Document de principes
Affichage : le 18 mai 2021
Holve S, Braun P, Irvine JD, Nadeau K, Schroth RJ; American Academy of Pediatrics; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis
Paediatr Child Health 2021 26(4):257–258. (Résumé).
On constate un écart majeur entre la santé buccodentaire des enfants autochtones du Canada (Premières Nations, Inuits et Métis) et des États-Unis (Autochtones des États-Unis et de l’Alaska) et celle du reste de la population de ces deux pays. La carie de la petite enfance est plus précoce, plus prévalente et beaucoup plus grave chez les enfants autochtones que dans le reste de la population. Elle a des effets indésirables sur la santé buccodentaire, nuit à la santé et au bien-être des enfants et peut exiger de nombreux traitements chirurgicaux coûteux, sous anesthésie générale. C’est une maladie infectieuse qui dépend de multiples facteurs, mais les déterminants sociaux de la santé ont un rôle particulièrement important à y jouer. Le présent document de principes contient des recommandations sur les soins de santé buccodentaire préventifs et cliniques assurés par les professionnels de la santé de première ligne auprès des nourrissons, des tout-petits, des enfants d’âge préscolaire et des femmes enceintes. Il aborde les initiatives communautaires de promotion de la santé et l’accès aux soins de santé buccodentaire des enfants autochtones. Il préconise des interventions en santé buccodentaire précoces chez les enfants autochtones, y compris l’orientation vers des soins dentaires pour appliquer des scellants, procéder à des restaurations thérapeutiques provisoires et utiliser du fluorure diamine d’argent. Il faudra réaliser d’autres recherches communautaires sur la microbiologie, l’épidémiologie, la prévention et la prise en charge de la carie de la petite enfance dans les communautés autochtones pour réduire le taux vertigineux de caries au sein de cette population.
ABRÉVIATIONS : AÉUA Autochtones des États-Unis ou de l’Alaska; AG anesthésie générale; CPE carie de la petite enfance; CPE-G CPE grave; IHS Indian Health Services; PN Premières Nations; TD thérapeute dentaire
Les enfants autochtones du Canada (Premières Nations (PN), Inuits et Métis) et des États-Unis (Autochtones des États-Unis et de l’Alaska (AÉUA)) subissent d’importantes inégalités en matière de santé par rapport aux populations non autochtones. Les écarts sur le plan de la santé buccodentaire chez les enfants autochtones démontrent les iniquités et la grande nécessité de promouvoir la santé buccodentaire, de prévenir la carie et d’offrir des services de santé dentaire précoces dans leurs communautés. Même s’il existe des directives générales sur la promotion de la santé buccodentaire, la prévention de la carie et l’évaluation du risque, la gravité des maladies dentaires et les obstacles aux soins dans les communautés autochtones exigent une attention particulière.
La carie de la petite enfance (CPE) désigne la présence d’au moins une lésion carieuse sur les dents primaires d’un enfant de moins de six ans [1]. Même si on l’appelle aussi carie du biberon, le terme CPE caractérise mieux cette maladie complexe liée à la transmission de bactéries infectieuses, aux habitudes alimentaires et à l’hygiène buccodentaire. La CPE est une maladie infectieuse dont le Streptococcus mutans est l’organisme causal le plus fréquent. Les bactéries cariogènes, les glucides fermentescibles et la susceptibilité de l’hôte (l’intégrité de l’émail dentaire) forment la triade responsable de la carie. La carie est décrite comme l’infection pédiatrique la plus prévalente et la maladie chronique de l’enfant la plus courante [2].
La perte d’une dent causée par la CPE peut entraîner une malocclusion et une mauvaise qualité de vie liée à la santé buccodentaire [3]. Les enfants qui ont une CPE sont plus vulnérables à d’autres caries pendant l’enfance et l’adolescence [4][5]. La CPE n’a pas seulement des effets sur la cavité orale, mais elle nuit également à la santé et au bien-être globaux, déjà compromis chez de nombreux enfants autochtones [3][6]-[8].
