Point de pratique
Affichage : le 28 juin 2018 | Mise à jour : le 1 décembre 2023 | Reconduit : le 11 janvier 2024
Tobey Audcent, Andrea Hunter; Société canadienne de pédiatrie, Section de la santé des enfants et des adolescents dans le monde, Comité des maladies infectieuses et d’immunisation
Paediatr Child Health 2018 23(8):554 (Résumé)
Les loisirs, la mondialisation, la migration et les familles qui rendent visite à des amis et à des parents en pays étranger accroissent la fréquence des voyages internationaux et l’exposition potentielle à des maladies tropicales. Les cliniciens peuvent éprouver de la difficulté à poser un diagnostic chez les jeunes patients infectés à leur retour au Canada, qui peuvent en subir des conséquences importantes s’ils ne sont pas traités. Il existe des lignes directrices de qualité pour le dépistage et le diagnostic, mais les professionnels de la santé doivent savoir où les trouver. Le présent point de pratique fait ressortir les faits saillants relatifs à la prise en charge de la fièvre chez l’enfant voyageur de retour au pays et contient des liens vers des ressources détaillées sur le sujet.
Mots-clés : Children; Fever; Travel health; Tropical disease
Les loisirs, la mondialisation, la migration et la fréquence des voyages des familles canadiennes qui rendent visite à des amis et à des parents (VAP) à l’étranger accroissent le nombre de voyages internationaux et le risque d’exposition potentielle à des maladies qu’on ne voie pas souvent au Canada et qui peuvent poser des difficultés diagnostiques particulières aux cliniciens au retour des voyageurs. Même si les enfants vont moins souvent à l’étranger que les adultes, ils subissent une part disproportionnée des infections liées aux voyages [1]. Le groupe des voyageurs VAP est plus vulnérable aux infections que les autres types de voyageurs, pour les raisons suivantes :
Certaines maladies des voyageurs, comme le paludisme, peuvent s’associer à un taux de mortalité élevé lorsqu’elles ne sont pas dépistées ou qu’elles sont mal prises en charge. Les cliniciens du Canada doivent être en mesure de dépister rapidement les infections graves qui peuvent être soignées, d’envisager les maladies qui représentent un risque pour la santé publique et de prendre les dispositions nécessaires pour traiter l’enfant et l’orienter vers des soins plus spécialisés. Même si le présent point de pratique porte sur les maladies des voyageurs, les cliniciens doivent savoir que de nombreuses infections dont souffrent les enfants à leur retour au pays sont également courantes au Canada (p. ex., grippe, gastroentérite virale, otite moyenne).
Selon le rapport du Programme canadien de surveillance pédiatrique (PCSP) de 2008 à 2009 et les données de surveillance de CanTravNET de 2009 à 2011, les infections au potentiel mortel, telles que la dengue, le paludisme et la fièvre entérique, sont souvent importées au Canada par des voyageurs de retour au pays, et particulièrement par des VAP [3][4][5].
Principales ressources [5] pour orienter l’évaluation clinique et la prise en charge de la fièvre chez l’enfant de retour de voyage et l’aiguillage vers des services plus spécialisés
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Il ne faut pas oublier de demander à chaque famille qui consulte en pratique clinique si elle s’est rendue à l’extérieur du Canada au cours des 12 mois précédents. Chaque élément des antécédents de voyage fournit de l’information essentielle sur l’exposition à des maladies potentielles et peut circonscrire considérablement le diagnostic différentiel. Ainsi, puisque les périodes d’incubation sont variables et que certaines infections sont saisonnières, il est essentiel de connaître les dates précises de voyage pour évaluer les risques et poser un diagnostic.
Il est important de s’informer des éléments suivants :
Il faut accorder une attention particulière aux facteurs qui rendent l’enfant plus vulnérable à une grave infection, y compris les éléments suivants :
Il est important de procéder à un examen physique complet, y compris la prise des signes vitaux, mais l’absence de signes localisateurs n’écarte pas la possibilité d’une grave infection. À l’examen, les constatations qui peuvent devenir des indices diagnostiques si elles sont interprétées en fonction des antécédents de voyage et de la période d’incubation sont exposées au tableau 1 [6][7].
