Point de pratique
Affichage : le 18 avril 2018 | Reconduit : le 11 janvier 2024
Leonora Hendson, Dawn Davies; Société canadienne de pédiatrie, Comité d’étude du fœtus et du nouveau-né
Paediatr Child Health 2018 23(8):550 (Résumé)
Le décès périnatal est l’un des événements les plus dévastateurs que puisse vivre une famille. Le présent point de pratique porte sur les situations auxquelles les professionnels de la santé des enfants sont susceptibles de prendre part. On y donne des recommandations sur les communications compatissantes, le deuil, les soins de la fratrie et l’accompagnement des familles.
Mots-clés : Counselling; Palliative care; Parental grief; Perinatal death; Perinatal hospice
Le décès périnatal après une fausse couche (moins de 20 semaines de grossesse), une mortinaissance (20 semaines de grossesse ou plus) ou un décès néonatal (nouveau-né âgé de 28 jours ou moins) est l’une des expériences les plus déchirantes que puisse vivre un parent. Depuis que la Société canadienne de pédiatrie a publié un document de principes sur le sujet [1], les tests génétiques, les technologies connexes et le partage des décisions ont évolué, de même que le rôle sociétal des conjoints et des pères. En l’absence d’études solides, les recommandations contenues dans le présent point de pratique reposent sur des données probantes limitées et des avis d’experts.
Une communication compatissante avec les familles doit reposer sur l’honnêteté et le respect, et l’information doit être transmise de manière claire, opportune et sensible, afin de favoriser une prise de décision coopérative [2]-[4]. Dans la mesure du possible, les deux parents doivent être présents lors des conversations importantes, idéalement en compagnie d’un médecin et de membres de l’équipe à qui ils font confiance. Lorsque les parents ne maîtrisent pas la langue de leurs professionnels de la santé (PdS), il est essentiel de prévoir les services d’un interprète formé. Il faut planifier tout le temps nécessaire pour laisser les parents dialoguer avec les PdS, poser des questions et exprimer leurs émotions. En général, plus d’une rencontre devra être organisée, dans un lieu calme et privé. De nombreux parents préfèrent tenir des conversations personnelles en petit groupe plutôt que dans un cadre plus vaste, du type « conférence ». Les mots sont importants, et les PdS doivent se rappeler que le mot « bébé » peut être préférable au mot « fœtus ». Si le bébé a un nom, de nombreux parents trouvent important que les PdS l’utilisent, l’épellent correctement et utilisent le bon genre. De plus, l’écoute active et le respect des silences sont souvent aussi importants que l’information transmise.
De nombreuses anomalies décelées avant la naissance obligent les parents à prendre des décisions sur la poursuite de la grossesse. Il faut fournir de l’information médicale précise aux parents pour les soutenir dans leur prise de décision et soulever ouvertement toute incertitude liée au pronostic du bébé. La décision d’interrompre la grossesse ou de la poursuivre avec des soins palliatifs est profondément personnelle [5][6]. La possibilité de poursuivre la grossesse et d’offrir des soins palliatifs au nouveau-né devrait être tout aussi valable que l’interruption de grossesse, et les deux choix devraient obtenir le même appui [7]. Il est essentiel que les PdS qui travaillent en néonatalité connaissent les exigences juridiques liées à l’interruption de grossesse lorsqu’une affection limite l’espérance de vie, y compris l’âge gestationnel (AG), conformément aux directives des Collèges des médecins et chirurgiens provinciaux et territoriaux.
Dans les unités de soins intensifs modernes, le décès survient généralement après la décision de retirer ou de limiter des traitements essentiels au maintien de la vie, lorsqu’il devient évident que leur poursuite prolongerait les souffrances sans améliorer la qualité de vie [8]. Dans le cadre des soins, on met actuellement l’accent sur l’autonomie parentale et la prise de décision partagée. Les décisions définitives déchirantes reposent souvent entre les mains des parents, en autant qu’elles respectent l’intérêt supérieur de l’enfant, qui demeure la principale préoccupation. Lorsqu’on envisage de limiter ou de retirer des traitements essentiels au maintien de la vie, l’équipe soignante devrait amorcer des discussions avec les familles. Les parents peuvent se sentir moins coupables et ressentir moins de regrets si un PdS a soulevé ces questions [7]. D’après certaines études, en demandant aux parents de prendre la décision, on ignore souvent les dimensions morales et affectives complexes qui s’y rattachent. Selon ces études, lorsque la RCR (par exemple) est fort peu susceptible de réaliser l’objectif thérapeutique voulu ou qu’elle ne fait que prolonger l’agonie, les médecins ne devraient pas imposer aux parents la décision de renoncer aux protocoles de maintien de la vie. Ils devraient plutôt en assumer la responsabilité primaire et opter pour le modèle du consentement éclairé, tout en permettant toujours aux parents d’exprimer respectueusement leur désaccord [9]. Ces décisions et ces discussions sont complexes; les PdS doivent se montrer sensibles et attentifs aux besoins de chaque famille.