La CPE grave (CPE-G) est une forme virulente de CPE classée en fonction de l’emplacement de la carie, du nombre de dents touchées et de l’âge [1]. Elle exige souvent un traitement chirurgical sous anesthésie générale (AG) [9]. Les enfants qui ont une CPE-G présentent plus de troubles nutritionnels, y compris l’anémie ferriprive, un faible taux de vitamine D et le surpoids ou l’obésité. La CPE-G qui pénètre dans la pulpe de la dent peut être responsable d’infections ou d’abcès dentaires douloureux et, dans de rares cas, de décès [6]-[8][10].
En 2011, la prévalence de CPE chez les enfants des PN et inuits de trois à cinq ans atteignait 85 %, et celle de CPE-G était élevée, à 25 % [11]-[13]. L’enquête sur la santé buccodentaire de l’Indian Health Service (IHS) effectuée en 2014 a révélé que 75 % des enfants AÉUA de trois à cinq ans avaient des CPE, et que dans de nombreuses communautés, le taux de caries était supérieur à 90 % (soit cinq fois plus élevé que celui de la population générale des États-Unis) [14][15]. Le véritable fardeau de la CPE chez les enfants autochtones n’est pas seulement attribuable à l’écart dans la prévalence de CPE, mais également à la gravité de la maladie. En moyenne, les enfants AÉUA âgés de deux à cinq ans avaient près de 5,8 dents cariées ou obturées, soit un taux près de cinq fois plus élevé que celui de la population préscolaire américaine [15][16].
Une chirurgie dentaire sous AG est une conséquence importante d’une CPE-G [9][13][17]. La chirurgie réparatrice coûte cher et comporte des risques liés à l’AG. Dans l’ensemble, le taux de chirurgie dentaire pour traiter la CPE sous AG au Canada était sept fois plus élevé chez les enfants des milieux comptant une forte proportion de populations autochtones que de ceux où les populations autochtones sont moins nombreuses [9][17]. Dans les régions très éloignées du Canada occupées par des Autochtones, le taux de chirurgies dentaires sous AG dépassait les 200 cas sur 1 000 enfants de moins de cinq ans par année, soit un taux 15 fois plus élevé que le taux global annuel au Canada [9][17]. Les données exactes relatives au nombre total d’enfants AÉUA qui subissent une chirurgie dentaire à cause de la carie sont limitées, mais selon une étude réalisée dans le delta Yukon-Kuskokwim de l’Alaska, 73 % des enfants autochtones de l’Alaska avaient subi une chirurgie dentaire sous AG à l’âge de six ans, un taux au moins 50 fois plus élevé que celui de la population américaine générale [18].
Les enfants autochtones ont souvent des CPE plus jeunes que les autres enfants. Selon l’enquête sur la santé buccodentaire de l’IHS réalisée en 2014, 21 % des enfants AÉUA âgés d’un an et 40 % de ceux âgés de deux ans avaient des caries, alors que la plupart des enquêtes sur la santé buccodentaire indiquent que la CPE est rare chez les enfants américains avant l’âge de 12 mois, et qu’elle touche seulement 10 % des enfants américains de moins de deux ans [19]. La CPE a une étiologie multifactorielle chez les enfants autochtones. La fenêtre classique d’infectiosité par des microorganismes cariogènes, y compris le S mutans, se situe entre l’âge de 19 et 31 mois. Cependant, selon deux études récentes, les enfants AÉUA contractent le S mutans plus tôt, puisque 37 % des enfants âgés de 12 mois et 60 % de ceux âgés de 16 mois étaient colonisés par cette bactérie [20][21]. De plus, l’éruption des dents primaires se produit plus tôt chez les nourrissons AÉUA, ce qui peut favoriser une colonisation plus précoce par le S mutans et une progression vers la carie à un plus jeune âge [22]. Une récente analyse a confirmé que les dents qui viennent de pousser sont beaucoup plus sensibles à la carie [23]. De plus, une étude tout aussi récente auprès des enfants des PN du Canada a révélé que ceux atteints de CPE-G possédaient un microbiome de la plaque très différent de celui de leurs homologues dénués de carie, le groupe ayant des CPE-G présentant des taux plus élevés d’organismes cariogènes connus, notamment le S mutans [24]. L’apparition précoce de S mutans chez les enfants autochtones est probablement causée par des facteurs liés à la pauvreté, y compris l’entassement dans les maisons, la taille des familles, l’alimentation et d’autres comportements liés à la santé [25]. Malheureusement, de deux à trois fois plus d’enfants autochtones des États-Unis et du Canada connaissent la pauvreté que dans la population générale. Ainsi, 52 % des enfants des PN de moins de cinq ans vivent dans la pauvreté, tout comme 25 % des enfants inuits et 23 % des enfants métis du même âge, par rapport à 13 % des enfants non racialisés du Canada [26]. Plus de 37 % des enfants AÉUA vivent dans la pauvreté, par rapport à 10 % de leurs homologues blancs américains [27].
