Document de principes
Affichage : le 3 mai 2017 | Reconduit : le 24 février 2023
Anne Rowan-Legg; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la pédiatrie communautaire
Paediatr Child Health 2017;22(2):e7-e12
Les familles des militaires font face à de nombreux facteurs de stress, tels que les réinstallations fréquentes, les longues pério des de séparation familiale, l’isolement géographique du réseau de soutien de la famille élargie et le déploiement en zones très dangereuses. Les enfants et les adolescents des familles des militaires vivent les mêmes trajectoires développementales et motivationnelles que leurs homologues civils, mais ils sont également aux prises avec des pressions et des facteurs de stress liés à leur développement qui sont inhabituels et qui leur sont imposés par les exigences de la vie militaire. Les effets de la vie militaire sur les familles et les enfants commencent à être admis et mieux caractérisés. Il est essentiel de comprendre les préoccupations propres aux enfants et aux adolescents des familles des militaires et de mobiliser les ressources nécessaires pour les soutenir afin de répondre à leurs besoins en matière de santé.
Mots-clés : Behaviour, Mental health, Military deployment, Military families, Stress
Les enfants et les adolescents des familles des militaires canadiens forment un groupe unique. Des situations comme les réinstallations fréquentes, les déploiements et la séparation des parents, ainsi que la difficulté d’accès aux services médicaux et aux services de santé mentale, peuvent influer sur la santé et le bien-être des enfants et de leur famille [1]. Pour soutenir les enfants et les adolescents des familles des militaires, les professionnels de la santé pédiatrique peuvent constater leurs points forts et les difficultés qui leur sont propres, s’assurer qu’ils reçoivent une surveillance médicale appropriée, faire connaître les services et les mesures de soutien qui sont à leur disposition et plaider en faveur de leurs besoins particuliers en matière de santé.
Le présent document de principes vise à exposer les données probantes sur la santé et l’épidémiologie des familles des militaires, à cerner les considérations particulières sur la prestation des soins aux enfants et aux adolescents de ces familles et à faire ressortir les ressources de soutien à leur disposition. Les recommandations aux professionnels de la santé pédiatrique et aux gouvernements en vue d’améliorer les soins aux jeunes des familles des militaires y sont aussi présentées.
Les Forces canadiennes (FC) comprennent la Force régulière et la Force de réserve. Les membres de la Force régulière (Armée, Marine, Aviation royale) font leur service militaire à temps plein, tandis que ceux de la Force de réserve sont des « citoyens-soldats », c’est-à-dire qu’ils occupent un emploi civil et participent à la vie militaire à temps partiel lorsqu’ils ne sont pas en service actif. Il y a d’importantes différences entre les deux groupes, particulièrement en ce qui a trait aux déploiements, aux avantages sociaux et aux services médicaux. Tous les membres du personnel de la Force régulière possèdent une assurance médicale et dentaire à compter de leur enrôlement jusqu’à la date d’entrée en vigueur de leur libération des FC. En revanche, les membres du personnel de la Force de réserve ne possèdent de protection d’assurance que pendant des périodes d’admissibilité précises, en fonction des périodes où ils sont en service et du lien entre leur maladie ou leurs blessures et le service militaire [2]. Le service militaire est volontaire au Canada, mais il exige un investissement personnel important de la part des militaires et de leur famille.
Un déploiement désigne l’affectation temporaire d’un militaire dans une zone de combat ou de non-combat. D’une durée habituelle de un à 15 mois, il peut être consacré à un entraînement régulier, prévu ou inattendu. Le déploiement est un important facteur de stress pour les familles des militaires, de même qu’un aspect déterminant de leur vie. Depuis trente ans, de nombreux militaires canadiens ont été déployés dans des régions hostiles et instables, telles que l’Afghanistan et l’Irak.
Soixante-dix pour cent des conjoints des militaires canadiens ont vécu le déploiement de leur partenaire au moins une fois, tandis que 17 % l’ont vécu plus de cinq fois [3].
