Point de pratique
Affichage : le 8 juillet 2022
Celia Rodd, Nicole Kirouac, Julia Orkin, Ruth Grimes; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la pédiatrie communautaire
Paediatr Child Health 2022 27(4):237–242.
Les professionnels de la santé des enfants jouent un rôle important dans l’optimisation de la santé osseuse. Il est essentiel d’intervenir rapidement pour maximiser le pic de masse osseuse à l’adolescence et au début de l’âge adulte et ainsi réduire le risque d’ostéoporose et de fractures plus tard dans la vie. Les enfants et les adolescents ayant une affection chronique peuvent présenter plusieurs facteurs de risque de mauvaise santé osseuse, notamment des maladies inflammatoires sous-jacentes, des activités avec mise en charge limitées, un retard pubertaire et un apport insuffisant de calcium et de vitamine D. Certains médicaments, et particulièrement les glucocorticoïdes, peuvent compromettre la masse osseuse et exposer l’enfant à un risque de fractures de fragilisation. Le présent point de pratique décrit une approche ciblée pour déterminer les facteurs de risque liés à la santé osseuse chez les enfants et les adolescents ayant une affection chronique, expose les mesures à prendre en cabinet pour optimiser l’acquisition de la masse osseuse et propose des outils en ligne utiles et des références médicales à l’intention des professionnels de la santé des enfants. Les indications pour diriger les patients vers un spécialiste de la santé osseuse et pour procéder à des interventions pharmacologiques visant les os sont également abordées.
Mots-clés : fractures de fragilisation; acquisition de la masse osseuse; soins préventifs en santé osseuse
Les professionnels de la santé des enfants jouent un rôle important dans l’optimisation de la santé osseuse. L’acquisition de la masse osseuse observée pendant l’enfance s’accélère à l’adolescence, et le pic de masse osseuse est généralement atteint entre l’âge de 20 et 25 ans [1]-[3]. Tout au long de l’enfance, il est donc essentiel de contrer les facteurs de risque modifiables. Les éléments décisifs incluent un mode de vie sain, un apport suffisant de vitamine D et de calcium, une bonne santé et une puberté au moment prévu. En revanche, des affections chroniques peuvent entraîner de multiples risques de ralentir l’acquisition de la masse osseuse et de se solder par une masse osseuse réduite à l’âge adulte, accroissant ainsi le risque de fractures au cours de la vie [2][3]. Le présent point de pratique propose une approche ciblée d’évaluation de la santé osseuse, s’attarde sur les facteurs modifiables et contient des recommandations en matière de prise en charge. L’ostéoporose primaire, telle que l’ostéogenèse imparfaite, exige les soins de spécialistes et dépasse la portée du présent point de pratique.
Il est capital de reconnaître les facteurs de risque de masse osseuse réduite pour promouvoir l’acquisition de la masse osseuse (tableau 1) [1][4]-[12].
Facteurs de risque | Exemples |
Inflammation chronique |
Troubles rhumatismaux Affections malignes |
Activité physique réduite ou faible masse musculaire |
Dystrophie musculaire de Duchenne Paralysie cérébrale Immobilisation |
Retard pubertaire | Syndrome de Turner |
Mauvais état nutritionnel, apport insuffisant, absorption inappropriée |
Anorexie mentale Malabsorption Tubulopathies rénales |
Médicaments | Prise chronique de glucocorticoïdes |
Exemples tirés des références 1 et 4 à 12 Note : Pour en savoir plus sur les médicaments, voir le tableau 4 |
Une anamnèse ciblée explore les facteurs de risque (tableau 1) et permet de relever les antécédents personnels et familiaux de fractures, y compris leur nombre, leur siège et leur étiologie. Il faut également s’informer des douleurs dorsales, qui peuvent signaler une fracture vertébrale [13][14]. Au tableau 2 est définie l’ostéoporose pédiatrique, qui doit être envisagée chez tout enfant victime d’une fracture à faible impact ou de fractures multiples. Les fractures à faible impact sont associées à des chutes à partir d’une hauteur ne dépassant pas la position debout [15].
