Le temps d’écran et les enfants d’âge préscolaire : la promotion de la santé et du développement dans un monde numérique
Affichage : le 24 novembre 2022
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Auteur(s) principal(aux)
Michelle Ponti, Société canadienne de pédiatrie,
Groupe de travail sur la santé numérique
Paediatr Child Health 2023 28(3):193–202.
Résumé
La COVID-19 a transformé l’environnement médiatique familial et suscité des recherches sur les effets de l’exposition aux médias sur écran et de leur utilisation chez les jeunes enfants. La présente mise à jour d’un document de principes de la SCP publié en 2017 passe de nouveau en revue les bienfaits et les risques potentiels des médias sur écran chez les enfants de moins de cinq ans et s’attarde sur leur santé développementale, psychosociale et physique. Quatre principes reposant sur des données probantes — limiter le temps d’écran, en atténuer les effets négatifs, les utiliser en pleine conscience et donner l’exemple d’habitudes saines — continuent d’orienter l’expérience précoce des enfants dans un paysage médiatique en rapide évolution. Les connaissances sur l’apprentissage et le développement des jeunes enfants éclairent les pratiques exemplaires recommandées aux professionnels de la santé et aux professionnels de la petite enfance (p. ex., éducatrices à la petite enfance, fournisseurs de services de garde). Les conseils préventifs devraient désormais inclure l’utilisation des écrans par les enfants et les familles en contexte de pandémie (et par la suite).
Des outils et des ressources pour les cliniciens sont disponibles ici.
Mots-clés : développement; enfant d’âge préscolaire; médias numériques; nourrisson; santé; temps d’écran
CONTEXTE ET MÉTHODOLOGIE
L’immersion des médias numériques dans la vie familiale des Canadiens a considérablement augmenté tout au long de la pandémie de COVID-19, ce qui a renouvelé les préoccupations sur les répercussions du temps d’écran sur les relations des enfants et des familles. Le présent document de principes mis à jour passe de nouveau en revue les bienfaits et les risques potentiels de l’exposition aux écrans et de leur utilisation chez les enfants de moins de cinq ans.
Le temps d’écran désigne le temps passé sur n’importe quel écran, y compris la télévision, les ordinateurs, les jeux vidéo et les appareils mobiles (téléphones intelligents, tablettes).
Les médias numériques désignent tout le contenu transmis par Internet ou par réseaux informatiques, sur quelque appareil que ce soit.
La littératie aux médias numériques désigne la capacité d’accéder aux médias de toutes sortes, de les utiliser, de les comprendre et d’y participer de manière efficace et responsable, dans le cadre d’une réflexion critique [1].
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Les professionnels de la santé et les autres intervenants qui œuvrent auprès des familles et des jeunes enfants se font de plus en plus demander de fournir des conseils fondés sur des données probantes au sujet des médias numériques, et ce, dans quatre grands secteurs : la durée d’utilisation (quand est-ce que c’est trop?) [2], l’établissement de limites, les effets sur la santé et le bien-être et le contenu de qualité.
Une analyse bibliographique [3] sur les effets des médias sur écran chez les enfants de moins de cinq ans a été réalisée en 2021, axée sur les études et les directives publiées depuis 2017. Les recommandations reposent sur les données probantes et le consensus d’experts. Pour obtenir de l’information sur le temps d’écran chez les enfants plus âgés et les adolescents, consulter le document de principes de la SCP publié en 2019 [4].
L’IMPORTANCE DES EXPÉRIENCES DE LA PETITE ENFANCE
Les jeunes enfants se développent dans un environnement relationnel [5], et de plus en plus, ces relations incluent des écrans. Les premières expositions des enfants aux écrans sont formatives, parce que les profils d’exposition et d’utilisation [6]-[8] déterminent leurs habitudes qui, on le sait, se maintiennent à l’âge adulte [8]-[12]. Puisque les écrans sont largement contrôlés par les parents, l’exposition des enfants est plus facile à modifier à cet âge que plus tard dans la vie [8][13]. Il est essentiel de fixer des limites, car les nourrissons et les tout-petits réagissent aux écrans d’une manière qui peut influer sur leur acquisition du langage, leur développement cognitif et leur santé socioaffective [6]-[10].