Les enfants autochtones présentent souvent d’autres facteurs de risque connus de CPE. Les caries chez les parents sont liées à un risque accru chez les enfants [28]. La CPE est également associée à une alimentation prolongée au biberon, à la consommation de boissons sucrées, à de fréquentes collations sucrées [29]-[33] et à l’exposition à la fumée de tabac [13][34]. L’allaitement jusqu’à l’âge de 12 mois peut réduire de moitié le risque de CPE, plus probablement grâce à des effets immunomodulateurs et à la promotion d’un microbiome en santé. De plus, une récente étude a démontré que l’allaitement n’était pas responsable d’une diminution du pH du biofilm et, par conséquent, ne favorisait pas la CPE [35]. Si le nourrisson est allaité pour s’endormir, il faut lui essuyer les gencives et les dents en éruption pour limiter le risque de caries [36]. Cependant, l’allaitement après l’âge de 12 mois, notamment lorsqu’il est donné à la demande pendant la nuit, accroît le risque de CPE [37]-[39]. Il est également démontré que l’obésité est associée à la CPE, même si on ne sait pas exactement si ce risque est indépendant des facteurs alimentaires [3][10][40]-[42]. De plus, le diabète gestationnel, prévalent dans les populations autochtones, peut avoir un effet sur le développement de la dentition et le risque de caries pendant la petite enfance [43]-[45].
La prévention de la CPE est optimale quand elle est amorcée avant la naissance [46]. Étant donné les preuves de transmission de bactéries cariogènes de la mère à l’enfant, les évaluations dentaires systématiques et les soins dentaires préventifs, l’éducation à l’hygiène buccodentaire, l’alimentation prénatale optimale et l’utilisation de dentifrice fluoré par les femmes enceintes sont des stratégies qui peuvent prévenir ou retarder la CPE chez les enfants [46]. Selon des directives récentes, il est sécuritaire de prodiguer des soins dentaires pendant la grossesse [47]-[49].
Toutes les grandes sociétés dentaires et pédiatriques canadiennes et américaines préconisent l’utilisation de fluorure comme mode sécuritaire et efficace de prévention de la carie [50]-[54]. Ces organisations appuient l’utilisation de dentifrice fluoré deux fois par jour chez tous les enfants. Elles recommandent que les enfants de moins de trois ans se fassent brosser les dents par un adulte à l’aide de dentifrice fluoré de la taille d’un grain de riz et que ceux de trois à six ans reçoivent de l’aide pour se brosser les dents à l’aide de dentifrice fluoré de la taille d’un pois vert [51][52].
