Document de principes
Affichage : le 1 juin 2007 | Reconduit : le 28 février 2018
KJ Barrington, K Sankaran; Société canadienne de pédiatrie, Comité d’étude du fœtus et du nouveau-né
Version abrégée : Paediatr Child Health 2007;12(5):13B-24B
L’hyperbilirubinémie est très courante et généralement bénigne chez les nouveau-nés à terme et peu prématurés de 35 à 36 semaines complètes d’âge gestationnel. L’hyperbilirubinémie gravissime est rare, mais peut provoquer des anomalies neurologiques à long terme. Le congé précoce du nouveau-né en santé, notamment lorsque l’allaitement n’est pas entièrement établi, peut s’associer à un retard de diagnostic d’hyperbilirubinémie importante. Des lignes directrices pour prédire, prévenir, dépister, surveiller et traiter l’hyperbilirubinémie grave sont présentées.
Mots-clés : 35 weeks’ gestation; Hyperbilirubinemia; Jaundice; Preterm newborn; Term newborn
La prévention, le dépistage et la prise en charge de la jaunisse chez les nouveau-nés à terme et peu prématurés autrement en santé demeurent problématiques, en partie parce que la jaunisse est très courante et que l’ictère nucléaire est comparativement très rare [4]-[6]. On estime que 60 % des nouveau-nés à terme font une jaunisse et que 2 % atteignent une concentration de BST supérieure à 340 µmol/L [7]. L’encéphalopathie aiguë ne se manifeste pas chez les nourrissons à terme dont la concentration de BST demeure sous 340 µmol/L, et elle est très rare si la concentration de BST de pointe ne dépasse pas 425 µmol/L. Au-dessus de ce taux, le risque de toxicité augmente progressivement [8][9]. Plus des trois quarts des nourrissons inscrits au registre d’ictère nucléaire des États-Unis (entre 1992 et 2002) avaient une concentration de BST de 515 µmol/L ou plus, et les deux tiers, une concentration de plus de 600 µmol/L [10]. Même si leur concentration dépasse 500 µmol/L, certains nourrissons échappent à l’encéphalopathie. On ne connaît pas toutes les raisons de cette variabilité de la susceptibilité à l’encéphalopathie, mais la déshydratation, l’hyperosmolarité, la détresse respiratoire, l’anasarque, la prématurité, l’acidose, l’hypoalbuminémie, l’hypoxie et les convulsions augmenteraient le risque d’encéphalopathie aiguë en présence d’hyperbilirubinémie grave [9][11]. Il manque toutefois de données probantes fiables pour confirmer ces associations [12]. En outre, certains nourrissons atteints d’hyperbilirubinémie grave souffrent de sepsis, mais la sepsis et l’hyperbilirubinémie sont toutes deux courantes pendant la période néonatale, et la sepsis semble rare chez le nourrisson atteint d’hyperbilirubinémie grave qui semble en bonne santé.
Des degrés moindres d’hyperbilirubinémie, ne donnant pas lieu à une encéphalopathie aiguë clinique, pourraient également être neurotoxiques et provoquer des complications moins graves à long terme. Ce postulat demeure controversé, mais s’il existe des concentrations de bilirubine qui peuvent susciter une atteinte cérébrale discrète, on n’en connaît pas les seuils [13]-[15]. Le projet coopératif périnatal, qui portait sur 54 795 naissances vivantes aux États-Unis, n’a pu établir d’association entre les concentrations de BST de pointe situées sous les seuils critiques et le QI ou d’autres issues indésirables [12]. Par conséquent, pour prévenir l’encéphalopathie aiguë, il demeure justifié d’assurer la prévention, le dépistage et le traitement de l’hyperbilirubinémie grave [16][17].
On ne connaît pas vraiment l’incidence d’encéphalopathie aiguë, mais on en observe toujours des cas. Le Programme canadien de surveillance pédiatrique (PCSP) a récemment fait état de 258 cas de nourrissons à terme, répartis sur une période de deux ans (2002 à 2004), qui ont eu besoin d’une exsanguinotransfusion ou ont souffert d’une hyperbilirubinémie gravissime (à l’exclusion des nourrissons présentant une iso-immunisation Rh) [18]. Vingt pour cent de ces nourrissons avaient au moins un signe neurologique anormal à la présentation, et 5 % conservaient une perte auditive ou d’importantes séquelles neurologiques au congé. Pendant cette période, le taux de naissances vivantes au Canada s’élevait à environ 330 000 nourrissons par année, ce qui sous-tend une incidence extrapolée minimale d’environ quatre cas pour 10 000 naissances vivantes d’hyperbilirubinémie de cette gravité. Si on postule que les 20 % de nourrissons chez qui on relevait des signes neurologiques à la présentation étaient tous atteints d’une encéphalopathie bilirubinémique aiguë, l’incidence de cette complication serait de un cas pour 10 000 naissances vivantes, soit une incidence similaire à celle de la phénylcétonurie. On ne connaît pas davantage l’incidence d’encéphalopathie chronique, mais on estime qu’elle équivaut à environ un cas pour 100 000 naissances [19][20]. Cette situation se produit même si un grand nombre de nourrissons profitent déjà d’une prophylaxie intensive [11]. Le rapport du PCSP [18] soulignait que 13 des nourrissons continuaient de présenter des anomalies neurologiques importantes à leur congé définitif, ce qui laisse supposer une incidence d’encéphalopathie bilirubinémique chronique de un cas pour 50 000 nourrissons, similaire à la fréquence déclarée dans une étude danoise [21].
On a d’abord observé l’encéphalopathie bilirubinémique aiguë chez des nourrissons atteints d’une maladie hémolytique Rh. Il est maintenant possible d’éviter en grande partie cette étiologie, qui est devenue rare. Selon les rapports [22][23], l’encéphalopathie bilirubinémique aiguë continue de se manifester chez des nourrissons autrement en santé qui présentent des facteurs de risque discernables, et qui parfois n’en présentent pas. La prévention de cette maladie rare mais grave exige une évaluation clinique convenable, une interprétation de la concentration de la BST et un traitement, lesquels font appel à tous les systèmes reliés à la prestation des soins et au soutien communautaire.