Parmi les tendances relatives aux habitudes d’écoute pendant la petite enfance, soulignons les suivantes :
- L’utilisation croissante des écrans chez les jeunes enfants est liée à des modifications à la quantité d’activité physique et de sommeil et au taux de comportement sédentaire [14].
- Presque tous les enfants du Canada sont déjà exposés à des écrans à l’âge de deux ans [15], et seulement 15 % des enfants canadiens de trois à quatre ans satisfont aux directives préconisant moins d’une heure par jour de temps d’écran [16]. Même avant la COVID-19, l’utilisation moyenne des écrans déclarée par les parents atteignait 1,9 heure par jour dans ce groupe d’âge [17][18].
- La télévision, les tablettes et les plateformes vidéo comme YouTube dominent le temps d’écran total dans ce groupe d’âge [19]-[23]. Une étude albertaine de 2018 a révélé qu’à deux ans, trois ans et cinq ans, les enfants regardaient la télévision environ 17, 25 et 11 heures par semaine, respectivement (soit environ 2,4, 3,6 et 1,6 heure par jour) [24]. De nombreux enfants d’âge préscolaire utilisent les écrans à la maison et en milieu de garde [9][25].
- Aux États-Unis, la plupart des enfants de deux ans utilisent un appareil numérique tous les jours, et neuf enfants sur dix sont exposés à un appareil avant leur premier anniversaire [26]. Selon une récente étude, le taux d’utilisation des appareils tactiles s’élevait à 60 % chez les enfants de moins de trois ans [27][28].
- Selon un sondage mené aux États-Unis en 2020, près de quatre parents sur dix (39 %) affirment que la télévision est « toujours » allumée (10 %) ou allumée « la plupart du temps » (29 %). Dans ces familles, les jeunes enfants regardent systématiquement beaucoup plus la télévision que les autres enfants de leur âge [23], ce qui est lié aux risques développementaux décrits ci-dessous.
LES EFFETS DES MÉDIAS SUR ÉCRAN SUR LE DÉVELOPPEMENT
Les preuves de changements neuroanatomiques et physiologiques sur le cerveau en développement associés à l’exposition précoce et intensive aux médias sur écran demeurent peu concluantes [29]-[31], mais les recherches sur le mode (et la quantité) d’apprentissage des enfants de moins de cinq ans à partir des écrans a progressé ces dernières années [32]-[38]. Même si les nourrissons ne peuvent pas absorber le contenu de ce qu’ils voient à l’écran, les médias numériques peuvent attirer et retenir leur attention. Les enfants de moins de deux ans peuvent se souvenir de brèves séquences et imiter les comportements et les émotions qu’ils voient à l’écran [23][33]. Les tout-petits commencent à comprendre le contenu télévisuel vers la fin de leur deuxième année de vie [9][39], mais ils éprouvent encore de la difficulté à transférer ce qu’ils observent à l’écran à la réalité et ne tirent pas d’apprentissage efficace des médias sur écran [23][40]-[42]. En revanche, ils apprennent intensivement lors des échanges directs avec leurs parents et leurs proches. L’apprentissage précoce est plus fluide, plus enrichissant et plus efficace sur le plan du développement lorsqu’il est vécu de manière interactive, en temps réel et dans un lieu réel, avec des personnes en chair et en os [43]-[47].
Les bienfaits potentiels pour le développement
La pandémie a fait ressortir deux activités sur écran bénéfiques pour les nourrissons, les tout-petits et les familles : le vidéobavardage interactif et l’heure du conte virtuelle. Les parents et les enfants peuvent partager des expériences faisant appel à des appareils numériques lorsqu’ils chantent par-dessus des chansons sur YouTube, qu’ils jouent à des jeux ou qu’ils explorent des applications ensemble [48]. Une récente étude a démontré que lorsqu’on mesurait leur vocabulaire et leur compréhension des histoires, les enfants d’âge préscolaire comprenaient la lecture dialogique par vidéobavardage et en tiraient des apprentissages tout autant que par le partage habituel d’un livre [49]. Chez les enfants de deux à quatre ans, des médias sur écran de qualité — bien conçus, dont le contenu est adapté à leur âge et qui comportent des objectifs éducatifs précis — peuvent représenter des modes supplémentaires d’apprentissage précoce de la langue et de la littératie [50], tout comme le jeu [51]. Il est établi que des émissions de télévision de qualité favorisent des aspects du développement cognitif, y compris les attitudes prosociales et le jeu imaginaire [33][52].
