Document de principes
Affichage : le 6 juin 2023
Christopher Tomlinson MB ChB, Ph. D., Laura N. Haiek MD, M. Sc., Comité de nutrition et de gastroentérologie
Paediatr Child Health 28(8):518–526.
Il est bien établi que le lait humain est la source nutritive optimale pour tous les nouveau-nés, y compris ceux qui ont besoin de soins intensifs. Le présent document de principes examine les données probantes qui appuient l’importance de l’allaitement et du lait humain pour les nouveau-nés, de même que les raisons pour lesquelles les pratiques d’allaitement doivent être priorisées à l’unité de soins intensifs néonatals. Il aborde aussi l’alimentation optimale des nouveau-nés en fonction de leur stabilité et de leur maturité, ainsi que la manière de soutenir les mères pour qu’elles établissent et maintiennent leur production de lait lorsque leur nouveau-né est incapable de se nourrir au sein
Mots-clés : allaitement; contact peau-contre-peau; lait humain; prématuré; politiques; très petit poids à la naissance; unité de soins intensifs néonatals
L’allaitement exclusif jusqu’à l’âge de six mois et la poursuite de l’allaitement au moins jusqu’à l’âge de deux ans, en conjugaison avec une alimentation complémentaire appropriée, constituent la méthode à la fois normale sur le plan biologique et inégalée pour alimenter les nouveau-nés, les nourrissons et les tout-petits[1].
Le lait humain, conçu pour répondre aux besoins de la toute petite enfance, est supérieur aux autres possibilités d’alimentation[2][3]. L’allaitement et le lait humain favorisent une croissance optimale[4]-[7], améliorent la fonction immunitaire[8][9] et le neurodéveloppement[6][10] et préviennent les complications intestinales et septiques, y compris l’entérocolite nécrosante[11]. Les résultats positifs de l’allaitement à court et à long terme sont bien établis, tant pour la santé des enfants que des mères[12]-[14]. Des lignes directrices cliniques de l’Organisation mondiale de la Santé, de l’UNICEF et d’autres organisations de santé et experts phares corroborent l’importance du lait humain pour l’obtention de résultats positifs sur la santé, tout autant que l’importance de moyens de soutenir l’allaitement à l’unité de soins intensifs néonatals (USIN)[7][15]-[17]. Au Canada, le taux de naissances prématurées tourne autour de 8 %, dont environ 75 % surviennent chez des nouveau-nés peu prématurés et les 25 % restants, chez des nouveau-nés de moins de 34 semaines d’âge gestationnel (AG)[18]. La plupart des nouveau-nés admis à l’USIN au Canada sont soit peu prématurés (24 %), soit à terme (42 %)[19]. Les taux de survie continuent de s’améliorer, mais les issues neurodéveloppementales défavorables demeurent un problème important pour les nouveau-nés prématurés, leur famille et la société. La croissance des nouveau-nés prématurés est un déterminant important des issues neurodéveloppementales[20], et le lait humain est essentiel à la croissance et à la santé optimales de cette population vulnérable.
La plupart des femmes enceintes du Canada ont l’intention d’allaiter leur nouveau-né[21], mais l’accouchement d’un nouveau-né prématuré ou malade ajoute des difficultés particulières à l’atteinte de cet objectif, puisque bon nombre de ces mères ne sont pas en mesure de nourrir leur nouveau-né au sein dès l’accouchement. Cependant, avec un soutien approprié, elles peuvent souvent commencer à le faire après la stabilisation de leur état et de celui de leur nouveau-né[22].