Cinquante-neuf pour cent des militaires sont mariés ou conjoints de fait. Quatre-vingts pour cent des membres de la Force régulière ont un conjoint civil, tandis que 20 % sont mariés à un autre membre des FC [3]. La plupart des conjoints de militaires (87 %) sont des femmes [3]. En janvier 2014, 14200 femmes faisaient partie des FC (Force régulière et Force de réserve), soit 14,8 % des effectifs totaux. Soixante-quinze pour cent des couples militaires ont des enfants. Le Canada compte plus de 57000 familles de militaires, et plus de 64000 enfants de moins de 18 ans ont un parent militaire [4][5]. Par rapport à l’ensemble de la population canadienne, les familles des militaires comptent une plus forte proportion de jeunes parents et d’enfants.
On dénombre 32 bases militaires au Canada, souvent situées en région éloignée. De nos jours, 83 % des familles de la Force régulière habitent dans la société civile plutôt que sur une base militaire [5].
Dans un rapport de 2013, le ministère canadien de la Défense nationale et l’ombudsman des FC ont relevé trois grands facteurs qui distinguaient les familles des militaires des familles civiles : la mobilité, la séparation et le risque [1]. Les familles des militaires doivent se réinstaller souvent, en fonction des décisions des FC. L’adaptation forcée à de nouveaux milieux, les affectations à l’étranger et les déploiements en zone de guerre sont fréquents. Soixante-seize pour cent des conjoints se sont réinstallés au moins une fois en raison de l’affectation d’un conjoint militaire [3]. Les réinstallations sont difficiles, car elles influent sur de nombreux volets essentiels à la stabilité de la vie familiale, y compris l’accès aux soins et la continuité des soins, des services de garde ou une scolarité de qua lité et la formation des cercles sociaux. Le conjoint et les enfants des militaires sont souvent forcés de s’éloigner de leur famille immédiate et de leur famille élargie pendant de longues périodes, ce qui se traduit par une monoparentalité de facto pour le conjoint à la maison, souvent sans appui de la famille élargie. Les risques pour la sécurité, y compris la possibilité de lésions permanentes, de maladie ou de décès, sont reconnus comme partie intégrante du métier de mili taire. La combinaison exigeante de mobilité élevée, de séparations prolongées et d’acceptation du risque est inhérente à la vie familiale dans les FC. L’absence de prévisibilité et de choix, ainsi que les difficultés à planifier l’avenir, font partie des autres facteurs de stress importants.
Le déploiement rend les familles des militaires uniques. Les enfants et les adolescents vivent des émotions et des réactions prévisibles à chaque cycle. Avant le déploiement d’un parent, un enfant ou un adolescent peut se replier sur lui-même, devenir apathique ou présenter des comportements de régression. Au début du déploiement, il peut se sentir bouleversé, triste ou anxieux, manifester plus de symptômes somatiques ou adopter des comportements agressifs. Souvent, ces émotions s’atténuent tandis qu’il passe à la phase d’adaptation et qu’il acquiert de nouvelles habitudes et trouve de nouveaux appuis. La réunification familiale suscite l’enthousiasme, l’anticipation et le soulagement, mais ces sentiments sont parfois suivis d’un conflit émotionnel lorsque le parent militaire réintègre le quotidien familial. Selon les trois quarts des familles, les trois premiers mois suivant le retour à la maison étaient les plus stressants du cycle de déploiement [1][6]. De nombreuses familles de militaires communiquent fréquemment avec leur conjoint ou leur parent déployé, généralement en temps réel, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. Ce contact peut être perçu comme un avantage, mais il peut aussi être source d’anxiété, car la famille est mieux informée de la réalité du parent déployé.
Fait important, l’ombudsman des FC a également observé que les familles des FC peuvent décrire les principales aptitudes qu’apporte la vie militaire, y compris la capacité de bien s’adapter et de s’intégrer avec efficacité à de nouveaux milieux. Les enfants des militaires peuvent être plus matures, plus responsables et plus autonomes que leurs camarades civils, en raison de l’éventail de difficultés qui touchent leur famille [1]. La plupart des familles des militaires font preuve d’une résilience remarquable aux facteurs de stress.
Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, les conjoints et les enfants des soldats canadiens ne sont pas soignés au sein du système médical militaire (les services de santé des FC). Ils recourent plutôt au système de santé public de leur province ou de leur territoire.
Les membres des FC et leur famille ont droit à des assurances et à des avantages complémentaires fournis par le Régime de soins de santé de la fonction publique et le Régime de soins dentaires des FC, qui sont comparables à de nombreux régimes de soins de santé de la fonction publique.
Les provinces et les territoires ont récemment accepté de renoncer à la pério de d’attente de 90 jours avant qu’une famille des FC qui vient de se réinstaller ait droit à l’assurance maladie [7].
La plupart des données sur la santé des familles des militaires reposent sur des recherches réalisées aux États-Unis. Tout en convenant que l’expérience militaire canadienne est très différente de celle des États-Unis, les influences et les pressions exercées sur la vie familiale seraient comparables.
Les études démontrent que les consultations liées aux problèmes de santé mentale et comportementale augmentent de 11 % chez les enfants de trois à huit ans dont un parent militaire est déployé. Les troubles de comportement augmentent de 19 % et les troubles liés au stress, de 18 %. En revanche, le taux global de consultations ambulatoires et de rendez-vous pour d’autres diagnostics diminue pendant le déploiement d’un parent [8][9].
Le déploiement s’associe clairement à une augmentation des consultations auprès de spécialistes pour les deux conjoints et les enfants, ainsi qu’à une uti lisation accrue d’antidépresseurs et d’anxiolytiques [10]. Les enfants des jeunes parents militaires monoparentaux consultent toutefois moins pour des maladies aiguës ou des bilans de santé réguliers en période de déploiement [11]. Ces enfants sont souvent pris en charge par un membre de la parenté ou doivent déménager pendant le déploiement, ce qui peut réduire l’accès aux soins médicaux.
Après le retour de leurs parents militaires déployés et blessés au combat, les jeunes enfants (de trois à huit ans) consultent davantage à cause de problèmes de santé mentale, de blessures et de maltraitance [9][12].
Les adolescents de familles de militaires sont plus susceptibles d’être hospitalisés à cause de blessures, de tentatives de suicide et de troubles de santé mentale que leurs homologues dont les parents sont des civils [13]. Les enfants des familles de militaires réinstallées au cours de l’année précédente risquent davantage de consulter pour des problèmes de santé mentale, et les adolescents courent également un risque plus élevé d’hospitalisation en psychiatrie et de consultations à l’urgence psychiatrique [14][15].
Les changements de comportement, tant externalisés qu’internalisés, et les fluctuations de la performance scolaire sont constamment signalés pendant le déploiement d’un parent [14][27]. On constate aussi un taux plus élevé de troubles de santé mentale, de tristesse et d’inquiétude dans la plupart des groupes d’âge [16]-[18][21]. Des symptômes de dépression sont déclarés chez environ un enfant sur quatre dont un parent est déployé [26]. Le sexe du parent déployé ne semble rien changer à l’adaptation des enfants [28].
Une récente étude rétrospective à grande échelle reposant sur des données relatives aux traitements médicaux ambulatoires a été réalisée auprès de plus de 300000 enfants dont un parent était enrôlé dans l’armée américaine. Selon cette étude, on constatait une association entre le déploiement d’un parent au combat et l’augmentation du risque de consultations relatives à des troubles de santé mentale chez les garçons et les filles, la plus forte augmentation de cas de troubles de santé mentale s’observant chez les enfants dont un parent était déployé pendant plus de onze mois. Les effets les plus marqués du déploiement étaient les troubles de stress aigu, les troubles d’adaptation, les troubles de comportement et la dépression [29].