Selon certaines données probantes, les médias interactifs, notamment les applications conditionnelles aux réponses d’un adulte (c’est-à-dire des réactions rapides à ce que l’enfant dit ou fait), peuvent contribuer à l’apprentissage de l’enfant. Cette réactivité, combinée à l’intensité de l’action, au moment prévu pour la réponse et à un contenu adapté à l’âge, peut permettre à un enfant de 24 mois d’apprendre de nouveaux mots [32][37][39][53]. De plus, selon certaines données probantes, les applications interactives d’apprentissage de la lecture et les livres numériques peuvent renforcer l’alphabétisation précoce par des exercices visant la reconnaissance des lettres, des phonèmes et des mots et la compréhension des histoires [37][54]-[56]. Une étude récente avance qu’un entraînement sur tablette à l’aide d’une application de jeu éducatif peut favoriser l’attention soutenue des enfants de trois à quatre ans. [57]. Cependant, même si les écrans peuvent contribuer à l’apprentissage lorsqu’un contenu de qualité est regardé conjointement avec un parent [58][59], les enfants d’âge préscolaires apprennent mieux le langage expressif et le vocabulaire lors d’échanges directs et dynamiques avec des adultes bienveillants [20][60][61].
Les risques pour le développement
L’exposition prolongée aux écrans et leur utilisation prolongée sont associées à une diminution des occasions de développement optimal chez l’enfant [24] et à des capacités cognitives plus faibles, notamment l’attention, les aptitudes précoces de lecture et l’acquisition du langage [20][25][36][62][64]-[66][71][75]-[77]. Une étude longitudinale associait une plus grande utilisation des écrans par semaine à l’âge de 24 mois à des activités de lecture moins fréquentes à l’âge de 36 mois, lesquelles étaient liées à une plus grande utilisation des écrans à l’âge de 60 mois. D’après cette observation, l’utilisation des écrans par les enfants peut nuire directement à leurs activités de lecture, et les facteurs sociodémographiques ne semblent pas modifier ces deux associations de manière significative [75].
Qu’est-ce qui a une influence positive? Limiter le temps d’écran et en atténuer les effets négatifs
L’exposition des nourrissons et des tout-petits aux médias ne procure pas de bienfaits établis, à l’exception du vidéobavardage interactif pour renforcer des relations à distance [20][24][25][36][39][43][53][62][64][66][78].
Lorsque les enfants regardent du contenu éducatif adapté à leur âge avec un adulte intéressé, le temps d’écran peut devenir une expérience d’apprentissage positive si :
- Ce qui est regardé est relié à la vraie vie, les interactions sont encouragées et les compétences cognitives, telles que l’attention, la mémoire et la réflexion, sont renforcées [23][69][79]. Le temps d’écran passé ensemble élimine les désavantages de l’écoute en solitaire, qui inclut l’exposition à du contenu violent ou non adapté à l’âge [9][80].
- les applications ou les contenus éducatifs sont priorisés, les émissions commerciales ou grand public sont évitées et un système de catégorisation des médias est utilisé (p. ex., le Système canadien de classification des vidéos) pour orienter les choix d’écoute. Au Canada, CBC Kids (en anglais) et aux États-Unis, Common Sense Media (en anglais) sont également de bonnes ressources.
- la combinaison des écrans tactiles avec le jeu créatif ou actif [81][82], tels que le chant, la danse ou la répétition du vocabulaire.
