Point de pratique
Affichage : le 1 août 2018 | Mise à jour : le 22 avril 2024
Elissa Abrams, Edmond S. Chan; Société canadienne de pédiatrie, Section des allergies
Mise à jour par : Edmond S. Chan
Il y a deux types de réaction à médiation IgE aux insectes piqueurs : les réactions locales étendues et les réactions systémiques. La prise en charge aiguë des réactions locales étendues dépend des symptômes. En effet, des réactions antérieures de ce type ne justifient pas l’utilisation d’un auto-injecteur d’adrénaline ni l’administration d’une immunothérapie au venin. En revanche, l’administration d’adrénaline par voie intramusculaire est la pierre angulaire de la prise en charge immédiate des réactions systémiques. Pour ce qui est de la prise en charge à long terme, il faut prescrire un auto-injecteur d’adrénaline et demander à un allergologue pédiatrique d’envisager une immunothérapie au venin.
Mots-clés: allergie; anaphylaxie; insecte piqueur; immunothérapie au venin; réaction locale étendue
De 0,4 % à 0,8 % des enfants ont des réactions allergiques systémiques aux piqûres d’insectes [1]. Le présent point de pratique traite des divers types de réactions allergiques aux insectes piqueurs, de leur mode d’évaluation et de leur prise en charge immédiate et à long terme. On s’attarde sur les insectes piqueurs du Canada (frelons, guêpes, guêpes jaunes, abeilles). Les fourmis de feu importées sont une cause importante d’anaphylaxie dans le sud des États-Unis, mais pas encore au Canada [1]. Les réactions systémiques aux morsures, des araignées par exemple, sont rares.
Il y a deux types de réaction à médiation IgE aux insectes piqueurs : les réactions locales étendues et les réactions systémiques. En cas de réaction locale étendue, on observe un œdème d’un diamètre d’au moins 10 cm autour du point de la piqûre. D’ordinaire, la réaction prend de l’expansion pendant un à deux jours, puis s’atténue pour disparaître au bout de trois à dix jours [1].
En revanche, les réactions systémiques combinent des signes cutanés (urticaire, angiœdème), gastro-intestinaux (vomissements, diarrhée), respiratoires (respiration sifflante, toux) ou cardiovasculaires (hypotension, syncope). D’habitude, les réactions systémiques se manifestent dans les cinq à 30 minutes qui suivent la piqûre d’insecte [2] et peuvent se déclarer même si le patient n’a jamais réagi auparavant à ce type de piqûre.
Les réactions cutanées systémiques isolées (c’est-à-dire que la peau est le seul système atteint, comme lors d’une urticaire généralisée) sont un sous-type important de réaction systémique, associé à un très faible risque de réaction systémique plus marquée. Elles seront abordées plus loin.
L’anamnèse doit inclure une description détaillée du lieu où la piqûre s’est produite (y compris l’emplacement du nid, dans la mesure du possible), l’activité à laquelle s’adonnait l’enfant, l’identification de l’espèce d’insecte (dans la mesure du possible), les systèmes de l’organisme touchés par la réaction et le moment de l’apparition et de la résolution de cette réaction. Les réactions locales étendues peuvent être confondues avec une cellulite et on peut observer des traînées rouges associées à une lymphangite, mais le diagnostic de cellulite ne peut être envisagé qu’en présence d’autres symptômes systémiques, comme la fièvre [1].
Il est parfois utile de connaître le mode de nidification et le cycle de vie des divers insectes piqueurs pour identifier l’insecte responsable, afin d’orienter le diagnostic de la réaction, la prescription du traitement de suivi, les conseils sur les mesures d’évitement et le pronostic (tableau 1)[1]. De tous les insectes piqueurs, les guêpes jaunes sont les plus souvent responsables de réactions aux piqûres.