On a repéré plusieurs facteurs de risque d’apparition d’hyperbilirubinémie grave chez le nouveau-né (tableau 1). Ces facteurs de risque sont tous courants, et le risque attribuable à chacun est donc très faible. Ils sont d’un usage limité pour orienter la surveillance, l’exploration ou le traitement, mais peuvent être utiles en association avec une analyse extrapolée de la BST. Il faut également souligner que même si de nombreuses études ont démontré une augmentation du risque d’hyperbilirubinémie grave avec l’allaitement, une étude [24] a révélé que l’allaitement exclusif était relié à une diminution de l’incidence d’hyperbilirubinémie. Ces résultats sont peut-être représentatifs de différences culturelles dans l’approche de l’allaitement et des mécanismes de soutien en place.
TABLEAU 1 Les facteurs de risque d’apparition d’une hyperbilirubinémie grave |
|
Facteur de risque |
Rapport de cotes approximatif par rapport au reste de la population |
Jaunisse visible à moins de 24 h de vie |
Mal défini |
Jaunisse visible avant le congé, quel que soit l’âge |
Mal défini |
Gestation plus courte (moins de 38 semaines) |
À 36 semaines, 1,9 à 7,7 |
Membre de la fratrie ayant souffert d’une hyperbilirubinémie grave |
4,8 |
Ecchymoses visibles |
2,6 |
Céphalhématome |
3,6 |
Sexe masculin |
1,3 à 1,7 |
Mère de plus de 25 ans |
2,6 |
Ascendance asiatique ou européenne |
5,2 ou 1,2, respectivement |
Déshydratation |
Tributaire de la gravité |
Allaitement exclusif ou partiel |
Très variable dans les publications |
Le présent document de principes vise à élaborer des lignes directrices de pratique fondées sur des réponses probantes aux questions suivantes :
On a effectué une recherche dans MEDLINE et dans Cochrane Library, mise à jour pour la dernière fois en janvier 2007. On a cherché les termes hyperbilirubinemia et newborn dans MEDLINE et appliqué les filtres de recherche clinique de Haynes et coll. [25] au moyen de l’option sensible large. On a procédé à d’autres recherches sans le filtre pour trouver des publications sur des sujets précis. On a appliqué la hiérarchie des preuves proposée par le Centre for Evidence-Based Medicine au moyen de la qualité des preuves, tant à l’égard du traitement que du pronostic [26] (tableau 2). On a également examiné les listes de référence des publications récentes, notamment une analyse probante menée par Ip et coll. [16] et une analyse plus détaillée effectuée par le même auteur [12] pour le compte de l’Agency for Healthcare Research and Quality du Department of Health and Human Services des États-Unis. Enfin, on a examiné les références du récent document de principes de l’American Academy of Pediatrics [11].
TABLEAU 2 Qualité des preuves |
|||
Qualité de traitement |
Pronostic |
Diagnostic |
|
1a |
AS (avec homogénéité) des ECA |
AS (avec homogénéité) des études de cohortes prospectives |
AS (avec homogénéité) des études diagnostiques de qualité 1 |
1b |
ECA individuel (avec IC étroit) |
Étude de cohortes prospectives avec un suivi de 80 % ou plus |
Validation de l’étude de cohortes par de bonnes normes de référence |
2a |
AS (avec homogénéité) des études de cohortes |
AS (avec homogénéité) d’études de cohortes rétrospectives ou de groupes témoins non traités dans le cadre d’un ECA |
AS (avec homogénéité) d’une qualité supérieure à deux études diagnostiques |
2b |
Étude de cohortes individuelle (ou ECA de mauvaise qualité; p. ex., moins de 80 % de suivi) |
Étude de cohortes rétrospective ou suivi de patients témoins non traités dans le cadre d’un ECA |
Étude de cohortes exploratoires avec de bonnes normes de référence |
3a |
AS (avec homogénéité) des études cas-témoins |
AS (avec homogénéité) des études de qualité 3b de plus |
|
3b |
Études cas-témoins individuelles |
Étude non consécutive ou dont les normes de référence n’ont pas été appliquées de manière uniforme |
|
4 |
Série de cas (et études de cohortes ou cas-témoins de mauvaise qualité) |
Série de cas (et études de cohortes pronostiques de mauvaise qualité) |
Étude cas-témoins, normes de référence de mauvaise qualité ou non indépendantes |
5 |
Opinion d’experts sans évaluation critique explicite ou fondée sur la physiologie, la recherche fondamentale ou les « principes de base », |
||
Données tirées de la référence [26]. ECA Essai clinique aléatoire; AS analyse systématique |
On peut utiliser des mesures extrapolées rigoureuses de la BST pour prédire la possibilité d’apparition d’une hyperbilirubinémie grave. Une étude [9] au sein d’une population multiethnique nord-américaine de nouveau-nés à terme et peu prématurés (35 semaines ou plus d’âge gestationnel), de poids pertinent d’après l’âge gestationnel et qui n’avaient pas obtenu de résultat positif à un test de Coombs direct, a démontré que la mesure extrapolée de la concentration de BST au congé (entre 18 h et trois jours de vie) permettait de prédire une future mesure de BST supérieure au 9e percentile des limites de confiance établies (le 95e percentile correspondait à environ 300 µmol/L après 96 h de vie) (qualité de preuves 1b). Lorsque la concentration de BST se situait sous le 40e percentile au moment de la mesure, on n’observait aucun cas de concentration de BST subséquente au-dessus du 95e percentile. Lorsqu’elle se situait entre le 40e et le 75e percentile, seulement 2,2 % des nourrissons développaient une concentration de BST supérieure au 95e percentile. Enfin, lorsqu’elle était supérieure au 75e percentile, 12,9 % des nourrissons dépassaient le 95e percentile par la suite [9]. On peut également procéder à une évaluation systématique de la BST à six heures de vie chez les nourrissons à terme et peu prématurés pour prédire une concentration de BST plus élevée que 238 µmol/L chez les nourrissons au poids de naissance de 2 kg à 2,5 kg, et plus élevée que 289 µmol/L chez les nourrissons au poids de naissance de plus de 2,5 kg [15] (qualité de preuves 1b). L’association d’une mesure extrapolée de la BST à moins de 48 heures à un indice de risque clinique permettait de prédire avec plus de justesse une concentration de BST subséquente supérieure à 342 µmol/L [27]. Cette amélioration était presque entièrement imputable à l’inclusion de l’âge gestationnel dans le calcul (qualité de preuves 2b). Ainsi, une concentration de BST se situant entre le 75e percentile et le 94e percentiles était reliée à un risque de concentration de BST subséquente supérieure à 342 µmol/L correspondant à 12 % chez le nourrisson de 36 semaines d’âge gestationnel, et à un risque d’environ 3 % chez le nourrisson de 40 semaines d’âge gestationnel [28].