LES EFFETS PSYCHOSOCIAUX DES MÉDIAS SUR ÉCRAN
Les parents peuvent exercer une influence positive sur le langage, les aptitudes socioadaptatives, les habitudes de sommeil et les comportements de leurs enfants s’ils fixent des limites sur le temps d’écran de la famille [39][83]. De plus, selon les recherches, l’augmentation du nombre et de la portabilité des appareils mobiles dans une famille peut entraîner une baisse de l’écoute conjointe [62][84]-[86]. De nombreux enfants de trois ou quatre ans utilisent des appareils mobiles sans aide [22][26][51].
Des facteurs individuels et familiaux peuvent se combiner à des facteurs de stress environnemental, si bien que les parents se fient trop aux médias numériques pour faire front, ce qui influe sur l’humeur de l’enfant, sur son comportement ou sur ces deux éléments à la fois [51][87]-[90].
Les bienfaits psychosociaux potentiels
Un contenu de qualité peut accroître les aptitudes sociales et langagières de tous les enfants de deux ans et plus, et être particulièrement bénéfique aux enfants qui vivent dans la pauvreté ou sont autrement défavorisés [43][50]. Des programmes éducatifs et des activités sur écran de qualité et adaptées à l’âge peuvent avoir un puissant pouvoir prosocial et aider les enfants à adopter des attitudes condamnant la violence et à apprendre l’empathie, la tolérance et le respect [52][91].
Selon des recherches émergentes, les applications et les tablettes chez les enfants de trois ans et moins peuvent encourager le jeu et la créativité, y compris l’utilisation du langage expressif, de la musique et des arts [82][92]. Bien utilisés, les appareils mobiles peuvent fournir des occasions d’interactions (p. ex., jouer à des jeux, regarder des photos) qui peuvent stimuler la fonction exécutive par la mémoire, la planification et la maîtrise de soi [67][92].
Lorsqu’il est bien utilisé, le temps d’écran peut contribuer à distraire un enfant surexcité ou angoissé (pendant une intervention médicale, par exemple) [93][94] ou faciliter une longue attente [51]. La mise sur pied d’un « plan d’action médiatique » familial peut contribuer à protéger et à renforcer le temps familial de qualité [95][96]. La planification devrait commencer avant la naissance, tenir compte des besoins de santé, d’éducation et de divertissement de chaque enfant et de chaque membre de la famille, inclure les activités sur écran en milieu de garde et être revue périodiquement. Il est beaucoup plus facile d’établir des limites significatives lorsque les enfants sont jeunes et de les appliquer à toute la famille que de retrancher du temps d’écran lorsque les enfants sont plus âgés. Les études révèlent que le degré de fermeté des parents à répondre « non » aux enfants qui réclament du temps d’écran, conjointement à leurs convictions, leurs intentions et leurs attitudes à l’égard des médias, sont des aspects essentiels de l’établissement de limites constructives et positives [8][13][87][97]. Pour les enfants — tout autant que pour les parents —, il est capital d’aménager des périodes sans écran pour acquérir des habiletés fondamentales comme l’autorégulation [98], la créativité et l’apprentissage par des jeux physiques et imaginaires.
Les risques psychosociaux
Il existe une forte association entre le temps d’écran des parents et celui de leurs enfants, ce qui indique que l’utilisation des médias remplace les interactions directes et de qualité entre les parents et leurs enfants ou nuit à ces interactions [13][25][99]-[101]. La « technoférence », c’est-à-dire l’interruption fréquente des habitudes, des jeux ou des interactions à cause de l’utilisation des médias numériques (souvent sur l’appareil d’un parent), se révèle un facteur de risque [20]. Les études relient le temps que passent les parents devant leur appareil mobile à la fréquence de comportements pour attirer l’attention, de colères et d’interactions négatives avec l’enfant [23][102]. L’utilisation fréquente du téléphone pour récompenser ou distraire un enfant de un à quatre ans peut inciter cet enfant à réclamer le téléphone plus souvent et à être contrarié s’il se le fait refuser [93][103]. Cependant, le coût le plus élevé d’un temps d’écran excessif chez les jeunes enfants demeure la perte d’occasions d’apprentissage social et de pratiques sociales [89]. L’utilisation régulière des appareils comme sources de distraction ou d’apaisement peut exclure les stratégies d’autoapaisement et se solder par une surdépendance aux écrans pour réguler les émotions [89][104]. Une moins bonne autorégulation des enfants est associée à une plus grande exposition aux écrans à l’âge de deux ans [98].
