Document de principes
Affichage : le 3 mai 2017 | Reconduit : le 24 février 2023
Christina N Grant, Richard E Bélanger; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé de l’adolescent
Paediatr Child Health 2017;22(2):103-108
L’usage du cannabis, la drogue illicite la plus consommée dans le monde, est fréquent chez les adolescents canadiens. La consommation de cannabis à l’adolescence peut provoquer des modifications fonctionnelles et structurelles du cerveau en développement et induire une atteinte cérébrale. Dans ce groupe d’âge, la consommation de marijuana s’associe fortement à la dépendance au cannabis et à d’autres troubles de l’usage d’une substance, à l’adoption et au maintien du tabagisme, à l’augmentation des troubles de santé mentale, y compris la dépression, l’anxiété et la psychose, à une perturbation du développement neurologique et à un déclin cognitif ainsi qu’à une diminution de la performance scolaire et des réalisations au cours de la vie. Le taux de soins médicaux aigus et d’hospitalisations chez les jeunes enfants qui ont consommé involontairement du cannabis est en hausse. Compte tenu du débat en cours sur la réglementation du cannabis au Canada, l’examen attentif des preuves de ses effets sur la santé et la mise en place de mécanismes de protection deviennent des priorités absolues en santé publique.
Mots-clés : Adolescents, CUD, CWS, Neurodevelopment, THC, Youth
Le cannabis désigne diverses préparations psychoactives de la plante Cannabis sativa, y compris la marijuana (les feuilles et les boutons de fleurs, séchés et écrasés), le haschisch (la résine des boutons de fleurs) et les extraits de cannabis (les huiles et la cire). Les termes pot, herbe, mari et weed sont couramment utilisés pour nommer la marijuana. Selon sa présentation, le cannabis peut être inhalé (sous forme de fumée ou de vapeur) ou ingéré. Lorsque le cannabis est fumé, les joints (cigarettes de cannabis), les blunts (cigares de cannabis) et les pipes (des petits dispositifs personnels aux gros bongs partagés) sont très courants. L’intérêt croissant pour la cigarette électronique chez les jeunes a favorisé la pratique plus récente du « vapotage » de cannabis [1]. Les diverses formes d’aliments contenant de la marijuana, y compris les biscuits et les bonbons, peuvent également attirer les ado lescents qui ne veulent pas fumer [2].
Même si, dans un contexte de recherche, certains participants prétendent que la consommation de cannabis à des fins récréatives a des effets positifs [3], la plupart des publications scientifiques portent sur ses effets délétères. À; la lumière du débat public actuel sur la décriminalisation et la légalisation du cannabis au Canada, les pédiatres et les autres professionnels de la santé doivent connaître les effets de la consommation de cannabis sur la santé physique et mentale des adolescents ainsi que les risques pour les enfants plus jeunes qui y sont exposés involontairement. La Société canadienne de pédiatrie a traité du cannabis à des fins médicales dans un récent document de principes [4].
Le cannabis est la drogue illicite la plus consommée dans le monde. En 2010, les jeunes Canadiens arrivaient au premier rang de la consommation de cannabis dans 43 pays et régions d’Europe et d’Amérique du Nord, le tiers d’entre eux (des deux sexes) ayant essayé le cannabis au moins une fois avant l’âge de 15 ans [5]. Il y a des variations régionales quant à la fréquence de consommation de cannabis au Canada. Celle-ci est plus élevée dans les pro vinces de l’Atlantique et de l’Ouest que dans les autres régions [6]. Les adolescents autochtones sont particulièrement à risque. En effet, près des deux tiers des jeunes Inuits de 15 à 19 ans ayant participé à une étude antérieure réalisée au Nunavik, au Québec, ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours de l’année précédente [7]. En 2015, 13,8 % des élèves de la 7e à la 12e année de l’Ontario ont affirmé avoir consommé du cannabis au cours du mois précédent, tandis que les élèves de 12e année ont signalé la consommation quotidienne la plus élevée, à 5,6 % [8]. La fréquence de consommation augmente à mesure que les élèves progressent dans leur parcours au secondaire, mais la consommation globale a diminué chez les jeunes Canadiens depuis le tournant du siècle.