Par conséquent, la meilleure méthode disponible pour prédire l’hyperbilirubinémie grave semble être le recours à une mesure extrapolée de la BST, analysée en tenant compte de l’âge gestationnel du nourrisson. Les nourrissons de moins de 38 semaines d’âge gestationnel dont la concentration de BST dépasse le 75e percentile présentent un risque d’hyperbilirubinémie grave de plus de 10 %. De même, les nourrissons de 39 à 40 semaines d’âge gestationnel dont la concentration de BST dépasse le 95e percentile présentent un risque de plus de 10 % (qualité de preuves 2b).
Une concentration de BST de plus de 30 µmol/L dans le sang du cordon ombilical [29] est statistiquement corrélée avec une concentration de BST néonatale de pointe supérieure à 300 µmol/L, mais sa valeur prédictive positive n’est que de 4,8 % pour le nourrisson à terme, tandis qu’elle passe à 10,9 % chez le nourrisson peu prématuré, et sa spécificité est très faible (qualité de preuves 1b).
Même si la bilirubine provient de la dégradation de l’hémoglobine, la mesure systématique de l’hémoglobine ou des héma-tocrites du sang du cordon ombilical ne contribue pas à prédire une hyperbilirubinémie grave [30] (qualité de preuves 2b).
L’iso-immunisation ABO est une cause courante d’hyperbilirubinémie grave. Les bébés dont le sang de la mère est de groupe O ont un rapport de cotes d’hyperbilirubinémie grave de 2,9 (parce que la plupart des nourrissons qui ont la jaunisse en raison d’une iso-immunisation ABO sont de groupe A ou B et sont nés d’une mère de groupe O) [31][32]. Le besoin de photothérapie augmente chez les nourrissons présentant une incompatibilité ABO dont le test d’antiglobuline directe (TAD [test de Coombs direct]) est positif par rapport à ceux dont le test est négatif [28][30]. Le dépistage universel de l’incompatibilité par détermination du groupe sanguin et de l’iso-immunisation au moyen du TAD sur le sang du cordon n’améliore pas les issues cliniques par rapport à un dépistage effectué seulement chez les nourrissons dont la mère est de groupe O [33][34] (qualité de preuves 2b). De même, le dépistage de tous les bébés dont la mère est de groupe O n’améliore pas les issues par rapport à un dépistage seulement auprès des enfants atteints de jaunisse clinique [35][36] (qualité de preuves 2b). Il est donc raisonnable d’effectuer un TAD chez les nourrissons atteints d’une jaunisse démontrée cliniquement et dont les mères sont de groupe O ainsi que chez ceux qui sont à haut risque de traitement (c’est-à-dire dans la zone intermédiaire élevée [figure 1]. Les résultats détermineront s’ils sont peu ou très vulnérables et peuvent donc influer sur le seuil auquel le traitement serait indiqué (figure 2).
Le dépistage anténatal habituel d’une gamme d’anticorps aux globules rouges permet parfois de repérer d’autres mères qui accoucheront d’un nourrisson plus vulnérable à l’hémolyse. La signification des divers anticorps diffère. Chez ces nourrissons, il est généralement nécessaire de procéder à une analyse du groupe sanguin et à un TAD, il faut peut-être exercer un suivi plus étroit et entreprendre le traitement plus rapidement et il est conseillé de consulter un hématologue pédiatrique ou un néonatologiste.
Pour obtenir une version pleine dimension téléchargeable de ce graphique
Traduit et adapté avec l’autorisation de Pediatrics 2004;114:297-316. © 2004 par l’American Academy of Pediatrics.
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Traduit et adapté avec l’autorisation de Pediatrics 2004;114:297-316. © 2004 par l’American Academy of Pediatrics.
Les nouveau-nés qui ont un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) ont une incidence accrue d’hyperbilirubinémie grave (qualité de preuves 1b). Il est conseillé de procéder au dépistage du déficit en G6PD chez les bébés dont le groupe ethnique ou les antécédents familiaux laissent supposer un risque accru de déficit en G6PD (p. ex., origine méditerranéenne, moyen-orientale, africaine [37] ou d’Asie du Sud-Est). Même si le déficit en G6PD est une maladie liée au X, plus de 50 % des globules rouges des nourrissons hétérozygotes de sexe féminin peuvent présenter un déficit de l’enzyme en raison d’une inactivation aléatoire du chromosome X. Celles dont une plus forte proportion de globules rouges est atteinte sont plus vulnérables à une hyperbilirubinémie néonatale grave [38]. Il est donc conseillé de procéder tout autant au dépistage des filles que des garçons vulnérables [39]. Le déficit en G6PD augmente la possibilité d’exsanguinotransfusion chez les nourrissons atteints d’une hyperbilirubinémie grave. C’est pourquoi il faut envisager de procéder au dépistage du déficit en G6PD chez tous les nourrissons atteints d’hyperbilirubinémie grave (qualité de preuves 5). Il faut également convenir qu’en présence d’hémolyse, on peut surévaluer les taux de G6PD, ce qui peut occulter le diagnostic [40]. Les nourrissons de sexe féminin peuvent notamment obtenir des résultats trompeurs aux tests de dépistage courants [41]. Les nouveau-nés qui ont un déficit en G6PD peuvent avoir besoin d’une intervention à une concentration moins élevée de BST parce qu’ils risquent davantage de souffrir d’hyperbilirubinémie grave [42][43]. Malheureusement, dans bien des centres, il faut plusieurs jours avant d’obtenir les résultats d’un test de dépistage du déficit en G6PD. En réduisant le délai pour obtenir les résultats de ce test, on devrait améliorer les soins au nouveau-né. Puisque le déficit en G6PD a des répercussions sur toute la vie, le dépistage des nourrissons vulnérables demeure utile.
