Document de principes
Affichage : le 29 juillet 2021
Leonora Hendson, Vibhuti Shah, Sandra Trkulja; Société canadienne de pédiatrie, Comité d’étude du fœtus et du nouveau-né
Paediatr Child Health 2021 26(5): 322 (Résumé).
Le présent document de principes fournit des conseils sur la surveillance, les soins et le suivi des nouveau-nés exposés in utero à des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou de la sérotonine et de la noradrénaline. La dépression et l’anxiété sont courantes pendant la grossesse et la période postnatale. Bien qu’il y ait des risques à prendre des médicaments pendant la grossesse, la dépression et l’anxiété non traitées ou traitées insuffisamment comportent aussi des risques pour le nouveau-né. Le tiers des nouveau-nés exposés in utero à des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou de la sérotonine et de la noradrénaline présente un syndrome d’inadaptation néonatale, mais il est généralement léger et autorésolutif. Les faibles taux de ces médicaments excrétés dans le lait maternel n’empêchent pas l’allaitement. Dans de rares cas, l’hypertension artérielle pulmonaire persistante du nouveau-né et les cardiopathies congénitales sont associées à l’exposition à ces médicaments in utero. Les publications scientifiques ne s’entendent pas toutes sur l’évolution neurodéveloppementale de ces enfants, notamment pour ce qui est du trouble du spectre de l’autisme et du trouble de déficit de l’attention/hyperactivité. Ces incohérences découlent probablement d’autres facteurs (génétique, dépression de la mère, mode de vie, autres problèmes de santé), plutôt que de l’exposition in utero à des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou de la sérotonine et de la noradrénaline. Les professionnels de la santé et les parents devraient être rassurés : en général, des mesures non pharmacologiques suffisent pour traiter le syndrome d’inadaptation néonatale, et le risque de graves effets indésirables découlant de l’exposition à ces médicaments in utero est faible.
Mots-clés : grossesse; inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine; inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline; syndrome d’inadaptation néonatale
Au Canada, la prévalence annuelle du trouble dépressif majeur au sein de la population s’élève à 4,7 % et celle au cours de la vie, à 11,3 % [1]. Les femmes présentent une plus grande prévalence annuelle de trouble dépressif majeur que les hommes (4,9 % par rapport à 2,8 %) [1]. La dépression périnatale, qui se produit pendant la grossesse et la première année suivant l’accouchement, est l’une des affections les plus courantes de la grossesse et de la période postnatale, puisque sa prévalence est évaluée à 7,5 % pendant la grossesse et à 6,5 % dans les trois premiers mois suivant l’accouchement [2][3]. Si on tient compte des troubles dépressifs mineurs, ces taux passent à 18,4 % et à 19,2 %, respectivement [2][3]. De même, le diagnostic clinique de trouble anxieux, quel qu’il soit, a une prévalence globale de 15,2 %, et celui de trouble anxieux généralisé, de 4,1 % [4]. La prévalence de symptômes anxieux autodéclarés s’établit à 18,2 %, et passe à 24,6 % pendant le premier trimestre de grossesse [4]. Après l’accouchement, la prévalence globale de symptômes anxieux est de 15 % [4]. Non traitées, la dépression et l’anxiété de la mère peuvent nuire à la grossesse (p. ex., à cause d’une moins bonne alimentation et d’un moins bon suivi médical, d’une augmentation du tabagisme ou du mésusage de substances psychoactives), au nouveau-né (p. ex., petit poids par rapport à l’âge gestationnel, naissance prématurée, taux plus élevé d’hospitalisation à l’unité des soins intensifs néonatale, taux plus faible d’allaitement [5]-[8]), au développement de l’enfant (p. ex., interactions mère-nourrisson de moindre qualité et, plus tard, taux plus élevés de troubles affectifs, comportementaux et scolaires [9][10]), à la santé mentale de la mère (p. ex., récidive d’un trouble dépressif majeur [11]) et au fonctionnement familial [2][10][12].
