Document de principes
Affichage : le 25 janvier 2024
Emilie Beaulieu MD MSP FRCPC, Suzanne Beno MD FRCPC; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la prévention des blessures
Le jeu libre est essentiel pour le développement de l’enfant, de même que pour sa santé physique, mentale et sociale. Les occasions de se livrer au jeu libre extérieur, et au jeu risqué en particulier, ont considérablement diminué ces dernières années, en partie parce que les mesures de sécurité ont visé à prévenir toutes les blessures liées aux jeux plutôt que seulement les blessures graves et fatales. Le jeu risqué désigne des formes passionnantes et stimulantes de jeu libre dont l’issue est incertaine et qui comportent une possibilité de blessure physique. Les promoteurs du jeu risqué distinguent le « risque » du « danger » et aspirent à recadrer la perception du risque pour qu’il devienne une occasion d’évaluer une situation et de favoriser le développement personnel. Dans le présent document de principes, les auteures soupèsent le fardeau des blessures liées au jeu par rapport aux données probantes en appui au jeu risqué, notamment les avantages, les risques et les nuances, qui peuvent varier en fonction de l’étape de développement de l’enfant, de ses aptitudes et du contexte social et médical. Elles proposent des approches pour promouvoir des échanges ouverts et constructifs avec les familles et les organisations. Les pédiatres sont invités à percevoir le jeu risqué extérieur comme un moyen de contribuer à prévenir et à gérer des problèmes de santé courants tels que l’obésité, l’anxiété et les problèmes de comportement.
Mots-clés :<blessures; enfants; jeu; risque; vie active
Le jeu est essentiel pour le développement de l’enfant et pour sa santé physique, mentale et sociale[1]. Le droit au jeu est reconnu comme fondamental dans la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, au même titre que le droit d’être élevé et d’être protégé contre la violence[2]. Les enfants qui se livrent au jeu libre acquièrent également des compétences sociales et exécutives capitales pour la maturité scolaire et leurs accomplissements tout au long de leur vie[3][4]. Depuis quelques décennies, les tendances familiales et sociales sont de plus en plus axées sur la supervision et la protection des enfants. L’équilibre entre les types de jeu s’est modifié dans la vie de la plupart des enfants, le jeu libre extérieur non planifié ayant été peu à peu remplacé par des activités planifiées et structurées, y compris les activités scolaires et parascolaires[3][5][6]. Les enfants passent plus de temps de loisirs à l’intérieur (et souvent devant des écrans) que dehors sous supervision minimale[1]. Dans son bulletin de 2022, ParticipACTION a attribué aux enfants canadiens la note de « D » pour l’ensemble de l’activité physique et de « D – » pour le jeu actif[7]. De nombreuses organisations canadiennes réclament désormais une réorientation des stratégies pour assurer la « sécurité nécessaire » des enfants plutôt que leur « sécurité à tout prix », de même qu’une approche plus équilibrée de la vie saine et active, qui met les avantages de la prise de risque pour le développement au même plan que la prévention des blessures[8].
Le présent document de principes, destiné aux dispensateurs de soins aux enfants, décrit le concept et les avantages du jeu risqué extérieur, de même que les défis et les nuances à considérer en fonction de l’étape de développement de l’enfant, de ses aptitudes individuelles et des contextes social et médical. Il contient des approches pour promouvoir des échanges ouverts et constructifs avec les familles et les organisations. Les pédiatres sont invités à percevoir le jeu risqué extérieur comme une stratégie pour contribuer à prévenir et à gérer des problèmes de santé courants comme l’obésité, l’anxiété et les problèmes de comportement[9][10].
Le jeu risqué désigne des formes passionnantes et stimulantes de jeu libre dont l’issue est incertaine et qui comportent une possibilité de blessure physique[11]. D’après les données probantes recueillies depuis 15 ans, principalement auprès d’enfants de un à 13 ans[12], le jeu risqué est souvent réparti en divers types de jeu (tableau 1)[11][13]. Ces catégories sont imprécises à dessein, car les activités peuvent différer énormément en fonction de l’étape de développement de l’enfant (plutôt que de son âge), de ses expériences et de sa personnalité.