L’étape suivante consiste à examiner le régime et le mode de vie au moyen d’outils validés (tableau 3). Il peut être bon de transmettre aux parents l’information [17] de la Société canadienne de pédiatrie contenue dans le site Web Soins de nos enfants pour entamer des échanges au sujet de l’apport de calcium et de vitamine D, de l’activité physique, de l’exposition au soleil et de l’utilisation d’écran solaire. Il est à souligner qu’au tableau 3, les apports nutritionnels de référence sont populationnels, tandis que les apports nutritionnels recommandés représentent l’apport individuel ciblé habituel [18]. L’apport maximal tolérable désigne l’apport maximal quotidien moyen qui, selon toute probabilité, ne pose aucun risque d’effet indésirable pour la santé chez pratiquement tout le monde. De plus, il faut discuter de la consommation de caféine, de boissons gazéifiées, de cigarettes et d’alcool, car tous ces produits sont associés à une masse osseuse réduite [19].
Il est important de se protéger du soleil (p. ex., grâce à l’utilisation d’un écran solaire ou à l’évitement du soleil) pour réduire le risque de cancer de la peau [20]. Même si le bilan en vitamine D de la plupart des Canadiens est amplement suffisant pendant les mois de synthèse (d’avril à octobre), un écran solaire au facteur de protection supérieur à huit réduit la synthèse cutanée de la vitamine D [19][21][22].
Par ailleurs, il est important de vérifier le moment du début et de la fin de la puberté et de consigner l’histoire détaillée des menstruations. Les hormones sexuelles jouent un rôle capital dans l’acquisition de la masse osseuse, et une puberté tardive, même dans les limites physiologiques, contribue à l’apparition d’une ostéoporose symptomatique à l’âge adulte [24].
Enfin, il est recommandé d’examiner l’utilisation de médicaments aux effets ostéotoxiques (tableau 4). Les glucocorticoïdes sont surtout associés à une plus grande susceptibilité aux fractures de fragilisation, notamment les fractures vertébrales, qui sont souvent asymptomatiques [13][14]. On ne connaît pas exactement la dose, la durée et la voie d’administration des glucocorticoïdes qui accroissent le risque de fracture. Malgré le risque de dommages osseux posé par ce type de médicaments, le contrôle de l’affection sous-jacente peut améliorer la masse osseuse à long terme davantage que si cette affection n’est pas l’objet d’un traitement approprié [5].
Les courbes de croissance fournissent de l’information importante sur la situation pubertaire et nutritionnelle. Une poussée de croissance pendant la puberté dénote la présence d’hormones sexuelles. Un indice de masse corporelle insuffisant ou excédentaire est un facteur de risque de masse osseuse réduite [29]. Chez les enfants de moins de sept ans, il faut rechercher d’autres signes de carence nutritionnelle, tels que les signes de rachitisme, soit l’élargissement des métaphyses, les douleurs aux membres ou les déformations des membres (p. ex., genu valgus ou varum). Pour procéder à l’évaluation clinique d’une fracture vertébrale, on demande à l’enfant d’indiquer l’emplacement de la douleur et on palpe les vertèbres thoraciques et lombaires pour déterminer les zones sensibles [13][14][30].
L’évaluation de la puberté inclut la classification de Tanner à l’égard du développement mammaire chez les filles (début à dix ans, plage de 6,5 à 13 ans) et de l’augmentation du volume des testicules chez les garçons (début à 11 à 12 ans, plage de neuf à 14 ans) [31].
Enfin, un examen physique peut permettre de déceler des problèmes moins courants évocateurs d’une ostéoporose primaire (p. ex., sclère bleu-gris en cas d’ostéogenèse imparfaite ou laxité articulaire causée par des troubles du collagène, comme les syndromes d’Ehlers-Danlos) [4][32].
Sans diagnostic d’ostéoporose primaire ou pédiatrique (tableau 2), la plupart des enfants n’ont pas besoin d’être soumis à des examens [16]. La mesure de la 25-hydroxyvitamine D (25-OH-D) n’est généralement indiquée qu’en cas d’évaluation de rachitisme ou de fractures récurrentes à faible impact, même si d’autres examens ciblant les os peuvent être justifiés après consultation d’un spécialiste de la santé osseuse. En raison de l’absence de données probantes solides sur les autres indications de doser la 25-OH-D, les avis diffèrent [19][23][33]. Selon l’examen d’un comité d’experts des National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine (NASEM) réalisé en 2011, des concentrations d’au moins 50 nmol/L suffisent dans presque tous les cas [23]. Puisque la 25-OH-D est une substance réactive de phase aiguë qui est négative (c’est-à-dire que son taux diminue en cas d’inflammation), son utilité est limitée en cas de maladie aiguë puisqu’elle est alors supprimée [34].