L’oxyde de carbone expiré augmente pendant l’hémolyse, mais on ne peut pas prédire l’hyperbilirubinémie grave avec plus de précision grâce à la mesure de la concentration d’oxyde de carbone de fin d’expiration [44] en plus de la mesure extrapolée de BST (qualité de preuves 1b).
TABLEAU 3 Catégories de recommandations |
|
A |
Étude méthodiques de qualité 1 |
B |
Études méthodiques de qualité 2 ou 3 |
C |
Études de qualité 4 |
D |
Données de qualité 5 ou études non décisives ou d’une incohérence troublante, de quelque qualité que ce soit |
Données tirées de la référence [26] |
Selon les recommandations précédentes, il fallait mesurer la concentration de BST chez tous les nourrissons atteints de jaunisse clinique en tout temps pendant les quatre premiers jours de vie et chez ceux qui ne souffraient pas de jaunisse clinique mais dont les facteurs de risque étaient plus élevés. En raison de la forte occurrence de facteurs de risque, cette recommandation se traduit par la mesure de la BST chez la majorité des nourrissons (à l’exception des nourrissons de sexe féminin de certains groupes ethniques qui ne reçoivent que des préparations pour nourrissons et qui ont plus de 37 semaines d’âge gestationnel). Malgré ces recommandations, des nourrissons continuent de présenter une hyperbilirubinémie grave pendant ou après leur première hospitalisation. Des données récentes tirées du PCSP [18] ont démontré que 185 des 289 nourrissons atteints d’hyperbilirubinémie gravissime se sont présentés après leur congé de l’hôpital. Il serait possible de procéder au dépistage universel de la BST ou de la bilirubine transcutanée (BTc) avant la période la plus à risque [19][42] et d’utiliser les résultats pour déterminer le profil de risque et personnaliser le suivi. De plus, l’évaluation clinique de la jaunisse ne permet pas de diagnostiquer l’hyperbilirubinémie. La jaunisse ne ressort pas à l’examen clinique lorsque la concentration de BST est inférieure à 68 µmol/L, et seulement 50 % des bébés dont la concentration de BST dépasse 128 µmol/L semblent en être atteints. Une étude [41] a démontré une différence pouvant atteindre 100 µmol/L entre l’évaluation visuelle de la concentration de bilirubine et les résultats de laboratoire. Dans une autre étude [43], on repérait la jaunisse chez tous les nourrissons dont la concentration de BST dépassait 204 µmol/L, tandis que dans une autre étude encore [45], les néonatologistes n’ont pas remarqué de jaunisse chez 19 % des nourrissons ayant une concentration de BST aussi élevée (qualité de preuves 2b). Même si aucun essai prospectif et contrôlé n’a été mené pour évaluer l’efficacité ou le lien coût-bénéfice du dépistage universel, cette solution semble constituer une stratégie raisonnable, et une étude d’observation [46] l’a qualifiée d’efficace (qualité de preuves 4).
D’ordinaire, la concentration de BST de pointe est atteinte entre trois et cinq jours de vie, alors que la majorité des bébés ont déjà obtenu leur congé de l’hôpital. À l’âge habituel du congé, les concentrations de BST situées dans la zone élevée d’après les nomogrammes ne peuvent être décelées avec fiabilité à l’inspection visuelle, surtout chez les nourrissons à la peau foncée. Pour prédire l’occurrence d’hyperbilirubinémie grave, il est donc recommandé de mesurer la concentration de BST ou de BTc chez tous les nourrissons de 24 heures à 72 heures de vie. Si le nourrisson n’a pas besoin d’un traitement immédiat, il faut transcrire les résultats sur le nomogramme prédictif afin de déterminer le risque d’évolution vers une hyperbilirubinémie grave. Il faut consigner la concentration de BST (ou de BTc) et la zone prédictive, en remettre une copie à la famille au moment du congé et prendre des mesures de suivi auprès des nourrissons plus vulnérables (tableau 4).
TABLEAU 4 Réponse aux résultats du dépistage de la bilirubine |
|||
Zone |
Plus de 37 semaines d’âge gestationnel, au TAD négatif |
35 à 37+6 semaines d’âge gestationnel ou au TAD positif |
35 à 37+6 semaines d’âge gestationnel et au TAD positif |
Élevée |
Tests ou traitements supplémentaires requis* |
Tests ou traitements supplémentaires requis* |
Photothérapie requise |
Intermédiaire élevée |
Soins habituels |
Suivi dans les 24 h à 48 h |
Tests ou traitements supplémentaires requis* |
Intermédiaire faible |
Soins habituels |
Soins habituels |
Tests ou traitements supplémentaires requis* |
Faible |
Soins habituels |
Soins habituels |
Soins habituels |
*Il faut prendre des dispositions pour réévaluer rapidement (p. ex., dans les 24 heures) la bilirubine par épreuve sérologique. Selon le seuil de risque énoncé à la figure 2, un traitement par photothérapie peut également être indiqué TAD test d’antiglobuline directe |
Si la concentration de BST n’a pas été mesurée plus tôt en raison d’une jaunisse clinique, il faut obtenir une mesure de BST au moment du test de dépistage métabolique, afin d’éviter de multiplier les interventions douloureuses et de limiter les coûts. On peut aussi préférer effectuer une mesure de la BTc au moment du congé ou avant 72 heures de vie. La prédiction d’hyperbilirubinémie grave est plus précise lorsque l’âge gestationnel à la naissance est inclus dans le modèle prédictif [28].