Tableau 1. Les catégories de jeu risqué, accompagnées d’exemples
Catégories |
Exemples |
Jeu en hauteur |
Grimper, sauter, être suspendu en hauteur. |
Jeu à grande vitesse |
Faire du vélo à grande vitesse ou de la luge, glisser, courir. |
Jeu avec des outils |
Participer à des activités supervisées à l’aide d’une hache, d’une scie, d’un couteau, d’un marteau ou de cordes (p. ex., construire une cabane ou tailler du bois). |
Jeu à proximité d’éléments dangereux |
Jouer près du feu ou de l’eau. |
Jeu turbulent et désorganisé |
Faire de la lutte, jouer à se bagarrer, faire de l’escrime avec des bâtons. |
Jeu comportant un risque de disparaître de la vue ou de se perdre |
Explorer les aires de jeu, les quartiers ou les bois sans la supervision d’un adulte ou, chez les jeunes enfants, sous une supervision limitée (p. ex., se cacher derrière des buissons). |
Jeu comportant des chocs |
Percuter quelque chose ou quelqu’un, peut-être à répétition et pour le plaisir. |
Jeu par procuration |
Éprouver le frisson de regarder d’autres enfants (souvent plus âgés) se livrer à un jeu risqué. |
Information tirée des références 11, 13
Notamment, la catégorie du « jeu en hauteur » peut inclure :
Les jeux semblent différents, mais dans les trois cas, les enfants se livrent à des jeux risqués parce qu’ils se sentent excités, passionnés et stimulés par l’activité qu’ils ont choisie.
Le jeu risqué est surtout associé à des activités extérieures ou en pleine nature, en raison des nombreuses occasions stimulantes et créatives du jeu dans ces contextes. Le jeu à l’aide d’éléments naturels et mobiles (p. ex., du gravier, du sable, des branches) ou de matériaux manufacturés (p. ex., des pneus, des caisses de lait) que les enfants peuvent utiliser de diverses façons, sans orientation précise, favorise également de riches occasions de jeu risqué[14]-[16].
Encadré 1. Le jeu risqué distingue le danger du risque
Un risque est observé dans des situations où l’enfant peut reconnaître et évaluer la difficulté et opter pour un plan d’action selon ses préférences personnelles et la perception de ses propres habiletés. Par exemple, jusqu’à quelle hauteur il grimpera dans une structure ou à quelle vitesse il dévalera une pente. Un danger se pose dans des situations où le risque de blessure dépasse la capacité de l’enfant à le percevoir comme tel ou à le gérer. Par exemple, un toboggan mal ancré peut basculer sous le poids d’un enfant ou une branche d’arbre pourrie peut casser. |
Le risque est inhérent au jeu libre. Pendant les jeux spontanés, l’enfant peut choisir de repousser et de tester les limites. Le jeu risqué favorise le jeu créatif et spontané, d’abord par l’élimination des dangers, puis par le soutien d’une prise de risque délibérée que contrôle l’enfant et qui tient compte de son expérience et de ses aptitudes (encadré 1)[11]. Le concept de jeu risqué répond en partie aux programmes et mesures de sécurité restrictifs qui, ces dernières années, se sont généralisés – et qui sont parfois imposés – en milieu de garde ainsi que dans les écoles et les aires de jeu. Étant donné les avantages de la prise de risque liée au jeu (décrite plus loin) pour le développement, certains chercheurs préconisent des règles de sécurité qui permettent d’éviter en toute efficacité les graves blessures et les décès, tout en aidant les enfants à adopter des stratégies de gestion du risque essentielles à une croissance active et en santé[1][17].