D’après les lignes directrices de la Société internationale de densitométrie clinique publiées en 2019, une ostéodensitométrie peut être indiquée lorsqu’on envisage une intervention visant à limiter le risque de fracture (p. ex., traitement aux bisphosphonates) chez un enfant, car l’imagerie peut influer sur le suivi et la prise en charge (tableau 5) [16]. L’ostéodensitométrie doit inclure le rachis postéro-antérieur et le corps entier (sauf la tête), pour mesurer le contenu minéral osseux et la densité minérale osseuse. Chez les personnes de petite taille, il faut rajuster les résultats en fonction des données de référence appropriées [16]. D’autres zones osseuses sont privilégiées chez les enfants ayant des troubles de la mobilité [16].
Si on encourage les familles à connaître les apports nutritionnels recommandés de calcium et de vitamine D et à les intégrer à leur régime habituel, à long terme, les patients seront plus susceptibles d’en consommer suffisamment que si on leur prescrit des suppléments [19][23]. Les suppléments peuvent parfois être nécessaires pour s’assurer d’un apport suffisant ou, plus particulièrement, pour traiter une carence en vitamine D [19][23][33][39]. D’après des directives consensuelles, un supplément de 2 000 unités internationales de vitamine D par jour pendant trois mois permet de traiter une carence; ces données demeurent toutefois controversées [19][40][41]. Un apport prolongé de calcium ou de vitamine D supérieur à l’apport maximal tolérable accroît le risque d’effets indésirables, y compris la néphrolithiase, l’hypercalcémie et les événements cardiovasculaires, sans améliorer la masse osseuse [42]-[46]. Les personnes qui ont des besoins alimentaires particuliers (p. ex., à cause d’un régime restrictif ou d’un trouble de malabsorption) ou dont le régime alimentaire est limité par la pauvreté, auront peut-être besoin de directives ciblées ou de conseils spécialisés de la part d’un diététiste [47].
Le fait d’encourager la participation de l’enfant et de sa famille à des activités avec mise en charge, comme les promenades quotidiennes, peut activer les unités fonctionnelles muscle-os et accroître la masse osseuse [48]-[51]. La recommandation d’utiliser un cadre sur pied pour l’enfant incapable de marcher ou les mouvements physiques passifs pour les nouveau-nés prématurés peut contribuer à limiter la perte osseuse, même si les données probantes à l’égard de ces deux pratiques sont mitigées [52][53].
Certains établissements se fient à des algorithmes de la santé osseuse pour dépister les enfants exposés à un fort risque de fracture. Des autocollants spéciaux indiquant la fragilité osseuse du patient, apposés sur les dossiers hospitaliers, et des affiches au chevet du patient peuvent rappeler aux professionnels de la santé des enfants la nécessité de faire preuve d’une grande prudence pendant les interventions, telles que le transfert de lit ou la phlébotomie [54][55].
Un enfant qui répond aux critères d’ostéoporose pédiatrique de la Société internationale de densitométrie clinique ou chez qui on présume une ostéoporose primaire doit être dirigé vers un spécialiste de la santé osseuse, en général en endocrinologie pédiatrique [4][16]. Des évaluations spécialisées comme l’analyse de l’ADN peuvent s’imposer, tout comme l’administration de médicaments contre la résorption osseuse [56][57] ou les stéroïdes sexuels de substitution. Chez les jeunes atteints d’anorexie mentale, le pilier du traitement demeure la psychothérapie et la réadaptation nutritionnelle, qui devraient permettre de rétablir les menstruations. L’utilisation de stéroïdes sexuels ne tient pas compte des causes sous-jacentes de l’aménorrhée [58]-[60].
Le comité de nutrition et de gastroentérologie et le comité de la santé de l’adolescent de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
COMITÉ DE LA PÉDIATRIE COMMUNAUTAIRE DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (2020-2021)
Membres : Tara Chobotuk MD, Carl Cummings MD (président sortant), Michael Hill MD, Audrey Lafontaine MD, Alisa Lipson MD, Marianne McKenna MD (représentante du conseil), Julia Orkin MD (présidente)
Représentant : Peter Wong MD (section de la pédiatrie communautaire de la SCP)
Auteures principales : Celia Rodd MD, Nicole Kirouac inf. B. Sc. inf., Julia Orkin MD, Ruth Grimes MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024