Point de pratique
Affichage : le 5 juin 2015 | Mise à jour : le 3 octobre 2019 | Reconduit : le 11 janvier 2024
Daphne J Korczak; Société canadienne de pédiatrie. Mise à jour par Alice Charach et Debbi Andrews, Comité de la santé mentale et des troubles du développement
Le suicide est l’une des principales causes de décès chez les adolescents canadiens. Le présent point de pratique fournit aux pédiatres et aux professionnels de la santé des enfants un cadre pour évaluer l’adolescent qui a des pensées ou des comportements suicidaires. On y traite du contexte épidémiologique, des considérations générales et des suggestions pratiques pour aborder l’adolescent suicidaire. Les pédiatres peuvent et doivent procéder au dépistage de la maladie mentale et des importants facteurs de stress psychosociaux chez les jeunes. Le dépistage et le traitement précoces des maladies mentales font partie des moyens importants que peuvent utiliser les pédiatres pour éviter que les adolescents qui envisagent le suicide s’infligent des blessures.
Le suicide est la deuxième cause de décès en importance chez les adolescents canadiens. En effet, en 2011, il représentait le quart de tous les décès chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans.[1] L’incidence de tentatives de suicide culmine à l’adolescence. On estime que pour chaque suicide complet, il y aurait jusqu’à 20 tentatives de suicide.[2] Les garçons sont plus susceptibles de mourir d’un suicide, mais les filles risquent de trois à quatre fois plus de faire des tentatives.[3] Les adolescents métis, inuits et des Premières nations sont particulièrement à risque, car le taux de suicide au sein de cette population est de quatre à cinq fois plus élevé que chez les jeunes non autochtones.[1][3]
Les suicides sont rares chez les enfants prépubères,[1] qui peuvent toutefois avoir des pensées suicidaires et faire des tentatives de suicide. Les médecins peuvent jouer un rôle important dans l’évaluation et la prise en charge des adolescents suicidaires, tant à titre de conseillers à qui la famille peut parler des problèmes de santé de l’enfant en toute confiance qu’à titre de cliniciens de première ligne en situation aiguë. Ainsi, les pédiatres et les cliniciens de première ligne doivent savoir comment évaluer l’idéation et les comportements suicidaires chez les enfants et les adolescents et repérer ceux qui risquent le plus de passer à l’acte. Le présent point de pratique vise à fournir de l’information pratique et accessible aux professionnels de la santé pour évaluer l’idéation et les comportements suicidaires ainsi que les facteurs associés à l’augmentation du risque de suicide. Puisque l’incidence de tentatives de suicide et de suicides complets est considérablement plus élevée chez les adolescents que chez les enfants plus jeunes, le présent point de pratique se limite à l’évaluation des adolescents.
Pour évaluer un adolescent suicidaire, il faut examiner ses comportements suicidaires, ses antécédents en matière de santé mentale et le contexte dans lequel ce comportement s’est manifesté, de même que les facteurs déclencheurs, favorables et protecteurs présents dans son environnement. En plus d’interviewer le patient seul, il importe d’obtenir d’autre l’information auprès des parents et de personnes qui le connaissent bien ou qui peuvent fournir de l’information sur la situation. Il faut informer les adolescents des limites de la confidentialité le plus tôt possible dans le processus d’évaluation. En effet, même s’il est important de protéger la vie privée de l’adolescent, la confidentialité n’est pas absolue. Les cliniciens doivent faire preuve de jugement pour déterminer si le niveau de risque justifie une violation de la confidentialité en vue d’obtenir le reste de l’information nécessaire.
Les cliniciens devraient procéder au dépistage des facteurs de risque suivants, qui s’associent à un risque de suicide plus élevé :
La maladie mentale est un important facteur de risque de suicide chez les adolescents.[4][5] Jusqu’à 90 % des adolescents qui se sont suicidés avaient des antécédents de maladie mentale.[6][7] La dépression est le trouble de santé mentale le plus lié à l’idéation et aux comportements suicidaires, mais d’autres troubles de santé mentale, y compris les troubles de consommation de substances psychoactives, le trouble des conduites et d’autres troubles moins fréquents (p. ex., troubles bipolaires, troubles psychotiques) s’accompagnent également d’une augmentation du risque de suicide.[6][7] On peut envisager le risque potentiel de comportements suicidaires chez les enfants qui prennent un inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine. À; cet égard, le lecteur peut consulter le document de principes de la Société canadienne de pédiatrie intitulé L’utilisation des inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine pour le traitement des maladies mentales pendant l’enfance et l’adolescence.[8] Même si la maladie mentale se manifeste souvent pendant l’adolescence, il faut parfois au moins dix ans avant de la dépister et d’amorcer un traitement.[9] Les cliniciens devraient procéder au dépistage de la maladie mentale chez l’adolescent suicidaire et s’informer de ses antécédents de troubles psychiatriques.[10]-[12] Les dispensateurs de soins devraient envisager de faire subir une évaluation psychiatrique aux adolescents ayant une maladie mentale potentielle ou confirmée.