Les publications scientifiques sur le jeu risqué font ressortir l’importance d’une approche équilibrée entre le risque et le danger, au service de la santé et du bien-être globaux de l’enfant et qui tient compte à la fois de ses besoins en matière de développement et de prévention des blessures. Des environnements comme une rue achalandée ou des eaux tumultueuses représentent un danger que tout adulte responsable reconnaîtra. Pourtant, certaines activités, comme le jeu autour du feu ou le jeu turbulent et désorganisé, ont une corrélation plus nuancée entre le risque et le danger, notamment lorsqu’on prend les caractéristiques de l’enfant en considération. Le rôle de l’adulte consiste à déterminer quels sont les dangers et à les supprimer ou à les atténuer, puis à assurer une supervision appropriée (et parfois la juger inutile) en fonction du type d’activité et du degré d’habileté, de la personnalité et de l’étape du développement de l’enfant. Son degré d’autonomie est déterminé par ce que l’adulte connaît de ses habitudes de jeu et de ses capacités. Les adultes devraient toujours être en mesure d’intervenir lorsque le jeu de l’enfant se met à représenter un danger pour lui-même ou pour autrui. Le fait d’empêcher l’enfant de se livrer à des expériences de jeu risqué diffère d’une intervention opportune, respectueuse de son degré d’habileté et de sa confiance en soi.
Le jeu risqué ne consiste pas à :
Une controverse entre chercheurs et décideurs au sujet de l’équilibre approprié entre la prise de risque et la prévention des blessures [5] a donné lieu à l’utilisation d’autres termes que « risqué » pour qualifier le jeu. Par exemple, soulignons les termes « jeu extérieur », « jeu en pleine nature », « jeu actif », « jeu aventureux », « jeu libre » et « jeu non structuré ». Ils sont définis dans la terminologie et la taxonomie du Réseau JEA plein air, en anglais [14]. Ce document standardise la terminologie et reconnaît que chaque organisation qui comprend le rôle et les conséquences d’une prise de risque à sa façon peut préférer utiliser une série de termes pour faire progresser les échanges sur le jeu. Cependant, les enfants qui sont libres de jouer comme ils le désirent courent toujours un risque, mais sous différentes formes, et tous les termes descriptifs sous-tendent, dans une certaine mesure, du jeu risqué.
Une recherche bibliographique approfondie au sujet des effets du jeu risqué sur la santé des enfants, réalisée en mars 2022, a permis d’extraire une foule de données probantes sur les avantages de ce type de jeu pour le développement physique, mental et socioaffectif des enfants, détaillées ci-dessous. Les analyses systématiques axées sur l’influence de la nature et du jeu extérieur sur la santé de l’enfant ont établi des relations positives avec l’activité physique[18][19], le bien-être[16] et la diminution de la perception de stress[12][18][20].
Les études sur la mobilité autonome des enfants (leur degré de liberté à se déplacer et à jouer dans leur quartier sans supervision des adultes)[21] ou la modification des environnements de jeu par l’ajout d’éléments mobiles, de matières naturelles et d’occasions de prise de risque, ont démontré une augmentation des taux quotidiens d’activité physique modérée à vigoureuse et une diminution du temps sédentaire[21]-[24]. Le jeu risqué peut également contribuer à soutenir la participation aux activités physiques pendant toute la vie, un concept du nom de « littératie physique », selon lequel les personnes possèdent les habiletés cognitives, affectives et physiques pour garantir des comportements liés aux activités physiques pendant toute la vie. Il est démontré que les interventions en matière de littératie physique améliorent plusieurs résultats cliniques liés à l’activité physique et à la santé[25] et réduisent la probabilité de blessures en contexte sportif[26]. Une récente étude a démontré que le jeu extérieur avec des éléments mobiles donne à l’enfant des occasions d’acquérir des habiletés d’évaluation du risque et des habiletés motrices fondamentales par des mouvements répétés, qui sont deux aspects de la littératie physique[27].
Le jeu risqué peut également contribuer à moduler le système immunitaire. Selon une étude publiée en 2020, l’ajout de plantes et d’éléments naturels ou mobiles (p. ex., des bûches, des barils, des pneus) sur le terrain d’un milieu de garde pour inciter les enfants à creuser et à grimper a accru la diversité bactérienne de leur peau et modifié leur microbiote intestinal (par des changements aux taux de cytokines plasmatiques et aux fréquences des lymphocytes T régulateurs)[28].