Les trois principales causes de fièvre des voyageurs sont le paludisme (20 % à 30 % des cas, apparition dans les six mois suivant le retour), la diarrhée du voyageur et la fièvre entérique (10 % à 20 % et 2 % à 7 % des cas, respectivement, apparition dans les 60 jours suivant le retour) et la dengue (5 % des cas, apparition dans les 14 jours suivant le retour) [8][9]. Les infections respiratoires sont courantes dans toutes les régions du monde, mais il est important d’exclure celles qui ont un potentiel mortel ou qui sont très contagieuses.
Le paludisme est une cause importante de maladie systémique fébrile chez le voyageur de retour au pays. Il est transmis par des moustiques anophèles qui piquent le soir et la nuit. C’est une urgence médicale qui s’associe à un taux de mortalité pouvant atteindre les 20 % en cas de paludisme à Plasmodium falciparum. Si un enfant fébrile s’est rendu dans une région où le paludisme est endémique au cours des six mois précédents, il faut exclure expressément le diagnostic de paludisme. Les symptômes ne sont pas spécifiques chez les enfants; ils peuvent inclure de la fièvre ou des frissons, des céphalées, des nausées accompagnées ou non de vomissements ou de diarrhée, une léthargie, des myalgies et des douleurs abdominales. Le risque de paludisme est plus élevé en Afrique, mais les médecins devraient consulter les sites Web des Centers for Disease Control ou de l’Agence de la santé publique du Canada (CDC ou ASPC; voir les liens plus haut) pour obtenir la liste complète des pays où le paludisme est endémique. On pose le diagnostic par microscopie, avec ou sans épreuve diagnostique rapide selon que ce test est disponible dans l’établissement ou à proximité. Au départ, tous les enfants chez qui on craint un paludisme à P falciparum devraient être hospitalisés et recevoir un traitement présomptif contre le paludisme résistant à la chloroquine en attendant d’en déterminer l’espèce. Il faut également consulter d’urgence un infectiologue. Pour accéder à un traitement à l’artésunate ou à la quinine contre le paludisme, le clinicien doit passer par le Réseau canadien sur le paludisme [10]. De l’information détaillée sur les critères diagnostiques et le traitement du paludisme grave est offerte par le CCMTMV [5][11] et la Société canadienne de pédiatrie [12].
La typhoïde (aussi appelée fièvre typhoïde ou fièvre entérique) est causée par une infection à Salmonella typhi ou à Salmonella paratyphi, des bactéries qu’on trouve dans l’eau ou les aliments contaminés par des matières fécales. Les voyageurs qui ont visité des régions endémiques comme le sous-continent indien, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale, l’Afrique et l’Europe de l’Est y sont très vulnérables.
La période d’incubation dure généralement de sept à 14 jours. Les symptômes de typhoïde peuvent être biphasiques, c’est-à-dire qu’ils prennent d’abord la forme d’une entérocolite diarrhéique qui persiste plusieurs jours, se résorbe, puis reprend avec plus de symptômes non spécifiques, y compris la fièvre, les frissons, les éruptions cutanées, la diaphorèse, les céphalées, les myalgies, la confusion, la psychose ou l’apathie. On observe une constipation dans 10 % à 20 % des cas, et environ 20 % des cas souffrent de douleurs abdominales. Les enfants infectés peuvent avoir l’air malade et présenter une hépatosplénomégalie à l’examen, de même qu’une leucopénie et une thrombopénie. Une hémoculture est nécessaire pour poser un diagnostic, et il faudra peut-être effectuer plus d’un prélèvement pour accroître le rendement diagnostique [13].
La diarrhée est un problème courant au retour des voyages. Elle est généralement causée par une infection entérique d’origine virale, bactérienne ou parasitaire. Les symptômes peuvent être aigus (s’ils se sont manifestés moins de deux semaines auparavant, un rotavirus ou une infection bactérienne en est habituellement responsable) ou chroniques (s’ils persistent depuis plus de deux semaines, la diarrhée post-infectieuse ou la giardase sont généralement en cause). L’hydratation est le principal traitement. Les antimicrobiens peuvent également être utiles lorsque l’enfant a des selles sanglantes (dysentériques). Pour obtenir plus de renseignements sur ce sujet, consulter le document du CCMTMV sur la diarrhée du voyageur [14].