Même si les traitements non pharmacologiques sont envisagés en première ligne [2][12], il peut être nécessaire d’entreprendre un traitement pharmacologique. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRN) sont les antidépresseurs les plus prescrits pendant la grossesse [13]. Aux États-Unis et en Europe, 6 % des femmes prennent un ISRS pendant la grossesse et 3,8 %, un ISRN, la prévalence étant moins élevée avant la grossesse ou pendant le premier trimestre que plus tard en cours de grossesse [13]-[15]. Il est important de soupeser les risques et les avantages des ISRS et des ISRN pendant la grossesse et la période postnatale par rapport aux risques pour la santé de la mère, sa grossesse, sa vie familiale et la santé des enfants si sa dépression ou son anxiété ne sont pas traitées de manière appropriée. Les échanges sur l’intention de devenir enceinte et la sécurité des traitements pendant la grossesse doivent faire partie de l’évaluation et de la prise en charge des femmes en âge de procréer qui ont vécu des expériences de dépression ou d’anxiété et s’intégrer aux conseils qui leur sont donnés [2][12][16][17]. En plus d’une évaluation personnalisée et d’un dialogue avec un clinicien, les familles peuvent consulter des ressources utiles, en anglais, dans les sites mothertobaby.org et medicinesinpregnancy.org.
Le présent document de principes met à jour celui que la SCP a déjà publié sur les effets cliniques que l’exposition à des ISRS ou des ISRN pendant la grossesse risquent d’avoir chez les nouveau-nés [18], et l’enrichit de renseignements sur les risques liés à leur évolution neurodéveloppementale. Les questions suivantes ont contribué à recentrer les recommandations :
En octobre 2018, les auteurs ont déployé leurs stratégies de recherche dans les bases de données MEDLINE, EMBASE, CINAHL et dans la base de données d’examens systématiques de Cochrane pour trouver les publications parues depuis l’analyse du document de principes précédent [18]. Ils ont utilisé les termes de recherche suivants : selective serotonin reuptake inhibitors ou SSRI OU serotonin-norepinephrine reuptake inhibitors ou SNRI, ET pregnancy ou expectant mothers, OU postnatal period ou postpartum, OU pregnancy complications. Ils ont également analysé les bibliographies pour trouver des références pertinentes. Les publications comportent une limite importante : la prise d’ISRS et d’ISRN pendant la grossesse est un marqueur d’une population de femmes aux facteurs de risque différents de ceux de la population générale de femmes enceintes [9][19]. La plupart des études sont donc biaisées par l’indication et l’incapacité de tenir pleinement compte de la dépression sous-jacente de la mère, de la gravité de sa dépression ou des facteurs de risque qui y sont associés. Les données disponibles tirées d’études épidémiologiques en population ou d’analyses systématiques sont présentées. Les études épidémiologiques sont citées en premier dans les textes et les tableaux, suivies des analyses systématiques en fonction de l’année de publication, en ordre décroissant.
L’information sur les effets tératogènes éventuels d’un ISRS ou d’un ISRN donné est controversée, qu’elle provienne d’études en population ou de méta-analyses (tableau 1).
D’après des données cas-témoins multicentriques et démographiques en provenance des États-Unis, la sertraline était l’ISRS le plus utilisé et n’a été liée à aucune malformation spécifique [20]. La paroxétine était associée à l’anencéphalie, aux communications interauriculaires (CIA), à l’obstacle à l’éjection du ventricule droit, au gastroschisis et à l’omphalocèle [20]. La fluoxétine était reliée à l’obstacle à l’éjection du ventricule droit et la craniosynostose [20]. De même, une étude cas-témoin en population de 12 registres européens a associé l’exposition à un ISRS pendant le premier trimestre de grossesse à l’atrésie ou à la sténose anorectale, au gastroschisis, à la dysplasie rénale et au pied bot [21]. L’exposition à un ISRS était également associée à la cardiopathie congénitale (CPC), notamment la tétralogie de Fallot et l’anomalie d’Ebstein [21]. Même si ces analyses appuient fortement la validité de ces associations, l’augmentation du risque absolu demeurait faible. En revanche, une étude de cohorte multinationale en population reposant sur une analyse cas-fratrie dans cinq pays nordiques n’a pas établi d’augmentation substantielle de la prévalence globale de malformations ni de malformations cardiaques chez les nourrissons exposés in utero à un ISRS ou à la venlafaxine, un ISRN [22]. Les auteurs de l’étude ont conclu que, selon les résultats de l’analyse rajustée et de l’analyse de fratrie, les ISRS et la venlafaxine n’avaient pas d’effet tératogène [22].