Les PdS devraient aider les parents à se préparer à l’approche de la mort de leur bébé, en lançant des discussions sur les soins qui seront prodigués, y compris la gestion de la douleur. Ils devraient avertir les parents qu’il est souvent difficile de prédire le moment du décès après l’arrêt de traitements essentiels au maintien de la vie [2]. Lorsqu’il est impossible d’anticiper la durée de la survie, il est important de préparer les parents à la possibilité d’une survie prolongée. Il peut être possible de faire un don de tissus et d’organes, compte tenu des critères d’admissibilité (par exemple, AG et poids de naissance) et des services de transplantation locaux. Les PdS ne doivent pas oublier de demander aux parents si ces interventions respectent leurs convictions et leurs valeurs.
Les activités qui aident les parents à développer un lien rapide et intime avec le bébé sur le point de mourir peuvent contribuer également à établir l’identité du bébé. Les parents peuvent avoir besoin de conseils de la part des PdS sur la manière d’approcher leur bébé et sont souvent heureux de recevoir ceux du personnel sur les soins.
Par le passé, les bébés qui mouraient étaient généralement très vite emportés par du personnel bien intentionné, et les parents demeuraient bouleversés parce qu’ils n’avaient jamais vu ni tenu leur bébé. Une certaine ambivalence entoure les données probantes actuelles pour ce qui est des risques et avantages relatifs au fait de voir et de tenir un bébé décédé ou mourant. Certaines études font état de symptômes de stress post-traumatique chez les mères, tandis que d’autres rendent plutôt compte d’une expérience positive lorsqu’elle est encadrée par du personnel compatissant [10]. Ainsi, tous les parents devraient se faire offrir cette possibilité et être soutenus dans leur décision. Les PdS doivent également préparer les parents à l’aspect physique de leur bébé s’il est extrêmement prématuré ou s’il présente une anomalie congénitale.
Les parents en deuil ont besoin de donner un sens à leur drame. Qu’ils aient ou non des affiliations spirituelles, ils ne manqueront pas de se poser des questions existentielles comme « Pourquoi maintenant? » ou « Pourquoi nous? » Ces questions ont un sens humain et psychologique pratiquement universel, et bien des parents peuvent profiter d’un accompagnement ou d’un soutien spirituel ou psychosocial pendant qu’ils vivent leur deuil [11]. Selon certaines études, les mères oublient une grande partie de l’information médicale que leur transmettent les néonatologistes lors du counseling prénatal au sujet de la prise de décision [12]. Cependant, la foi et les convictions personnelles sont probablement la pierre angulaire de ces décisions, et l’intégration des soins spirituels au processus peut inciter les parents à confier leurs perceptions et leurs préférences et favoriser la compréhension.
La manière d’aborder la mort, et particulièrement le décès d’un bébé, diffère énormément d’une culture à l’autre. Par exemple, certaines traditions culturelles et religieuses interdisent la création de souvenirs, la prise de photos ou l’attribution d’un nom au bébé. Il ne faut jamais faire de suppositions, mais avant d’agir, il faut toujours demander aux parents quelle est l’influence de leurs convictions culturelles, spirituelles ou personnelles sur leurs préférences en matière de soins [13]. Les activités de création de souvenirs, lorsqu’elles sont possibles et acceptées par les familles, peuvent consister à parler au bébé, à le tenir, à le laver ou le vêtir, à participer à des cérémonies religieuses ou d’attribution d’un nom, à la présentation du bébé à d’autres membres de la famille et à la prise de photos de ces événements. La fratrie peut souhaiter participer à ces soins, mais aura besoin d’être soutenue. Les souvenirs peuvent inclure l’empreinte d’une main ou d’un pied, une mèche de cheveux ou le bracelet d’hôpital. Les parents voudront peut-être prendre des photos du visage de leur bébé dénué de matériel médical, même si elles sont prises après le décès. Certains centres canadiens proposent les services de photographes professionnels à cet effet.