La dengue est causée par un flavivirus, transmis par des moustiques diurnes qui se reproduisent dans les eaux stagnantes, généralement en région urbaine. Les régions les plus à risque de dengue sont l’Asie du Sud-Est (particulièrement la Thaïlande), le Pacifique-Sud, l’Amérique centrale et les Caraïbes.
La période d’incubation de la dengue varie de deux à 14 jours. Les symptômes sont la fièvre intense, les frissons, les céphalées, les myalgies et un érythème réticulé classique sur le thorax, le visage et les zones de flexion. La lymphocytose, la neutropénie et une élévation des transaminases sont également caractéristiques. Toutes ces constatations peuvent toutefois être causées par d’autres arbovirus. Des épisodes de dengue répétés peuvent provoquer une dengue hémorragique ou un syndrome de choc et s’accompagner d’une hyponatrémie, d’une hypoprotéinémie et d’un collapsus circulatoire.
Pour prendre la dengue en charge, on offre des soins de soutien, y compris le repos, la prise de liquides, d’antipyrétiques et d’analgésiques et une transfusion si la situation le justifie. Il faut toujours écarter le sepsis bactérien et le paludisme. Les stéroïdes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et l’acide acétylsalicylique (ASA, ou aspirine) sont à éviter, en raison du risque d’hémorragie [15].
Chez les enfants non immunisés ou non vaccinés, l’hépatite infectieuse est à envisager.
Ces dernières années, des agents pathogènes émergents comme le virus à chikungunya et le virus Zika, et des infections très contagieuses comme la fièvre hémorragique virale (p. ex., Ebola) et les coronavirus (p. ex., le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient) retiennent largement l’attention. Consulter les sites Web des CDC ou de l’ASPC pour obtenir de l’information à jour sur les infections émergentes chez les voyageurs ou sur les éclosions locales (p. ex., rougeole, dengue).
1. Commencer par obtenir les antécédents de voyage.
2. Prévoir des mesures d’isolement si les symptômes le justifient [16].
3. Obtenir une histoire détaillée de l’exposition et procéder à un examen physique complet, y compris l’examen de la peau.
4. Effectuer les examens suivants pour écarter le paludisme et d’autres infections graves ou au potentiel mortel [7][17] :
Envisager les examens suivants :
***S’assurer que les antécédents de voyage figurent sur toutes les demandes d’examens de laboratoire et d’examens radiologiques.
5. La prise en charge
Lorsque l’enfant s’est rendu dans une région où le paludisme est endémique et qu’il est malade ou que le diagnostic en laboratoire a été retardé, il faut administrer un traitement présomptif et empirique contre le P falciparum (http://publications.gc.ca/collections/collection_2014/aspc-phac/HP40-102-2014-fra.pdf), y compris des antibiotiques à large spectre qui agissent contre les bacilles à Gram négatif. L’état d’un enfant qui semble en santé, mais qui est atteint de paludisme à P falciparum, peut se détériorer rapidement, et le paludisme peut se manifester sous forme de co-infection d’une pneumonie ou d’une bactériémie [11]. Chez les enfants gravement malades ou dont l’état se détériore, il faut obtenir rapidement une consultation avec un infectiologue. Un traitement d’appoint, tel que l’administration de liquides en cas de grave diarrhée, est à amorcer rapidement.
Lorsque le paludisme et la bactériémie sont exclus chez un enfant qui semble en santé et dont l’état clinique est stable, il faut entreprendre un traitement ciblé qui tient compte de l’anamnèse, de l’examen physique, et des résultats des examens, puis prendre des dispositions pour assurer un suivi approprié.
Le comité des maladies infectieuses et d’immunisation, le comité de la pédiatrie communautaire et les membres du comité directeur de la section de l’urgence pédiatrique de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
Membres du comité directeur : Dominic Allain MD (président), Robert Bortolussi MD (président sortant), Mahli Brindamour MD (présidente désignée), Andrea Evans MD (administratrice), Jennifer Turnbull MD (secrétaire-trésorière), Ashley Vandermorris MD (administratrice)
Représentante : Funmbi Babalola MD (section des résidents de la SCP)
Auteures principales : Tobey Audcent MD, Andrea Hunter MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 30 mai 2024