Plusieurs méta-analyses lient les ISRS à un risque tératogène. D’après une étude récente, les femmes enceintes exposées à un ISRS pendant leur premier trimestre de grossesse risquaient davantage de donner naissance à un nouveau-né atteint d’une CPC [23]. Une étude plus ancienne a conclu à une augmentation du risque de malformations majeures, mais pas de CPC [24]. Une autre encore n’a établi aucune association avec des malformations majeures, mais en a établi une avec la CPC et les malformations septales [25]. De même, une méta-analyse d’études de cohorte prospectives n’a pas associé la prise d’ISRS au premier trimestre avec une CPC [26]. Pour ce qui est d’ISRS en particulier, les méta-analyses indiquent que la fluoxétine [24][27] et la paroxétine [24][25][28] sont liées à un plus fort risque de malformations majeures et de malformations cardiovasculaires (tant les malformations septales que les autres), contrairement à la sertraline et au citalopram [24]. Dans d’autres méta-analyses, la fluoxétine n’était pas liée à des malformations majeures [25] ni à des malformations cardiaques [25][29]. Toutes ces études étaient limitées par l’incapacité de tenir pleinement compte des variables confusionnelles, les biais de constatation ou les biais de détection (ou les deux).
En résumé, il demeure difficile de déterminer si les ISRS ou les ISRN sont associés à une augmentation du risque d’effets tératogènes. En effet, même si certaines études semblent démontrer un tel lien, d’autres indiquent clairement le contraire. Il reste toutefois un fait important : lorsqu’une association était établie, le risque absolu était faible et le nombre nécessaire pour obtenir un effet nocif, élevé.
Tableau 1. Les études épidémiologiques et les analyses systématiques et méta-analyses sur la prise d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine par la mère en début de grossesse et le risque de malformations chez les nourrissons |
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Étude (année) |
Méthodologie (nombre) |
Nombre de cas ou d’expositions |
Groupe de référence (nombre) |
Malformations majeures |
Malformations cardiaques |
Commentaires |
Reefhuis (2015) [20] |
Étude cas-témoin en population (NBDPS, É.-U.) (n=38 009) |
Prise d’ISRS d’un mois avant la conception jusqu’au troisième mois de la grossesse (n=1 285) |
Pas de prise d’antidépresseurs entre trois mois avant la grossesse et la fin de celle-ci (n=34 843) |
Paroxétine Anencéphalie (RC 3,2, IC à 95 %, 1,6 à 6,2), gastroschisis (RC 2,5, IC à 95 %, 1,2 à 4,8), omphalocèle (RC 3,5, IC à 95 %, 1,3 à 8,0) Fluoxétine Craniosynostose (RC 1,9, IC à 95 %, 1,1 à 3,0) |
Paroxétine CIA (RC 1,8, IC à 95 %, 1,2 à 3,0), OÉVD (RC 2,4, IC à 95 %, 1,4 à 3,9)
Fluoxétine OÉVD (RC 2,0, IC à 95 %, 1,4 à 3,1) |
Pour les deux associations les plus solides, la prise de paroxétine faisait passer le taux d’anencéphalie de 2 à 7 cas sur 10 000 naissances et le taux d’OÉVD de 10 à 24 cas sur 10 000 naissances |
Wemakor (2015) [21] |
Étude cas-témoin en population de 12 registres EUROCAT (n=2,1 millions de naissances) |
Prise d’ISRS pendant le premier mois de la grossesse (n=13 024 ayant d’autres malformations que les CPC; n=12 876 ayant une CPC) |
Pas de prise d’antidépresseurs pendant le premier trimestre de grossesse (n=17 083) |
Atrésie ou sténose anorectale (RC 2,46, IC à 95 %, 1,06 à 5,68), gastroschisis (RC 2,42, IC à 95 %, 1,10 à 5,29), dysplasie rénale (RC 3,01, IC à 95 %, 1,61 à 5,61), pied bot (RC 2,41, IC à 95 %, 1,59 à 3,65) |
CPC (RC 1,41, IC à 95 %, 1,07 à 1,86), grave CPC (RC 1,56, IC à 95 %, 1,02 à 2,39), tétralogie de Fallot (RC 3,16, IC à 95 %, 1,52 à 6,58), anomalie d’Ebstein (RC 8,23, IC à 95 %, 2,92 à 23,16)
Association avec des malformations septales à la signification limite (RC 1,36, IC à 95 %, 0,99 à 1,87) |
Aucune association avec un ISRS en particulier
NNEN pour toute malformation majeure : 192 (IC à 95 %, 118 à 152); pour toute CPC grave : 1 094 (IC à 95 %, 555 à 38, 141); pour toute anomalie de la paroi abdominale : 1 629 (IC à 95 %, 832 à 39 830) |
Furu et coll. (2015) [22] |
Étude multinationale de cohorte en population, y compris une analyse de fratrie (cinq pays nordiques) (n=2,3 millions de naissances) |