Une tentative de suicide antérieure fait partie des principaux indicateurs de suicide pendant l’adolescence et tout au long de la vie.[6][7][13]-[15] Des comportements d’automutilation délibérée (p. ex., coupures, brûlures) s’associent également à une augmentation du risque de suicide.[16] Cependant, ce type de comportement n’est pas toujours lié à une intention suicidaire. Les cliniciens devraient demander aux adolescents s’ils s’automutilent pour faire face à leur douleur émotionnelle ou à leur intention suicidaire. De plus, ils devraient s’informer de ses antécédents d’automutilation et de comportements suicidaires.
Les adolescents qui agissent avec impulsivité risquent davantage de passer à l’acte et d’utiliser des moyens plus dangereux pour tenter de se suicider.[16][17] Les cliniciens devraient vérifier les antécédents de comportements impulsifs chez l’adolescent suicidaire (p. ex., agression physique, prise de risques).
Il est important de comprendre les facteurs qui ont déclenché les pensées suicidaires ou les tentatives de suicide de l’adolescent pour pouvoir les aborder directement ou aborder les réactions de l’adolescent à leur égard. Les facteurs de stress qui entraînent des sentiments de rejet, d’inaptitude, d’humiliation, de honte et de perte sont particulièrement puissants. Parmi les déclencheurs courants de comportement suicidaire chez les adolescents, soulignons la rupture amoureuse, un conflit avec la famille ou les camarades, une déception scolaire récente ou anticipée, l’intimidation (y compris la cyberintimidation dans les médias sociaux), la divulgation d’une orientation non hétérosexuelle ou d’une autre identité de genre et des problèmes juridiques ou une comparution en justice imminente.[18][19] Chez les adolescents qui ont été victimes de violence physique ou sexuelle, les situations ou les interactions qui font remonter des souvenirs ou des sentiments associés à cette violence accroissent également les comportements suicidaires.[20]-[22] Enfin, le clinicien devrait vérifier si l’adolescent a entendu parler de suicide dans les médias ou connaît des personnes qui se sont suicidées, car de telles situations favorisent l’augmentation des comportements suicidaires.[23]
Les conflits familiaux, et particulièrement les mauvaises relations entre l’enfant et ses parents, s’associent à un risque de suicide plus élevé chez les adolescents.[21][24][25] Une maladie mentale chez un parent et des antécédents familiaux de suicide sont également des facteurs de risque de comportement suicidaire chez les adolescents.[22] Les cliniciens devraient inclure les antécédents psychiatriques de la famille dans leur évaluation et poser des questions sur la qualité de la communication et les conflits au sein de la famille afin de déterminer à quel point les facteurs familiaux risquent d’exacerber les troubles mentaux de l’adolescent ou, au contraire, de l’aider à y faire face.
Il est essentiel de compter sur un milieu de vie favorable pour stabiliser l’état mental de l’adolescent. L’absence de plan de suivi clair assorti d’un soutien psychosocial adapté peut justifier une hospitalisation. Dans l’évaluation du contexte psychosocial, il faut tenir compte des facteurs environnementaux (par exemple, les adolescents qui vivent dans une communauté inuite, métisse ou des Premières nations risquent davantage de se suicider) et de l’accès à un soutien. L’absence de plan de suivi solide qui garantit une surveillance de la santé mentale et un soutien psychosocial représente un facteur de risque important dont le clinicien doit tenir compte lors de l’évaluation de l’adolescent suicidaire.
L’appréciation 1) des pensées suicidaires de l’adolescent et 2) de la tentative de suicide elle-même est au cœur de l’évaluation. Il faut évaluer les adolescents intoxiqués qui ont des idéations et des comportements suicidaires après que les substances psychoactives ont été éliminées de leur organisme, car celles-ci peuvent influer sur l’examen de leur état mental.
1) Les dispensateurs de soins doivent tenir compte de plusieurs aspects des propensions suicidaires lorsqu’ils interviewent les adolescents :
Les cliniciens devraient s’informer de la fréquence, de l’intensité et de la qualité des pensées suicidaires qu’a ressenties l’adolescent et tenir compte du fait qu’elles peuvent fluctuer dans le temps. La fréquence désigne le nombre de fois (p. ex., tous les jours, toutes les semaines) où l’adolescent entretient des pensées suicidaires, tandis que l’intensité désigne plutôt son degré de préoccupation à l’égard de ces pensées lorsqu’elles surgissent. Les adolescents peuvent entretenir des pensées passives de mort (p. ex., « Ça ne me dérangerait pas de mourir », ou « Si je pouvais simplement m’endormir et ne plus jamais me réveiller ») ou une idéation suicidaire active (p. ex., « Je vais en finir »). Les questions pour sonder l’idéation suicidaire incluent :
Il faut également déterminer le nombre et la variété des stratégies d’adaptation qu’utilise l’adolescent pour gérer ses pensées suicidaires, de même que l’efficacité que ces stratégies semblent avoir. Il est primordial d’établir à quel point l’adolescent a perdu espoir quant à l’amélioration de sa situation et de ses sentiments (p. ex., « Espères-tu que la situation va s’améliorer? ») Un désespoir profond devrait inciter le clinicien à percevoir un risque accru de suicide.