Lorsqu’il est impossible pour la mère d’allaiter, la première solution consiste à ce qu’elle exprime son lait pour son nouveau-né. Lorsque le lait de la mère n’est pas disponible, n’est pas suffisant malgré un soutien à l’allaitement approprié ou est contre-indiqué[7], le lait humain pasteurisé en provenance d’une banque de lait humain réglementée devient le mode d’alimentation complémentaire ou de substitution recommandé pour les nouveau-nés qui y sont admissibles[2]. En l’absence de lait humain pasteurisé, les préparations commerciales régulières ou pour prématurés (selon l’AG et l’état du nouveau-né), représentent alors la solution pour répondre aux besoins nutritionnels du nouveau-né et ne doivent être administrées que pour des indications médicales reconnues. L’Organisation mondiale de la Santé, l’UNICEF, l’Academy of Breastfeeding Medicine et le Comité canadien pour l’allaitement fournissent chacun une liste des indications à cet égard[7][23]-[26].
Les nutriments contenus dans le lait humain ne suffisent pas pour assurer la croissance optimale des nouveau-nés de très petit poids à la naissance qui grandissent rapidement. Les fortifiants qui contiennent de multiples éléments nutritifs et qui fournissent de l’énergie, des protéines, du calcium, du phosphore et des micronutriments, peuvent accélérer la croissance en milieu hospitalier[27]. Au Canada, la plupart des fortifiants sont à base de lait de vache. Une marque à base de lait humain est actuellement commercialisée, mais les données sont insuffisantes pour conclure qu’elle est supérieure aux produits à base de lait de vache[28]-[32]. Les fortifiants à base de lait humain sont utilisés comme produits de rattrapage auprès des nouveau-nés qui présentent une intolérance alimentaire extrême aux produits à base de lait de vache[33].
Puisque la capacité des nouveau-nés peu prématurés à téter avec efficacité peut être surestimée, il est important de leur porter une attention particulière pour éviter des complications comme la perte de poids excessive, l’hypoglycémie et l’hyperbilirubinémie[34].
Tous les nouveau-nés capables de téter au sein devraient être nourris de cette façon dans l’heure suivant leur naissance ou dès que leur état clinique s’est stabilisé, quel que soit leur AG ou leur poids[6][7]. Il est démontré que les nouveau-nés prématurés sont en mesure de téter au sein beaucoup plus tôt qu’on le pensait auparavant[6][35]-[39]. Les premières tentatives des nouveau-nés à téter au sein varient : certains se contentent de sentir, mais d’autres commencent par faire des bruits de bouche, lécher, goûter, réagir par le réflexe des points cardinaux ou téter[35][39]. Ces comportements, observés chez les nouveau-nés dès 28 semaines d’âge postmenstruel (APM)[36][39] et assurément à compter de 32 semaines d’APM[35], peuvent être facilités par un soutien approprié.
Le mode d’alimentation à privilégier jusqu’à ce que l’allaitement soit établi dépend de la maturité et de la stabilité clinique du nouveau-né (l’absence d’apnée marquée, de désaturation ou de bradycardie, par exemple)[7]. Les nouveau-nés plus matures sont généralement en mesure de se nourrir au sein dès la naissance, mais ceux qui sont moins matures ou qui sont malades doivent recevoir une alimentation entérale par sonde avant de passer directement au sein ou d’adopter un autre mode d’alimentation orale[7]. Les nouveau-nés de très petit poids à la naissance sont systématiquement placés sous alimentation parentérale dès la naissance pour promouvoir leur croissance postnatale. Les nouveau-nés plus gros peuvent également avoir besoin d’une alimentation parentérale ou de liquides par voie intraveineuse (IV) pour répondre à leurs besoins nutritionnels ou médicaux, en fonction du diagnostic sous-jacent et de la disponibilité du lait de leur propre mère ou de lait humain pasteurisé pour l’alimentation entérale dans les premiers jours suivant leur naissance.
Lorsque le nouveau-né est admis à l’USIN et que sa mère a l’intention d’allaiter, il faudrait commencer l’alimentation directement au sein. Il n’est pas nécessaire d’exprimer systématiquement le lait pour vider le sein ni d’évaluer le nouveau-né au moyen d’un biberon ou d’une autre méthode auparavant[7]. Lorsqu’il faut évaluer la préparation à l’alimentation orale, il faut l’effectuer au sein, dans la mesure du possible. Lorsque la production de lait de la mère est abondante ou que son réflexe d’éjection est particulièrement fort, il peut être utile d’exprimer du lait avant l’allaitement, afin d’éviter que le nouveau-né s’étouffe à cause du débit, et de réduire graduellement la quantité de lait exprimée en fonction de la maturation de son profil de succion, de déglutition et de respiration[7].