Tableau 1. Comportements types des insectes piqueurs | ||||
Espèce | Emplacement du nid | Niveau d’agressivité | Dard laissé au point de la piqûre | Autres commentaires |
Guêpe jaune* | Dans la terre | Élevé | Parfois | Pique souvent pendant les travaux extérieurs et le jardinage |
Guêpe* | Nid gris alvéolé dans les buissons et sous les corniches des granges ou des maisons | Modéré | Non | Peut également nidifier dans les clôtures et le matériel de jeu |
Frelon* (y compris la guêpe à taches blanches) | Dans les arbres ou les buissons. Peut être gros, mais est bien caché. | Élevé | Non | Pique rarement |
Abeille | Ruche commerciale | Faible | Oui | N’est pas agressif |
* Détritivores attirés par les aliments et les boissons | ||||
Information traduite de la référence 1 |
Le traitement des réactions locales étendues dépend des symptômes et peut inclure une association de compresses froides, d’antihistaminiques non sédatifs, d’analgésiques ou d’un court traitement de corticoïdes (si la réaction est grave), tous ces médicaments étant administrés par voie orale [1].
Comme dans toutes les causes d’anaphylaxie, il faut traiter une réaction systémique par de l’adrénaline intramusculaire. Les premiers secours de l’anaphylaxie consistent à injecter une dose d’adrénaline de 0,01 mg/kg par voie intramusculaire, jusqu’à concurrence de 0,3 mg chez l’enfant prépubère et de 0,5 mg chez l’adolescent, qu’on fait suivre d’une période d’observation d’au moins quatre à six heures à l’urgence [3][4]. L’adrénaline est la seule intervention salvatrice en cas de réaction systémique à une piqûre. Ses mécanismes bénéfiques sont la vasoconstriction (qui réduit l’hypotension), la bronchodilatation et la diminution de l’œdème laryngé [5]. Les antihistaminiques non sédatifs par voie orale sont un traitement d’appoint qui ne doit pas remplacer l’adrénaline [6][7]. Les corticoïdes par voie orale sont souvent prescrits pour prévenir une réaction biphasique, mais on ne possède pas de données probantes sur leur efficacité [6][7]. Les bronchodilatateurs peuvent être ajoutés à l’adrénaline en cas de symptômes réfractaires des voies respiratoires inférieures [6]. Un document de principes de la SCP présente une liste complète des médicaments et des doses pour le traitement aigu de l’anaphylaxie [4]. On peut envisager une période de surveillance plus longue à l’urgence chez les enfants plus vulnérables à une réaction biphasique, y compris les cas de présentation tardive à l’urgence et ceux qui ont besoin de plus d’une dose d’adrénaline, qui reçoivent un bêta-agoniste à l’urgence ou dont la pression différentielle est augmentée à leur arrivée à l’urgence [8].
Après le traitement, les enfants qui ont déjà été victimes d’une réaction systémique doivent se faire prescrire un auto-injecteur d’adrénaline et recevoir une formation quant à son utilisation, conjointement avec les membres de leur famille et les personnes qui s’occupent d’eux. Les auto-injecteurs d’adrénaline sont offerts en doses de 0,15 mg et de 0,30 mg. Il est recommandé d’utiliser la dose de 0,30 mg chez les enfants de plus de 25 kg [3]. Il faut également diriger les enfants qui ont été victimes d’une réaction systémique vers un allergologue pédiatrique en vue d’une évaluation plus approfondie.
Le risque d’anaphylaxie lors d’une future piqûre est faible chez les enfants qui ont déjà été victimes de réactions locales étendues [9]-[11]. Il n’est pas nécessaire de prévoir des tests d’allergie ou une immunothérapie au venin (ITV) ni de prescrire d’auto-injecteur d’adrénaline [1], mais il faut réviser les mesures d’évitement (encadré 1) avec la famille.