Une étude auprès d’enfants d’âge préscolaire (de trois à cinq ans) touchés par le déploiement d’un parent militaire en zone de guerre a révélé un taux plus élevé de réactivité affective, d’anxiété et de dépression, de symptômes somatiques, de troubles du sommeil et de repli sur soi que chez les enfants dont les parents n’étaient pas déployés, après avoir tenu compte des symptômes de stress et de dépression chez les personnes qui s’occupaient d’eux [19].
Une autre étude a démontré que les jeunes plus âgés, et particulièrement les jeunes femmes, présentaient plus de troubles affectifs (liés à l’école, à la famille et aux camarades) pendant le déploiement et la réintégration de leur parent que leurs homologues civils. La durée du déploiement et la présence de troubles de santé mentale chez le parent non déployé s’associaient à des problèmes croissants pour les enfants, tant pendant le déploiement que pendant la réintégration [17].
Les adolescents dont les parents sont militaires risquent davantage de présenter des troubles de santé mentale; ils sont plus susceptibles que leurs homologues civils de signaler des symptômes de dépression et d’idéation suici daire. Compte tenu du degré scolaire, du sexe et de l’ethnie, le déploiement d’un membre de la famille s’associe à une augmentation de la probabilité de tristesse ou de désespoir, ainsi qu’à des symptômes de dépression et d’idéation suici dai re [30]. Une étude évaluant des adolescents dont un parent était déployé ou non déployé a démontré un stress plus élevé dans le sous-groupe ayant un parent déployé [20]. Les recherches indiquent également un risque plus élevé de consommation de substances psychoactives chez les adolescents de familles de militaires déployés [31]. Dans une grande étude normative menée en Californie, les jeunes liés au milieu militaire présentaient un risque considérablement plus élevé de consommer des substances psychoactives (rapport de cotes de 1,73), d’apporter une arme à l’école (rapport de cotes de 2,20) ou d’être l’objet de menaces armées (rapport de cotes de 1,87) que leurs homologues civils [32].
En revanche, certaines études ont fait ressortir les effets positifs du déploiement des parents, y compris l’occasion d’être plus responsable et autonome, de participer davantage au fonctionnement de la famille et, particulièrement chez les adolescents, de gagner de la confiance en soi (27,33).
Plusieurs études américaines décrivent le taux croissant de maltraitance chez les enfants des militaires, l’augmentation la plus importante étant attribuable à la négligence [34]–[36]. Ces études ont porté sur des cas de maltraitance corrobo rés, y compris la négligence et la violence physique, sexuelle et psychologique. L’incidence de violence dans les familles où un parent était déployé était 42 % plus élevée que dans les familles des militaires pendant les périodes de non-déploiement, mais dans les deux cas, elle demeurait plus élevée que dans les familles civiles [35]. Fait intéressant, les non-militaires des familles de mili taires sont responsables du plus grand nombre de cas de maltraitance corrobo rée. Ainsi, loin de se limiter au militaire, le stress de la guerre touche également la famille qui attend son retour [34].
En 2008, un rapport canadien déposé par un service de police militaire indépendant a fourni un aperçu des cas de violence conjugale au pays ayant fait l’objet d’enquêtes de la police militaire. On y a constaté une augmentation notable des incidents de violence conjugale en 2007 et en 2008, après l’Opération Athéna en Afghanistan [37].
Le déploiement d’un parent s’associe à un risque de retard de développement chez les enfants des familles des militaires. Selon une étude récente, les enfants des familles déployées étaient près de trois fois plus susceptibles d’échouer le questionnaire ASQ-3 (Ages and Stages Questionnaire) adapté à l’âge portant sur les étapes du développement que les enfants de parents non déployés [38]. Pour bien se développer, le jeune enfant doit pouvoir compter sur une personne en bonne santé pour s’occuper de lui; il peut subir les effets négatifs du stress environnemental et des troubles de santé mentale de la personne qui s’occupe de lui. Cette observation est importante, car le fardeau psychologique et déve loppemental des enfants de militaires touchés peut être prolongé.