Certains des nourrissons les plus atteints ont besoin d’être traités avant le dépistage métabolique, afin d’éviter l’apparition d’une hyperbilirubinémie grave et de ses complications. On peut parfois observer des hausses soudaines de la concentration de BST après les deux ou trois premiers jours de vie [47], surtout en association avec une perte de poids postnatale excessive. Ainsi, l’adoption d’un programme de dépistage universel complète (sans pour autant la remplacer) une évaluation constante et attentive des nouveau-nés à compter des quelques premières heures de vie jusqu’à la fin des premières semaines de vie. Il faut mettre en place des systèmes pour garantir le suivi dans les intervalles recommandés après le congé de l’hôpital afin de repérer et de traiter rapidement les nourrissons qui développent une hyperbilirubinémie grave. Ainsi, par exemple, un nourrisson qui a obtenu son congé de l’hôpital dans les 24 premières heures de vie doit être vu dans les 24 heures suivantes, quel que soit le jour de la semaine, par une personne possédant la formation nécessaire pour dépister une hyperbilirubinémie néonatale, obtenir immédiatement la mesure de BST ou de BTc et aiguiller le nourrisson vers un établissement de traitement, au besoin. Il peut s’agir d’un médecin ou d’une infirmière.
Outre la mesure universelle, tous les nouveau-nés doivent subir une évaluation clinique répétée de la jaunisse pendant les 24 premières heures de vie, puis au moins de 24 heures à 48 heures plus tard. Une personne compétente doit procéder à cette évaluation, obtenir immédiatement une mesure de la BST ou de la BTc, au besoin, et prendre les dispositions de traitement nécessaires, que ce soit à l’hôpital ou après le congé.
Il est possible de mesurer la concentration de bilirubine au moyen d’un prélèvement de sang veineux ou capillaire ou par voie transcutanée. Il n’y a pas de différence systématique entre les résultats des prélèvements capillaires ou veineux [48][49]. Les prélèvements capillaires sont les plus utilisés au Canada et dans la plupart des études, y compris celles de Bhutani et coll. [9]. Les mesures de la BTc comportent plusieurs restrictions [50] : elles ne sont plus fiables après le début de la photothérapie [51] et peuvent perdre leur fiabilité si la couleur et l’épaisseur de la peau fluctuent [52]. Cependant, les résultats sont plus précis à des taux de bilirubine moins élevés. L’utilisation des mesures de la BTc dans le cadre d’un dépistage demeure donc raisonnable [46]. Les dispositifs offerts n’ont pas tous la même précision. Toutefois, pour utiliser un dispositif en toute sécurité, il faut en connaître la précision. Les 95 % d’IC pour la concentration de BST d’après la mesure de BTc varient entre environ 37 µmol/L et 78 µmol/L [50][53]. Par exemple, si les 95 % d’IC sont de 37 µmol/L, une concentration de BTc de plus de 37 µmol/L sous le seuil de traitement établi à la figure 2 devrait être sécuritaire (c’est-à-dire si le seuil est de 170 µmol/L à 24 heures, une BTc de moins de 133 µmol/L devrait être sécuritaire) (qualité de preuves 1b).
Le déplacement de la bilirubine contenue dans des foyers de fixation de l’albumine imputable à certains médicaments et suppléments toxiques a provoqué de nombreux cas d’ictère nucléaire par le passé, surtout au sein de la population de l’unité de soins intensifs néonatals [54]. On pense que c’est la bilirubine libre (c’est-à-dire non fixée à l’albumine) qui traverse la barrière hématoencéphalique et provoque une atteinte neuronale [55]-[57]. On ne connaît pas encore la valeur clinique de la mesure de bilirubine libre, et elle n’est pas facilement accessible [58].
Même si la jaunisse néonatale précoce est généralement causée par une hyperbilirubinémie non conjuguée, il arrive que la fraction conjuguée soit élevée, en cas d’érythroblastose Rh, de maladie hépatique et de cholestase, par exemple [59]. Chez les nourrissons sous photothérapie, il faut envisager de mesurer la fraction conjuguée. Toutefois, des rapports passés [16][20] sur l’épidémiologie de la toxicité à la bilirubine ont fixé la concentration de BST comme la norme, qui demeure la valeur déterminante de la photothérapie et d’autres traitements. Il faudrait évaluer la fraction de bilirubine conjuguée chez un nourrisson atteint d’une jaunisse persistante (de plus de deux semaines), d’hépatosplénomégalie ou de ces deux troubles [60]. Une concentration conjuguée totale de bilirubine dépassant 18 µmol/L ou supérieure à 20 % de la concentration de BST justifie une exploration plus approfondie [61][62].
Les nourrissons allaités sont plus vulnérables à l’hyperbilirubinémie grave que ceux qui prennent des préparations pour nourrissons, mais les risques connus d’encéphalopathie bilirubinémique aiguë sont très faibles par rapport aux considérables bienfaits connus de l’allaitement [17][63]. Le soutien de la mère allaitante par des personnes informées accroît la fréquence et la durée de l’allaitement. Il est difficile de trouver des données probantes fiables pour établir que le risque de jaunisse grave diminue grâce à un programme de soutien à l’allaitement, mais ces programmes permettent de réduire d’autres aspects des problèmes d’allaitement, et la prestation d’un tel soutien est raisonnable (qualité de preuves 5) [60]. Les nourrissons exclusivement allaités présentent leur perte de poids maximale le troisième jour, et ils perdent de 6 % à 8 % de leur poids de naissance, en moyenne [64]. Les nourrissons qui perdent plus de 10 % de leur poids de naissance doivent faire l’objet d’une évaluation attentive par une personne possédant une formation et de l’expérience dans le soutien des mères allaitantes [64][65] (qualité de preuves 5). L’administration systématique de suppléments d’eau ou de dextrose aux nourrissons allaités ne semble pas prévenir l’hyperbilirubinémie (qualité de preuves 2b) [66].
