceux qui font des régimes de ceux qui n’en font pas. Dans plusieurs vastes études transversales [4][8][28]-[31], il a été démontré que l’estime de soi était un facteur marquant distinguant les adolescents adoptant des pratiques malsaines de contrôle de poids de ceux qui n’en adoptaient pas, même si leur indice de masse corporelle (IMC) était contrôlé. Selon ces mêmes études, d’autres caractéristiques positives, comme un sentiment de contrôle sur sa vie, des liens familiaux étroits, des modèles adultes positifs et une participation positive à l’école protègent les jeunes des régimes malsains. Comme il fallait s’y attendre, les études [32]-[36] révèlent aussi que des critiques des parents quant au poids de l’enfant, des pressions exercées pour qu’il se mette au régime et un modèle parental de régime s’associent à des taux de régimes plus élevés et à un risque accru de comportements extrêmes à l’égard des régimes.
L’insatisfaction corporelle et des pratiques malsaines de perte de poids sont plus courantes chez les adolescents souffrant d’une maladie chronique (diabète, asthme, trouble déficitaire de l’attention et épilepsie) [37][38]. Les jeunes qui présentent des symptômes psychiatriques marqués, notamment la dépression et l’anxiété, sont plus susceptibles d’adopter des pratiques alimentaires extrêmes [11][39]. Des antécédents de moqueries reliées au poids sont également prédicteurs d’une insatisfaction à l’égard du corps, de tentatives de perte de poids et d’anomalies alimentaires [24][40]. L’influence des pairs a également des répercussions, car les filles dont les copines valorisent la minceur et qui adoptent des stratégies malsaines de perte de poids sont elles aussi plus susceptibles d’adopter ce type de stratégies [16][41][42]. Un régime végétarien pendant l’adolescence s’associe à certains choix nutritionnels positifs, comme un apport plus élevé de fruits, de légumes et de fibres. Cependant, les filles végétariennes sont plus susceptibles de faire état d’un régime et de certains comportements alimentaires désordonnés, tels que l’autovomissement et le recours à des laxatifs. Pour certains adolescents, un régime végétarien peut accompagner des comportements d’alimentation malsaine [22][43]. Parmi les autres facteurs de risque repérés, soulignons la participation à des sports reliés au poids, tels que la danse et la gymnastique [44], et une puberté précoce [45].
Des études [4][18][31][46] démontrent que les adolescents qui s’adonnent à d’autres activités à risque, y compris la consommation de drogues, les relations sexuelles non protégées et les activités illégales, sont également plus susceptibles d’adopter des stratégies de perte de poids compromettantes pour la santé. Une étude prospective [47] indique également que les adolescentes qui se préoccupent de leur poids ou qui font des régimes sont plus susceptibles de se mettre à fumer. Ces données laissent supposer qu’une alimentation désordonnée à l’adolescence s’accompagne d’autres comportements compromettants pour la santé.
Bien que les adolescents qui font des régimes puissent faire des choix positifs, les changements sont souvent temporaires. Il faut donc envisager les effets physiologiques et psychologiques néfastes possibles des régimes, notamment à la lumière des données probantes selon lesquelles les régimes sont peu susceptibles de réussir à assurer une perte de poids soutenue. La majorité des adolescents qui se mettent au régime le font sans séquelles apparentes, mais ils risquent peut-être des conséquences désagréables et peu de possibilités de bénéfice tangible. Malheureusement, peu d’études traitent des conséquences négatives éventuelles des régimes, parce qu’à l’adolescence, la plupart des régimes ne sont pas structurés et que les décisions sur les moyens de perdre du poids relèvent du hasard et sont souvent de courte durée. Plusieurs analyses [48][49] ont traité des conséquences des régimes, mais malheureusement, leurs conclusions concernent les adultes, qui ne subissent pas de changements physiques et psychologiques rapides.
Les régimes s’associent à des conséquences au potentiel négatif pour la santé. Des carences nutritionnelles, de fer et de calcium, notamment, peuvent poser des risques à court et à long terme. Chez les enfants et les adolescents en pleine croissance, une diminution même marginale de l’apport énergétique peut s’accompagner d’une décélération de la croissance [50]-[52]. Selon plusieurs études transversales [53]-[56], une alimentation désordonnée, même en l’absence de perte de poids substantielle, s’associe à une irrégularité menstruelle, y compris une aménorrhée secondaire. Le risque à long terme d’ostéopénie et d’ostéoporose chez les filles au régime, même en l’absence d’aménorrhée, est également fort inquiétant [54][57]. Les complications médicales de tout comportement purgatif, tel que l’autovomissement ou l’utilisation de laxatifs ou de diurétiques, sont bien établies, tout comme les risques reliés aux médicaments qui stimulent la perte de poids.