Outre les effets positifs qu’apporte l’ajout de matériaux mobiles à l’environnement, l’ajout d’éléments de risques et de défis dans les aires de jeu scolaires peut aussi être positif pour la santé mentale de l’enfant. D’après une étude sur le jeu turbulent et désorganisé, l’autorisation de cette forme de jeu à l’école a entraîné une augmentation des signalements de bousculades et de bagarres, mais une diminution des cas d’intimidation. Chez l’enfant, le jeu turbulent et désorganisé peut contribuer à la résilience et aux habiletés de résolution de conflits[29]. Des études ont également associé le jeu turbulent et désorganisé à de meilleurs scores de résolution de problèmes chez les garçons[21]. Après une intervention de trois mois en milieu scolaire au cours de laquelle les enfants ont pu se livrer à du jeu risqué, les enseignants ont signalé une baisse de la sensibilité aux conflits, une meilleure estime de soi et une plus grande concentration chez les enfants de quatrième année[30].
Les publications scientifiques semblent appuyer les occasions pour que les enfants comprennent et testent leurs limites et relèvent de nouveaux défis[31]. D’après des articles théoriques, le jeu risqué accroît les habiletés socioaffectives et le sentiment d’appartenance[32]. De plus, la capacité de communiquer, de collaborer et de faire des compromis avec autrui s’améliore lorsque l’enfant peut tester et repousser ses propres limites[21][32]-[34]. Le jeu risqué permet d’exposer l’enfant à des situations qui lui font peur[9][17] et d’ainsi expérimenter l’incertitude, qui est associée à une activation physiologique et des stratégies d’adaptation, lesquelles peuvent réduire considérablement le risque de forte anxiété chez l’enfant[9][35].
Les blessures subies pendant le jeu risqué sont généralement mineures, limitées aux tissus mous, telles que les abrasions, les contusions et les lacérations[36]. Les études sur l’incidence des blessures liées au jeu risqué ont tendance à s’attarder sur la hauteur et la surface des structures de jeu et aux blessures liées aux chutes, et donnent des résultats hétérogènes[37][38]. Une étude menée en Nouvelle-Zélande a démontré que la fréquence et la gravité des fractures (touchant surtout la partie distale du bras) ne sont pas reliées à la hauteur des structures de jeu[37]. Cependant, une analyse systématique des facteurs de risque de blessures dans les structures de jeu de plus de 1,5 mètre a démontré que le risque de fracture était alors plus élevé[38]. Certains intervenants ont réclamé plus de données scientifiques pour confirmer la sécurité du jeu risqué[39], mais les recherches ont établi que les enfants sont moins susceptibles de se blesser pendant qu’ils se livrent à des activités non structurées que lorsqu’ils pratiquent un sport organisé[40].
Les commotions cérébrales et les traumatismes crâniens sont particulièrement inquiétants chez les enfants et les adolescents. Ces deux types de blessures augmentent en milieu sportif[41] et dans les aires de jeu[42], mais malgré le peu de données sur leur incidence pendant le jeu risqué extérieur, on les croit peu courants dans ce contexte. D’après l’analyse des données du Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes (SCHIRPT), la proportion des types de blessures subies dans le cadre d’activités populaires pendant l’enfance entre avril 2011 et janvier 2023 était révélatrice. Ainsi, le taux de blessures subies pour avoir grimpé dans un arbre (195 cas sur 100 000 dossiers du SCHIRPT) était de cinq à 22 fois plus faible que pour d’autres activités populaires, telles que le soccer intérieur et extérieur (4 296 cas sur 100 000 dossiers), les chutes de structures de jeu (4 090 cas sur 100 000 dossiers), le vélo (2 816 cas sur 100 000 dossiers) et la planche à roulettes (881 cas sur 100 000 dossiers)[43]. Au Canada, aucun décès d’enfant n’est survenu après la chute d’un arbre depuis vingt ans. Deux décès se sont produits sur des aires de jeu entre 2007 et 2017[44].
