Point de pratique
Affichage : le 18 décembre 2018
Jeremy N Friedman; Société canadienne de pédiatrie. Mise à jour par Carolyn Beck MD, Comité des soins aigus
L’hyponatrémie aiguë d’origine nosocomiale est de plus en plus reconnue comme une cause de morbidité et de mortalité chez les enfants. Elle est surtout attribuée à l’utilisation de solutés intraveineux (IV) hypotoniques pour respecter les besoins liquidiens et électrolytiques. Le présent point de pratique expose les connaissances actuelles du problème et contient un résumé des recherches récentes sur le sujet. Il contient également des recommandations détaillées sur la prescription de soluté IV d’entretien chez les enfants de un mois à 18 ans. On recommande d’utiliser des solutés isotoniques (D5W et NaCl à 0,9 %) dans la plupart des cas. Il faut éviter les solutés IV hypotoniques qui contiennent moins de 0,45 % de NaCl pour administrer les solutés IV d’entretien habituels.
Mots-clés : Acute hyponatremia; Intravenous fluid prescription; Maintenance intravenous fluids
L’hyponatrémie, définie comme un sodium (Na) sérique inférieur à 135 mmol/L, est de plus en plus reconnue comme une cause de morbidité et de mortalité chez les enfants hospitalisés [1]-[9]. Ces dernières années, on a constaté de nombreuses déclarations de grave morbidité, y compris de graves lésions neurologiques, ainsi que de nombreux décès chez des enfants qui faisaient face à une hyponatrémie d’origine nosocomiale tandis qu’ils recevaient un soluté intraveineux (IV) [1]-[9]. Dans une étude cas-témoin, 40 des 432 (9 %) enfants hospitalisés sous soluté IV dont le Na sérique de base était normal voyaient ensuite leur Na sérique baisser sous les 136 mmol/L [3]. D’autres études ont démontré une incidence d’hyponatrémie pouvant atteindre les 24 % chez les enfants hospitalisés [10].
L’hyponatrémie est surtout attribuée à l’utilisation de solutés IV d’entretien hypotoniques. L’administration de ces solutés fournit une source d’eau sans électrolyte (ESÉ) à une population d’enfants vulnérables à une plus grande sécrétion d’hormones antidiurétiques (HAD) [3][11][12]. Les séquelles cliniques de l’hyponatrémie aiguë (un fléchissement du Na dans les 48 heures) découlent d’un œdème cérébral aigu et peuvent inclure des céphalées, une léthargie, des convulsions et peut-être même un arrêt respiratoire et cardiaque secondaire à une hernie du tronc cérébral. Ces résultats cliniques sont plus susceptibles d’être observés en cas d’hyponatrémie aiguë sévère (Na inférieur à 130 mmol/L). En raison du ratio plus élevé entre leur cerveau et leur volume intracrânien, les enfants risquent davantage de présenter ces séquelles que les adultes.
La pratique habituelle qui consiste à administrer des solutés IV d’entretien hypotoniques, qui contiennent généralement de 20 mmol/L à 30 mmol/L de Na, se fonde sur l’article charnière de Holliday et Segar [13] publié en 1957, qui se traduit par l’utilisation d’un mélange de NaCl à 0,2 % et de dextrose à 5 %. Ces recommandations découlaient de la dépense calorique des enfants en santé, tandis que la composition électrolytique était dérivée de celle du lait humain et du lait de vache.
Il est établi que la grande majorité des enfants hospitalisés sont vulnérables à une sécrétion d’HAD non physiologique causée par les nausées, le stress, la douleur, les troubles du système pulmonaire et du système nerveux central, les interventions chirurgicales et des médicaments souvent utilisés, tels que le sulfate de morphine. Ainsi, les recommandations consacrées de Holliday et Segar quant à l’utilisation de soluté IV hypotonique sont probablement malavisées. Le fort pourcentage d’ESÉ dans les solutés IV hypotoniques (78 % d’ESÉ) par rapport au soluté physiologique (0 % d’ESÉ), combiné à une réduction de la capacité d’excréter l’eau en raison de la sécrétion d’HAD, fait courir aux enfants hospitalisés un plus grand risque d’hyponatrémie aiguë.