Il est possible d’allaiter même lorsque le nouveau-né reçoit une pression positive continue par voie nasale (nCPAP). Cette pratique émergente est soutenue par des preuves du caractère sécuritaire de l’alimentation au biberon pendant la nCPAP[40][41] et par la constatation que l’état physiologique des nouveau-nés prématurés demeure plus stable lorsqu’ils sont allaités que lorsqu’ils sont nourris au biberon[42]. D’après une étude danoise, dans une vaste cohorte de 1 488 nouveau-nés prématurés, 21 % avaient vécu leur première expérience d’allaitement pendant la nCPAP, et 62 % des 60 nouveau-nés extrêmement prématurés de la même cohorte ont pu téter pendant la nCPAP[35]. La formation du personnel à l’USIN et le recours à des protocoles d’alimentation bien établis s’imposent pour assurer la mise en œuvre sécuritaire de l’allaitement pendant la nCPAP[43].
Il est important de soutenir les nouveau-nés sous alimentation entérale pour qu’ils passent directement au sein[7]. Si c’est impossible, le nouveau-né devra peut-être passer par une phase de transition, au cours de laquelle sa mère exprimera son lait directement dans la bouche de son nouveau-né ou utilisera une cuiller, un gobelet, un dispositif d’aide à l’allaitement ou un biberon, selon la maturité du nouveau-né et la durée d’utilisation anticipée. L’alimentation au biberon est à éviter le plus possible, car elle compromet l’apprentissage de l’allaitement[7].
Les nouveau-nés instables sur le plan physiologique ou qui ne peuvent tolérer l’alimentation orale doivent être placés sous alimentation entérale ou perfusion IV (ce qui peut inclure l’alimentation parentérale), en fonction de leur AG, de leur état de santé et de l’accès à du lait humain. Chez ces nouveau-nés, l’alimentation trophique dans les premiers jours de vie, au moyen de volumes de substrat entérique minimes sur le plan nutritionnel, de préférence sous forme de colostrum, stimule le développement du système gastro-intestinal, fournit des nutriments et prévient l’atrophie du système gastro-intestinal[7]. De petites quantités de colostrum sur les muqueuses orales des nouveau-nés sous alimentation IV doivent également être administrées tôt à l’USIN pour favoriser le développement du microbiote du nouveau-né[7] et améliorer la fonction immunitaire. Le lait frais provenant de la propre mère du nouveau-né prématuré contient des probiotiques particulièrement bénéfiques[44].
Les stratégies d’alimentation chez les nouveau-nés à l’USIN, quel que soit leur AG, visent l’obtention d’une croissance optimale tout en limitant au minimum les complications liées à la prématurité, à une affection ou à ces deux réalités. Par ailleurs, les directives en matière d’alimentation devraient favoriser le soutien des mères, de manière à ce qu’elles aient adopté l’allaitement exclusif au moment du congé, ou du moins viser à fournir au nouveau-né le plus de lait humain possible. Malgré ces objectifs communs, les pratiques et les protocoles d’alimentation varient considérablement entre les diverses USIN du Canada. Cependant, des principes généraux ont tendance à s’appliquer. Par exemple, chez les nouveau-nés plus prématurés qui ont besoin d’une alimentation parentérale, le passage à l’alimentation entérale doit avoir lieu le plus rapidement possible pour limiter les complications liées au cathéter veineux central, tout en maintenant une croissance et une alimentation optimales[45]. Chez ces nouveau-nés, la plupart des protocoles définissent un volume d’alimentation entérale de départ et s’entendent pour accroître ce volume à un rythme linéaire. Au moment de préparer des protocoles destinés aux USIN, il est important de tenir compte non seulement du poids et de l’APM, mais également de l’augmentation moyenne de l’ingestion physiologique par le nouveau-né tout autant que de la production de lait maternel[7][24][46]. Il est utile de prendre ces facteurs en compte pour réduire l’utilisation de préparations commerciales pendant la progression de l’alimentation, si c’est l’objectif des parents.