La fluoration de l’eau potable, qui est sécuritaire, efficace et peu coûteuse, n’exige pas d’adhésion au quotidien [55][56]. Dans les communautés autochtones de l’Alaska, elle est reliée à une diminution de la carie de 40 % [57]. En Amérique du Nord, on constate un énorme écart relativement à l’accès à la fluoration de l’eau potable. En 2017, 38,7 % des Canadiens qui consommaient de l’eau potable de leur localité avaient accès à de l’eau fluorée, par rapport à seulement 2,3 % des populations des PN [58]. Même si 74,4 % des citoyens américains avaient accès à de l’eau fluorée, seuls 50 % des Alaskiens étaient dans la même situation, et seulement 5,3 % recevaient un taux de fluorure optimal [18][59].
Il est démontré que le fluorure topique est efficace pour prévenir la carie [18][59]. Les études chez les enfants autochtones du Canada et des États-Unis ont démontré une diminution de la carie grâce au vernis fluoré, mais les résultats n’étaient pas statistiquement significatifs [62][63].
Les résultats modestement favorables du vernis fluoré chez les enfants AÉUA sont toutefois atténués par deux études plus vastes aux suivis plus longs. D’abord, un programme quinquennal de l’IHS visant les enfants AÉUA a donné lieu à une légère diminution de la CPE chez les enfants de moins de deux ans, mais ces avantages disparaissaient chez ceux de deux à cinq ans [60]. Un second essai aléatoire et contrôlé par grappes pour vérifier l’effet de quatre applications de vernis fluoré (et des activités de promotion de la santé buccodentaire) effectuées par des travailleurs de la santé tribaux formés dans des classes Bon départ n’a pas démontré de réduction des CPE [61]. Selon ces études, le vernis fluoré devrait être administré dès l’éruption de la première dent chez les enfants autochtones, afin d’en tirer des avantages maximaux. Même si les données sur le vernis fluoré sont mitigées dans les populations autochtones, ce produit demeure recommandé, car ses avantages potentiels dépassent largement les risques. L’application de vernis fluoré favorise à la fois la minéralisation de l’émail sain (qui le rend plus résistant aux caries) et la reminéralisation de lésions carieuses initiales précoces (taches blanches) des dents primaires et permanentes qui n’ont pas encore formé de cavités (caries). L’American Dental Association recommande toujours l’application de vernis fluoré chez tous les enfants. Cependant, ce vernis n’est pas très efficace pour bloquer et reminéraliser les lésions plus avancées qui ont traversé l’émail, une situation qu’on sait plus prévalente chez les jeunes enfants autochtones. Par conséquent, il est crucial de procéder à l’application précoce de vernis fluoré dès l’éruption de la première dent primaire à l’étape du développement correspondant à six mois.
Les données probantes entourant l’efficacité des examens dentaires et la formulation de conseils aux parents pour prévenir la CPE chez les enfants d’âge préscolaire sont mitigées [62]-[65]. Les études sur l’éducation des familles autochtones à la santé buccodentaire démontrent que cet enseignement accroît les connaissances des parents, mais limite rarement le nombre de caries [61][66]. Un grand essai aléatoire et contrôlé d’entrevues motivationnelles chez les parents d’enfants autochtones de l’Alaska d’âge préscolaire a démontré une augmentation des connaissances des parents et des proches, mais pas de réduction de la CPE [61]. Selon un essai aléatoire et contrôlé canadien antérieur, l’entrevue motivationnelle était associée à une réduction de la gravité des caries chez les enfants cris du nord du Québec [64]. D’après d’autres études, l’éducation à la santé buccodentaire des femmes enceintes et des mères des nourrissons peut faire reculer la CPE-G de 32 % à 20 % [67]-[69]. Tout comme dans le cas de l’application précoce de vernis fluoré, les données probantes indiquent que l’éducation à la santé buccodentaire est plus efficace au moment de l’éruption de la première dent.