Les modes de prescription de solutés IV chez les enfants varient considérablement selon les médecins, qu’ils travaillent dans le même hôpital ou non. Selon une étude transversale menée dans de multiples hôpitaux du Royaume-Uni, 77 des 99 enfants à qui on administrait un soluté IV pendant la même journée d’une semaine donnée recevaient des solutés hypotoniques. Vingt et un des 86 enfants (24 %) chez qui on avait mesuré les électrolytes sériques étaient hyponatrémiques, et la majorité recevait un soluté IV hypotonique [10].
Afin d’éviter l’apparition d’une hyponatrémie aiguë, il est recommandé de privilégier un soluté isotonique de NaCl à 0,9 % et de dextrose à 5 % (solution glucosée à 5 %, ou D5W) comme soluté IV d’entretien standard [2][11][12][14]. Le soluté physiologique contient 154 mmol/L de Na, qui est isotonique par rapport à la membrane cellulaire. Cette suggestion soulève des inquiétudes quant au potentiel d’hypernatrémie et de surcharge en sel et en eau [15]. Cependant, à moins que l’enfant présente une capacité réduite à excréter le Na, une anomalie de la concentration rénale, une perte hydrique importante ou une restriction liquidienne prolongée, ces risques semblent être largement théoriques. Le risque d’acidose métabolique hyperchlorémique est connu en cas de perfusion physiologique isotonique administrée rapidement pendant la période périopératoire [16], mais n’a jamais encore été signalé lors des essais de soluté physiologique IV d’entretien chez des enfants.
Les premières études prospectives comparant la tonicité des solutés IV portaient principalement sur les populations ayant subi une intervention chirurgicale ou hospitalisés en soins intensifs, certaines études plus petites incluant des enfants admis dans des unités hospitalières [17]-[25]. Cinq analyses systématiques et méta-analyses publiées en 2014-2015 ont toutes conclu que les solutés isotoniques d’entretien posaient un risque d’hyponatrémie plus faible que les solutés hypotoniques [26]-[30]. Deux précisaient toutefois que les données portaient sur des populations ayant subi une intervention chirurgicale ou en soins intensifs et que les données étaient insuffisantes pour qu’il soit possible de généraliser les recommandations dans toutes les unités médicales [26][27].
Plus récemment, trois essais aléatoires et contrôlés ont porté sur la question de la tonicité des solutés d’entretien par voie IV dans les populations hospitalisées ou opérées d’âge pédiatrique [31]-[33]. La première étude, réalisée en Australie, est la plus vaste jusqu’à présent, puisqu’elle a réparti aléatoirement 690 enfants hospitalisés ou opérés entre des solutés isotoniques (140 mmol/L de sodium) ou hypotoniques (77 mmol/L de sodium) [31]. Les solutés à l’étude ont été maintenus jusqu’à ce que les patients reçoivent moins de 50 % de leurs besoins d’entretien par voie IV, jusqu’à concurrence de 72 heures. Pour être significatif sur le plan clinique, le résultat primaire était l’occurrence d’hyponatrémie, définie comme un sodium sérique inférieur à 135 mmol/L et une diminution minimale de 3 mmol/L par rapport au début du traitement. Les chercheurs ont conclu que les solutés isotoniques s’associaient à un risque d’hyponatrémie plus faible que les solutés hypotoniques (4 % par rapport à 11 %; p=0,001), sans s’associer à une augmentation des effets indésirables [31].
La méthodologie de la deuxième étude, menée au Canada, était semblable à celle effectuée en Australie [32]. Cent dix enfants, tous hospitalisés à l’unité pédiatrique générale, ont été répartis au hasard entre un soluté IV d’entretien isotonique (NaCl à 0,9 % ou 154 mmol/L de sodium) ou hypotonique (NaCl à 0,45 % ou 77 mmol/L de sodium). Le résultat clinique primaire, soit le sodium sérique moyen au bout de 48 heures (p=0,60), n’était pas différent entre les deux groupes, mais les chercheurs ont observé deux cas d’hyponatrémie dans le groupe ayant reçu un soluté hypotonique et aucun dans celui ayant reçu un soluté isotonique.