Il est également démontré qu’une plus forte utilisation des écrans chez les enfants d’âge préscolaire accroît les comportements d’externalisation et les troubles psychosociaux. Les enfants qui utilisaient les applications plus de 30 minutes par jour obtenaient des scores d’inhibition considérablement plus faibles que ceux qui les utilisaient moins [105]. Le recours excessif aux écrans (plus de deux à trois heures par jour sur n’importe quel appareil) est modérément lié à une plus grande labilité émotionnelle et une plus faible autorégulation chez les enfants d’âge préscolaire [106][107], particulièrement lorsque ceux-ci les regardent seuls [43][98][107]. Une récente étude réalisée en Irlande a clairement associé l’exposition aux écrans à des comportements d’internalisation chez les enfants d’âge préscolaire, ce qui laisse supposer qu’à cet âge, le temps d’écran et les comportements d’internalisation se renforcent mutuellement [89].
Une récente étude britannique a établi que le temps d’écran à l’âge de deux ans nuisait au développement de la fonction exécutive (qui touche les compétences et l’apprentissage sociaux) un an plus tard. Ce décalage peut s’expliquer par la fréquence à laquelle les écrans remplacent le jeu et les autres activités sociales, essentielles pour l’acquisition des compétences cognitives, y compris la fonction exécutive [67]. D’après d’autres études récentes, le temps d’écran peut nuire aux aptitudes sociales et entraver l’apprentissage social pendant la petite enfance [105][108]-[111]. Une étude récente a établi que l’écoute de la télévision ou de vidéos trois heures par jour à l’âge de 12 mois, par rapport à l’absence d’écoute, était légèrement associée à plus de symptômes évocateurs du trouble du spectre de l’autisme (mais pas au risque de ce trouble), mesurés au moyen de la liste modifiée de l’autisme chez les tout-petits (Modified Checklist for Autism in Toddlers; M-CHAT) à l’âge de deux ans. En revanche, une plus longue période de jeux avec l’enfant chaque jour est associée de manière significative à un moins grand nombre de symptômes évocateurs du trouble du spectre de l’autisme [108]. Ces effets sur le comportement sont plus prononcés chez les enfants ayant des besoins neurodéveloppementaux particuliers et sont souvent autoentretenus, parce que les parents sont plus susceptibles d’utiliser les médias sur écran pour apaiser un enfant aux comportements difficiles [39][98][112]. Le recours aux écrans pour calmer l’enfant et gérer ses habitudes le soir et au coucher peut entraîner une plus grande résistance de la part de l’enfant, nuire à ses aptitudes d’autorégulation et réduire sa qualité de sommeil [113].
Les effets négatifs d’une exposition précoce à un contenu violent ou au rythme accéléré ou autrement inapproprié sur la fonction exécutive sont bien établis [9][80] et partiellement attribuables à l’incapacité des jeunes enfants (particulièrement ceux de moins de deux ans) à distinguer la réalité du quotidien de ce qui se passe à l’écran [23][114].
Qu’est-ce qui a une influence positive? L’utilisation des écrans en pleine conscience
Si on leur donne le choix, les enfants préfèrent presque toujours parler, jouer ou se faire faire la lecture que d’utiliser un écran sous quelque forme que ce soit [39]. Pour utiliser les écrans en pleine conscience (de manière plus intentionnelle), les parents et les proches :
- améliorent et limitent activement l’utilisation des divers médias en les sélectionnant délibérément avec les enfants (« Nous allons regarder ce contenu, à ce moment-là et pour cette raison-là. »).
- limitent l’utilisation des médias dans les lieux publics et pendant les activités quotidiennes de la famille, telles que les repas. Les moments en famille sont des occasions rêvées d’apprentissage social.
- sélectionnent le contenu à partir de sources non commerciales de qualité, pour réduire le plus possible l’exposition aux publicités.
- portent attention aux messages sur le genre, l’image corporelle, la violence, la diversité et les enjeux sociaux lorsqu’ils choisissent le contenu [115]-[119].