Selon des données probantes évidentes, les caries étaient rares dans les communautés autochtones avant l’adoption des régimes alimentaires des colons européens, y compris les sucres raffinés et d’autres aliments transformés [70]-[73]. Au Canada, plusieurs communautés ont consenti des efforts pour réduire la CPE; certaines favorisent le régime alimentaire autochtone traditionnel [74]-[77]. Un programme dans une communauté crie préconise l’allaitement et l’introduction des premiers aliments traditionnels au lieu des aliments transformés pour nourrissons [78]. Ces efforts sont prometteurs, mais on ne possède pas de données sur leurs effets pour contrer la CPE.
L’évaluation du risque de carie, effectuée rapidement, est une première étape importante pour réduire le risque de CPE. Plusieurs organisations pédiatriques et dentaires ont mis au point des outils d’évaluation faciles à utiliser qui peuvent déterminer le risque de caries chez l’enfant [79]. Cette évaluation aide également les professionnels de la santé de première ligne provenant d’autres domaines que la santé dentaire à évaluer la nécessité de donner des conseils préventifs, d’appliquer du vernis fluoré et de diriger le patient vers une évaluation dentaire.
Les scellants des puits et des fissures dentaires ont toujours été utilisés sur les surfaces occlusales des molaires permanentes pour limiter la carie dentaire. De récentes analyses confirment que dans des populations à haut risque de caries, telles que les enfants autochtones, les scellants peuvent être appliqués sur les molaires primaires après l’éruption [80][81]. Selon les études, 74 % des molaires primaires scellées demeurent dénuées de carie, et le scellement des molaires primaires est rentable pour réduire l’évolution de la carie et la nécessité d’une chirurgie dentaire [82]. L’American Dental Association recommande l’application de scellants sur les molaires primaires et de vernis fluoré sur l’ensemble des dents tous les trois à six mois pour interrompre ou renverser les lésions carieuses sans cavité sur les surfaces occlusales des dents primaires [83]. Cependant, les scellants dentaires peuvent être difficiles à appliquer sur les dents des nourrissons et des tout-petits.
Des techniques de restauration peu invasives, telles que l’emploi de produits en verre ionomère, constituent une solution pratique pour prendre en charge les lésions carieuses chez les jeunes enfants. Les restaurations thérapeutiques provisoires peuvent être utilisées pour réparer les dents et prévenir l’évolution de la carie chez les enfants jeunes et non coopératifs, chez ceux qui ont des besoins de santé particuliers et dans les situations où il est impossible d’effectuer des restaurations classiques [84]. Dans bien des milieux, les restaurations thérapeutiques provisoires peuvent être effectuées par des professionnels de la santé dentaire de rang intermédiaire, y compris des thérapeutes et des hygiénistes dentaires.
Le fluorure diamine d’argent est amplement utilisé à l’extérieur de l’Amérique du Nord et donne de bons résultats pour interrompre l’évolution des caries [85][86]. Il est indiqué pour l’arrêt des lésions carieuses sur les dents primaires dans le cadre d’un programme de prise en charge complet des caries [83]. Il durcit et noircit la lésion carieuse, mais cet effet secondaire est généralement bien accepté des parents [87]. À l’heure actuelle, son utilisation est limitée aux dentistes aux États-Unis et au Canada, car il n’y a pas de directives officielles hors de cette profession.
Frank Mendoza, docteur en chirurgie dentaire et dentiste de l’IHS, est le précurseur de l’utilisation de produits d’ions argent dans une clinique de santé tribale pour arrêter les caries; il a démontré que seulement 2 % des patients traités ont fini par devoir être opérés [19]. Plusieurs autres programmes de l’IHS et programmes tribaux utilisent désormais le fluorure diamine d’argent et obtiennent des résultats positifs [88]. Selon un consensus émergent, le produit peut constituer une possibilité de traitement intéressante pour les enfants très à risque d’évoluer vers une CPE-G [89]. Si son utilisation se généralise, les professionnels de la santé de première ligne joueront un rôle essentiel dans le dépistage des patients à envoyer en consultation et dans la promotion de l’adhésion au traitement. Les directives cliniques fondées sur des données probantes de l’American Dental Association et de l’American Academy of Pediatric Dentistry relatives au traitement sans restauration des caries recommandent l’application semestrielle de fluorure diamine d’argent à 38 % pour interrompre des lésions carieuses avancées sur les dents primaires, tout en précisant que des applications supplémentaires peuvent parfois être nécessaires [90].