On constate une relation inverse préoccupante : à mesure que la perception de danger liée au cannabis diminue, la fréquence de consommation de cannabis augmente [8]. Une étude préliminaire est en cours au sujet de l’effet de la légalisation du cannabis sur le taux de consommation chez les ado lescents de certaines régions des États-Unis. Même si les premiers rapports du Colorado et de l’État du Washington ne semblent pas indiquer d’augmentation significative de la prévalence chez les adolescents [9][10], le Colorado a récemment signalé l’une des prévalences les plus élevées de consommation de cannabis chez les adolescents aux États-Unis, tandis que les autres États ont constaté une diminution de la consommation au cours de la même période. Le Colorado a également signalé une augmentation du taux de consommation à mesure que les élèves progressent dans leurs études au secondaire [10], tandis que les perceptions de risque ont diminué chez les jeunes des deux États [9][10].
Depuis 15 ans, la recherche scientifique a établi que le cerveau humain continue de se développer jusqu’au début de la vingtaine. On craint de plus en plus que, pendant cette période de développement importante, l’exposition au cannabis cause des effets indésirables plus graves chez les adolescents que chez les adultes plus âgés, dont le cerveau est complètement développé [11][12]. Le delta-9- tétrahydrocannabinol (THC), qui stimule les récepteurs cannabinoïdes, est l’un des principaux produits responsables des changements perceptuels et émotionnels associés au cannabis. Ces récepteurs modu lent la sécrétion d’acide gamma-aminobutyrique et de glutamate dans le système nerveux central, deux neurotransmetteurs qui ont des effets importants sur le développement neurologique du cerveau [13]. Le cortex frontal, responsable des processus cognitifs de haut niveau, tels que le jugement et la prise de décision, subit des changements rapides et, par conséquent, est plus sensible au THC [14]–[16]. Le système endocannabinoïde, qui participe à la maturation des réseaux de neurones corticaux par la modulation de la dopamine, est également touché. Lorsque le THC exogène y pénètre, il cible beaucoup plus de récepteurs que les cannabinoïdes endogènes et « submerge » les récepteurs, ce qui donne deux résultats principaux : un système qui ne fonctionne plus avec autant d’efficacité et des changements toxiques aux neurones ciblés [17].
Par ailleurs, des changements structurels visibles à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) sont attestés chez les adolescents qui consomment régulièrement du cannabis. Les images révèlent un volume cérébral plus faible, des circonvolutions différentes et un amincissement du cortex, une connectivité neurale amoindrie et une moins grande intégrité de la matière blanche, tous indicateurs de lésions causées par le THC [18]. Enfin, des études d’ima gerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle chez des adolescents qui consomment régulièrement du cannabis ont démontré une augmentation de l’activité neurale, c’est-à-dire que le cerveau travaille davantage pour exécuter des tâches. En d’autres mots, le cerveau doit vaincre ou compenser la perte d’intégrité attribuable aux effets du cannabis [19]. Fait important, la teneur en THC de la marijuana actuellement sur le marché est de deux à quatre fois plus élevée que celle des produits qui étaient habituellement offerts à la vente il y a 40 ans [20]. Ainsi, les répercussions sont probablement amplifiées sur le cerveau de l’adolescent.
L’expérience d’être high ou la sensation de défonce décrite par les consommateurs englobe toute une palette de sensations. L’euphorie, la déformation des perceptions et la relaxation sont les plus courantes. Certains ressentent une extrême anxiété et des symptômes analogues à des crises de panique [21]. Les domaines d’atteinte démontrés sont la mémoire à court terme, l’exécution de tâches mentales complexes, l’attention et le jugement. Les temps de réaction et la motricité sont également perturbés [22]. De nombreux consommateurs occasionnels de cannabis ne ressentent que les effets escomptés du high, mais les risques d’expérience indésirable demeurent, particulièrement chez les consommateurs réguliers.