On a mené de petits essais cliniques aléatoires (ECA) sur l’utilisation systématique de suppositoires à la glycérine [64][67], de lavements à la glycérine [65], d’acide aspartique-L, de caséine hydrolisée par voie enzymatique, de lactosérum et de caséine et ainsi que de clofibrate [68], mais on a établi que leur usage n’a pas d’effet sur les issues importantes d’un point de vue clinique.
La phénobarbitone, étudiée pour prévenir l’hyperbilirubinémie chez les nourrissons atteints d’un déficit en G6PD [69], n’améliorait pas les issues importantes d’un point de vue clinique (qualité de preuves 1b).
Des analogues synthétiques de l’oxygénase de l’hème, tels que la mésoporphyrine Sn (SnMP), en inhibent fortement l’activité et suppriment la production de bilirubine. Dans le cadre d’une étude [70] de témoins historiques nourrissons atteints d’un déficit en G6PD, la SnMP permettait d’éviter la photothérapie et semblait prévenir l’hyperbilirubinémie grave. Cependant, des ECA prospectifs n’ont pu démontrer de bienfaits d’importance clinique (qualité de preuves 1b), et les composés ne sont pas offerts sur le marché [71][72].
Un quasi-ECA (73; n=142) n’a pu établir de bienfait clinique à la photothérapie prophylactique en cas d’iso-immunisation ABO (qualité de preuves 2b).
La photothérapie peut être utilisée à la fois pour prévenir l’hyperbilirubinémie grave chez les nourrissons présentant une concentration de BST modérément élevée et pour entreprendre le traitement des nourrissons déjà atteints d’une hyperbilirubinémie grave.
L’énergie de la lumière induit une modification conformationnelle de la molécule de bilirubine, qui devient hydrosoluble. La lumière de la partie bleu-vert du spectre est la plus efficace. L’efficacité de la photothérapie dépend de l’étendue de peau exposée et de l’intensité de la lumière sur la peau à des longueurs d’ondes pertinentes [74]-[76]. Il est possible d’obtenir une photothérapie plus intense à l’aide de multiples unités de photothérapie [77] ou en rapprochant l’unité du nourrisson. La photothérapie accroît l’évapotranspiration transépidermique, mais ce phénomène n’a pas de conséquence clinique chez les nourrissons à terme qui se nourrissent bien. Les effets secondaires de la photothérapie sont l’instabilité de la température, l’hypermotilité intestinale, la diarrhée, l’interférence dans l’interaction entre la mère et le nourrisson et, dans de rares cas, une décoloration bronzée [41]. Pendant la période néonatale, lorsque leur nourrisson est placé sous photothérapie, les parents ont l’impression que sa jaunisse était une maladie grave [78], ce qui accroît leur anxiété et leur recours aux soins de santé (qualité de preuves 2). Des paroles rassurantes aux parents, leur expliquant qu’une intervention et un suivi convenables éviteront toutes les conséquences de l’hyperbilirubinémie, constituent une partie importante des soins de ces nourrissons. Pour protéger la rétine en formation, il faut utiliser un couvre-œil, car des études sur des animaux ont révélé un risque potentiel [79].
La photothérapie réduit le taux d’évolution vers une hyperbilirubinémie grave chez les nourrissons atteints d’une hyperbilirubinémie modérée (qualité de preuves 1a) [12]. Certains nourrissons qui ont la jaunisse sont déshydratés, et la réhydratation provoque généralement une chute rapide de la concentration de BST. Il faut toutefois poursuivre l’alimentation entérale afin de remplacer les liquides manquants, de fournir de l’énergie et de limiter le recaptage entérohépatique de la bilirubine [80].
En général, la lumière fluorescente est la plus utilisée [81], mais son intensité diminue au fil du temps. Il est donc important d’établir un programme de soutien biomédical pour garantir l’intensité convenable de la lumière et, par conséquent, un traitement efficace. Des systèmes de photothérapie à fibres optiques ont été adoptés à la fin des années 1980. Ils ont l’avantage de permettre l’allaitement du nourrisson sans interruption de la photothérapie et d’éviter le recours au couvre-œil. Cependant, ils ont l’inconvénient de fournir une intensité de pointe moins élevée que celle des systèmes fluorescents. On peut aussi utiliser des projecteurs halogènes, mais il ne faut pas les rapprocher du nourrisson plus que ce que le fabricant recommande.
La photothérapie intensive, recommandée dans le présent document de principes, exige l’application d’une lumière de forte intensité (plus de 30 µW/cm2/nm) sur la plus grande surface possible du nourrisson. Dans les situations cliniques habituelles, il faut alors utiliser deux unités de photothérapie ou des tubes fluorescents spéciaux de haute intensité, installés à environ 10 cm du nourrisson, qui peut être soigné dans une couchette. D’ordinaire, il peut garder sa couche. Chez les nourrissons dont la concentration de BST avoisine le seuil d’exsanguinotransfusion, l’ajout d’une couverture de fibres optiques sous eux peut accroître la surface exposée à la lumière, et il faut alors retirer la couche (ou utiliser une couche transmettant les longueurs d’ondes de la photothérapie). Les lignes directrices pour le traitement (figure 2) sont fondées sur des données probantes directes limitées, mais selon le comité d’étude du fœtus et du nouveau-né de la Société canadienne de pédiatrie, le document consensuel du sous-comité de l’hyperbilirubinémie de l’American Academy of Pediatrics propose actuellement les normes les plus pertinentes [20]. La photothérapie classique, c’est-à-dire une seule série de lumières fluorescentes placées au-dessus de l’incubateur d’un nourrisson soigné avec sa couche en place, est évidemment moins efficace, car la surface couverte et l’intensité sont toutes deux réduites. Ce type de photothérapie aura tout de même un effet sur la concentration de BST.