Étant donné la prévalence et la gravité de la CPE chez les enfants autochtones, il est souvent nécessaire de procéder à une chirurgie dentaire. Cependant, puisque la CPE est largement évitable, chaque enfant qui a besoin de ce type d’intervention représente un échec coûteux des systèmes préventifs et thérapeutiques. En effet, c’est une opération coûteuse, et la prévention est plus économique, moins douloureuse et moins chronophage pour le patient [9][91]. De plus, les risques aigus associés à l’anesthésie et les données probantes selon lesquelles l’AG peut avoir des répercussions cognitives chez les jeunes enfants constituent des raisons supplémentaires pour éviter cette conséquence de la CPE [92][93].
D’après une analyse coûts-efficacité d’interventions préventives comme la fluoration de l’eau, le vernis fluoré, le brossage des dents à l’aide de dentifrice fluoré et l’utilisation de scellants, l’ensemble de ces interventions est relativement abordable et économique, et si elles sont utilisées à leur plein potentiel, elles peuvent réduire le nombre de CPE-G qui nécessitent une chirurgie dentaire [18]. Le principal avantage d’une plus grande utilisation de fluorure diamine d’argent provient de l’arrêt de l’évolution de caries déjà établies et de la réduction subséquente des besoins de chirurgie dentaire sous AG.
Les importantes pénuries de main-d’œuvre en santé dentaire dans les communautés autochtones contribuent au taux élevé de caries non traitées chez les enfants autochtones. L’enquête sur la santé buccodentaire de 2014 fait état d’un ratio d’un dentiste sur 2 800 habitants dans les communautés AÉUA par rapport à la moyenne d’un dentiste sur 1 500 habitants aux États-Unis [16]. De plus, 45 % des enfants AÉUA âgés de cinq ans avaient des caries non traitées par rapport à 19 % des enfants des États-Unis [15].
Toutes les sociétés dentaires et pédiatriques importantes du Canada et des États-Unis ont réclamé que les dentistes donnent des soins de santé dentaire complets aux enfants à l’âge de 12 mois au plus tard, c’est-à-dire « un rendez-vous dentaire à l’âge d’un an » [94][95]. En raison de la pénurie chronique de dentistes dans les communautés autochtones, on se tourne vers les rôles élargis d’autres professionnels de la santé dentaire (p. ex., thérapeutes et hygiénistes dentaires) et de professionnels de la santé provenant d’autres domaines que la santé dentaire pour accroître l’accès aux soins de santé buccodentaire, en s’attardant sur les services préventifs.
Dans les années 1970, Santé Canada appuyait le recours aux thérapeutes dentaires (TD) dans les communautés des PN, et bon nombre d’entre eux ont commencé à exercer dans les communautés du Grand Nord du Canada [96]. Les TD sont des professionnels de la santé dentaire de rang intermédiaire qui sont supervisés par un dentiste. L’analyse du travail des TD dans plus de 50 pays a démontré que ceux-ci accroissent l’accès aux soins dentaires de manière sécuritaire et efficace [97]. Malheureusement, au fil du temps, un nombre croissant de TD canadiens ont privilégié les milieux urbains au détriment des régions rurales. L’exode des TD en milieu urbain et l’opposition constante des sociétés dentaires professionnelles ont incité le gouvernement fédéral du Canada à cesser de financer les programmes de formation des TD en 2011 [98].