Il est souvent nécessaire d’utiliser des fortifiants du lait humain pour favoriser une croissance optimale. Cependant, le moment, la durée et le taux de fortification varient considérablement d’une USIN à l’autre, sans qu’un consensus clair se dégage pour l’instant. La plupart des USIN entreprennent cette fortification lorsque le nouveau-né peut tolérer un volume de 100 mL/kg/jour, mais d’autres préconisent de commencer plus tôt, malgré l’absence de données probantes pour appuyer cette pratique[45]. Il faut sevrer le nouveau-né des fortifiants le plus rapidement possible pour éviter de compromettre l’allaitement.
À mesure que les nouveau-nés gagnent en maturité, il faut soutenir la transition de l’alimentation entérale à l’alimentation directement au sein, de même que la transition des tétées à heures fixes vers des tétées « à la demande », sans restrictions injustifiées sur le plan de la fréquence, de l’intervalle ou de la durée. Des pesées de contrôle obtenues avant et après la tétée ou la mesure quotidienne de la prise de poids peuvent permettre d’évaluer le transfert de lait. Les besoins non comblés peuvent alors être assurés par un autre mode d’alimentation[7][46]. Pendant les gavages, il est important de mettre les nouveau-nés au sein lorsqu’ils démontrent des signes de faim (p. ex., ils font des bruits de bouche, lèchent, goûtent, réagissent par le réflexe des points cardinaux ou tètent), que ce soit spontanément ou après avoir été stimulés à le faire[39].
Des directives en matière d’alimentation qui appuient un accès rapide et illimité au sein, quel que soit l’AG du nouveau-né, son APM ou son poids[7], de même qu’un milieu propice à l’USIN, aident les mères et leur nouveau-né à parvenir à l’allaitement exclusif au sein, qui peut se produire dès 32 semaines d’APM, mais qui est plus généralement obtenu entre 34 et 39 semaines d’APM[35][36][38][39].
Il faut aider les mères à exprimer leur lait si elles sont dans l’impossibilité d’allaiter, si elles sont séparées de leur nouveau-né ou si leur nouveau-né est incapable de se nourrir au sein ou ne peut pas le faire avec efficacité[7][47][48]. Le volume quotidien de lait exprimé est le principal déterminant de l’exclusivité et de la durée de l’allaitement chez les nouveau-nés prématurés ou malades[7]. L’établissement de la production de lait est un processus assujetti à une contrainte de temps[7][47]. En effet, les mères doivent commencer à exprimer leur lait le plus tôt possible, de préférence entre la première et la troisième heure suivant l’accouchement, sans toutefois dépasser six heures[7][49][50]. L’expression doit se poursuivre manuellement ou à l’aide d’un tire-lait au moins sept à huit fois toutes les 24 heures, dont au moins une fois pendant la nuit[7]. Les mères doivent viser un volume de lait d’au moins 500 mL/jour dans les 14 jours suivant l’accouchement, parce qu’il est plus difficile d’accroître une production de lait qui était faible au départ[7]. L’accès à un double tire-lait de qualité hospitalière dans les unités de soins où les mères et les nouveau-nés sont pris en charge après l’accouchement et qui peut être utilisée à la maison peut contribuer à l’atteinte et au maintien de la production de lait souhaitée[7].