Certains experts ont attribué les blessures dans les aires de jeu à des structures de jeu peu inspirantes. Les structures basses pour tous les groupes d’âge et les surfaces non naturelles sous les structures de jeu (p. ex., des surfaces synthétiques plutôt que du gazon ou du sable) peuvent être associées à une utilisation inappropriée de l’équipement et à une plus grande prise de risque[1]. Les enfants qui s’ennuient peuvent préférer jouer à l’intérieur ou sur des écrans, ce qui a également des conséquences sur leur santé[5][45].
Certains ont exprimé des inquiétudes quant à l’inégalité des avantages du jeu risqué dans certaines populations, y compris les enfants autochtones, qui font face à un risque démesuré de blessures au Canada[46], et les enfants qui vivent dans la pauvreté ou dans des quartiers marginalisés [47]. La recherche bibliographique réalisée en vue du présent document de principes n’a dégagé aucun projet en cours ni publication évaluant les effets du jeu risqué chez les enfants issus des Premières Nations, des Inuits et des Métis. On ne connaît pas encore le point de vue des communautés autochtones sur le jeu risqué ou la manière d’adapter ce concept à leurs réalités.
Une étude canadienne a révélé que les parents des quartiers marginalisés craignent souvent « de ne pas avoir d’argent à consacrer aux jeux (de leurs enfants) » et doutent de « la sécurité physique des aires de jeu »[47]. Un groupe de travail de mères néo-canadiennes a cité les seringues abandonnées, les personnes itinérantes qui dorment dans les parcs et la proximité avec le commerce du sexe et les utilisateurs de drogues comme des obstacles au jeu extérieur. Ces mères se sentaient forcées de garder leurs enfants à l’intérieur parce qu’elles ne connaissaient pas leur quartier et ne faisaient pas confiance à ce qui s’y trouvait[47]. Cette étude a fait ressortir le rôle essentiel que jouent les programmes communautaires, les écoles et les milieux de garde en fournissant les lieux physiques, les matériaux et les ressources humaines nécessaires pour garantir un accès sécuritaire et équitable au jeu extérieur[47].
Les enfants qui ont des handicaps peuvent profiter du jeu risqué. En effet, une étude a démontré que la surprotection et la baisse des attentes à l’égard des enfants qui ont un problème médical ou un handicap peuvent réduire l’estime de soi et le sentiment « d’appartenance » de l’enfant, tout en entravant son autonomie[48]. Un enfant qui a un handicap et qui est encouragé à une prise de risque gérable (c’est-à-dire dans le cadre d’une activité dont il peut lui-même évaluer et contrôler le risque) peut accroître son autonomie et sa responsabilité personnelle et réduire son exclusion sociale[49][50].
Plus de recherches devront être effectuées sur les avantages et les défis du jeu risqué dans des populations particulières. Entre-temps, il sera prioritaire d’intégrer tous les enfants aux initiatives de jeu risqué en aménageant et en adaptant les milieux de jeu.
Les parents, les milieux de garde et les décideurs publics peuvent trouver difficile de protéger les enfants des méfaits tout en s’assurant qu’ils aient accès aux occasions et aux avantages du jeu risqué. Il incombe aux adultes de fournir des lieux physiques sécuritaires et des environnements qui les soutiennent sur le plan affectif tout en favorisant et en optimisant les occasions de jeu risqué spontané. Ces occasions incluent une supervision moins rapprochée des enfants (p. ex., accepter qu’un enfant grimpe plus haut, sans qu’une main le protège ou sans être assez près pour freiner une chute). Il est essentiel de prévoir du temps pour le jeu libre dans l’horaire de l’enfant, de l’encourager à jouer avec des éléments naturels ou mobiles (p. ex., des bâtons, des branches ou des pierres) et de lui permettre de pratiquer des jeux turbulents et désorganisés.