Femmes qui ont fait remplir une ordonnance d’ISRS ou d’ISRN (venlafaxine) pendant le premier trimestre de grossesse (n=36 772) |
Pas de prise d’antidépresseurs pendant le premier trimestre de grossesse (n=2 266 875) |
Toute anomalie congénitale (RC, 1,13, IC à 95 %, 1,06 à 1,20); analyse de fratrie (RC 1,06, 0,91 à 1,24) |
CPC (RC 1,15, IC à 95 %, 1,05 à 1,26), analyse de fratrie (RC 0,92, IC à 95 %, 0,72 à 1,17)
OÉVD (RC 1,48, IC à 95 %, 1,15 à 1,89) et analyse de fratrie (RC 0,56, IC à 95 %, 0,21 à 1,49) |
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Zhang et coll. (2017), y compris Furu et coll. (2015) [22][23] |
Méta-analyse : 18 études de cohorte (chaque étude comptant de 534 à 2 303 647 sujets et de six à 27 309 cas de CPC) |
Prise d’ISRS pendant le premier trimestre de grossesse |
Pas de prise d’antidépresseurs pendant le premier trimestre de grossesse |
Tout type de CPC (RC 1,26, IC à 95 %, 1,13 à 1,39), CIA (RC 2,06, IC à 95 %, 1,40 à 3,03), CIV (RC 1,15, IC à 95 %, 0,97 à 1,36) et CIA ou CIV (RC 1,27, IC à 95 %, 1,14 à 1,42) |
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Wang (2015) [26] |
Méta-analyse : quatre études de cohorte (n=1 996 519, total de 63 395 à 949 504 sujets dans chaque étude) |
Prise d’ISRS pendant le premier trimestre de grossesse |
Pas de prise d’antidépresseurs pendant le premier trimestre de grossesse |
CPC (RC 1,06, IC à 95 %, 0,94 à 1,18) |
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Myles (2013) [24] |
Analyse systématique et méta-analyse : 29 études de cohorte et études cas-témoins (malformations majeures : 23 919 sujets exposés et 2 585 550 sujets témoins; CPC : 22 412 sujets exposés et 2 404 278 sujets témoins) |
Prise d’ISRS pendant le premier trimestre de grossesse |
Pas de prise d’antidépresseurs pendant le premier trimestre de grossesse |
Toute malformation majeure (RC 1,10, IC à 95 %, 1,03 à 1,16) |
Tout type de CPC (RC 1,15, IC à 95 %, 0,99 à 1,32) |
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Grigoriadis et coll. (2013a) Grigoriadis et coll. (2013b) |
Analyse systématique et méta-analyse : 19 études de cohorte et études cas-témoins (toutes les études : 56 443 sujets exposés et 1 943 538 sujets témoins) |
Prise d’antidépresseurs au premier trimestre de grossesse |
Pas d’exposition aux antidépresseurs |
Toute malformation majeure (RC 1,07, IC à 95 %, 0,99 à 1,17) |
Toute CPC (RC 1,36, IC à 95 %, 1,08 à 1,71), toute malformation septale (RC 1,40, IC à 95 %, 1,10 à 1,77) |
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CIA communication interauriculaire; CIV communication interventriculaire; CPC cardiopathie congénitale; EUROCAT European Concerted Action on Congenital Anomalies and Twins; IC intervalle de confiance; ISRS inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine; NBDPS étude nationale sur la prévention des anomalies congénitales; NNEN nombre nécessaire pour obtenir un effet nocif; OÉVD obstacle à l’éjection du ventricule droit; RC rapport de cotes |
Dans deux grandes études en population réalisées en pays nordiques, il n’y avait pas d’association entre la prise d’ISRS pendant la période prénatale et les mortinaissances ou les décès néonatals après ajustement en fonction des facteurs confusionnels [30][31]. Dans plusieurs analyses systématiques et méta-analyses, les antidépresseurs et la prise d’ISRS ou d’ISRN pendant la grossesse étaient liés à la prématurité (moins de 37 semaines) [19][32]-[35] et au petit poids à la naissance (moins de 2500 g) [33]. L’exposition pendant les deuxième et troisième trimestres accroissait le risque de prématurité [19]. L’écart moyen regroupé était de ‑0,45 semaines (IC à 95 %, -0,64 à -0,25) et l’écart moyen par rapport au poids de naissance, de ‑74 grammes (IC à 95 %, -117 à -31) [34]. Les auteurs de ces méta-analyses ont fait une mise en garde contre la surinterprétation de la signification clinique de ces associations [34] à cause de l’hétérogénéité des échantillons [33] et de la confusion résiduelle [19]. En revanche, dans une cohorte nationale de nouveau-nés en population, le traitement aux ISRS pendant la grossesse était lié à un plus faible risque de prématurité tardive (RC 0,84, IC à 95 %, 0,74 à 0,96), d’extrême prématurité (RC 0,52, IC à 95 %, 0,37 à 0,74) et de césarienne (RC 0,70, IC à 95 %, 0,66 à 0,75) [36].