Le contact peau-contre-peau (ou « méthode kangourou ») est associé à de plus forts volumes de lait exprimé et à une amélioration de l’exclusivité et de la durée de l’allaitement[51][52]. Selon certaines données probantes, le contact peau-contre-peau a un effet dose-réponse sur l’allaitement chez les nouveau-nés prématurés, c’est-à-dire que les effets positifs sont plus élevés lorsque ce contact est offert pendant des périodes plus longues chaque jour tout au long du séjour hospitalier[35][53][54]. Le contact peau-contre-peau joue également un rôle important lors de la transition entre l’alimentation entérale et l’allaitement. De plus, il est utilisé pour le contrôle non pharmacologique de la douleur et pour le réconfort des nouveau-nés admis à l’USIN[7][55][56].
De multiples lignes directrices portent sur la pratique sécuritaire du contact peau-contre-peau, sans effets négatifs déclarés sur la stabilité physiologique des nouveau-nés prématurés, même lorsqu’ils sont extrêmement prématurés ou sous ventilation assistée[51]. En raison de ses avantages démontrés et de son profil d’innocuité, le contact peau-contre-peau précoce, idéalement sur la mère, doit être facilité immédiatement ou le plus tôt possible après l’accouchement. Il faut permettre aux parents d’offrir un contact peau-contre-peau et les encourager à le faire tous les jours, aussi longtemps et aussi souvent qu’ils le souhaitent et le peuvent, tout au long du séjour à l’USIN[6][7].
La cohabitation permet aux mères de nouveau-nés prématurés de reconnaître les indices de faim[57] et favorise l’allaitement[7][35]. L’accès à des chambres familiales individuelles à l’USIN améliore aussi les résultats de l’allaitement[7][35][58]-[60]. En l’absence de lit disponible à l’USIN, les parents devraient être en mesure de se reposer confortablement au chevet de leur nouveau-né (dans un fauteuil doté d’appuis-bras ou dans un fauteuil inclinable)[61] et leur présence auprès de leur enfant ainsi que leur participation à ses soins ne devraient pas être limitées[7] (p. ex., la nuit, pendant les changements de quart ou les visites médicales ou en situation d’urgence). Il faudrait aussi désigner une chambre à l’USIN ou à proximité aussi longtemps que possible pour qu’ils puissent y dormir, à tout le moins les derniers jours avant que leur nouveau-né obtienne son congé[22]. Lorsque la séparation est inévitable, les tétées devraient être coordonnées afin de prévenir l’alimentation du nouveau-né par sonde ou au biberon juste avant que sa mère arrive de l’unité postnatale ou de la maison pour l’allaiter[7]. La pandémie de COVID-19 a fait ressortir davantage l’importance de la cohabitation des mères avec leur nouveau-né en milieu néonatal, en tenant compte des précautions hygiéniques nécessaires[62]. Lorsque les mesures de prévention et de contrôle des infections empêchent la mère d’être présente à l’unité néonatale, il faut l’encourager à exprimer son lait fréquemment pour son nouveau-né, afin de pouvoir établir l’allaitement lorsque tous deux seront réunis[62][63].
La dompéridone peut être utilisée dans une indication non autorisée comme galactagogue pour accroître la production de lait[64], car elle bloque les récepteurs dopaminergiques D2 dans l’anté-hypophyse et stimule la sécrétion de prolactine[65]. Elle ne doit pas remplacer, mais compléter l’évaluation approfondie visant à déterminer les causes médicales du retard de la lactogenèse ou la faible production de lait[23][65][66], de même que les moyens connus d’accroître la production de lait par des interventions non pharmacologiques, telles que l’expression du lait, le contact peau-contre-peau et la cohabitation. Une étude composée d’une analyse systématique et d’une méta-analyse réalisée en 2021 a démontré l’efficacité de la dompéridone pour le traitement d’une faible production de lait chez les femmes dont le nouveau-né est prématuré, sans entraîner d’effets secondaires importants[67]. Néanmoins, il reste des incertitudes quant aux répercussions de la dompéridone sur l’allaitement[64][65][68], de même que des préoccupations quant aux effets secondaires rares, mais graves, liés aux doses administrées, notamment les manifestations psychiatriques[69] et le risque d’allongement de l’intervalle QTc[65][66][70]. Étant donné l’absence de directives claires, il est essentiel d’adopter une approche risques-avantages reposant sur les antécédents médicaux, l’utilisation conjointe de médicaments, un consentement éclairé rigoureux, une prescription à la dose efficace la plus faible, un suivi étroit de la dyade mère-nouveau-né et une dégression très lente de la posologie[66][69][70].