Le deuil périnatal est aussi douloureux que d’autres types de deuil, mais certaines distinctions importantes se dégagent. Le décès périnatal s’associe souvent à un sentiment d’échec biologique, de perte d’identité, d’impression d’absence de souvenirs partagés et de perte d’espoir pour l’avenir [14]. Les parents qui perdent un enfant avant la naissance prévue n’ont jamais l’occasion d’interagir avec lui sous forme de personne vivante et distincte. Ceux qui perdent un nourrisson après une période de soins néonatals n’auront peut-être jamais la possibilité de s’en occuper à la maison. Le deuil après un décès périnatal ressemble à d’autres formes de deuil : l’état de choc, une profonde tristesse, une humeur dépressive, la colère, l’irritabilité, les préoccupations, l’anxiété et les modifications aux habitudes d’alimentation et de sommeil sont tous des réactions classiques. La détresse peut les empêcher de reprendre leurs activités normales des mois après le décès de leur bébé, et demeure souvent considérable pendant des années [14]. Puisqu’ils peuvent également souffrir de complications, comme une dépression majeure ou des symptômes de stress post-traumatique, il faut les informer des signes et symptômes. Il peut alors être essentiel de prévoir des consultations récurrentes avec un spécialiste de la santé mentale [14].
Les pères ou les conjoints peuvent éprouver des sentiments similaires devant un décès périnatal, y compris l’impuissance et la solitude. Il faut tenir compte de leur deuil tout autant que de la douleur de la mère, et les soutenir [15]. Ce deuil peut rompre ou renforcer la relation du couple, en partie en fonction de l’appui que chaque conjoint a l’impression de recevoir de l’autre tout au long de cette épreuve [10].
Les grossesses qui suivent un décès périnatal sont souvent complexes, car les femmes ressentent plus d’anxiétés, craignent une récurrence ou présentent des symptômes de stress post-traumatique. Les appréhensions peuvent s’accentuer près de l’AG auquel le bébé précédent est décédé. Les PdS doivent se montrer particulièrement sensibles pendant cette période [16][17] et s’assurer de maintenir un contact régulier et un soutien psychologique [17]. À la naissance du nouveau bébé (que les médias populaires appellent le « bébé arc-en-ciel »), bien des parents peinent à concilier la joie et la peine qui découlent du décès précédent. Les groupes d’entraide sur le deuil périnatal sont attentifs à ces enjeux; les PdS peuvent orienter les parents vers les ressources locales.
Il convient de s’attarder sur les effets du deuil du bébé sur la fratrie. Les PdS peuvent aider les parents à comprendre comment les autres enfants de la famille peuvent interpréter ce décès. Les jeunes enfants ne comprennent pas toujours pleinement la permanence de la mort, mais ne manqueront pas de se sentir moins en sécurité dans leur environnement. Ils peuvent également craindre d’être responsables de la maladie et du décès du bébé [14]. Pour favoriser la guérison de la famille, il est essentiel d’aider les membres de la fratrie à comprendre que rien de ce qu’ils ont fait, dit ou pensé n’est responsable de la maladie ou du décès du bébé, et de les rassurer en leur répétant qu’ils sont en santé, en sécurité et aimés. Les enfants plus âgés peuvent éprouver un sentiment de deuil profond et durable. Il n’est pas rare qu’un ou plusieurs bébés meurent et que d’autres survivent lors d’une grossesse multiple, ce qui peut éveiller des sentiments contradictoires [18].
La loi exige d’enregistrer les naissances, les décès et les mortinaissances, et il faudra peut-être le rappeler aux parents aux moments opportuns. Le fait d’offrir une autopsie aux parents constitue un indicateur de la qualité des soins, mais souvent, les PdS ne font pas cette proposition aux parents qui, à leur avis, en ont « assez enduré » ou refuseront [19]. Des explorations seront recommandées en cas de mortinaissance [20][21]. Il faut également mettre à la disposition des parents toute l’information nécessaire sur les dispositions funéraires. De nombreux salons funéraires proposent des enterrements ou des services de crémation des nourrissons à prix réduit. Il faut passer ces services en revue et recommander ceux qui méritent de l’être.