Les effets psychologiques à court et à long terme des régimes et des restrictions alimentaires sur les adolescents sont en grande partie inconnus. Des études [58] sur les adultes laissent supposer qu’un régime chronique s’associe à divers symptômes, y compris une préoccupation alimentaire, l’inattention, l’irritabilité, la lassitude, une tendance à trop manger et même une frénésie alimentaire. On ne sait pas si ces effets s’avèrent aussi chez les enfants et les jeunes, mais ces symptômes pourraient avoir de graves répercussions chez l’adolescent immature qui vit un rapide processus de développement social et psychologique. De nombreuses habitudes de vie se fixent à l’adolescence, et des modifications aux habitudes alimentaires des enfants et des adolescents pourraient se traduire par une alimentation dysfonctionnelle jusqu’à la fin de leurs jours.
Il est entendu que les adolescents ayant peu d’estime de soi sont plus susceptibles de se mettre au régime, souvent dans une tentative pour se sentir mieux s’ils réussissent à perdre du poids. Le processus des régimes peut empirer la situation et nuire encore plus à l’estime de soi du jeune, parce que pendant l’enfance et l’adolescence, l’estime de soi se définit en partie par des réussites et des échecs. Une étude [59] portait sur l’estime de soi d’enfants avant et après leur participation à un programme structuré de perte de poids et concluait qu’une diminution de l’estime de soi et de la perception se produisait. Par ailleurs, une étude chez des adolescents [60] révèle que la participation à un programme multidisciplinaire de perte de poids pour les adolescents obèses nuisait à l’estime de soi. Ces études étaient à petite échelle, et il est impossible d’en tirer des conclusions, mais on devrait envisager les répercussions négatives des régimes, notamment lorsqu’ils échouent, sur l’estime de soi d’un jeune. Il n’existe aucune donnée sur les répercussions des régimes autogérés sur l’estime de soi des jeunes.
L’une des questions les plus inquiétantes demeure le lien entre les régimes, l’alimentation désordonnée et les troubles de l’alimentation. Les régimes pendant l’adolescence représentent l’antécédent habituel d’anorexie nerveuse et de boulimie. Dans le cadre d’études prospectives [12][14], les régimes s’associaient à un risque de cinq à 18 fois plus élevé de troubles de l’alimentation. Cependant, on ne sait pas si les régimes causent ou suscitent la maladie ou s’ils représentent une première étape (prodrome) de la maladie. De plus, le lien entre les régimes et les frénésies alimentaires demeure controversé. En 2000, le National Task Force on the Prevention and Treatment of Obesity concluait que chez les adultes obèses ou faisant de l’embonpoint, les régimes ne s’associaient pas à des symptômes de troubles de l’alimentation, y compris les frénésies alimentaires [61]. L’analyse [61] portait principalement sur des adultes participant à un programme de perte de poids structuré et ne traitait pas du recours généralisé aux régimes autogérés ou aux répercussions des régimes chez les enfants et les adolescents. Plusieurs autres études [10][46][62] documentent le risque de frénésie alimentaire chez les adolescents au régime, et une analyse [58] des conséquences psychologiques de la privation alimentaire chez les adultes révélait une tendance à trop manger et même à avoir des frénésies alimentaires.
Enfin, on craint de plus en plus que les régimes chez les préadolescents et les adolescents aient l’effet paradoxal d’entraîner un gain de poids excessif dans le temps [60][63]. Dans le cadre d’un récente étude à vaste échelle [63] portant sur plus de 15 000 enfants (de neuf à 14 ans) suivis pendant trois ans, on a observé que les enfants au régime prenaient beaucoup plus de poids que les sujets témoins appariés qui n’en faisaient pas. Les auteurs ont conclu qu’au sein de ce groupe d’âge, les régimes autogérés étaient non seulement inefficaces, mais qu’ils pouvaient favoriser la prise de poids.
L’insatisfaction par rapport au poids est fréquente chez les adolescents d’Amérique du Nord. Les comportements de contrôle du poids sont monnaie courante. Il en existe toute une gamme, de « sain » à potentiellement dangereux. Les principaux facteurs de risque de contrôle malsain du poids sont une insatisfaction par rapport au poids, l’obésité et une mauvaise estime de soi. Les jeunes qui adoptent des régimes malsains sont vulnérables à d’autres comportements compromettant la santé, y compris la consommation de drogues, le tabagisme et les relations sexuelles non protégées. La plupart des régimes chez les adolescents ne s’associent pas à des conséquences négatives, mais il faut tenir compte des séquelles physiques et psychologiques, y compris les troubles de l’alimentation, les frénésies alimentaires et une mauvaise estime de soi. Les adolescents au régime risquent de prendre trop de poids au fil du temps.
Les recommandations de la Société canadienne de pédiatrie s’énoncent comme suit :
Les auteurs remercient le comité de nutrition de la Société canadienne de pédiatrie pour avoir révisé le document.
Membres : Jean-Yves Frappier MD (coprésident); Eudice Goldberg MD (coprésident); Doug McMillan MD (représentant du conseil); Koravangattu Sankaran MD (représentant du conseil); Sheri M. Findlay MD; Jorge L Pinzon MD; Danielle Taddeo MD
Représentante : Karen Mary Leslie MD
Auteure principale : Sheri M Findlay MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 2 février 2021