Les recherches ont démontré à maintes reprises que les réponses comportementales et l’état affectif des enfants pendant un déploiement sont étroitement liés au bien-être et à l’état de santé mentale du parent qui reste à la maison [16]-[18][22][23][39]. Dans une étude canadienne, il a été démontré que les conjoints ou les partenaires d’un membre des FC en déploiement étaient plus déprimés que ceux qui se préparaient à un déploiement ou dont le partenaire était récem ment revenu à la maison [40]. Environ le cinquième des répondants avaient reçu un diagnostic de dépression à un moment de la carrière de leur conjoint militaire dans les FC, tandis que 12 % avaient reçu un diagnostic de trouble anxieux [3].
Selon une importante enquête sur les données ambulatoires électroniques de conjointes de militaires, le recours à des services de santé mentale était proportionnel à la durée des déploiements répétés, la plus grande augmentation des cas étant recensée chez les femmes dont le mari était déployé plus de 11 mois [41].
Il n’est pas rare que le conjoint d’un militaire soit sous-employé ou sans emploi. Seulement 46 % des conjoints de militaires canadiens déclarent occuper un emploi à temps plein [42]. Les réinstallations fréquentes, l’absence de perspectives professionnelles dans certaines petites communautés des FC et la difficulté à trouver des services de garde font partie des obstacles à l’emploi pour les conjoints. D’ailleurs, les difficultés d’emploi du conjoint sont souvent citées comme une raison importante de quitter les FC [1].
Plusieurs facteurs accroissent le risque de mésadaptation familiale pendant le déploiement. Soulignons l’âge plus jeune des parents, la présence d’enfants en bas âge, une psychopathologie chez un membre de la famille, un enfant ayant des besoins particuliers, un enfant ayant des troubles affectifs ou comportementaux préexistants, des troubles conjugaux ou financiers avant le déploiement, un conjoint dont l’anglais est la langue seconde, une réinstallation récente et l’absence de date précise de retour du déploiement [18] [21][26][41][43][44]. D’après une étude de 2013 auprès du personnel des FC déployé en Afghanistan, l’affectation en région dangereuse, le service dans l’armée de terre et un rang inférieur étaient également des facteurs de risque indépendants de troubles de santé mentale liés au déploiement pendant la période de suivi [45].
Les réponses affectives et comportementales des soldats après leur déploiement peuvent aller de la détresse à court terme (p. ex., perturbations des habitudes de sommeil, diminution du sentiment de sécurité ou augmentation de l’isolement social) à des affections psychiatriques plus graves, telles que le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), la consommation de substances psychoactives et la dépression [26][45]-[47]. Selon des études récentes, de 20 % à 30 % des soldats présentaient certains symptômes de SSPT dans les six mois suivant leur déploiement. Cette proportion sous-estimerait le véritable fardeau de la maladie [41]. Dans l’Enquête sur la santé mentale dans les Forces cana diennes de 2013, le taux de SSPT avait presque doublé entre 2002 et 2013, 16,5 % des membres des FC interrogés déclarant souffrir de dépression, de SSPT, de trouble anxieux généra lisé, de trouble panique et de consommation d’alcool ou de dépendance à l’alcool [44]. Cette enquête révélait également que près de la moitié des membres de la Force régulière (48,4 %) répondaient aux critères s’appliquant à au moins l’un des cinq troubles de santé mentale ou liés à l’alcool sélectionnés à un moment de leur vie, la surconsommation d’alcool (24,1 %) et la dépression (15,7 %) étant les plus répandus. Le taux de SSPT et de trouble panique au bout de 12 mois était deux fois plus élevé chez les membres de la Force régulière qui avaient servi en Afghanistan que chez ceux qui n’y avaient pas servi [45].
Pendant un suivi médian de 3,7 ans, 13,5 % du personnel des FC déployé étaient atteints d’un trouble de santé mentale diagnostiqué figurant dans le DSM-IV et attribué à leur déploiement, le SSPT étant le plus courant (8,0 %). Une proportion importante de ce groupe (29,6 %) déclarait également utiliser les services de santé mentale des FC pendant la période de l’étude [48].