Encadré 1. Mesures pour éviter les insectes piqueurs |
Ne pas marcher pieds nus dehors. Faire preuve de prudence au moment de manger et de boire à l’extérieur. Éviter de boire dans des cannettes opaques ou à l’aide de pailles dehors. Porter des gants et des manches longues pour le jardinage et des manches longues pour jouer dans les secteurs à haut risque. Supprimer tous les nids d’insectes autour de la maison et appeler un professionnel du contrôle des insectes ou de la suppression des nids pour les lieux confinés ou difficiles à atteindre. |
Information traduite de la référence 1 |
En plus de prescrire un auto-injecteur et d’offrir une formation à la famille[3][7], le clinicien doit s’assurer de répéter qu’il n’y a pas de contre-indication à l’adrénaline pour traiter une réaction systémique. Il doit recommander qu’un plan d’action soit affiché pour le personnel de l’école ou du milieu de garde de l’enfant en cas d’anaphylaxie et que celui-ci porte un bracelet MedicAlert ou un autre mode d’identification. Il doit également s’assurer de revoir périodiquement les mesures d’évitement avec la famille et diriger l’enfant vers un allergologue pédiatrique en vue d’une épreuve cutanée intradermique qui, si elle est positive et combinée à des antécédents de réaction systémique, confirme l’admissibilité à l’ITV[1]. Puisque les épreuves intradermiques sont plus sensibles, les allergologues pédiatriques doivent idéalement les utiliser en première ligne. En présence d’antécédents convaincants de grave réaction, mais de résultats négatifs à l’épreuve intradermique, le clinicien demandera le dosage des IgE sériques spécifiques et la reprise de l’épreuve cutanée aux insectes piqueurs. Si les deux tests sont négatifs, le risque de future réaction systémique à un insecte piqueur est minime[1]. Cependant, l’accès aux épreuves intradermiques peut être limité par des pénuries d’extraits de venin ou par certains allergologues qui ne les offrent pas dans leur pratique. Selon une récente étude, les résultats des IgE sériques et des épreuves intradermiques sont complémentaires, et une autre stratégie efficace consisterait à commencer par les IgE sériques, suivies des épreuves intradermiques lorsque les résultats des IgE sériques sont négatifs[12]. Cette stratégie demeure toutefois discutable. Par exemple, un praticien inexpérimenté pourrait arrêter l’évaluation après l’obtention de résultats d’IgE sériques positifs et poser un diagnostic incomplet. L’option mérite cependant d’être étudiée de manière plus approfondie parce qu’elle pourrait atténuer les problèmes d’accès[13].
L’ITV est un traitement immunomodulateur établi et efficace qui modifie le cours de la maladie et qui peut faire passer d’environ 30 % à un pourcentage estimatif de 5 % le risque de futures réactions systémiques chez les enfants[11]. D’ordinaire, l’ITV est administrée sur une période de trois à cinq ans[14]. Au départ, les injections sous-cutanées de doses de venin hautement spécifiques sont généralement administrées une fois par semaine pendant plusieurs semaines (la phase d’augmentation progressive de la dose), puis une fois toutes les quatre semaines sur une période de un à deux ans (la phase d’entretien). La dose finit par être administrée seulement une fois toutes les huit à 12 semaines. Il existe plusieurs protocoles d’ITV, les doses d’entretien étant atteintes au bout de quelques jours à quelques semaines après le début du traitement, et les rajustements étant effectués au gré du médecin traitant. Étant donné l’intense réactivité croisée entre le venin de la guêpe jaune et celui du frelon, l’ITV pour un seul des trois insectes piqueurs (généralement la guêpe jaune) assure une protection contre les trois types d’insectes[1]. La réactivité croisée est moins évidente pour le venin de la guêpe et rare pour celui de l’abeille. L’ITV peut être touchée par des pénuries de venin d’hyménoptères[5]. Les enfants qui en sont à la dose d’entretien de l’ITV ou qui ont terminé l’immunothérapie n’ont pas besoin d’auto-injecteur d’adrénaline. Ils doivent toutefois en posséder un s’ils sont en cours d’immunothérapie et ont déjà fait une réaction quasi fatale à une piqûre dans le passé ou une réaction systémique pendant le traitement, qu’ils sont très allergiques aux abeilles, qu’ils présentent un taux de tryptase basale sérique élevé ou une affection sous-jacente ou qu’ils sont susceptibles de souvent se trouver dans des situations où ils ne peuvent pas éviter d’être exposés aux insectes piqueurs[1].