La conduite sous l’effet du cannabis est désormais plus fréquente chez les adolescents que la conduite en état d’ébriété [8]. En 2015, 9,8 % des étudiants ontariens de la 10e à la 12e année qui possédaient un permis de conduire ont admis avoir conduit au moins une fois après avoir consommé du cannabis au cours de l’année précédente [8]. Une méta-analyse a révélé que le risque d’accident de voiture était plus de deux fois plus élevé après la consommation de cannabis [23]. Des études de simulation ont déterminé les déficits associés à la conduite sous l’effet du cannabis, la diminution de la capacité de demeurer dans sa voie étant la compétence la plus touchée [24][25]. D’après une étude récente, seulement 48 % des adolescents canadiens de 16 à 19 ans convenaient du danger lié à la conduite sous l’effet du cannabis, par rapport à 79 % qui admettaient le risque de conduire en état d’ébriété [26]. En fait, dans ces deux situations, la qualité de la conduite est considérablement compromise, et les effets sont probablement cumulatifs [26]. Cependant, même si les taux d’éthanol sont facilement mesurables et peuvent indiquer une consommation récente d’alcool, on cherche toujours des marqueurs de laboratoire fiables pour attester d’une consommation aiguë de cannabis. En effet, les métabolites peuvent persister jusqu’à 77 jours dans l’urine après la dernière consommation de cannabis [27].
Par ailleurs, la consommation d’aliments contenant du cannabis peut être une source involontaire de toxicité, car son absorption peut s’étaler sur plusieurs heures, au lieu de quelques minutes lorsque le cannabis est fumé [2]. Une personne qui ne ressent pas encore les effets du cannabis risque d’en surconsommer. De plus, il est particulièrement préoccupant de constater que de jeunes enfants consomment involontairement des aliments fabriqués pour ressembler à des bonbons. Au Colorado, les taux d’ingestion involontaire par des enfants de moins de neuf ans a augmenté de 34 % après la légalisation du cannabis [28]. Ainsi, 35 % de ces enfants ont dû être hospitalisés en raison de symptômes de surdose, y compris une grave somnolence et une dépression respiratoire [28].
On estime qu’un jeune sur six qui consomme du cannabis à l’adolescence répond aux critères de dépendance [29][30]. Le trouble de l’usage du cannabis (TUC), un nouveau diagnostic du DSM-5, regroupe la surconsommation de cannabis et la dépendance au cannabis [31]. Le TUC est défini par un profil problématique de consommation de cannabis qui provoque une atteinte importante de la fonction ou de la détresse sur une période de 12 mois [31]. En général, les adolescents présentent les atteintes fonctionnelles suivantes : diminution de la performance scolaire, absentéisme scolaire, diminution de la participation aux activités parascolaires et baisse d’intérêt à l’égard de ces activités, désengagement des groupes d’amis habituels et conflits avec la famille. La prévalence de TUC sur 12 mois chez les adolescents nord-américains se situe juste au-dessus de 3 %. Dans ce groupe, les garçons et les jeunes plus âgés sont représentés de façon disproportionnée [29].
Pour la première fois, le sevrage du cannabis (SC) est considéré comme un diagnostic psychiatrique dans le DSM-5 [31]. Le SC désigne la présence d’au moins deux des cinq symptômes psychologiques suivants : l’irritabilité, l’anxiété, les symptômes dépressifs, les troubles du sommeil et la diminution de l’appétit, et au moins l’un des six symptômes physiques suivants : les douleurs abdominales, les tremblements, la fièvre, les frissons, les céphalées et la diaphorèse, après l’arrêt d’une forte consommation de cannabis. Par ce terme, on entend une consommation quotidienne ou presque quotidienne pendant au moins quelques mois. Souvent, les symptômes de sevrage se manifestent de 24 heures à 72 heures après la dernière consommation [32] et subsistent pendant une à deux semaines. Les troubles du sommeil persistent souvent jusqu’à un mois. Le SC peut rendre l’arrêt du cannabis plus difficile et contribuer aux rechutes [32].