Jusqu’à 30 % des nouveau-nés exposés in utero à un ISRS ou un ISRN pris par la mère, notamment au troisième trimestre, présentent un SIN, également appelé syndrome de sevrage néonatal ou syndrome d’arrêt de la sérotonine [37]. Les symptômes incluent un faible tonus musculaire, des trémulations, de l’agitation, de l’irritabilité, des convulsions, des troubles alimentaires, des troubles du sommeil, de l’hypoglycémie et une détresse respiratoire [37][38]. Même si le mécanisme du SIN n’est pas pleinement compris, les symptômes peuvent découler à la fois du sevrage de l’exposition à un ISRS ou un ISRN in utero ou d’une surstimulation causée par la toxicité de la sérotonine [37][38]. Une analyse systématique et méta-analyse a décrit une association entre l’exposition aux antidépresseurs et le SIN (RC 5,07, IC à 95 %, 3,25 à 7,90; p<0,001), la détresse respiratoire (RC 2,20, IC à 95 %, 1,81 à 2,66; p<0,001) et les trémulations (RC 7,89, IC à 95 %, 3,33 à 18,73; p<0,001) [37]. De même, une deuxième étude comparable a fait état d’un rapport de risque (RR) de 3,0 (IC à 95 %, 2,0 à 4,4) entre l’exposition à un ISRS en fin de grossesse et le SIN [38].
L’HAPPN est la trajectoire finale courante de divers facteurs de risque et de diverses agressions (p. ex., malformations, prématurité, syndrome d’aspiration méconiale, césarienne) qui peuvent être responsables d’un sous-développement pulmonaire, d’un « maldéveloppement » ou d’une adaptation postnatale médiocre. En cas d’HAPPN, la résistance vasculaire des poumons du nouveau-né ne s’atténue pas après la naissance, ce qui entraîne un shunt droite-gauche du sang par les canaux fœtaux, une diminution du débit sanguin pulmonaire et une hypoxie. Les nouveau-nés peuvent éprouver un vaste éventail de troubles respiratoires, de la détresse respiratoire légère à la grave insuffisance respiratoire qui exige une intubation et une ventilation. Selon deux vastes études de cohorte [39][40] et une analyse systématique et méta-analyse [41], des ISRS pris en fin de grossesse sont liés à un accroissement du risque d’HAPPN, même si le risque absolu est faible (tableau 2). Les études diffèrent à l’égard des critères diagnostiques, de la définition et de la gravité de l’HAPPN, de même que des mesures de contrôle des facteurs confusionnels. On croit que le mécanisme biologique d’association à l’HAPPN est lié à un plus fort taux de sérotonine en circulation dans le fœtus, responsable d’une vasoconstriction et d’une prolifération des muscles lisses dans le système vasculaire pulmonaire [41].
