Point de pratique
Affichage : le 9 mai 2018
Laurel Chauvin-Kimoff, Allan DeCaen; Société canadienne de pédiatrie, Comité des soins aigus
Paediatr Child Health 2018 23(8):556 (Résumé)
L’oxygénothérapie à haut débit (OTHD) fournit de l’oxygène chauffé et humidifié par canule nasale aux nourrissons et aux enfants en détresse respiratoire, à des débits qui permettent d’administrer des concentrations d’oxygène plus élevées que le traitement standard à faible débit, de même qu’une pression positive dans les voies respiratoires. L’utilisation plus fréquente de l’OTHD et l’expérience des praticiens éclairent la pratique et démontrent les avantages de cette intervention pour diverses affections cliniques. Le présent point de pratique vise à décrire les pratiques exemplaires de l’OTHD chez les patients ayant une détresse respiratoire modérée à grave en pédiatrie (et non en néonatologie) et à proposer une approche sécuritaire et pratique de l’administration d’oxygène et du soutien ventilatoire.
Mots-clés : Heated humidified high-flow nasal cannula; Paediatric
L’oxygénothérapie à haut débit (OTHD) fournit de l’oxygène chauffé et humidifié par canule nasale à un débit supérieur à ce que requiert la ventilation minute. Des débits de 1 L/kg/min à 2 L/kg/min peuvent fournir des concentrations d’oxygène élevées et une certaine pression positive dans les voies respiratoires intrathoraciques [1]. Depuis son adoption en soins intensifs néonatals il y a plus de 20 ans [2], l’OTHD est de plus en plus utilisée pour soutenir les nouveau-nés, les enfants et les adultes en grave détresse respiratoire et pour éviter l’intubation ou la réintubation [3][4].
L’OTHD limite ou élimine l’inspiration d’air ambiant (et la dilution subséquente du gaz d’appoint à une fraction inspirée d’oxygène [FiO2] élevée) qui se produit pendant l’oxygénothérapie à faible débit, à l’aide d’un débit d’appoint qui « lessive » l’espace mort anatomique. Grâce à l’humidification et au réchauffement efficaces assurés par des appareils commerciaux à haut débit, on peut administrer aux patients des gaz à un débit qui serait mal toléré et désagréable autrement. Avec la pression positive continue (PPC), le débit de gaz fluctue pour maintenir une pression intrathoracique constante et positive pendant l’inspiration et l’expiration, alors qu’au contraire, l’OTHD assure un débit de gaz constant et régulier. La pression dans les voies respiratoires varie à l’inspiration et à l’expiration puisque le débit administré demeure constant. L’OTHD assure une certaine pression positive nasopharyngée et intrathoracique pendant l’expiration, en général seulement à l’administration de débits plus élevés (environ 2 L/kg/min) [5]. La thérapie à haut débit réduit considérablement la résistance des voies respiratoires supérieures et inférieures [5].
Seuls les nouveau-nés peuvent recevoir une forte concentration d’oxygène par oxygénothérapie à faible débit, alors que les enfants plus âgés et les adultes peuvent recevoir de l’oxygène à 100 % par OTHD et bien le tolérer [6][7]. Le lessivage de l’espace mort anatomique dans les voies respiratoires supérieures et intrathoraciques réduit le travail respiratoire [5]. Les études en pédiatrie n’ont pas démontré de diminution de la pression partielle du dioxyde de carbone dans le sang artériel (PaCO2) grâce à l’OTHD, mais la fréquence et le travail respiratoires s’atténuent, ce qui évoque une amélioration de la ventilation minute et de la clairance du dioxyde de carbone (CO2) [5][8]. De nombreuses études en néonatologie appuient ce type de thérapie pour limiter le recours à la ventilation invasive, notamment l’intubation [9]. La plupart des études en pédiatrie (et non en néonatologie) portent sur des nourrissons ou des jeunes enfants atteints de bronchiolite ou de pneumonie [10][11]. Selon des études préintervention et postintervention limitées, qui n’incluaient toutefois pas assez de sujets pour démontrer une diminution du taux de mortalité ou de la durée des séjours en soins intensifs, l’OTHD réduit les intubations [12]-[14]. D’après des données d’observation (séries de cas), cette thérapie pourrait être utilisée chez les jeunes patients présentant une obstruction des voies respiratoires supérieures ou une maladie neuromusculaire ou chez les enfants plus âgés atteints d’asthme ou de pneumonie, même si les données relatives à toutes ces affections sont limitées [13]-[15]. Certaines données laissent également supposer que les enfants atteints d’insuffisance cardiaque congestive peuvent profiter d’une OTHD, peut-être parce qu’elle réduit la postcharge et la précharge systémiques [16] (tableau 1).
Pour que l’OTHD soit efficace et sécuritaire, il faut réchauffer et humidifier les gaz médicaux correctement. L’administration d’un gaz sec à haut débit peut irriter les voies respiratoires, déclencher un bronchospasme et épaissir ou assécher les sécrétions respiratoires et nasopharyngées. Le circuit doit être assez large pour réduire le plus possible la résistance au débit de gaz, et la canule nasale doit être assez petite pour s’insérer dans les narines du patient sans les bloquer. Les canules trop grosses ou des sécrétions nasales excessives peuvent accroître la pression intrathoracique chez les patients qui ne peuvent pas ouvrir la bouche pour soulager la pression causée par les hauts débits de gaz. Les appareils pédiatriques commerciaux sont dotés d’une soupape de sécurité intégrée ou conçue pour capter une pression excessive dans le circuit et réduire le débit en conséquence (mise hors cycle). Les circuits commerciaux pour adultes ne sont pas dotés de ces dispositifs de sécurité, et le patient doit être en mesure d’ouvrir la bouche pour soulager la pression accrue dans le nasopharynx ou les voies respiratoires. Le choix du circuit et la dimension de la canule doivent être adaptés au patient et respecter pleinement les directives du fabricant. Les inhalothérapeutes locaux sont généralement formés pour prendre ces décisions et assister le praticien lorsqu’il en a besoin.