LES EFFETS DES MÉDIAS SUR ÉCRAN SUR LA SANTÉ PHYSIQUE
Le temps sédentaire total a peut-être un effet négligeable sur la santé pendant la petite enfance, mais les recherches continuent de démontrer qu’il est préférable de consacrer moins de temps sédentaire aux écrans pour favoriser une santé optimale [12][120]. Les données tirées d’une vaste étude réalisée en 2016 ont établi que les enfants de trois à quatre ans du Canada étaient sédentaires en moyenne pendant 60 % de leur temps d’éveil et qu’ils consacraient en moyenne deux heures aux écrans. Avant la pandémie, seulement 15 % des enfants de trois à quatre ans du pays satisfaisaient aux directives en matière d’activité physique (au moins 180 minutes par jour) et de temps d’écran (au maximum une heure par jour) en 24 heures [15]. Certaines données probantes indiquent que les taux d’activité se sont améliorés dans ce groupe d’âge depuis, même pendant la pandémie. En juin 2020, Statistique Canada a constaté que même si trois parents sur quatre déclaraient une utilisation quotidienne des écrans par les enfants d’âge préscolaire, ceux-ci participaient aussi tous les jours à d’autres activités, y compris la lecture de livres ou d’histoires (85 %), l’activité physique (75 %), les jeux (36 %), la musique, les arts dramatiques ou les arts visuels (33 %) et l’acquisition d’autres compétences (23 %) [121]. Une récente étude allemande a révélé une augmentation globale de l’activité physique habituelle pendant la pandémie [122].
Les bienfaits potentiels pour la santé physique
Certaines applications et certains jeux reposent sur l’activité et sont conçus pour favoriser et compléter l’activité physique [81][82][123], tandis que les nouvelles technologies peuvent compléter ou stimuler le jeu, par exemple lorsqu’on demande à un « haut-parleur intelligent » de compter jusqu’à dix pour jouer à la cachette [51][124]-[126]. Les jeunes enfants prennent part aux jeux numériques actifs qui sont amusants, sont conçus pour eux et encouragent l’imitation ou la participation [126][127]. Les jeux vidéo actifs peuvent accroître l’activité physique légère à modérée, la fréquence cardiaque et la dépense d’énergie globale sur de courtes périodes [128]. Les familles et les milieux de garde peuvent faire appel aux applications ou aux jeux de console comportant des mouvements amusants et adaptés à l’âge (p. ex., le yoga ou la danse) et des exercices de mise en forme pour intégrer plus d’activité physique au quotidien [123][129][130]. Une récente étude sur les « jeux d’entraînement » en milieu préscolaire a démontré que ceux-ci avaient un effet positif sur la promotion de l’activité physique modérée à vigoureuse et avaient le potentiel d’accroître les compétences personnelles et la motricité des jeunes enfants [131]. L’utilisation active d’écrans tactiles est associée à l’atteinte plus rapide des phases de développement de la motricité fine [132].
Il est établi que les appareils mobiles dotés d’applications pour explorer la nature favorisent les jeux extérieurs [81][83]. Pour les enfants de cet âge, un contenu éducatif de qualité qui relie les expériences à l’écran à celles du quotidien peut encourager les échanges avec les proches et les camarades ainsi que les jeux actifs fondés sur l’imaginaire [123][125][130][133].
Les risques pour la santé physique
Malgré l’absence d’association étroite entre le temps d’écran et les mesures individuelles de prise de poids (p. ex., l’indice de masse corporelle ou les plis cutanés) chez les enfants d’âge préscolaire [13], les risques de sédentarité ou de surpoids, y compris à cause d’une exposition précoce et prolongée aux écrans et de leur utilisation, persistent plus tard dans la vie [9][12][23][25][134][135]. D’après une analyse systématique effectuée en 2017, le temps d’écran était associé à une série d’indicateurs de santé, y compris l’adiposité, le développement moteur et cognitif et la santé psychosociale [120]. Une autre préoccupation émerge en matière de santé, soit le risque de devenir myope à cause des périodes plus longues passées devant des écrans et des périodes moins longues consacrées au jeu extérieur [12][136][137].