La consommation de cannabis est étroitement liée à la consommation d’autres substances, notamment l’alcool et le tabac. La consommation problématique d’alcool chez les adolescents s’associe fortement à la consommation de cannabis [33]. La consommation de marijuana et de tabac à l’âge de 18 ans est prédictive d’une consommation importante d’alcool à l’âge de 35 ans [34]. Quatre-vingts pour cent des jeunes consommateurs de cannabis fument également du tabac [35][36], ce qui est indicateur d’un lien étroit entre ces deux drogues. La consommation de cannabis est également liée au tabac par le mulling, c’est-à-dire l’ajout de tabac aux cigarettes de cannabis [37]. Le mélange des deux substances facilite la combustion et entraîne une importante exposition à la nicotine [38]. La consommation simultanée de tabac et de cannabis contribue considérablement aux symptômes de dépendance au cannabis, car les symptômes de sevrage qui suivent l’abandon simultané des deux substances sont plus marqués qu’après l’abandon d’une seule d’entre elles [39].
Pour ce qui des autres drogues, une étude longitudinale prospective a démontré que la consommation de cannabis à l’adolescence sextuple la future consommation d’ecstasy [40]. Une étude réalisée en France auprès d’adultes et d’adolescents a établi que 0,4 % de ceux qui n’avaient pas consommé de cannabis au cours de l’année précédente avait expérimenté d’autres drogues, par rapport à 25 % des consommateurs réguliers de cannabis [41]. On remarque une tendance récente : la consommation de cannabinoïdes synthétiques, qu’on appelle K2 ou spice. Ces produits peuvent être cent fois plus puissants que le THC [42], et leur risque d’effets toxiques, tels que l’insuffisance rénale aiguë et la mort, est plus élevé [43].
D’après les recherches, il y a une forte association entre la consommation quotidienne de cannabis et la dépression chez les adolescents et les jeunes adultes. Cependant, la relation causale n’est pas encore établie. Selon des études épidémiologiques, une forte consommation de cannabis est liée à une augmentation des troubles de l’humeur, particulièrement chez les personnes déjà vulnérables à des épisodes dépressifs majeurs (ÉDM) [44][45]. Une étude a démontré un risque d’ÉDM trois fois plus élevé [46]. Des données récentes indiquent toutefois que la consommation de cannabis amorcée à l’adolescence doit se poursuivre jusqu’au début de l’âge adulte pour qu’on puisse l’associer à la dépression [47]. Les données confirmant une association précise entre la consommation de cannabis et les troubles anxieux sont moins fiables. Cependant, une vaste étude de cohorte révèle une association entre la consommation fréquente de cannabis et l’incidence de symptômes d’anxiété chez les jeunes adultes [48]. Il semble également que le trouble d’anxiété sociale et le syndrome de stress post-traumatique sont des facteurs de risque de profils problématiques de consommation de cannabis [48][49].
Le cannabis peut susciter une psychose aiguë ou transitoire chez les adolescents, même s’ils n’ont pas d’antécédents de maladie mentale. Divers symptômes psychotiques sont signalés, tels que la dépersonnalisation, la déréalisation, l’euphorie onirique, la désorientation, le délire, les hallucinations et l’idéation paranoïde [50]. Les meilleures preuves d’un effet direct du cannabis sur la perception et la fonction cognitive proviennent de recherches sur des volontaires en bonne santé qui ont présenté des symptômes transitoires évocateurs de la schizophrénie après s’être fait administrer du THC par voie intraveineuse [51]. Chez certains adolescents, les symptômes psychotiques aigus ou transitoires ont subsisté plusieurs jours et entraîné une consultation en vue d’une évaluation médicale ou psychiatrique. De vastes études longitudinales ont démontré que plus de 50 % des jeunes qui présentent ces symptômes éprouveront un trouble psychotique plus tard [52].
