Point de pratique
Affichage : le 15 avril 2019
Dorothy L. Moore, Upton D. Allen, Timothy Mailman; Société canadienne de pédiatrie, Comité des maladies infectieuses et d’immunisation
Paediatr Child Health 2019 24(2):129. (Résumé)
Les déclarations de graves infections invasives à streptocoque du groupe A (IISGA) ont augmenté au Canada depuis dix ans, ce qui fait ressortir l’importance d’une chimioprophylaxie et de stratégies thérapeutiques optimales. L’adoption des lignes directrices canadiennes a été inégale au pays. Le présent point de pratique contient une mise à jour des éléments pertinents de ces lignes directrices et s’attarde sur la chimioprophylaxie des contacts et sur la prise en charge clinique de l’IISGA. On y réitère l’importance de la pénicilline dans le traitement de l’infection à streptocoque du groupe A et on y aborde le rôle de la clindamycine. On présente également un résumé des médicaments à privilégier lorsqu’une chimioprophylaxie est envisagée.
Mots-clés : Chemoprophylaxis; Group A streptococcus; Necrotizing fasciitis; Toxic shock
Depuis la résurgence des infections invasives à streptocoque du groupe A (IISGA) dans les années 1980, on s’est intéressé à la chimioprophylaxie des contacts et à l’optimisation de la prise en charge clinique des personnes atteintes. Des lignes directrices canadiennes ont été publiées en 2006 pour traiter de la prévention et du contrôle des IISGA [1]. Conformément à ces lignes directrices, le présent document met à jour et décrit la prise en charge fondée sur des données probantes des contacts des cas d’IISGA et le traitement de cette infection.
Le syndrome de choc toxique (SCT) avec ou sans foyer d’infection, la fasciite nécrosante (FN) ou la myosite, la bactériémie sans foyer septique et la pneumonie sont les principales présentations cliniques de l’IISGA. D’après les cas déclarés, l’incidence de cette infection a augmenté au Canada depuis dix ans. En 2015, l’incidence déclarée s’élevait à 5,3 cas sur 100 000 habitants, pour un total de 1 893 cas, ce qui représente une hausse marquée par rapport au taux de 2,8 cas sur 100 000 habitants et au total de 863 cas signalés en 2000 [2][3]. Au Canada et aux États-Unis, les taux les plus élevés touchent les nourrissons, les jeunes enfants et les personnes âgées.
Chez les adultes, les facteurs de risque d’IISGA sont l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine, le cancer, les cardiopathies, le diabète, les pneumopathies, la surconsommation d’alcool, la consommation de drogues injectables et la période postpartum. Une pharyngite [4] et une varicelle récentes représentent des facteurs de risque chez les enfants [5], mais les programmes de vaccination contre la varicelle ont réduit le taux d’IISGA associée à la varicelle [6][7]. Tant chez les adultes que chez les enfants, un récent traumatisme des tissus mous et la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) font également partie des facteurs de risque.
Deux études [5][8] sur les cas secondaires chez les contacts familiaux ont fait état d’un taux déclaré de 0,66 et 2,94 cas sur 1 000 habitants, respectivement, ce qui correspond à 20 à 100 fois le taux de l’ensemble des populations à l’étude. La plupart des cas secondaires se manifestaient dans les sept jours suivant l’apparition des symptômes chez le cas de référence. On possède peu d’information sur le risque de transmission dans d’autres contextes, tels que les milieux de garde et les milieux scolaires, mais les cas secondaires semblent y être rares. Un cas secondaire associé à la varicelle a été signalé dans un milieu de garde [9]. La transmission nosocomiale est bien étayée, y compris la transmission aux travailleurs de la santé [10][11].
À l’heure actuelle, l’IISGA est une maladie à déclaration obligatoire dans l’ensemble des provinces et des territoires du Canada. Dans chaque province et chaque territoire, une notification rapide aux médecins hygiénistes garantit une déclaration opportune au responsable de la santé publique de la région sociosanitaire visée. Les cas confirmés sont déclarés à l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC).
Les Lignes directrices de l’ASCP pour la prévention et le contrôle de la maladie invasive due au streptocoque du groupe A [1], qui reposent sur des définitions consensuelles, sont résumées ci-dessous :
IISGA graves : Dans le contexte précédent, preuve clinique de grave infection invasive, y compris les éléments suivants :
a. SCT streptococcique, caractérisé par une hypotension (tension artérielle systolique de 90 mmHg ou moins chez les adultes ou inférieure au cinquième percentile par rapport à l’âge chez les enfants) ET au moins deux des signes suivants :
b. Nécrose des tissus mous (y compris la FN, la myosite et la gangrène).
c. Méningite.
d. Pneumonie (avec isolement du SGA d’un foyer normalement stérile comme le liquide pleural). Il est à souligner que le lavage broncho-alvéolaire n’est pas considéré provenir d’un foyer stérile.
e. Combinaison des affections précédentes.
f. Toute autre affection ou infection au potentiel mortel se soldant par un décès.