Au moment d’entreprendre l’OTHD, il faut régler le débit de départ entre 1 L/kg/min et 2 L/kg/min et l’accroître au besoin pour réduire au minimum le travail respiratoire (tirage, tachypnée, geignement expiratoire, battement des ailes du nez). Le débit maximal ne devrait pas dépasser 2 L/kg/min ni une limite supérieure de 50 à 60 L/min pour les patients de taille adulte. La concentration d’oxygène est souvent amorcée à une FiO2 de 50 %, puis titrée à la hausse (ou à la baisse), au besoin, pour parvenir à une saturation en oxygène ciblée de 94 % à 98 % [1][4]. À mesure que le travail respiratoire s’améliore, le débit peut être lentement titré à la baisse. La FiO2 administrée doit être réduite en fonction de la saturométrie, quel que soit le débit titré. Lorsque le patient peut tolérer un débit et une FiO2 moins élevés, on peut opter pour une oxygénothérapie à faible débit. La durée du traitement dépend de l’évolution de la maladie (qui peut s’étaler sur quelques heures ou plusieurs semaines, selon le cas). Il faut se rappeler que l’amorce de l’OTHD aggrave la détresse respiratoire de certains patients à cause de l’emmagasinage d’air ou de la pression expiratoire positive (PEP) autonome. La diminution du débit améliore alors le travail respiratoire.
Les cliniciens doivent savoir que même si l’OTHD peut améliorer considérablement l’état du patient, les cas à haut risque exigent souvent une escalade de soins et de soutien, y compris l’intubation et la ventilation en pression positive. Les patients très malades doivent être maintenus en observation et sous monitorage et subir de fréquentes évaluations respiratoires dans un milieu où ils ont toujours accès à un soutien ventilatoire rapide. Les établissements doivent se doter de protocoles qu’ils évaluent dans la pratique (incluant un ratio entre les infirmières et les inhalothérapeutes) pour s’assurer que l’utilisation de l’OTHD est appropriée, efficace et sécuritaire.
L’OTHD n’améliore pas l’état de tous les patients, qui ont alors souvent besoin d’une ventilation en pression positive et d’un soutien à l’unité de soins intensifs. Ces patients présentaient peut-être déjà une PaCO2 élevée avant l’OTHD, ainsi qu’une grave tachypnée ou une non-amélioration de leur état au cours des quelques premières heures du traitement [13][17]-[19]. Un débit de gaz excessif peut nuire à l’expiration chez certains patients présentant une résistance élevée des voies respiratoires. Des pressions intrathoraciques plus marquées peuvent réduire la précharge ou accroître la postcharge ventriculaire et entraîner une instabilité hémodynamique, particulièrement chez les patients hypovolémiques. L’OTHD est contre-indiquée en cas d’obstruction nasale, d’épistaxis et de grave obstruction des voies respiratoires supérieures. Certains rapports de cas font état d’un syndrome de fuite d’air (pneumothorax) ou de distension abdominale (attribuable à l’ingestion de gaz) imputable à l’OTHD, mais ces cas sont rares, et leur cause n’est pas établie [20]. Lorsque l’OTHD est administrée à des patients qui ont un traumatisme facial ou qui viennent de subir une chirurgie des voies respiratoires supérieures ou de l’œsophage, le « troisième espace » occupé par de l’air peut également provoquer des complications. Un arrêt subit ou un échec de l’OTHD peut provoquer une détérioration rapide de l’état respiratoire et hémodynamique, ce qui nécessite un monitorage attentif.
On ne possède pas d’expérience clinique sur l’OTHD pendant le transport, et le nombre d’appareils d’OTHD approuvé à cet effet est limité. Les patients qui doivent être transférés vers d’autres niveaux de soins ou vers des niveaux de soins plus élevés ne toléreront peut-être pas de revenir à une oxygénothérapie à faible débit et pourraient avoir besoin d’un soutien ventilatoire d’appoint (intubation ou pression positive biphasique [BiPAP]) pour être transférés en toute sécurité. Il faut tenir compte de ce risque lorsqu’on envisage ou entreprend une OTHD sans avoir accès à des soins intensifs sur place. Une discussion rapide avec les ressources de transport médical locales déterminera s’il est raisonnable de recourir à l’OTHD pendant le transport d’un patient donné.
Le comité de la pédiatrie communautaire et la section de la pneumologie de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent point de pratique.
Membres : Carolyn Beck MD, Laurel Chauvin-Kimoff MD (présidente), Kimberly Dow MD (représentante du conseil), Catherine Farrell MD (membre sortante), Evelyne D. Trottier MD, Kristina Krmpotic MD, Kyle McKenzie MD
Représentants : Kevin Chan MD, section de la médecine d’urgence pédiatrique de la SCP; Marie-Joëlle Doré-Bergeron MD, section de la pédiatrie hospitalière de la SCP
Auteurs principaux : Laurel Chauvin-Kimoff MD, Allan DeCaen MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024