Les politiques et pratiques hospitalières doivent encadrer les soins dans un environnement axé sur la famille, favorable à l’allaitement et à l’administration de lait humain. Ces soins doivent être prodigués de manière respectueuse, coordonnée, sécuritaire et uniforme, tout en garantissant la présence illimitée des parents. Puisque le lait humain est l’un des traitements les plus sécuritaires et les plus efficaces[7], les parents doivent être considérés comme des partenaires actifs de l’équipe soignante[61][71]. Lorsqu’à l’USIN, l’équipe habilite les mères à s’occuper de leur nouveau-né et les aide à exprimer leur lait ainsi qu’à allaiter, elle favorise la proximité relationnelle (l’attachement) et stimule la confiance de la mère à manipuler son nouveau-né et à adopter des comportements parentaux rapidement. Lorsqu’elles fournissent leur lait, les mères peuvent également mieux composer avec le stress et le traumatisme liés à l’état de leur nouveau-né[7].
À cet effet, chaque hôpital devrait adopter une politique écrite claire sur l’alimentation du nouveau-né[6][7][23] qui servira de cadre pour créer et mettre en œuvre des marches à suivre et des protocoles relatifs à l’allaitement et au lait humain dans chaque unité où les mères et leur nouveau-né sont soignés, y compris les USIN.
La formation du personnel qui fournit des services d’alimentation du nouveau-né à l’USIN doit viser la transmission des connaissances, des compétences et des habiletés nécessaires pour bien mettre en œuvre les pratiques d’allaitement[6][72]. À l’USIN, les consultantes en lactation[73] et le personnel infirmier possédant des compétences en soutien à l’allaitement devraient faire partie de l’éventail des services[7]. Le counseling sur l’importance et la gestion de l’allaitement doit faire partie des soins prénatals systématiques. Les femmes dont le nouveau-né risque d’être admis à l’USIN devraient être informées d’avance de la manière dont elles seront soutenues pour établir leur production de lait et l’allaitement précoce[7].
L’alimentation du nouveau-né est un élément clé de l’activité à l’USIN et elle comporte de multiples défis, notamment au moment d’établir la production de lait et l’allaitement[7][47][48][74]-[77]. Il est encourageant de constater que de nombreuses USIN du Canada évoluent vers l’adoption de pratiques exemplaires en appui à la fois aux mères et aux nouveau-nés[47][78]. Les gestionnaires et les dispensateurs de soins des hôpitaux devraient être encouragés à fixer des objectifs réalistes, mais également ambitieux, pour leurs USIN[7].
Les USIN doivent être dotées de protocoles établis en matière de manipulation sécuritaire et appropriée du lait des mères, inspirés de ceux des banques de lait humain[79]-[81]. Les directives doivent tenir compte de l’hygiène des mains, de la stérilisation et de la manipulation appropriée des pièces des tire-lait et des contenants, des protocoles d’entreposage et du transport sécuritaire du lait aux USIN[75]. Les mères doivent recevoir du counseling et du soutien à l’égard de la manipulation et de l’entreposage sécuritaires du lait exprimé.
L’allaitement est rarement contre-indiqué[3][5]-[7][17][23][25].
Au Canada, les mères atteintes du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et du virus T-lymphotrope humain de type 1 ou 2 sont appelées à nourrir leur nouveau-né à l’aide de préparations commerciales plutôt que de leur propre lait[82]. L’infection de la mère par le cytomégalovirus demeure préoccupante, parce que le lait non pasteurisé des mères séropositives à ce virus (environ 55 % des mères du Canada) est associé à un risque d’infection faible, mais mesurable, chez les nouveau-nés prématurés[2][83][84]. Il n’est toutefois pas recommandé de procéder au dépistage sérologique systématique de l’infection par le cytomégalovirus chez les mères, et cette infection n’est d’ailleurs pas considérée comme une contre-indication à l’allaitement[17][85].