De longues périodes d’utilisation des écrans chez les enfants d’âge préscolaire sont inversement proportionnelles aux habiletés motrices fondamentales et à la dextérité manuelle aux tests standardisés. Des scores faibles étaient observés chez les enfants dès l’âge de trois ans, particulièrement les garçons [138].
La télévision commerciale expose les jeunes enfants aux publicités d’aliments malsains et encourage le grignotage, deux éléments connus pour accroître la consommation alimentaire globale et susciter des choix alimentaires moins sains [23][139]-[141]. Lorsque les parents sont distraits par leur téléphone pendant le repas, ils sont moins enclins à encourager leur jeune enfant à essayer de nouveaux aliments et plus portés à le suralimenter [103]. Une récente étude auprès d’enfants de cinq et six ans a confirmé que le temps d’écran et les comportements alimentaires malsains sont « regroupés » et corrélés chez les enfants dès l’âge de cinq ans [142]. Une autre étude a établi que lorsque les parents utilisaient des écrans pendant les repas, le temps d’écran total des jeunes enfants était considérablement plus élevé en semaine [13].
Selon une étude canadienne réalisée en 2018, 33 % des enfants de zéro à quatre ans utilisaient les technologies numériques dans l’heure précédant le coucher (et 24 % après le coucher) tous les jours ou la plupart des jours de la semaine [143]. Les associations entre le temps d’écran avant le coucher et les troubles du sommeil sont plus systématiques dans ce groupe d’âge que les associations avec l’activité physique ou la prise de poids [23][144]. Une moins grande quantité globale de sommeil, des nuits de sommeil raccourcies (et plus de siestes le jour), une heure de coucher plus tardive, un endormissement différé et une plus grande résistance au sommeil peuvent influer sur le développement de l’enfant et le fonctionnement familial [113][145][146]. Les données probantes s’accumulent pour établir que le volume et la nature du temps d’écran, plutôt que le contenu, modifient la structure du sommeil [77][115][145][147][148], et que le temps d’écran peut se substituer au sommeil [90]. La présence de médias sur écran dans la chambre des enfants est fortement liée à une diminution des minutes de sommeil par nuit, en raison de la combinaison de la réponse d’éveil au visionnage d’écrans, de la suppression de la mélatonine et du remplacement du sommeil [43][144][145].
Qu’est-ce qui a une influence positive? Donner l’exemple d’habitudes positives vis-à-vis des écrans
Les enfants de moins de cinq ans ont besoin de pratiquer des jeux actifs et de passer du temps de qualité en famille pour développer des habiletés fondamentales, telles que le langage, l’autorégulation et la pensée créative. Lorsque les parents donnent l’exemple de saines habitudes vis-à-vis des écrans, ils :
- limitent leur propre utilisation des écrans en présence de jeunes enfants, particulièrement aux repas, pendant les jeux et lors d’autres occasions uniques d’apprentissage social.
- priorisent les échanges avec les enfants par la conversation, le jeu et les activités quotidiennes saines et actives.
- choisissent ensemble quand utiliser les médias et éteignent les écrans lorsqu’ils ne sont pas utilisés.
- s’assurent que les médias utilisés en présence des enfants ne comportent pas de stéréotypes, de publicités ou d’autre contenu problématique.
RECOMMANDATIONS
Pour promouvoir la santé et le développement des enfants dans un monde numérique, les professionnels de la santé et les éducatrices à la petite enfance devraient connaître les effets précoces des écrans et donner des conseils préventifs aux familles au sujet de leur utilisation appropriée. Les données probantes s’accumulent pour démontrer que la petite enfance peut être une période capitale pour prioriser des interventions qui éviteront une utilisation problématique des écrans. Si les professionnels de la santé incitent les proches à s’investir et à interagir, ils aideront les familles à utiliser les médias numériques de manière positive (éducationnelle, imaginative et ludique) et plus sécuritaire.
Les recommandations plus précises pour les familles s’établissent comme suit :
Limiter le temps d’écran
- Il n’est pas recommandé de laisser les enfants de moins de deux ans passer du temps devant des écrans, à part le vidéobavardage avec des adultes bienveillants. Il n’y a pas de données probantes pour soutenir l’introduction de la technologie en bas âge.