IISGA « non graves » : Inclut la bactériémie, la cellulite, les infections des plaies, les abcès des tissus mous, la lymphadénite, l’arthrite septique et l’ostéomyélite, sans preuves de SCT streptococcique ou de nécrose des tissus mous.
Les critères précédents sont utiles pour les besoins cliniques et pour la déclaration, mais les cliniciens doivent savoir que le tableau clinique du SCT est très vaste. Ainsi, les patients se situent dans un spectre entre un SCT évolutif qui ne respecte pas encore tous les critères établis et une grave maladie multisystémique au potentiel fatal. Les patients atteints d’un SCT présumé ou évolutif doivent recevoir un traitement empirique d’urgence. Le SCT streptococcique et le SCT staphylococcique sont identiques sur le plan clinique.
De même, les patients atteints d’une FN qui consultent rapidement peuvent poser un défi diagnostique. Les caractéristiques cliniques de la FN sont une douleur ou une sensibilité marquée (souvent disproportionnée par rapport à l’apparence clinique), un aspect toxique, une instabilité hémodynamique, une évolution rapide et des indurations « ligneuses ». Une atteinte nerveuse peut être responsable d’une anesthésie ou une hyperesthésie du derme. La crépitation s’associe davantage à une FN polymicrobienne ou à Clostridia. Les FN à SGA sont plus susceptibles de s’accompagner d’une éruption généralisée, d’une pharyngite, d’une conjonctivite et d’une langue framboisée [4]. Tout comme en cas de SCT, il est capital d’intervenir avec rapidité et vigueur. Il est fondamental de combiner le traitement médical et chirurgical pour optimiser les résultats cliniques [12][13].
Sur le plan clinique, la pneumonie à SGA peut être impossible à distinguer des autres causes de pneumonie, sauf que souvent, elle évolue rapidement et s’accompagne d’épanchements pleuraux importants.
Pour prendre en charge les graves IISGA, on met en place un traitement de soutien incluant des liquides et des électrolytes, un traitement antimicrobien ciblé et des mesures pour limiter ou neutraliser les effets de la production de toxines lorsque la situation l’indique. Il faut consulter un infectiologue au sujet de la prise en charge d’une IISGA présumée.
Le traitement antimicrobien empirique du SCT déclaré ou présumé doit couvrir le Staphylococcus aureus et le SGA par une bêta-lactamine stable envers les bêta-lactamases (p. ex., cloxacilline) associée à de la clindamycine. Puisqu’on décrit des cas de SCT liés à un Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM), il peut être prudent d’opter pour l’ajout empirique de vancomycine en attendant les résultats des cultures, dans les régions ou les populations où le taux de colonisation par le SARM est élevé.
L’antibiothérapie empirique de la FN dépend de la présentation clinique et des facteurs de risque d’IISGA, du risque de colonisation par le SARM, de l’exposition aux agents pathogènes d’origine hydrique (Aeromonas et Vibrio) et des facteurs de risque de myonécrose à Clostridia ou polymicrobienne (associée à une chimiothérapie, à une récente opération gastro-intestinale, à un traumatisme pénétrant, à un siège infectieux intra-abdominal ou pelvien ou à des complications de la grossesse). En général, le traitement initial assure une large couverture des organismes à Gram positif, à Gram négatif et anaérobiques et doit tenir compte de la possibilité de SGA et de Clostridia. Le diagnostic définitif de FN repose sur l’exploration chirurgicale imminente, qui facilite également le débridement précoce et accélère l’identification microbiologique des agents pathogènes. Les posologies empiriques peuvent inclure une bêta-lactamine associée à un inhibiteur de bêta-lactamases (p. ex., pipéracilline-tazobactam) ou un carbapénème en association avec de la clindamycine, et on peut envisager d’ajouter de la vancomycine pour couvrir le SARM en fonction de la prévalence et des facteurs de risque locaux [13][14]. Chez des enfants autrement en santé qui ne présentent aucun des facteurs de risque précédents à l’égard d’autres organismes que le SGA, certains experts peuvent choisir d’amorcer le traitement par de la pénicilline en association avec de la clindamycine. Il faut adapter l’antibiothérapie selon les résultats de la coloration de Gram, des cultures et de la sensibilité lorsqu’ils sont disponibles.
La pénicilline demeure le traitement de première intention des cas confirmés de SGA [14]. Dans tous les cas graves d’IISGA, présumés et confirmés, il est fortement recommandé d’ajouter de clindamycine, un puissant inhibiteur de la production des toxines dont l’activité antimicrobienne n’est pas inhibée par la taille de l’inoculum. Cette association donne de meilleurs résultats cliniques dans les cas d’IISGA graves [15]. On peut envisager d’arrêter la clindamycine après un traitement de 48 à 72 heures lorsque le patient est stable sur le plan hémodynamique, que le sang est stérile et que la nécrose a cessé de s’étendre. La clindamycine n’est pas recommandée comme monothérapie de l’IISGA parce que les taux de résistance du SGA à ce médicament ont augmenté [14] alors que jusqu’à présent, il n’y a pas de résistance du SGA à la pénicilline.