Les recommandations de traitement découlent de la figure 2. Elles s’établissent comme suit :
Il existe un outil utile en ligne, en anglais, pour établir si la photothérapie intensive serait recommandée selon les présentes lignes directrices [82].
L’interruption de l’allaitement dans le cadre du traitement de l’hyperbilirubinémie s’associe à une forte augmentation de la fréquence d’abandon de l’allaitement avant l’âge d’un mois (RR=1,79, 95 % IC 1,04 à 3,06, nombre nécessaire pour nuire = 4 [qualité de preuves 2b]) [83]. La poursuite de l’allaitement des nourrissons qui ont la jaunisse et sont placés sous photothérapie n’est pas reliée à des issues cliniques indésirables, même si une étude d’observation [84] a révélé une réponse plus lente à la photothérapie pendant les 24 premières heures chez les nourrissons exclusivement allaités par rapport à ceux qui prenaient des suppléments (diminutions de la bilirubine de 17,1 % par rapport à 22,9 %, respectivement; P=0,03). La durée de la photothérapie ne différait pas entre les groupes, et aucune autre issue d’importance clinique n’était touchée. Un ECA [85] mené auprès de nouveau-nés allaités atteints de jaunisse n’a révélé aucune différence clinique significative dans la fréquence de diminution de la concentration de BST par rapport à la concentration normale à 48 heures de vie lorsque l’allaitement était interrompu, que ce soit dans les groupes placés sous photothérapie (RR=1,07, 95 % IC 0,6 à 1,92; P=0,818) ou dans ceux qui en avaient été privés. Les résultats ne permettaient de constater aucune différence clinique d’importance pour ce qui est des issues.
L’immunoglobuline intraveineuse (IVIG) réduit les concentrations de bilirubine chez les nouveau-nés atteints d’une maladie hémolytique Rh ou d’une autre jaunisse hémolytique immune. Elle complète l’inhibition des anticorps responsables de la destruction des globules rouges, de la libération de l’hémoglobine et de l’apparition de la jaunisse [47]. Une analyse systématique de trois ECA antécédents [86] et d’un ECA subséquent [87] a démontré une diminution importante des exsanguinotransfusions chez des nourrissons atteints d’une jaunisse marquée qui avaient reçu de l’IVIG au hasard à une dose de 500 mg/kg ou de 1 g/kg (tirés de l’analyse de Cochrane, RR=0,28, 95 % IC 0,17 à 0,47, nombre nécessaire pour traiter = 3 [qualité de preuves 1a]). Les critères de participation différaient pour chacune de ces études, ce qui rend les indications de traitement difficiles à déterminer. Il semble raisonnable d’entreprendre un traitement chez les nourrissons chez qui on prédit une maladie grave d’après l’exploration anténatale et chez ceux qui courent un risque élevé d’exsanguinotransfusion d’après l’évolution postnatale de la concentration de BST.
La SnMP, étudiée pour éviter l’évolution d’une hyperbilirubinémie modérée [88], ne s’associe à aucune preuve de réduction des issues importantes d’un point de vue clinique (qualité de preuves 1a).
Des nourrissons atteints d’une jaunisse non hémolytique, qui n’étaient pas visiblement déshydratés et dont la concentration de BST se situait entre 308 µmol/L et 427 µmol/L, ont été divisés au hasard entre un groupe témoin et un groupe recevant des liquides d’appoint (par infusion intraveineuse, puis par voie orale) dans le cadre d’un petit ECA mené dans le nord de l’Inde [89]. Cet apport supplémentaire de liquides a permis de réduire considérablement la fréquence des exsanguinotransfusions, qui est passée de 54 % à 16 % [89] (qualité de preuves 1b). Pendant la photothérapie intensive, l’admi-nistration des liquides par voie orale semble tout aussi efficace que par voie intraveineuse [90] (qualité de preuves 1b).
D’après des données d’observation, l’administration de liquides d’appoint par voie orale pourrait nuire à la durée éventuelle de l’allaitement [78] (qualité de preuves 2b), mais ces études n’ont pas été effectuées lors d’un bref apport de suppléments pour traiter une jaunisse néonatale, et une analyse systématique des études d’intervention n’a pas permis de relever des données probantes fiables à cet égard [91]. La fréquence d’exsanguinotransfusions chez les nourrissons participant à l’étude abordée plus haut était très élevée [92]. On ne remarque pas la même réduction absolue du risque avec un apport supplémentaire de liquides administrée à une population risquant beaucoup moins de subir une exsanguinotransfusion. Par conséquent, des liquides d’appoint sont indiqués pour les nourrissons allaités qui courent un risque marqué d’exsanguinotransfusion, mais cet apport devrait être limité à ce sous-groupe (qualité de preuves 1b).
L’administration de gélose par voie orale pour prévenir le recaptage entérohépatique de la bilirubine n’est pas étayée par les données probantes disponibles [92]-[95] (qualité de preuves 1b).
Un nourrisson atteint d’hyperbilirubinémie grave, ou dont l’état se détériore en hyperbilirubinémie grave malgré un traitement initial, devrait être immédiatement placé sous photothérapie intensive. Il faut vérifier la concentration de bilirubine dans les deux à six heures suivant le début du traitement, afin de confirmer la réponse du nourrisson. Il faut envisager un traitement plus poussé et il peut être indiqué de prendre les dispositions nécessaires pour procéder à une exsanguinotransfusion. Les liquides d’appoint sont indiqués, et il faut administrer de l’IVIG, si ce n’est déjà fait, au nourrisson présentant une iso-immunisation.