- Chez les enfants de deux à cinq ans, limiter le temps d’écran régulier ou sédentaire à un maximum d’une heure par jour.
- S’assurer que les périodes de sédentarité devant des écrans ne font pas partie des activités courantes du milieu de garde des enfants de moins de cinq ans.
- Maintenir des périodes quotidiennes sans écran, particulièrement lors des repas familiaux et des moments de lecture partagée.
- Éviter les écrans au moins une heure avant le coucher, en raison de leurs effets potentiels sur la stimulation et sur la suppression de la mélatonine.
Atténuer (réduire) les risques associés au temps d’écran
- Être présent et investi lors de l’utilisation des écrans et, dans la mesure du possible, en regarder le contenu avec l’enfant pour favoriser la littératie aux médias numériques et en donner l’exemple. Aider les enfants à reconnaître et à remettre en question les messages publicitaires, les stéréotypes et les autres contenus problématiques.
- Connaître le contenu et accorder la priorité aux émissions éducatives, interactives et adaptées à l’âge. Encourager l’utilisation des appareils mobiles pour les activités créatives, comme le dessin, plutôt que pour l’écoute passive.
- Utiliser des stratégies parentales qui appuient l’autorégulation chez les enfants, sans que ceux-ci aient à se fier aux médias sur écran.
- Surveiller et encadrer l’utilisation que font les jeunes enfants des médias sur écran par la création de listes de lecture ou la sélection de chaînes appropriées, particulièrement sur les plateformes ouvertes comme YouTube. Limiter l’exposition des enfants au contenu publicitaire et commercialisé.
En famille, utiliser les écrans en pleine conscience
- Procéder à une autoévaluation des habitudes vis-à-vis des écrans et se doter d’un plan médiatique familial qui prévoit les moments, la manière et les lieux où ceux-ci peuvent être utilisés ou non.
- Accorder la priorité à l’utilisation familiale et commune des écrans (regarder la télévision ou des films ensemble, jouer à des jeux vidéo avec la famille et les amis) plutôt qu’à leur utilisation en solitaire par les enfants.
- Encourager les frères et sœurs plus âgés à être « les mentors » des activités numériques des plus jeunes et à faire de l’utilisation des médias numériques une activité de socialisation familiale.
- Se rappeler que trop de temps consacré aux écrans se traduit par des occasions ratées d’enseignement et d’apprentissage.
Les adultes devraient donner l’exemple d’une saine utilisation des écrans
- Encourager des activités sans écran et y participer, telles que la lecture partagée, les jeux extérieurs, les jeux de société simples et le bricolage.
- Éteindre les appareils pendant les périodes passées en famille, tant à la maison qu’ailleurs.
- Éteindre les écrans qui ne sont pas utilisés et éviter de laisser la télévision allumée en arrière-plan.
- Préconiser des politiques d’utilisation des écrans plus saines en milieu de garde, dans les écoles et auprès des gouvernements locaux.
Remerciements
Le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la santé mentale et des troubles du développement et le groupe de travail de la petite enfance de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes. Les auteurs remercient tout particulièrement la professeure Mary L. Courage, de l’Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador. Ils remercient également Jennie Strickland, qui a rédigé le document préliminaire, et Roxana Barbu, qui a procédé à l’analyse bibliographique.
GROUPE DE TRAVAIL SUR LA SANTÉ NUMÉRIQUE DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (2021-2022)
Membres : Stacey Bélanger MD, Ruth Grimes MD (représentante du conseil de la SCP), Janice Cohen MD, Janice Heard MD, Michelle Jackman MD, Matthew Johnson (HabiloMédias), Katherine Matheson MD, Michelle Ponti MD (présidente), Alyson Shaw MD, Richard Stanwick MD, Jennifer Strickland (gestionnaire principale à la rédaction de la SCP), Jackie Van Lankveld (gestionnaire, services d’orthophonie, Niagara Children’s Centre), Elizabeth (Lisette) Yorke MD
Références
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Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.