La troisième étude, réalisée au Mexique, traitait d’une population mixte de patients d’âge pédiatrique hospitalisés ou opérés [33]. Cent cinquante et un enfants ont été répartis aléatoirement entre deux solution hypotoniques (soluté physiologique 0,3 % ou 0,45 %) ou des solutés isotoniques d’entretien (soluté physiologique 0,9 %). La sodium sérique moyen au bout de huit heures, qui constituait le résultat primaire, était plus faible dans les deux groupes ayant reçu un soluté hypotonique que dans celui ayant reçu un soluté isotonique (p<0,0001).
Ces récents essais aléatoires et contrôlés ont élargi la portée des publications sur la tonicité un soluté IV d’entretien en pédiatrie et ont continué de démontrer uniformément que conjointement avec les solutés hypotoniques, les solutés isotoniques d’entretien réduisent le risqué d’hyponatrémie iatrogène aiguë, sans augmentation significative des effets secondaires.
TABLEAU 1 Définitions | |
Définition | Na sérique, en mmol/L00g |
Normonatrémie | de 135 à 145 |
Hyponatrémie | <135 |
Hyponatrémie aiguë sévère | < 130 dans les 48 h chez un enfant dont le Na de base est normal |
Hypernatrémie | >145 |
Les recommandations suivantes [34]-[36] s’appliquent à la prescription de soluté d’entretien IV chez les enfants d’un mois d’âge corrigé à 18 ans, à l’exception des patients ayant une maladie rénale ou cardiaque, une acidocétose diabétique, de graves brûlures ou d’autres maladies sous-jacentes qui nuisent considérablement à la régulation des électrolytes.
Les présentes recommandations ne visent pas les nourrissons et les enfants qui ne font pas partie du groupe des enfants âgés de un mois à 18 ans.
TABLEAU 2 Solutés intraveineux disponibles | ||||||
Liquide | Na mmol/L | K mmol/L | CI mmol/L | Lactate mmol/L | Dextrose g/L | Tonicité par rapport au plasma |
D5W et NaCl à 0,9 % | 154 | 0 | 154 | 0 | 50 | Isotonique |
D5W et NaCl à 0,45 % | 77 | 0 | 77 | 0 | 50 | Semi-isotonique |
D5W et NaCl à 0,2 % | 33 | 0 | 33 | 0 | 50 | Très hypotonique |
2/3–1/3 | 45 | 0 | 45 | 0 | 33 | Très hypotonique |
Lactate Ringer | 130 | 4 | 110 | 28 | 0 | Isotonique |
TABLEAU 3 Recommandations sur les solutés intraveineux (IV) d’entretien d’après le taux de Na plasmatique | |
Enfants de un mois à 18 ans | Solutés IV recommandés |
Na <138 mmol/L | Solutés IV isotoniques |
Na 138 mmol/L à 144 mmol/L | Solutés IV isotoniques de préférence; des solutés semi-isotoniques peuvent être utilisés |
Période périopératoire | Solutés IV isotoniques |
Le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie a révisé le présent point de pratique.
Membres : Laurel Chauvin-Kimoff MD (présidente); Isabelle M Chevalier MD (représentante du conseil); Catherine A Farrell MD; Jeremy N Friedman MD; Angelo Mikrogianakis MD (président sortant); Oliva Ortiz-Alvarez MD
Représentants : Dominic Allain MD, section de la médecine d’urgence pédiatrique de la SCP; Marilyn Monk, Association canadienne des centres de santé pédiatriques; Jennifer Walton MD, section de la pédiatrie hospitalière de la SCP
Auteur principal : Jeremy N Friedman MD
Mise à jour par Carolyn Beck MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 février 2024