Si la photothérapie ne permet pas de contrôler les concentrations croissantes de bilirubine, l’exsanguinotransfusion est indiquée pour abaisser les concentrations de BST. Chez les nouveau-nés à terme et en santé sans facteurs de risque, l’exsanguinotransfusion doit être envisagée lorsque la concentration de BST se situe entre 375 µmol/L et 425 µmol/L (malgré une photothérapie intensive adéquate). Puisque le sang prélevé après l’exsanguinotransfusion n’a aucune valeur pour explorer bon nombre des causes plus rares d’hyperbilirubinémie grave, il faut envisager ces explorations avant l’exsanguinotransfusion. Il faut prélever et entreposer des quantités suffisantes de sang pour procéder à des tests qui permettront d’évaluer, par exemple, la fragilité des globules rouges, le déficit en enzymes (déficit en G6PD ou en pyruvate-kinase) et les troubles métaboliques, de même que l’électrophorèse de l’hémoglobine et l’analyse chromosomique. Il peut falloir plusieurs heures pour préparer le sang à l’exsanguinotransfusion. Pendant cette période, il faut utiliser la photothérapie intensive, les liquides d’appoint et l’IVIG (en cas d’iso-immunisation). Si un nourrisson dont la concentration de BST dépasse déjà le seuil d’exsanguinotransfusion arrive pour obtenir des soins médicaux, il est raisonnable de répéter la mesure de concentration de BST juste avant l’exsanguinotransfusion, pourvu de ne pas la retarder. On évitera ainsi certaines exsanguinotransfusions, de même que les risques qui s’y associent. L’exsanguinotransfusion est une intervention qui comporte un taux de morbidité important, qu’on doit effectuer seulement dans les centres où l’on détient les compétences pertinentes, sous la supervision d’un néonatologiste expérimenté. Un nourrisson présentant des signes cliniques d’encéphalopathie bilirubinémique aiguë devrait subir immédiatement une exsanguinotransfusion (qualité de preuves 4).
Pour obtenir une version pleine dimension téléchargeable de ce graphique
Traduit et adapté avec l’autorisation de Pediatrics 2004;114:297-316. © 2004 par l’American Academy of Pediatrics.
La surveillance systématique du nouveau-né, que ce soit à l’hôpital ou après son congé, devrait inclure une évaluation de l’allaitement et de la jaunisse toutes les 24 heures à 48 heures, jusqu’à ce que l’allaitement soit bien établi (en général, le troisième ou quatrième jour de vie). Tous les nourrissons qui ont la jaunisse, surtout les nourrissons très vulnérables et ceux qui sont exclusivement allaités, doivent continuer à être suivis de près jusqu’à ce que l’alimentation et la prise de poids soient établis et que la concentration de BST commence à chuter. Les services communautaires doivent inclure le soutien à l’allaitement et l’accès à des tests de BST ou de BTc. Les nourrissons souffrant d’une iso-immunisation risquent une anémie grave au bout de quelques semaines. On conseille de reprendre la mesure de l’hémoglobine à deux semaines de vie si elle était faible au congé, et à quatre semaines de vie si elle était normale (qualité de preuves 5). Les nourrissons qui doivent subir une exsanguinotransfusion ou qui ont des anomalies neurologiques doivent être aiguillés vers des programmes de suivi multidisciplinaires régionaux. Une perte d’audition neurosensorielle revêt une importance particulière chez les nourrissons atteints d’hyperbilirubinémie grave, et leur dépistage auditif devrait inclure les potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral.
L’occurrence d’hyperbilirubinémie grave justifie une exploration de la cause de l’hyperbilirubinémie. Les examens devraient inclure l’obtention des antécédents cliniques pertinents du bébé et de la mère, les antécédents familiaux, la description du travail et de l’accouchement et l’évolution clinique du nourrisson [35]. L’examen physique doit être complété par des explorations de laboratoire (taux de bilirubine conjuguée et non conjuguée, test de Coombs direct [TAD], taux d’hémoglobine et d’hématocrites, et numération globulaire complète, y compris numération différentielle, frottis sanguin et morphologie des globules rouges). Il faut vérifier la présence de sepsis si la situation clinique le justifie.
L’hyperbilirubinémie grave chez les nouveau-nés à terme ou peu prématurés (plus de 35 semaines d’âge gestationnel) et relativement en santé continue de s’associer à la possibilité de complications de l’encéphalopathie bilirubinémique aiguë et de séquelles chroniques. Une évaluation attentive des facteurs de risque en cause, une approche systématique du dépistage et du suivi de la jaunisse à l’aide des analyses de laboratoires pertinentes, une photothérapie judicieuse et une exsanguinotransfusion, au besoin, sont toutes essentielles afin d’éviter ces complications.
Le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie et le Collège des médecins de famille du Canada ont révisé le présent document de principes.
Membres : Khalid Aziz MD (représentant du conseil 2000-2006); Keith J Barrington MD (président); Joanne Embree MD (représentante du conseil); Haresh Kirpalani MD; Koravangattu Sankaran MD; Hilary Whyte MD (sabbatique 2006-2007); Robin Whyte MD
Représentants : Dan Farine MD, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada; David Keegan MD, comité des soins de maternité et de périnatalité, Collège des médecins de famille du Canada; Francine Lefebvre MD, comité de la médecine néonatale et périnatale, Société canadienne de pédiatrie; Catherine McCourt MD, Division de la surveillance de la santé et de l’épidémiologie, Agence de santé publique du Canada; Shahirose Premji, Neonatal Nurses; Alfonso Solimano MD, section de la médecine néonatale et périnatale, Société canadienne de pédiatrie (2002-2006); Ann Stark MD, comité d’étude du fœtus et du nouveau-né, American Academy of Pediatrics; Amanda Symington, Neonatal Nurses (1999-2006)
Auteurs principaux : Keith J Barrington MD; Koravangattu Sankaran MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 2 février 2021