Même si le risque absolu de psychose est faible, le risque de problèmes psychotiques de quelque nature que ce soit augmente de 40 % chez les personnes qui ont consommé du cannabis au cours de leur vie [53]. L’association marquée entre une forte consommation de cannabis et la psychose est attestée à maintes reprises dans les publications. Cette association semble liée dans le temps, présente une relation dose-réponse et est plausible sur le plan biologique [54]. Une méta-analyse a établi un lien entre la consommation de cannabis et l’apparition d’une maladie psychotique, ce qui soutient l’hypothèse d’un facteur causal entre une telle consommation et l’apparition d’une psychose chez certaines personnes, particulièrement celles dont un membre de la famille a des antécédents de psychose ou qui en ont elles-mêmes déjà été victimes [55].
Dans l’ensemble, les personnes atteintes d’un trouble psychotique présentent un taux plus élevé de consommation de cannabis que celles qui éprouvent d’autres troubles de santé mentale, à l’exception des troubles de l’usage d’une substance. Plus précisément, la schizophrénie se déclare généralement vers la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte, et de plus en plus de données indiquent un lien causal avec une forte consommation de cannabis. La prévalence de schizophrénie est d’environ 1 % au sein de la population adulte, mais ce risque double chez les grands consommateurs de cannabis [55]. D’après des données récentes, la consommation de cannabis à forte teneur en THC accroît encore ce risque [56].
La relation entre la consommation de cannabis et la performance scolaire est complexe. On ne sait pas s’il y a un lien de causalité direct entre la consommation et le niveau de performance, mais on constate des associations indéniables entre la consommation de cannabis chez les jeunes et un plus faible niveau de scolarité [57]. Ce lien pourrait être attribuable au fait que les élèves qui réussissent moins bien à l’école sont plus susceptibles de consommer du cannabis. En outre, la consommation de cannabis et un niveau de scolarité sous la moyenne peuvent partager les mêmes facteurs de risque [57]. Cependant, l’observation selon laquelle la fonction cognitive, et particulièrement la mémoire de travail, est perturbée à la fois pendant la consommation de cannabis et dans les jours suivants laisse croire à un lien direct entre la consommation de cannabis et une moins bonne performance scolaire [58]. Une perturbation de la performance cognitive à court terme peut amener les élèves à prendre du retard, et ainsi les désavantager dans le cadre de leurs prochains apprentissages. De plus, les personnes qui commencent à consommer du cannabis au début de l’adolescence ou qui en consomment de manière chronique risquent de présenter des atteintes cognitives à long terme [59]. Plus précisément, on remarque des déficits sur le plan des facultés décisionnelles, de la formation de concepts et de la planification, et selon des études, les consommateurs de cannabis sont moins susceptibles de terminer leurs études secondaires [57].
Les recherches scientifiques sont équivoques quand vient le temps d’associer quotient intellectuel (QI) et cannabis. Selon deux études longitudinales récentes sur des jumeaux, les résultats au test de QI des consommateurs de cannabis diminuaient considérablement au fil du temps, mais tout de même pas de manière significative par rapport à ceux de leur jumeau qui ne consommait pas de cannabis [60]. Auparavant, une vaste étude de cohorte avait indiqué que les résultats au test de QI diminuaient considérablement chez les grands consommateurs de cannabis qui avaient fait l’objet d’un suivi prospectif entre l’adolescence et l’âge mur [61]. Une relation dose-réponse avait été observée, selon laquelle plus la consommation s’étalait dans le temps, plus son effet sur le QI était prononcé. Si la forte consommation de cannabis se maintenait pendant le suivi, les résultats au test de QI chutaient d’une moyenne de dix points. De plus, le déclin cognitif était plus important chez les personnes qui étaient devenues de grands consommateurs à l’adolescence que chez celles qui avaient commencé à consommer après l’âge de 18 ans.