Il est important d’aviser rapidement le PdS traitant pour s’assurer d’un suivi de la santé affective et mentale, prévoir des tests génétiques, au besoin [2], et annuler les rendez-vous prénatals ou les autres rendez-vous, s’il y a lieu. Toutes les mères auront besoin de conseils préventifs sur la suppression de la lactation et le don de lait humain, s’il est offert dans la région.
Les PdS qui rencontrent régulièrement des parents susceptibles de perdre un bébé (du moment du diagnostic jusqu’au deuil) pourraient trouver utile d’acquérir des habiletés en soins palliatifs ou en soins aux endeuillés. Aux endroits où elle est en place, l’équipe de soins palliatifs devrait être mise à contribution auprès des parents qui apprennent que leur bébé est atteint d’une affection au potentiel mortel pendant la période anténatale ou qu’il présente une autre affection se déclarant pendant la période néonatale et réduisant son espérance de vie. La prestation de soins de fin de vie aux nouveau-nés et à leur famille est un travail intense. Quant au soutien du personnel qui a prodigué des soins à la famille, il inclut des bilans (debriefing), un counseling et des programmes d’aide aux employés.
Malgré les nombreuses pratiques de deuil implantées dans les unités de soins intensifs néonatals et les programmes de décès de nourrissons, une récente analyse systématique Cochrane n’a permis de dégager aucun essai de qualité sur le soutien aux parents après un décès périnatal [10]. Les parents sont sensibles aux gestes compatissants de l’équipe soignante [3], mais on ignore encore à quel point ces pratiques contribuent vraiment à leur adaptation ou à leur bien-être [11]. Les services d’entraide peuvent être bénéfiques aux parents endeuillés, parce qu’ils les relient à des familles qui ont vécu un deuil similaire [22][23]. Des études ont clairement établi l’importance d’inviter les parents à passer en revue les soins et les circonstances de la mort de leur bébé de deux à trois mois après l’événement [7][14][24]. Une rencontre avec les parents pour expliquer les résultats de l’autopsie est également une excellente occasion de rouvrir le dialogue. Les parents attachent vraiment de l’importance aux efforts des PdS qui s’informent de comment ils s’en sortent, transmettent de l’information, dressent un portrait cohérent de l’expérience et évaluent le futur risque [24].
Un décès périnatal est l’un des événements les plus dévastateurs que puisse vivre une famille. Les PdS doivent soutenir les familles au moyen d’une communication compatissante, d’une prise de décision partagée, de la création de souvenirs concrets, de la reconnaissance du deuil, de soins à la fratrie et de soins à la famille dans la période qui suit le décès. Il est essentiel d’améliorer les habiletés et les connaissances des PdS en matière de soins palliatifs et de deuil pour prodiguer des soins de qualité.
Nous remercions Carmen Victoor, détentrice d’une maîtrise en éducation spécialisée en psychologie du counseling, pour sa révision et ses suggestions. Le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie a révisé le présent point de pratique, de même que des représentants de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada et de l’Association canadienne des infirmières et infirmiers en périnatalité et en santé des femmes, que nous remercions.
Membres : Mireille Guillot MD, Leonora Hendson MD, Ann Jefferies MD (présidente sortante), Thierry Lacaze-Masmonteil MD (président), Brigitte Lemyre MD, Michael Narvey MD, Leigh Anne Newhook MD (représentante du conseil), Vibhuti Shah MD
Représentants : Radha Chari MD, La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada; William Ehman MD, Le Collège des médecins de famille du Canada; Roxanne Laforge inf., Canadian Perinatal Programs Coalition; Chantal Nelson Ph. D., Agence de la santé publique du Canada; Eugene H Ng MD, section de la médecine néonatale et périnatale de la SCP; Doris Sawatzky-Dickson inf., Association canadienne des infirmières et infirmiers en néonatologie; Kristi Watterberg MD, comité d’étude du fœtus et du nouveau-né, American Academy of Pediatrics
Auteurs principaux : Leonora Hendson MD, Dawn Davies MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 31 mai 2024