Alors même que le Canada réduisait son appui pour la formation des TD, l’Alaska Native Tribal Health Consortium lançait un programme d’aides-thérapeutes dentaires. En Alaska, ce programme est lié à un meilleur accès aux soins de santé buccodentaire et à de meilleurs résultats cliniques dans les villages éloignés, et il est bien reçu des professionnels de la santé et des membres des communautés [99]-[101]. De tels programmes ont également été mis en œuvre dans les cliniques tribales des États de Washington et du Minnesota. Le National Indian Health Board fait la promotion des aides-thérapeutes dentaires comme stratégie pour accroître l’accès à la santé buccodentaire et comme exercice légitime de souveraineté tribale [102]. Services aux Autochtones Canada et l’Association canadienne des hygiénistes dentaires ont récemment proposé la réinstauration d’un programme de formation en thérapie dentaire dans le cadre duquel les hygiénistes dentaires prolongeraient leur formation d’un an pour pouvoir donner des services de santé buccodentaire élargis [103].
Les professionnels de la santé de première ligne (pédiatres, médecins de famille, infirmières praticiennes, infirmières en santé communautaire, auxiliaires médicaux et diététistes) des communautés autochtones d’Amérique du Nord sont dans une position idéale pour contribuer au travail des professionnels de la santé dentaire. Ils donnent des soins précoces et fréquents aux enfants avant le premier rendez-vous en santé dentaire. Dans bien des communautés autochtones, les cliniques des nourrissons en santé, de santé des nourrissons et de vaccination sont assurées régulièrement par des infirmières en santé communautaire et des médecins. Même s’ils ne travaillent pas en santé dentaire, ces professionnels peuvent évaluer le risque de carie des enfants et promouvoir la santé buccodentaire dans le cadre d’activités globales de promotion de la santé. Ils peuvent aussi procéder au dépistage de la santé buccodentaire des nourrissons et des jeunes enfants, leur appliquer du vernis fluoré et les diriger vers des professionnels de la santé dentaire. De plus, en raison des taux élevés d’obésité et de diabète de type 2 dans les populations autochtones, les jeunes Autochtones peuvent être soumis à des évaluations alimentaires et être vus par des diététistes. Ces rendez-vous donnent une occasion de collaboration entre les professionnels de la santé de première ligne et les professionnels de la santé dentaire pour favoriser une consommation limitée de sucre, qui représente à la fois un facteur de risque d’obésité et de carie.
Les interventions qui fonctionnent bien pour prévenir la carie dans la population générale sont moins efficaces chez les enfants autochtones. Par conséquent, les recommandations en matière de prévention et de traitement décrites dans le présent document doivent être éclairées par ce que l’on sait de l’épidémiologie de la carie de la petite enfance (CPE) chez les enfants autochtones. Ceux-ci sont colonisés par le S mutans à un âge plus précoce, contractent des caries plus jeunes et ont souvent des CPE graves. Le milieu de la santé doit comprendre qu’à deux ans, il est trop tard pour amorcer des interventions préventives efficaces chez les enfants autochtones et que de nouvelles stratégies reposant sur des interventions plus rapides s’imposent pour réduire les inégalités en matière de santé.
Le comité des maladies infectieuses et d’immunisation, le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la pharmacologie et des substances dangereuses et la section de la santé buccodentaire pédiatrique de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes, qui a également été révisé par des représentants de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, d’Indigenous Services Canada* et de l’Association dentaire canadienne.
La présente déclaration, préparée en collaboration par l’American Academy of Pediatrics et la Société canadienne de pédiatrie, est publiée simultanément dans Pediatrics et dans Paediatrics & Child Health.
Le présent document, protégé par droits d’auteur, appartient à l’American Academy of Pediatrics et son conseil d’administration. Tous les auteurs ont déposé des déclarations de conflits d’intérêts auprès de l’American Academy of Pediatrics. Les conflits sont résolus par un processus approuvé par le conseil d’administration. L’American Academy of Pediatrics n’a ni sollicité ni accepté de participation commerciale pour préparer la présente publication.
Les déclarations de l’American Academy of Pediatrics tirent profit des compétences et des ressources de représentants et de réviseurs internes (AAP) et externes, mais ne reflètent pas nécessairement les points de vue des représentants ou des organisations ou des organismes gouvernementaux qu’ils représentent.