Bien que les cas soient rares, l’évitement temporaire ou permanent du lait maternel peut être justifié lorsque les mères prennent certains médicaments (p. ex., certains médicaments contre le cancer ou certains agents de médecine nucléaire)[3][6][23][25]. Des bases de données réputées[86]-[88] et les directives d’organismes professionnels[5][89]-[91] fournissent de l’information sur la compatibilité des médicaments avec l’allaitement.
L’utilisation continue de drogues (p. ex., cocaïne, héroïne, phencyclidine) et la consommation excessive d’alcool par les mères qui allaitent peuvent exposer le nouveau-né aux effets dangereux de ces produits[1][23]. Dans de telles situations, il peut être nécessaire de remplacer le lait de la mère. L’usage récréatif de marijuana et le tabagisme ne sont pas des contre-indications à l’allaitement ou à un autre mode d’alimentation par le lait de la mère, mais il faut alors encourager celle-ci à réduire sa consommation ou à y mettre un terme[1][5][89][92].
Conjointement avec les parents du nouveau-né, l’équipe de l’USIN devrait préparer un plan de congé pendant le séjour hospitalier afin de soutenir les objectifs d’allaitement des parents au moment du départ à la maison[64][93]. Une planification personnalisée peut aider les mères à maintenir leur production de lait et à fournir à leur nouveau-né le plus de lait humain possible ou à cheminer vers l’allaitement exclusif s’il n’est pas déjà établi au congé[7][93]. Un congé plus rapide sera facilité par la maximisation du contact peau-contre-peau et par le soutien à l’allaitement auprès des mères et des nouveau-nés[7].
Il est important de planifier et de coordonner les services offerts après le congé, de manière que les parents et leur nouveau-né aient accès à un soutien à l’allaitement continu, opportun et compétent[6]. Les parents de multiples nouveau-nés, de nouveau-nés très prématurés ou de nouveau-nés ayant des affections complexes ont besoin d’une attention et d’un soutien particuliers pour optimiser l’allaitement.
Les gestionnaires et les cliniciens des hôpitaux et des unités de soins intensifs néonatals (USIN) du Canada devraient préparer et adopter des politiques et des protocoles visant à optimiser l’allaitement et l’administration de lait humain chez les nouveau-nés prématurés et les autres nouveau-nés à risque admis à l’USIN, y compris les pratiques exemplaires suivantes :
Le comité d’étude du fœtus et du nouveau-né de la Société canadienne de pédiatrie a révisé le présent document de principes. Les auteurs remercient Amanda Camacho, infirmière clinicienne et consultante en lactation certifiée par l’International Board of Lactation Consultant Examiners (IBLCE), et Ghislaine Reid, consultante en lactation certifiée par l’IBLCE, pour leur participation à la révision du manuscrit.
COMITÉ DE NUTRITION ET DE GASTROENTÉROLOGIE DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE (2021-2022)
Membres : Belal Alshaikh MD, Linda Casey MD (membre sortante), Eddy Lau MD (représentant du conseil), Ana Sant’Anna MD (présidente), Gina Rempel MD, Pushpa Sathya MD, Rilla Schneider MD (membre résidente), Christopher Tomlinson MB ChB, Ph. D. (membre sortant), Catherine M. Pound MD (présidente sortante)
Représentants : Sanjukta Basak MD (Groupe canadien d’endocrinologie pédiatrique), Mark Corkins MD (American Academy of Pediatrics, comité de nutrition), Subhadeep Chakrabarti (Santé Canada), Jennifer McCrea (Santé Canada), Tanis Fenton (Les diététistes du Canada), Laura N. Haiek MD (Comité canadien pour l’allaitement)
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 23 avril 2024