Chez les adolescents qui ont des idéations suicidaires, il faut évaluer l’intention suicidaire. Les questions à ce sujet peuvent inclure :
Dans le cadre de l’évaluation individuelle, il est également important de déterminer les raisons de vivre de l’adolescent (« Qu’est-ce qui t’a empêché de mettre fin à tes jours? ») ou son ambivalence vis-à-vis de ses pensées suicidaires.
Les pédiatres devraient demander aux adolescents qui ont des idéations suicidaires s’ils planifient mettre fin à leurs jours et obtenir les détails de leur plan, s’il y a lieu. Les questions pour connaître l’existence et les détails d’un tel plan incluent :
Lorsque l’adolescent s’est doté d’un plan, le pédiatre devrait déterminer l’accès aux moyens pour le réaliser (p. ex., armes à feu, médicaments).
2) Lorsqu’il s’informe de la tentative de suicide, le clinicien devrait déterminer :
Enfin, d’après les données colligées grâce à l’évaluation de l’adolescent, de la famille et des autres sources, au contexte environnemental et aux ressources de soutien, le pédiatre doit déterminer le mode de soins le mieux adapté à l’adolescent. Celui qui reçoit des soins ambulatoires doit recevoir des directives claires sur l’importance de communiquer ses pensées ou ses comportements suicidaires à des adultes de confiance, sur la nécessité d’un suivi en santé mentale, sur les services locaux de crise et les lignes d’écoute et sur la possibilité de consulter à l’urgence, au besoin.
Il faut encourager les parents ou les tuteurs à favoriser une communication ouverte avec l’adolescent, notamment à l’égard des états d’esprit négatifs et des pensées suicidaires, et à s’assurer que leur domicile est sécuritaire. Outre une famille et des amis qui soutiennent l’adolescent, le soutien en santé mentale peut être assuré par un thérapeute à l’école, dans une clinique de santé ou dans un centre de santé communautaire (y compris des services de santé mentale d’urgence), par un médecin ou par un thérapeute privé. Puisque le soutien en santé mentale axé sur les adolescents est limité dans certaines collectivités, les cliniciens doivent évaluer le type de soutien offert et la possibilité d’y accéder et déterminer i) si l’adolescent est prêt à profiter d’un suivi auprès de la personne qui l’offre et ii) s’il trouve le jumelage positif et favorable. Les adolescents considérés comme à risque important de suicide devraient être dirigés vers une évaluation psychiatrique et, au besoin, vers une évaluation à l’urgence et une hospitalisation.
Il existe plusieurs échelles validées d’évaluation du risque de suicide.[26]-[30] L’échelle Columbia de la gravité du risque de suicide[29] fait partie des outils auto-administrés courts largement utilisés dont les non-professionnels de la santé mentale peuvent se servir. Ce type d’échelles peut servir d’outil de dépistage, mais ne devrait pas remplacer l’évaluation clinique. Ainsi, tout enfant ou adolescent qui obtient un pointage élevé à une échelle de mesure du risque de suicide devrait être soumis à une évaluation clinique.
Le suicide est une cause importante et évitable de décès chez les enfants canadiens. Les adolescents qui ont déjà tenté de se suicider font partie d’un groupe à haut risque qui doit être soumis à une évaluation en santé mentale, ce qui comprend les pensées et comportements suicidaires, et à l’évaluation des principaux facteurs de risque qu’on sait être associés à un suicide éventuel. La plupart des adolescents qui meurent d’un suicide sont aux prises avec une maladie mentale. Les pédiatres ont un rôle important à jouer pour dépister et faciliter le traitement de la maladie mentale.[31]-[33]
Le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la santé des Premières nations, des Inuits et des Métis, le comité de la santé de l’adolescent et le comité des soins aigus de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
Membres : Debra Andrews MD, Stacy Bélanger MD (présidente), Alice Charach MD, Brenda Clark MD, Johanne Harvey MD (représentante du conseil), Daphne J Korczak MD
Représentants : Clare Gray MD, Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent; Benjamin Klein MD, section de la pédiatrie du développement de la SCP; Judy van Stralen MD, section de la santé mentale de la SCP
Auteure : Daphne J Korczak MD
Mise à jour par Alice Charach MD et Debbi Andrews MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 31 mai 2024