Le SSPT des parents est lié à un taux plus élevé de comportements inter nalisés et externalisés chez les enfants, de perturbation du lien d’attachement entre le parent et l’enfant, de troubles de comportement généralisés et de négligence de l’enfant [49]. Les complications des troubles de stress liés au combat, les traumatismes cérébraux, l’apparition d’une maladie psychiatrique ou les comportements à risque du parent militaire peuvent compliquer encore davantage la vie familiale d’un enfant ou d’un adolescent.
En raison de leurs nombreuses réinstallations et de leur lieu de résidence isolé et mal desservi, les familles des militaires canadiens sont quatre fois moins susceptibles d’avoir un médecin de famille que les familles civiles. Les professionnels de la santé qui servent ces communautés sont également plus susceptibles d’être présents de manière transitoire ou de travailler en consultation. Par conséquent, les familles des militaires doivent souvent aller à l’urgence ou aux cliniques sans rendez-vous pour se faire soigner [1]. Malheureusement, cette pratique ne permet pas de prodiguer des soins préventifs ni d’offrir un suivi régulier.
Les enfants, les adolescents et les autres membres des familles de militaires qui ne sont pas en service sont traités par des médecins civils, qui connaissent peut-être moins les considérations et le stress qui leur sont propres, de même que les ressources qui pourraient être mises à leur disposition. De plus, un médecin de famille qui soignerait toute la famille, y compris le militaire lui-même, serait beaucoup mieux placé pour bien comprendre la situation et prodiguer des soins optimaux.
De nombreuses familles de militaires canadiens déclarent parcourir de longues distances afin de consulter le médecin qu’elles avaient à l’affectation précédente, faute d’avoir trouvé un médecin dans leur nouvelle localité. Cette constatation est révélatrice de la difficulté d’accès à des soins médicaux appropriés [1].
Les membres de la famille qui ont besoin de services de santé mentale entrent parfois en concurrence directe avec leur propre conjoint ou avec d’autres militaires en service pour l’obtention des soins et des traitements. Pour offrir des soins de santé mentale, les FC doivent souvent recourir à la sous-traitance, afin de compenser la surcharge de travail des professionnels de la santé mentale en milieu militaire. Le temps d’attente des conjoints non militaires pour obtenir une consultation avec un travailleur social ou un psychologue peut être encore plus long que pour les civils, particulièrement dans les petites localités.
Les réinstallations fréquentes et la difficulté de transférer des dossiers médicaux rapidement peuvent perturber encore davantage la continuité et la qualité des soins. En raison de ces problèmes, les enfants atteints d’une maladie chronique, de troubles du développement, de troubles d’apprentissage ou ayant des besoins médicaux complexes sont particulièrement vulnérables. Les retards de diagnostic qui s’ensuivent, notamment à l’égard des troubles du développement et des troubles d’apprentissage, de même que les autres interruptions des soins, obligent à « tout reprendre depuis le début » avec chaque nouveau professionnel de la santé et accroissent le risque de perdre ces enfants au suivi. De nombreuses communautés des FC n’ont pas accès aux spécialistes (pédiatres du développement) ni à certains tests diagnostiques ou traitements qui sont plus faciles à obtenir pour les civils des plus grands centres urbains.
Le manque de continuité des soins pose également problème pour le maintien des soins pédiatriques réguliers, tels que les mesures de la croissance et la vaccination. Une récente étude américaine des dossiers de 3421 enfants de militai res âgés de 19 à 35 mois a démontré que 28 % n’avaient pas de vaccins à jour, par rapport à 21,1 % des autres enfants. Les enfants de militaires couraient également un risque plus élevé de ne pas avoir reçu leurs séries complètes de vaccin. Les auteurs de l’étude ont conclu que le taux de mobilité élevé des familles des militaires, l’absence d’un système d’enregistrement des vaccins d’enfants pour l’ensemble des FC et les dossiers de vaccination incomplets contribuent au taux de vaccination moins élevé au sein de cette population [50].