Il faut envisager d’administrer des immunoglobulines intraveineuses le jour de la présentation clinique pour traiter le SCT streptococcique ou une autre maladie invasive grave (induite par des toxines), surtout lorsque le patient est gravement malade ou que son infection est réfractaire à un traitement liquidien initial vigoureux. Le mécanisme d’action proposé des immunoglobulines intraveineuses est multifactoriel dans le traitement de l’IISGA; il inclut la neutralisation des toxines, l’opsonisation et une meilleure destruction phagocytaire, de même que la suppression de la réponse inflammatoire massive par les interactions avec les récepteurs Fc. Les posologies suggérées sont de 150 mg/kg à 500 mg/kg par jour pendant cinq à six jours ou une dose unique de 1 g/kg à 2 g/kg [14]-[18].
Il peut être nécessaire d’administrer d’autres traitements ciblés en fonction de la situation clinique (p. ex., débridement chirurgical des tissus nécrosés, drainage chirurgical de l’empyème).
On ne sait pas si les AINS contribuent à l’apparition d’une IISGA grave, mais les médecins qui traitent des patients atteints d’une IISGA présumée devraient les prescrire avec prudence [4].
Le lecteur est invité à consulter les Lignes directrices de l’ASCP pour la prévention et le contrôle de la maladie invasive due au streptocoque du groupe A [1] et les guides connexes sur le contrôle des infections [19]-[21]. Ces documents traitent également de la prévention des infections non invasives à SGA dans les milieux de soins. De plus, le lecteur doit consulter les directives provinciales et territoriales, lorsqu’elles existent.
TABLEAU 1. Chimioprophylaxie recommandée pour les contacts étroits des infections invasives à streptocoque du groupe A | ||
Médicament | Posologie | Commentaires |
Céphalosporines de première génération : |
En première intention chez les enfants et les adultes : |
Médicaments recommandés chez les femmes enceintes et qui allaitent. Devraient être utilisés avec prudence chez les patients allergiques à la pénicilline. |
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De 25 mg/kg à 50 mg/kg par jour, jusqu’à concurrence de 1 g/jour, en 2 à 4 doses fractionnées pendant 10 jours | |
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De 25 mg/kg à 50 mg/kg par jour, jusqu’à concurrence de 1 g/jour, en 2 doses fractionnées (enfants) ou en une seule dose (adultes). Aucune préparation liquide n’est offerte. | |
clarithromycine |
De deuxième intention Enfant : 15 mg/kg par jour, en doses fractionnées toutes les 12 heures, jusqu’à concurrence de 250 mg par voie orale 2 fois par jour pendant 10 jours Adultes : 250 mg par voie orale 2 fois par jour pendant 10 jours |
Contre-indiquée pendant la grossesse. On recommande d’effectuer des épreuves de sensibilité dans les régions où l’on ne dispose pas de données sur la résistance aux macrolides et dans celles où elle est d’au moins 10 %. |
clindamycine |
En deuxième intention Enfants : De 8 à 16 mg/kg par jour, fractionnés en 3 ou 4 doses égales, jusqu’à concurrence de 600 mg par jour pendant 10 jours |
Solution de rechange pour les personnes incapables de tolérer les bêta-lactamines |
Adapté de la référence [1] |
Le comité des soins aigus de la Société canadienne de pédiatrie a révisé le présent point de pratique.
COMITÉ DES MALADIES INFECTIEUSES ET D’IMMUNISATION DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE
Membres : Michelle Barton-Forbes MD; Sean Bitnun MD; Natalie A. Bridger MD (membre sortante); Shalini Desai MD (membre sortante); Michael Forrester MD; Ruth Grimes MD (représentante du conseil); Nicole Le Saux MD (présidente); Karina Top MD
Représentants : Upton D. Allen MBBS, Groupe canadien de recherche pédiatrique et périnatale sur le VIH/sida chez les enfants; Tobey Audcent MD, Comité consultatif de la médecine tropicale et de la médecine des voyages, Agence de la santé publique du Canada; Carrie Byington MD, comité des maladies infectieuses, American Academy of Pediatrics; Marc Lebel MD, Programme canadien de surveillance active de l’immunisation (IMPACT); Jane McDonald MD, Association pour la microbiologie médicale et l’infectiologie Canada; Dorothy L. Moore MD, Comité consultatif national de l’immunisation; Howard Njoo MD, Agence de la santé publique du Canada
Conseillère : Noni E. MacDonald MD
Auteurs principaux : Dorothy L. Moore MD, Upton D. Allen MBBS, Timothy Mailman MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 février 2024