Tableau 2. Des études de cohorte et une méta-analyse de la prise d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine en fin de grossesse et du risque d’hypertension artérielle pulmonaire persistante du nouveau-né |
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Étude (année) |
Méthodologie |
Nombre de cas ou d’expositions |
Groupe de référence (nombre) |
Observations |
Commentaires |
Huybrechts et coll. (2015) [39] |
Couplage de dossiers d’une cohorte (É.-U.) |
Prise d’ISRS 90 jours avant l’accouchement (n=102 179) |
Pas de prise d’antidépresseurs pendant la grossesse (n=3 660 380) |
HAPPN primaire RC 1,58 (IC à 95 %, 1,34 à 1,87); RCR 1,28 (IC à 95 %, 1,01 à 1,64) pour les mères dépressives |
Pas d’exposition : 20,8 (IC à 95 %, 20,4 à 21,2 sur 10 000 naissances) par rapport à exposition : 31,5 (IC à 95 %, 28,3 à 35,2 sur 10 000 naissances) |
Kieler et coll. (2011) [40] |
Couplage de dossiers d’une cohorte en population (cinq pays nordiques) |
Prise d’ISRS après 20 semaines de grossesse |
Pas d’exposition à des ISRS pendant la grossesse (n=1 588 140) |
RCR 2,1 (IC à 95 %, 1,5 à 3,0)
Évaluations du risque positives pour des ISRS spécifiques d’une ampleur similaire (fluoxétine, citalopram, paroxétine, sertraline) |
Risque absolu d’HAPPN après l’exposition à des ISRS en fin de grossesse : trois cas sur 1 000 naissances vivantes |
Grigoriadis et coll. (2014), y compris Kieler et coll. (2011) [40][41] |
Analyse systématique et méta-analyse : trois études de cohorte et deux études cas-témoins (échantillon non précisé) |
Exposition à des ISRS en fin de grossesse |
Pas d’exposition aux antidépresseurs |
RC 2,50 (IC à 95 %, 1,32 à 4,73) |
Différence du risque absolu de 2,9 à 3,5 cas sur 1 000 nouveau-nés (NNEN 286 à 351) |
HAPPN hypertension artérielle pulmonaire persistante du nouveau-né; IC intervalle de confiance; ISRS inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine; NNEN nombre nécessaire pour obtenir un effet nocif; RC rapport de cotes; RCR rapport de cotes rajusté |
Plusieurs études ont porté sur l’association entre l’exposition prénatale à des ISRS ou des ISRN et le trouble du spectre de l’autisme chez les enfants [35][42]-[44]. Même s’il existe une éventuelle association avec un accroissement du risque [44], cette relation n’est pas toujours observée [35][42][43] (tableau 3). Cette faible association peut s’expliquer par une confusion d’indication (ou biais d’indication). Des études plus récentes ont tenu compte des variables confusionnelles et ont recouru à la fratrie et à l’exposition avant la grossesse comme points de comparaison. Les facteurs génétiques, le milieu familial et les antécédents de maladie mentale de la mère étaient tous des facteurs qui pouvaient contribuer au risque de trouble du spectre de l’autisme [35][42]-[44]. De même, dans une étude de cohorte en population sur la prise d’antidépresseurs pendant le premier trimestre de grossesse, un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité avait été diagnostiqué avant l’âge de 15 ans chez 12,63 % des enfants exposés par rapport à 5,46 % des enfants non exposés (codes de la Classification internationale des maladies, neuvième et dixième révisions), rapport de risque (RR) 2,21 (IC à 95 %, 2,01 à 2,39). Cette observation était plus ténue dans l’analyse de fratrie : RR 0,99 (IC à 95 %, 0,79 à 1,25) [35].
Tableau 3. Des études de cohorte et des analyses systématiques et méta-analyses de la prise d’inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine ou d’inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline pendant la grossesse et le risque de trouble du spectre de l’autisme |
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Étude (année) |
Méthodologie |
Nombre de cas ou d’expositions |
Groupe de référence (nombre) |
Observations |
Commentaires |
Brown (2017) [42] |
Cohorte rétrospective; diagnostic de TSA par un pédiatre ou un psychiatre (Canada) |
≥ deux ordonnances d’ISRS ou d’ISRN remplies entre la conception et l’accouchement (n=2 837) |
Pas de prise d’antidépresseurs avant et pendant la grossesse (n=33 069) |
RR 1,61 (IC à 95 %, 0,997 à 2,59) d’après le score de propension haute dimension; RR 1,60 (IC à 95 %, 0,69 à 3,74) par rapport à la fratrie non exposée |
Incidence de TSA de 4,51 cas sur 1 000 personnes-années d’exposition par rapport à 2,03 cas sur 1 000 personnes-années sans exposition |
Sujan et coll. (2017) [35] |
Couplage de dossiers d’une cohorte en population; diagnostic de TSA selon les codes de l’ICD-9 ou de l’ICD-10 (Suède) |