La continuité des soins est particulièrement importante pour les enfants qui ont des besoins médicaux complexes. Dans les familles de la Force canadienne régulière qui avaient des enfants et qui ont été interrogées en 2008–2009, 8,2 % avaient au moins un enfant qui présentait des besoins particuliers [40]. Chaque province et territoire possèdent un programme distinct d’aide financière et de soutien pour les enfants ayant des invalidités, ce qui oblige les familles à faire une demande à chaque affectation dans une nouvelle province.
En plus des difficultés à socialiser lorsqu’ils arrivent dans une nouvelle école, les enfants doivent s’adapter aux programmes et aux attentes. Les services éducatifs aux enfants qui ont des besoins pédagogiques particuliers varient considérablement d’une région du pays à l’autre. Les camarades et les enseignants ne comprennent pas toujours les expériences de vie des enfants et des adolescents des familles des militaires. Les problèmes de scolarité des enfants sont d’ailleurs régulièrement cités comme la principale raison de quitter les FC [1]. Les parents militaires constatent également que la prévalence des déploiements prolongés nuit à la performance scolaire. Ce facteur est corroboré par des recherches selon lesquelles les enfants d’un parent en déploiement obtiennent des résultats nettement plus bas que leurs homologues civils dans plusieurs matières [27][51].
Grâce aux étapes suivantes, les professionnels de la santé peuvent améliorer les soins aux enfants et aux adolescents des familles des militaires :
Les Centres de ressources pour les familles des militaires (CRFM) jouent un rôle essentiel dans le soutien et les services aux familles des militaires de chaque communauté des FC [1]. On y offre des services d’orientation, d’aide à l’emploi et d’aide aux études, des répits d’urgence et des services de garde à l’enfance occasionnels, de l’éducation aux parents, du soutien lors de la séparation et des interventions en cas de crise. Les CRFM sont des organismes indépendants qui sont à l’écoute des dirigeants des FC, sans être sous leur commandement. Pour en savoir plus, consultez la page www.familyforce.ca/sites/AllLocations/FR/About%20Us/Pages/CMFRCs.aspx?.
La Ligne d’information pour les familles des CRFM offre aux membres des FC et à leur famille un accès ininterrompu et confidentiel à des conseillers formés : www.familyforce.ca/sites/FIL/FR/Pages/default.aspx?.
La Section on Uniformed Services and Chapter de l’American Academy of Pediatrics (www.aap.org/en-us/about-the-aap/Committees-Councils-Sections/Section-on-Uniformed-Services/Pages/default.aspx) contient un bilan de dépistage des enfants en santé, en anglais : http://web.jhu.edu/ pedmentalhealth/images/NNCPAP%20files/Military%20Children%20Dec%2015%20USE.pdf.
Pour obtenir d’autres ressources de l’AAP, en anglais, consultez la page www.aap.org/en-us/advocacy-and-policy/aap-health-initiatives/Pages/Deployment-and-Military.aspx.
Le comité de la santé de l’adolescent et le comité de la santé mentale et des troubles du développement de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes. Nous remercions tout particulièrement le brigadier-général Hugh Colin MacKay, médecin-chef et commandant du Groupe des services de santé des FC, et le colonel Dan Harris, services aux familles des militaires, pour leur révision et leurs commentaires.
COMITÉ DE LA PÉDIATRIE COMMUNAUTAIRE DE LA SCP
Membres :Carl Cummings MD (président), Umberto Cellupica MD (représentant du conseil), Tara Chobotuk MD, Sarah Gander MD (membre sortante), Alisa Lipson MD, Julia Orkin MD, Larry Pancer MD, Anne Rowan-Legg MD (membre sortante)
Représentante :Krista Baerg MD, section de la pédiatrie communautaire de la SCP
Auteure principale :Anne Rowan-Legg MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024