Tous les facteurs précédents peuvent contribuer à un taux plus élevé d’inemploi, de participation à des activités criminelles et de besoin d’aide sociale et ainsi exacerber le sentiment d’insatisfaction que ressentent les grands consommateurs de cannabis face à la vie [62]. De multiples facteurs expliquent probablement l’association entre la consommation de cannabis et les moins grandes réalisations au cours de la vie, et la consommation régulière peut en être à la fois la cause et la conséquence. Il faut se rappeler que des atteintes cognitives sont liées au cannabis et que certains de ces effets sont plus importants lorsque le cannabis est consommé à l’adolescence [63]. Parmi toutes les trajectoires de consommation du cannabis, les non- consommateurs présentent toujours la situation socioéconomique et l’état de santé les plus favorables à l’âge de 29 ans, tandis que les personnes qui deviennent de grands consommateurs dès un jeune âge obtiennent les résultats les moins favorables [13].
On ne devrait pas consommer de cannabis à des fins récréatives en raison de la gravité de ses nombreux effets délétères potentiels. Ces effets touchent l’ensemble de la population, mais le cerveau en développement est particulièrement sensible aux conséquences de la consommation de cannabis. Les jeunes Canadiens courent un risque élevé de TUC et peuvent doubler leur risque de maladie psychotique. La conduite sous l’effet du cannabis accroît les risques d’accident d’automobile. Dans les régions des États-Unis où le cannabis est légalisé, le taux de soins médicaux d’urgence des enfants a augmenté à cause de l’ingestion involontaire de cette substance.
L’expansion potentielle de l’industrie du cannabis légal au Canada soulève un dilemme quant à l’âge le plus approprié pour le consommer en toute légalité, tout en limitant les préjudices pour les enfants et les adolescents, qui forment la population la plus vulnérable à la consommation de ce produit. D’une part, l’interdiction de la consommation de cannabis jusqu’au milieu de la vingtaine protégerait les adolescents pendant une période critique du développement cérébral. D’autre part, les adolescents et les jeunes adultes expérimentent déjà souvent la marijuana. En faisant concorder l’âge légal de consommation du cannabis avec celui des autres substances contrôlées, notamment l’alcool et le tabac, on pourrait s’assurer que les jeunes ayant atteint la majorité aient accès à un produit réglementé, dont on connaîtrait la teneur. Ces jeunes seraient également moins susceptibles de se livrer à des activités illégales à haut risque pour obtenir du cannabis.
La législation sur le cannabis aura des répercussions importantes sur la vie et la santé des enfants et des adolescents. C’est pourquoi des mécanismes de protection s’imposent. Compte tenu des risques sur la santé physique et mentale et des nombreuses questions en jeu en matière de droit, de finance et de sécurité publique, les décideurs, avec l’appui des médecins et du grand public, doivent continuer de limiter l’accès au cannabis.
Pour protéger les enfants et les adolescents des dangers liés à la consommation de cannabis à des fins récréatives et à la dépendance au cannabis, la Société canadienne de pédiatrie fait les recommandations suivantes :
Les gouvernements doivent :
Les travailleurs de la santé doivent :
Le comité de la bioéthique, le comité de la pédiatrie communautaire, le comité de la pharmacologie et des substances dangereuses et le comité de la santé mentale et des troubles du développement de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes. Les auteurs tiennent à remercier la docteure Heather VanderMeulen pour son apport aux parties du manuscrit sur la conduite automobile sous l’effet du cannabis et sur la performance scolaire, le déclin cognitif et les réalisations au cours de la vie.
Membres : Giuseppina Di Meglio MD, Natasha Johnson MD, Margo Lane MD (présidente), Karen Leis MD (représentante du conseil), Mark Norris MD, Gillian Thompson IP-Pédiatrie (membre sortante), Ellie Vyver MD
Représentante : Christina N Grant MD, section de la santé de l’adolescent de la SCP
Auteurs principaux : Christina N Grant MD, Richard E Bélanger MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 8 février 2024