Prise d’antidépresseurs pendant le premier trimestre, y compris des ISRS entre 90 jours avant la conception et 90 jours après la conception (n=22 544, dont 82 % ou 18 470 ont été exposés aux ISRS) |
Pas d’exposition à des ISRS pendant la grossesse (n=1 588 085) |
RR rajusté pour les ISRS : 1,66 (IC à 95 %, 1,46 à 1,89); comparaison de fratrie : 0,81 (IC à 95 %, 0,58 à 1,14) |
5,28 % des cas exposés par rapport à 2,14 % des cas non exposés ayant reçu un diagnostic de TSA |
Brown (2017) [43] |
Analyse systématique et méta-analyse : deux études de cohorte et quatre études cas-témoins; diagnostic de TSA selon les codes de l’ICD-9 et de l’ICD-10 (de 812 à 57 362 personnes dans chaque étude) |
Exposition à des ISRS en fin de grossesse |
Pas d’exposition à des ISRS pendant la grossesse |
Études cas-témoins : Toute exposition : RCR 1,4 (IC à 95 %, 1,0 à 2,0); au premier trimestre : RCR 1,7 (IC à 95 %, 1,1 à 2,6)
Études de cohorte RC 1,5 (IC à 95 %, 0,9 à 2,7); au premier trimestre : 1,4 (IC à 95 %, 1,0 à 1,9) |
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Mezzacappa et coll. (2017) [44] |
Analyse systématique et méta-analyse : trois études de cohorte (n=772 331) et sept études cas-témoins (n=117 737) : exposition à des ISRS au premier, deuxième ou troisième trimestre, diagnostic de TSA dans le registre régional de maladie |
Exposition à des antidépresseurs pendant la grossesse |
Pas d’exposition à des antidépresseurs pendant la grossesse |
Études cas-témoins : Toute exposition : RCR 1,81 (IC à 95 %, 1,49 à 2,20); contrôlée pour tenir compte des troubles de santé mentale antérieurs de la mère : 1,52 (IC à 95 %, 1,09 à 2,12)
Études de cohorte : RR 1,26 (IC à 95 %, 0,91 à 1,74)
Exposition avant la conception : RC 1,77 (IC à 95 %, 1,49 à 2,09) |
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IC intervalle de confiance; ICD-9 Classification internationale des maladies, neuvième révision; ICD-10 Classification internationale des maladies, dixième révision; RC rapport de cotes; RCR rapport de cotes rajusté; RR rapport de risque; TSA trouble du spectre de l’autisme |
En raison des résultats conflictuels de l’analyse bibliographique sur le risque de malformations (et particulièrement de malformations cardiaques), il n’est pas recommandé d’effectuer systématiquement une échocardiographie fœtale ou une échocardiographie chez les nouveau-nés exposés à des ISRS pendant le premier trimestre de la grossesse. Au moment de leur évaluation en vue d’obtenir un congé en toute sécurité [45][46], tous les nouveau-nés devraient plutôt avoir été soumis systématiquement à une saturométrie pour déceler les CPC graves [47]. Une évaluation ciblée, et peut-être répétée, revêt une importance particulière chez les nouveau-nés présentant une hypertension artérielle pulmonaire persistante, pour qui l’examen clinique demeure le pilier du dépistage.
En cas de SIN, les symptômes se manifestent généralement dans les heures suivant la naissance, se résorbent entre les quelques jours et les deux semaines qui suivent et sont généralement légers et autorésolutifs [37][38][48]. Certains cliniciens utilisent le score modifié de Finnegan pour évaluer la gravité des symptômes [37][48][49], même si cet outil n’a pas été validé à cet effet, mais il n’existe aucun autre outil standardisé. D’après des études de cohorte et des avis d’experts, certains auteurs ont recommandé de maintenir les nouveau-nés en observation de 24 à 48 heures après la naissance, de préférence en cohabitation avec leur mère [50][51]. Un milieu calme, l’emmaillotage, le contact peau-contre-peau et de petits boires fréquents sont recommandés pour prendre en charge les nouveau-nés ayant un SIN [38]. L’allaitement doit être encouragé et soutenu [37][49]. L’arrêt abrupt ou graduel des antidépresseurs peu avant l’accouchement n’est pas justifié [16][37]. Dans quelques rares cas (moins de 1 %), il peut être nécessaire de recourir à un traitement aux anticonvulsivants, à une prise en charge liquidienne et à une assistance respiratoire [13][38]. Selon certaines études, l’hypoglycémie (glycémie inférieure à 2,6 mmol/L) serait plus courante chez les nouveau-nés ayant un SIN [48][52]. Les nouveau-nés des mères traitées par un ISRS étaient plus susceptibles d’être hospitalisés à l’unité de soins intensifs néonatale [36][52], dans une proportion de 13,7 % par rapport à 8,2 % de ceux qui n’y avaient pas été exposés [52]. Les séquelles à long terme après un SIN n’ont pas fait l’objet d’études approfondies [37].