La communication et le langage qui entourent la prise de risque sont d’autres facteurs que les parents et les éducateurs devront peut-être adapter en appui au jeu risqué. Lorsque les enfants sont sous supervision, on les entend souvent se faire prévenir par des expressions comme « Fais attention », « Penses-tu que c’est une bonne idée? », « Ralentis » et « Pas trop haut ». Les adultes bienveillants veulent généralement dire « Je t’aime », « Je tiens à toi », « Je m’inquiète pour toi », mais les enfants qui reçoivent des avertissements répétés finissent par comprendre « Tu ne me fais pas confiance » ou « Tu ne penses pas que j’en suis capable ». Ces mises en garde inoffensives, répétées souvent dans le temps, peuvent transmettre de la peur, même si le danger est minime ou inexistant. Par ailleurs, ces paroles n’aident pas l’enfant à gérer son jeu dans une situation risquée, ce qui peut (encore une fois, lorsqu’elles sont répétées dans le temps) nuire à la confiance envers ses propres habiletés et réduire l’attrait du jeu actif [50].
Certains experts proposent que les parents apprennent à s’arrêter pendant 15 à 30 secondes pour observer le « portrait » du jeu en cours avant d’intervenir[51]. La durée de la pause dépend de l’enfant, de la situation et de l’activité observée. Lorsqu’ils interviennent, les parents devraient d’abord s’attacher à sensibiliser l’enfant à une situation ou à un comportement, puis à aider l’enfant à se sortir de la situation difficile dans laquelle il s’est placé ou à résoudre son problème (encadré 2).
Encadré 2. Phrases pour favoriser un « moment d’enseignement » pendant le jeu risqué[51]
|
Une analyse de 2012 priorisait le jeu risqué chez les enfants canadiens d’après une expérience internationale approfondie[1]. En 2015, un groupe multisectoriel et interdisciplinaire d’experts en vie saine et active, en prévention des blessures, en assurance et en droit a publié le premier document de principes canadien sur le jeu extérieur actif et fait la promotion du jeu risqué[8]. La Fédération canadienne des services de garde à l’enfance, l’Association canadienne de santé publique et le Conseil des médecins hygiénistes en chef pour le Canada ont également abordé l’importance du jeu risqué dans diverses déclarations[35][52][53]. Conjointement avec certains gouvernements provinciaux et territoriaux, ils ont réclamé une réorientation des stratégies pour assurer la « sécurité nécessaire » des enfants plutôt que leur « sécurité à tout prix ». Le YMCA a rendu une formation sur le jeu risqué obligatoire pour son personnel de garde à l’enfance au Canada et a présenté l’expérience du déploiement de cette initiative dans son site Web[54].
Des outils pour les parents, les éducateurs de la petite enfance, les enseignants, les concepteurs et les administrateurs pour contribuer à la mise en œuvre du jeu risqué extérieur s’inspirent de ces recommandations[35][44][55]-[62].
Les dispensateurs de soins aux enfants sont bien placés pour parler aux familles des avantages du jeu risqué extérieur pour le développement des enfants, leur vie saine et active et leur bien-être socioaffectif.
Pour réorienter le jeu des enfants vers une plus grande tolérance au risque, les pédiatres et autres dispensateurs de soins aux enfants sont invités à prendre les mesures suivantes :
Les autorités sanitaires et les décideurs gouvernementaux devraient prendre les mesures suivantes :
Pour en savoir plus sur le jeu risqué extérieur, voir les ressources des sites Web suivants :
Les auteures tiennent à remercier les docteures Mariana Brussoni et Pamela Fuselli pour leur révision experte du présent document de principes, qui a également été révisé par le comité de bioéthique, le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis et le comité des soins aigus de la Société canadienne de pédiatrie, de même que par le comité directeur de la section de la médecine d’urgence pédiatrique et celui de la section de la pédiatrie sociale de la SCP.
Membres : Dominic Allain MD FRCPC, Emilie Beaulieu MD MSP, Suzanne Beno MD (présidente), Jeff Critch MD (représentant du conseil), Kristian Goulet MD, Daniel Rosenfield MD, Maaz Mirza MD (membre résident)
Représentants : André Champagne (Agence de la santé publique du Canada), Pamela Fuselli (Parachute – chef de file de la prévention des blessures), April Kam MD (section de la médecine d’urgence en pédiatrie de la SCP)
Auteures : Emilie Beaulieu MD MSP FRCPC, Suzanne Beno MD FRCPC
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 19 novembre 2024