Les conseils donnés dans la présente déclaration ne sont pas indicateurs d’un mode de traitement exclusif ni ne constituent des normes de soins. Des variations qui tiennent compte de chaque situation peuvent également convenir.
Toutes les déclarations de l’American Academy of Pediatrics deviennent automatiquement obsolètes cinq ans après leur publication, à moins d’avoir été réitérées, révisées ou supprimées auparavant.
FINANCEMENT : Aucun financement externe n’a été versé.
DÉCLARATION DES COLLABORATEURS : Les docteurs Holve et Schroth ont participé à la planification du présent manuscrit, de même qu’à sa rédaction et à sa correction. Les docteurs Braun, Irvine et Nadeau ont participé à la rédaction et à la correction du manuscrit. Tous les auteurs ont approuvé le manuscrit définitif dans la forme rédigée.
DIVULGATION FINANCIÈRE : Les auteurs ont déclaré n’avoir aucuns liens financiers liés au présent article à divulguer.
CONFLITS D’INTÉRÊTS POTENTIELS : Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts potentiel à divulguer.
*Les points de vue exprimés dans cet article, cette publication ou cette ressource documentaire ne représentent pas nécessairement les positions, les décisions ou les politiques des représentants de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits ou de leur organisation.
Auteurs principaux
Steve Holve, MD
Patricia Braun, MD, MHP
James D. Irvine, MD
Kristen Nadeau, MD, M. Sc.
Robert J. Schroth, DMD, M. Sc., Ph. D.
American Academy of Pediatrics, comité de la santé des enfants autochtones américains (2018-2019)
Shaquita L. Bell, MD, présidente
Daniel J. Calac, MD
Allison Empey, MD
Kristen J. Nadeau, MD, M. Sc.
Jane A. Oski, MD, MHP
Capt. (ret.) Judith K. Thierry, DO, MHP
Ashley Weedn, MD
Représentants
Joseph T. Bell, MD – Association of American Indian Physicians
Angela Kueck, MD – American College of Obstetricians and Gynecologists
Rebecca S. Daily – American Academy of Child and Adolescent Psychiatry
Radha Jetty, MD – Société canadienne de pédiatrie
Melanie Mester, MD – American Academy of Pediatrics, section des stagiaires en pédiatrie
Nelson Branco, MD – American Academy of Pediatrics, président du groupe d’intérêt en santé autochtone
Conseillère
Diana Dunnigan, MD
Personnel
Madra Guinn Jones, MHP
American Academy of Pediatrics, comité directeur de la section de la santé buccodentaire (2018-2019)
Patricia Braun, MD, MHP, présidente
Susan Fisher-Owens, MD, MHP
Qadira Huff, MD, MHP
Jeffrey Karp, DMD, M. Sc.
Anupama Tate, DMD
John Unkel, MD, DDS, M. Sc.
David Krol, MD, MHP, président sortant
Personnel
Ngozi Onyema-Melton, MHP
Société canadienne de pédiatrie, comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis (2018-2019)
Radha Jetty, MD, présidente
Roxanne Goldade, MD – représentante du conseil
Brett Schrewe, MD
Véronique Pelletier, MD
Ryan J.P. Giroux, MD
Margaret Berry, MD
Leigh Fraser-Roberts, MD
Représentants
Patricia Wiebe, MD, MHP – Services aux Autochtones Canada, Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits*
Laura Mitchell, BA, MA – Services aux Autochtones Canada, Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits*
Shaquita Bell, MD – American Academy of Pediatrics, comité de la santé des enfants américains autochtones
Melanie Morningstar – Assemblée des Premières Nations
Karen Beddard – Inuit Tapiriit Kanatami
Marilee Nowgesic, inf. – Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada
Vides Eduardo, MD – Ralliement national des Métis
Lisa Monkman, MD – Association des médecins autochtones du Canada
Conseillers
James Irvine, MD
Kent Saylor, MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024