Il faut mesurer la tryptase basale sérique chez les enfants ou les adolescents qui ont déjà été victimes d’une grave anaphylaxie (particulièrement s’ils ont fait de l’hypotension ou qu’ils n’ont pas souffert d’urticaire). Un taux élevé influe sur le pronostic, car le risque de futures réactions systémiques aux insectes piqueurs et d’échec de l’ITV est alors plus élevé[1]. Selon des recommandations plus anciennes qui s’appliquent davantage aux patients adultes, un taux de tryptase sérique supérieur à 20 ng/mL peut également être indicateur d’une mastocytose systémique comorbide[16]. Ces dernières années, les recherches ont démontré que l’alpha-tryptasémie héréditaire est beaucoup plus courante (touchant de 5 % à 7 % de la population occidentale) que la mastocytose systémique chez les personnes dont la tryptase basale sérique est supérieure à 11,4 ng/mL. Les études ont démontré une association entre cette maladie héréditaire et de graves réactions au venin[17]. Cette fréquence beaucoup plus élevée que la mastocytose systémique pourrait être particulièrement pertinente chez les enfants qui ne présentent aucun signe d’atteinte des organes terminaux, chez qui les examens pour écarter la mastocytose systémique (p. ex., biopsie de la moelle osseuse) risquent d’être moins sensibles et plus difficiles à obtenir par rapport aux examens de l’alpha-tryptasémie héréditaire.
Dans tous les groupes d’âge (y compris chez les plus de 16 ans selon les publications les plus récentes), les réactions cutanées systémiques isolées (c’est-à-dire que la peau est le seul système atteint, comme lors d’une urticaire généralisée) représentent une exception importante aux tests d’allergie et à l’ITV, car elles s’associent à un très faible risque de future aggravation de la réaction systémique[1]. Par exemple, une étude auprès de 242 enfants de 16 ans et moins qui ont déjà subi une réaction cutanée à des insectes piqueurs (sans autres symptômes) a révélé que, même si 9,2 % avaient été victimes d’une réaction systémique lors d’une nouvelle piqûre, aucune réaction subséquente n’avait été plus grave que la réaction initiale. En fait, 88,9 % d’entre elles avaient été moins graves[18]. Ainsi, quel que soit le groupe d’âge, les personnes qui présentent des réactions cutanées systémiques isolées n’ont pas besoin d’auto-injecteur d’adrénaline.
Les deux types de réaction à médiation IgE aux piqûres d’insectes s’associent à des traitements et des pronostics très différents. Les enfants qui souffrent d’une réaction locale étendue sont peu vulnérables à une réaction systémique et ont seulement besoin d’un traitement d’appoint. En revanche, ceux qui ont déjà été victimes d’une réaction systémique à une piqûre d’insecte doivent avoir un auto-injecteur d’adrénaline sur eux et être évalués par un allergologue pédiatrique qui déterminera s’ils sont candidats à une ITV. La seule exception à l’ITV touche les cas où la réaction se limite à la peau (p. ex., urticaire généralisée), car il est peu probable qu’une prochaine réaction systémique soit plus grave.
Le comité de la pédiatrie communautaire et le comité directeur de la section de la pédiatrie d’urgence de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
Membres du comité directeur : Elissa Abrams MD (présidente), Nestor Cisneros MD (président sortant), Edmond S. Chan MD (secrétaire-trésorier)
Représentante : Megan Burke MD (section des résidents de la SCP)
Auteurs principaux: Elissa Abrams MD, Edmond S. Chan MD
Mise à jour : Edmond S. Chan MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 27 mai 2024