L’intérêt du traitement de la dépression maternelle par des ISRS pendant la période postnatale est amplement démontré [2][53][54]. Les femmes qui souffrent de dépression périnatale [9] et qui ont été exposées à des ISRS pendant la grossesse [55] sont moins susceptibles d’amorcer et de poursuivre l’allaitement. La plupart des données probantes sur l’innocuité des ISRS ou des ISRN pendant l’allaitement proviennent de rapports de cas ou de séries de cas, sans comparaisons à des groupes témoins ni prise en compte des variables confusionnelles [2][12][56][57]. Par ailleurs, les effets possibles de l’exposition à des ISRS ou des ISRN dans le lait maternel sur l’évolution clinique ou le développement des nouveau-nés n’ont pas fait l’objet d’assez d’études [2][12][56][57]. L’allaitement n’est toutefois pas contre-indiqué pendant un traitement par des ISRS ou des ISRN. On sait que ces deux médicaments passent peu dans le lait maternel, et que les nourrissons l’absorbent encore moins [54][56][57]. La sertraline est préférée aux autres médicaments chez les femmes qui allaitent, et la fluoxétine l’est moins [54][56][57].
Il faut tenir compte des nombreux bienfaits de l’allaitement au moment de prendre des décisions sur la prise d’ISRS ou d’ISRN pendant la grossesse ou la période postnatale. La plupart des auteurs des études recommandent que les mères qui ont suivi un traitement concluant contre la dépression pendant leur grossesse continuent de prendre le même médicament pendant la période postnatale, car l’arrêt ou le remplacement du traitement au cours de cette période de vulnérabilité risque de favoriser une rechute [54][56]. Il est également recommandé de surveiller l’alimentation et la croissance du nourrisson, de même que les symptômes éventuels de toxicité (p. ex., alimentation insuffisante et faible prise de poids) [12][54].
Dans l’ensemble, la prise d’un ISRS ou d’un ISRN par la mère pour traiter une dépression pendant la grossesse est sécuritaire pour le fœtus, qui le tolère bien, tandis que la dépression ou l’anxiété non traitée de la mère est liée à des conséquences indésirables à la fois pour la mère et son nouveau-né. La plupart des femmes qui poursuivent leur traitement par un ISRS ou un ISRN pendant la grossesse accouchent de bébés en santé. Le risque de SIN est peut-être plus élevé, mais en général, des moyens non pharmacologiques suffisent pour traiter ce syndrome habituellement autorésolutif. Il faut encourager les mères à allaiter et les soutenir dans cette démarche pendant leur traitement par un ISRS ou un ISRN. Les conclusions des publications sur l’innocuité de l’exposition in utero à des ISRS ou à des ISRN, y compris les risques néonatals et neurodéveloppementaux, sont contradictoires. L’interaction entre les facteurs pharmacologiques, la dépression de la mère et les facteurs génétiques et sociaux a un effet confusionnel, et les contraintes méthodologiques peuvent limiter les résultats des études encore davantage. Il faudra encore colliger des données tirées de vastes études prospectives reposant sur des échantillons suffisants, des comparaisons appropriées et la prise en compte des variables confusionnelles pour déterminer les effets iatrogènes des ISRS ou des ISRN en fonction de leur type, de leur posologie, du moment de leur administration et de la durée d’utilisation pendant la grossesse et par la suite.
Le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la pharmacologie et des substances dangereuses et le comité de la santé mentale et des troubles du développement de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes, de même que les membres du comité consultatif des médecins de famille, du comité de pratique clinique – obstétrique et du comité de médecine fœto-maternelle de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.
Membres : Nicole Anderson MD (membre résidente), Heidi Budden MD (représentante du conseil), Mireille Guillot MD (membre résidente), Leonora Hendson MD, Thierry Lacaze-Masmonteil MD, Ph. D. (président sortant), Brigitte Lemyre MD, Souvik Mitra MD, Michael R. Narvey MD (président), Vibhuti Shah MD
Représentants : Radha Chari MD, La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada; James Cummings MD, comité d’étude du fœtus et du nouveau-né, American Academy of Pediatrics; William Ehman MD, Le Collège des médecins de famille du Canada; Danica Hamilton inf., Association canadienne des infirmières et infirmiers en néonatologie; Roxanne Laforge inf., Partenariat des programmes périnatals du Canada; Chantal Nelson Ph. D., Agence de la santé publique du Canada; Eugene H. Ng MD, section de la médecine néonatale et périnatale de la SCP
Auteures principales : Leonora Hendson MD, Vibhuti Shah MD, Sandra Trkulja
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024